Drogues : un problème de définition
Les pays anglo-saxons ont joué un rôle de premier plan dans l’élaboration des grandes conventions internationales en matière de lutte contre la drogue. Or la langue anglaise ne brille par par sa précision, puisque le terme drugs rassemble tout autant les médicaments sur ordonnance que les substances illicites. Un autre problème a trait au terme drug abuse, qui est graduellement devenu, au fil des années, synonyme de drug use. En français, le mot abus signifie « usage mauvais, excessif ou injuste » [4]. L’acception générale du mot anglais abuse va dans le même sens. L’utilisation des drogues a donc été teinté d’un sens général assez péjoratif, faisant état de préjugés et ne tenant absolument pas compte de ses usages médicaux, religieux et culturels potentiellement bénéfiques.
Les termes préconisés ici sont usage abusif, lorsque l’usage des drogues est néfaste pour la santé; et usage ou utilisation, sans plus, dans tous les autres cas.
Stupéfiants, narcotiques, psychotropes
La définition internationale des drogues est essentiellement une question de classification. On peut retenir principalement les classifications scientifiques, sanitaires et juridiques. [5] En droit international, tout comme dans le Code criminel canadien d’ailleurs, les termes en vogue pendant une grande partie du XXe siècle étaient « stupéfiants » et « narcotiques ». Ces termes ne correspondent malheureusement à aucune réalité autre que celle de leur « définition circulaire » :
[L]a Convention [de 1961], pourtant fort peu avare de définitions, n’en donne aucune du terme « stupéfiant ». Elle se borne à renvoyer à des listes de substances classées figurant dans ses annexes (art.1, §1, u). […] Est donc un stupéfiant toute substance naturelle ou synthétique figurant sur la liste des stupéfiants. [6]
Dans un même ordre d’idées, l’article premier de la Convention de 1971 sur les substances psychotropes (Convention de Vienne) stipule par exemple que :
L’expression « substance psychotrope » désigne toute substance, qu’elle soit d’origine naturelle ou synthétique, ou tout produit naturel du Tableau I, II, III ou IV.
Drogues dures, drogues douces
Cela nous amène à la question de la définition conceptuelle des drogues dites « dures » et « douces », qui fait depuis longtemps l’objet d’un grand débat politique, doctrinal et médiatique :
Ni le Canada, ni les États-Unis n’ont vraiment contesté la liste des stupéfiants ou celle des psychotropes imposée par les Conventions. Ni l’un ni l’autre de ces pays n’a manifesté le bon sens dont ont fait preuve la Grande-Bretagne et la Hollande qui ont jugé nécessaire de distinguer, parmi les stupéfiants, les drogues dures (héroïne, par exemple) des drogues douces (cannabis, par exemple), invalidant du même coup la fausse homologie entre ces substances créée par leur présence commune dans la liste des stupéfiants. [7]
La distinction entre drogues dures et douces n’existe pas en droit international, et elle est au demeurant assez simpliste. Différentes échelles de gradation ont cependant été proposées au fil des années par les scientifiques de nombreux pays. Caballero, après avoir examiné quelques études disponibles à la fin des années 1980, affirme que
[P]resque toutes les drogues douces (sauf les tranquilisants) sont des drogues naturelles, toutes les drogues dures sont des drogues synthétiques (LSD, amphétamines, barbituriques...) ou semi-synthétiques (morphine, héroïne, cocaïne). La distinction entre drogue dure et drogue douce recoupe donc presque parfaitement celle entre drogues naturelles cultivées et drogues industrielles fabriquées. Il en résulte que les drogues douces sont généralement des matières premières agricoles. Le droit positif reconnaît d’ailleurs cette spécificité. Il prévoit des dispositions spéciales à la culture tant au niveau international qu’au niveau européen ou national. Il reconnaît dans certains cas, et pour certains produits, le caractère culturel des consommations traditionnelles de drogues douces. [8]
Ces « dispositions spéciales » ont été acquises de hautte lutte, mais ont pour effet de recréer un autre type d’exclusion : qui, en effet, est un indigène apte à consommer ou produire certaines substances? Qui est un non-indigène devant être sanctionné?
Position de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS)
Les termes narcotique et stupéfiant sont désuets et ne correspondent plus à la réalité scientifique actuelle. L’OMS préfère utiliser le terme substances psychoactives, sans égard pour leur statut licite ou illicite :
psychoactive drug or substance A substance that, when ingested, affects mental processes, e.g. cognition or affect. This term and its equivalent, psychotropic drug, are the most neutral and descriptive terms for the whole class of substances, licit and illicit, of interest to drug policy. "Psychoactive" does not necessarily imply dependence-producing, and in common parlance, the term is often left unstated, as in "drug use" or "substance abuse". [9]
Le terme « drogue », selon l’OMS, couvre par ailleurs une variété beaucoup plus grande de substances, utilisées en médecine et pharmacologie, notamment, et n’ayant pas toujours d’effets sur les processus mentaux. Enfin, il ne faut pas oublier le débat qui entoure les notions d’accoutumance (habituation) et l’assuétude ou toxicomanie (addiction). L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a défini pour la première fois la toxicomanie en 1952, mais a rapidement fait place aux notions de dépendance physique et psychique en 1963. « Il en résulte que la définition officielle de la drogue n’est plus liée à la notion de toxicomanie […] L’équation admise par tous les spécialistes, drogue = toxicomanie, est devenue techniquement fausse pour le juriste. » [10]
[4] A. Rey et J. Rey-Debove, éd., Le Petit Robert. Montréal : Les dictionnaires Robert, 1991, p. 9.
[5] Francis Caballero, Droit de la Drogue, Paris : Dalloz, 1989, p. 14.
[6] Francis Caballero, ibid., p. 26.
[7] Marie-Andrée Bertrand, « La situation en Amérique du Nord », dans F. Caballero, dir., Drogues et Droits de l'Homme, Paris : Delagrange, 1992, p. 123.
[8] Francis Caballero, op. cit., pp. 24-25.
[9] Lexicon of alcohol and drug terms published by the World Health Organization. En ligne : World Health Organization, http://www.who.int/substance_abuse/terminology/who_lexicon/en
[10] Francis Caballero, op. cit., p. 2.
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