Rebrousser chemin sur l’âge légal de consommation du cannabis

Rebrousser chemin sur l’âge légal de consommation du cannabis

Nicolas Rioux
Candidat à la maîtrise en droit public

2 novembre 2019Libre opinion
Libre opinion

Monsieur le Ministre Lionel Carmant,

Permettez-moi, dans un premier temps, de souligner votre expertise particulière en neurologie, qui a certainement inspiré vos récentes actions ministérielles. Vous avez à maintes reprises souligné la problématique de la nocivité du cannabis chez les jeunes, et chez les personnes ayant des prédispositions génétiques à la schizophrénie notamment.

L’objectif que vous aviez en tête me semblait clair et vous le traduisiez bien dans cette allocution : « Lorsqu’il est question du cannabis, mon jugement est guidé par une seule chose : la protection de la santé des jeunes, en retardant la première consommation le plus possible, et surtout en évitant de banaliser son usage. »

Vous m’avez toutefois grandement déçu dans les moyens législatifs que vous avez utilisés afin de répondre à cet objectif, soit en interdisant la possession, la vente et l’accès aux succursales de la SQDC aux personnes âgées de 18 à 20 ans inclusivement. Croire que le cannabis cause des dommages physiques et psychologiques est une chose, croire que la prohibition empêche les jeunes d’avoir accès à ce produit en est une autre !

L’exemple portugais

Le problème de la guerre à la drogue est qu’aucune société n’a réussi à enrayer ses sources d’approvisionnement illicites. Logiquement, restreindre l’accès à un produit nationalisé dans un tel contexte revient à encourager les jeunes de 18 à 20 ans inclusivement à fréquenter le marché noir.

Vous auriez peut-être eu intérêt à prendre des notes sur l’expérience portugaise en matière de contrôle des drogues. Imaginez-vous donc que le Portugal a décriminalisé toutes les drogues sur son territoire. Et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, la consommation de substances illicites a diminué chez les jeunes portugais.

Pourquoi ? Entre autres parce que le sentiment de rébellion qui menait les jeunes vers la consommation a été éliminé par des politiques de santé publique tolérantes (éclipsant votre argument sur la banalisation). Entre autres, aussi, parce que cette ouverture a permis de démocratiser l’accès à des ressources de santé publique multiples, d’encourager la sensibilisation, de promouvoir la réinsertion sociale d’individus ayant des problèmes de dépendance, etc.

À l’inverse, les politiques répressives poussent les individus à se cacher, à éviter de chercher de l’aide et à se sentir honteux de leur consommation. Les politiques répressives encouragent également le maintien du marché noir que la nationalisation vise techniquement à combattre puisque ce marché aura alors le monopole des jeunes.

De plus, la qualité des produits du marché noir n’étant pas surveillée, ce sont des risques supplémentaires que les jeunes prendront en modifiant leur source d’approvisionnement, auxquels s’ajoutent les risques de violence, beaucoup plus élevés dans un contexte d’activités illicites. Bref, le dépôt de votre dernier projet de loi ne diminuera aucunement l’accessibilité du produit pour les jeunes. Il ne fera que modifier leur source d’approvisionnement, les poussant à se tourner vers une option beaucoup moins sécuritaire.

Déjudiciarisation

Je le répète, loin de moi l’idée de fustiger vos nobles intentions. D’ailleurs, votre projet de loi contient certaines mesures intéressantes, notamment l’article 10 qui interdit à la SQDC d’exploiter un point de vente à moins de 250 mètres des établissements d’enseignement professionnel, collégial et universitaire. Reste que, dans son ensemble, le projet de loi 2 fera plus de mal que de bien.

Globalement, notre société aurait intérêt à suivre la stratégie de réduction des méfaits adoptée par d’autres pays (les exemples de l’Italie et de l’Espagne sont très intéressants). La présence de centres d’injection supervisée, les campagnes de sensibilisation, le contrôle de la qualité des produits légaux et des thérapies accessibles pour les individus dans le besoin valent mille fois les vaines tentatives de répression étatique. Je rêve du jour où notre société percevra la consommation de drogues et la dépendance comme des enjeux collectifs de santé publique nécessitant une déjudiciarisation du phénomène.

Dans l’attente de plus amples réformes vers un détachement de notre société de notre bagage culturel judéo-chrétien, je vous prie, Monsieur le Ministre, d’écouter les experts en santé publique, les sociologues, les criminologues et tous les autres acteurs concernés. Prenez la sage, pragmatique et adéquate décision de rebrousser chemin sur la question de l’âge légal minimum de consommation du cannabis au Québec. Toute notre société bénéficiera d’une plus grande ouverture face aux problèmes découlant de l’omniprésence des drogues, ouverture qui permettra une meilleure prise de conscience individuelle.

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