La Convention unique de 1961 et l'interdiction des substances d'origine naturelle (coca, opiacés et cannabis)

Les germes de la discorde

La Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (Convention unique) [1] a abrogé et remplacé les dispositions de toutes les conventions en matière de contrôle des drogues existant au moment de son adoption. Elle a mis en place tout un attirail de contrôle et de supervision faisant appel, entre autres, à la Commission des stupéfiants (CDS-CND) et l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS-INCB).

Pour l’essentiel, la Convention unique limite exclusivement à des fins médicales et scientifiques l’emploi, la détention et la production de substances répertoriées :

Les Parties prendront les mesures législatives et administratives qui pourront être nécessaires

[...]

c) Sous réserve des dispositions de la présente Convention, pour limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, la distribution, le commerce, l’emploi et la détention des stupéfiants. [2]

La Convention unique ne précise pas la notion de « fins médicales et scientifiques » et ne désignent pas quelles seraient les substances pouvant déroger à la règle d’interdiction totale, même pour des raisons médicales. [3] Nous pouvons également en déduire que l’intention du législateur était d’autoriser l’emploi à des fins médicales dans l’unique but de soulager la douleur (et non à des fins préventives) à en juger par ces quelques lignes du préambule:

Les Parties,

[...]

Reconnaissant que l’usage médical des stupéfiants demeure indispensable pour soulager la douleur et que les mesures voulues doivent être prises pour assurer que des stupéfiants soient disponibles a cette fin,

[...]

La suite du préambule stipule par ailleurs que la « toxicomanie » (terme tombé en désuétude à l’OMS) [4] est « un fléau pour l’individu et constitue un danger économique et social pour l’humanité » et en appelle à une lutte coordonnée au plan mondial. C’est malheureusement cette interprétation qui a dominé le discours et la pratique depuis plus de 40 ans et sème la discorde, au sein de l'ONU, entre les partisans de la ligne dure (États-Unis en tête) et les pays plus pragmatiques prônant l'approche de réduction des méfaits.

Le statut controversé des drogues de source naturelle (feuille de coca, opiacés et cannabis)

La classification de substances extrêmement disparates sous le vocable unique de stupéfiants (voir la liste en pièce jointe) n’a jamais cessé d’être une source de controverse :

  • Tableau I : Stupéfiants (plus d’une centaine de substances) incluant la feuille de coca, le concentré de paille de pavot, l’héroïne, l’opium, la morphine et le cannabis.
  • Tableau II : Stupéfiants (codéine et dérivés, par exemple) pouvant être utilisées à des fins médicales et présentant des risque moindre que les substances du Tableau I.
  • Tableau III : Préparations médicamenteuses exemptées de certaines dispositions, sans risque d’abus ni d’effets nocifs, et dont le principe actif est difficilement extractible vu la faiblesse de leur concentration.
  • Tableau IV : Substances du tableau I, ayant un potentiel d’abus élevé et considérées particulièrement dangereuses. Sans valeur thérapeutique notable, elles sont néanmoins permises à des fins de recherche.

Croyez-le ou non, le cannabis et la résine de cannabis figurent aussi au tableau IV et sont donc considérés très dangereux et sans valeur thérapeutique notable! En fait, ce système de classification complètement ridicule remonte à il y a au moins 75 ans:

En 1931, la Convention pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants (Convention de Genève) a entraîné la mise en place d’un système de prévisions obligatoires ayant pour objet de limiter la fabrication mondiale de drogues aux quantités nécessaires à un usage scientifique et médical. C’est en vertu du Protocole de Paris de 1948 que l’OMS fut habilitée à établir quelles sont les nouvelles drogues qui constituent des « drogues dangereuses » pour les besoins de la Convention de 1931. [5]

Selon l’article 3 de la Convention unique, il revient à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’évaluer les substances et de juger de la pertinence de leur classification dans l’un ou l’autre de ces tableaux. Pour ce faire, l’OMS convoque un Comité d’experts pour la pharmacodépendance à tous les deux ans, pour ensuite faire des recommandations à la CDS. Malheureusement, la forme de classification en vigueur est incompatible avec la classification établie par l’OMS. En fait, les termes narcotiques, stupéfiants et substances psychotropes sont désuets et ne correspondent plus à la réalité scientifique actuelle. Les recommandations de l’OMS sont non-contraignantes, ne concernent que la classification des substances (et non le texte des conventions elles-mêmes), et peuvent être rejetées à tout moment par les 53 membres de la CDS. On peut malheureusement conclure de tout ceci que l’OMS a été marginalisée politiquement dès l’adoption des conventions, et que ses progrès scientifiques n’ont jamais été traduits juridiquement.


[1] Convention unique sur les stupéfiants de 1961 telle que modifiée par le Protocole du 25 mars 1972 portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 8 août 1975, 976 R.T.N.U. 105, En ligne : http://www.unodc.org/pdf/convention_1961_fr.pdf
[2] Convention unique sur les stupéfiants, art. 4.
[3] MacKay, Robin, 2001. Politique nationale en matière de drogue : Australie. En ligne : Rapports de recherche du Comité, Comité spécial sur les drogues illicites, 37e Législature, 1re Session.
[4] Le terme dépendance a été adopté internationalement depuis 1957 sur la proposition du Comité OMS d’experts des drogues engendrant l’accoutumance (devenu Comité experts OMS de la Pharmacodépendance) pour remplacer les termes toxicomanie et accoutumance. En outre le concept de « dépendance » a été élargi en 1969 par le même comité, pour englober sous le terme pharmacodépendance non seulement les états résultant de l’absorption prolongée de drogues mais aussi de médicaments en général. Source : Grand dictionnaire terminologique de l’Office de la langue française, s.v. « dépendance ». En ligne : http://www.granddictionnaire.com