Un semi-grossiste de cannabis gagne entre 250 000 et 550 000 euros par an.

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20/09/2010 16:38

Comment l’économie souterraine gangrène les cités

Les maires des grandes villes se réunissent mercredi 22 septembre pour évoquer notamment les violences urbaines. Celles-ci sont étroitement liées au trafic de drogue, qui s’adapte en permanence aux moyens de lutte déployés par les policiers

Pendant quatre ans, Kevin a dirigé une véritable PME de trafic de haschich. « J’étais le mec au-dessus, celui qui s’occupe de l’approvisionnement », explique l’ancien grossiste originaire d’un quartier populaire du sud de la région parisienne.

« Je travaillais uniquement par avion. Ceux qui bossent par convois de grosses cylindrées sont des têtes brûlées. Pour moi, il était plus sûr de payer des passeurs ou de soudoyer la douane de l’aéroport. » Kevin a commencé à vendre de la drogue le jour où quelqu’un dans son quartier lui a mis un kilogramme de marchandise entre les mains.

« Je me suis lancé. Nous sommes tous des autodidactes. Plus l’affaire devient grande, plus on a besoin de s’organiser. J’ai trouvé des méthodes au fur et à mesure. Ceux qui ne sont pas rigoureux se font prendre tout de suite. Il y a des règles de base à respecter. Par exemple, il ne faut jamais donner le bon lieu de provenance de la marchandise à ses revendeurs : s’ils se font prendre et qu’ils donnent trop de détails, la police aura plus de chance de remonter la filière », détaille-t-il.

Un marché évalué à deux milliards d'euros

Le marché de la drogue, selon le ministère de l’intérieur, serait de deux milliards d’euros en France, pour plus de quatre millions de consommateurs. En haut de la pyramide, les grossistes, les semi-grossistes, qui profitent les premiers de la manne. Puis viennent les intermédiaires, jusqu’aux petits “employés de base”.

Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), le seul business du cannabis représenterait entre 800 et 900 millions d’euros. Un semi-grossiste de cannabis gagne entre 250 000 et 550 000 euros par an, tan dis qu’un reven deur perçoit entre 35 000 et 77 000 €. Tous les autres sont des « smicards du business ». En tout, 50 000 trafiquants gagneraient moins de 1 000 € par mois.

Kevin avait recours à ces employés de fortune. « Les tâches étaient bien réparties. J’avais des mecs qui planquaient la marchandise. En échange, je leur payais leur loyer. J’avais aussi mon propre service de police. Quand les intermédiaires tardent trop à faire revenir l’argent de la vente, il faut leur mettre un peu de pression. Pour rassurer mes gars, je mettais une part des recettes de côté, histoire de pouvoir payer un avocat au cas où l’un d’entre eux se ferait coincer. »

« Les cités disposent d’une véritable armée de réserve »

Plus le business grandit, plus les trafiquants rencontrent des difficultés d’organisation. Et plus ils ont tendance à vouloir s’armer. « Nous nous étions associés avec un autre réseau près de Bordeaux pour écouler nos stocks quand nous n’y arrivions plus. Mais il est plus difficile de faire confiance à de nouveaux revendeurs. Au bout d’un moment, j’étais devenu complètement parano, je me retournais sans cesse pour voir si j’étais suivi. Je ne dormais plus. J’ai commencé à vouloir m’armer, et à armer mes gars. C’est là que j’ai commencé à me dire qu’il était temps d’arrêter. »

Tous les dealers ne se donnent pas cette limite. Si les armes ne sont là que pour protéger les réseaux, et ne font pas l’objet d’un négoce en soi, leur nombre est en sensible progression. Le nombre d’infractions au port et à la détention d’armes non autorisées est passé de 29 932 à 32 410 entre fin 2008 et fin 2009, selon les données de l’Observatoire de la délinquance (OND). Une augmentation de 8,3 %, ressentie dans la multiplication des victimes de règlements de compte dans les cités cette année (La Courneuve, Grenoble, Sevran, etc.).

Au moment d’arrêter son trafic, Kevin n’a eu aucune difficulté pour trouver un “repreneur”. « Tous les gars cherchaient à me joindre pour connaître mes tuyaux », se souvient-il. C’est une des difficultés de la lutte contre le trafic de drogue. « Les cités disposent d’une véritable armée de réserve pour prendre la relève dès qu’un trafiquant est arrêté », précise Michel Kokoreff, sociologue spécialiste des réseaux de trafics en bandes organisées (1). « En zone urbaine sensible, 66 % des jeunes actifs de moins de 25 ans n’ont pas de diplôme. Pour certains garçons en décrochage scolaire, le deal est quasiment une filière de pré-professionnalisation. »

Ce sont aussi ces jeunes, en bas de l’échelle, qui prennent le plus de risques. « C’est le syndrome du réverbère, poursuit le chercheur. La police interpelle en premier lieu la partie visible des organisations, celle qui est dans la rue. Mais démanteler toute la pyramide d’un trafic mobilise beaucoup plus de temps et de personnes. Il faut en moyenne six mois pour mettre fin à l’ensemble d’un réseau local. »

Un jeu du chat et de la souris entre dealers et policiers

Les méthodes d’intervention de la police, indirectement, façonnent le visage des réseaux, dans un jeu du chat et de la souris avec les trafiquants. Par exemple, lorsque les saisies de cannabis se sont intensifiées, passant de 60 tonnes dans les années 1990 à 110 tonnes en 2004, avec des prises exceptionnelles, les trafiquants se sont mis à rechercher de nouvelles voies d’approvisionnement et de mode de transport, explique l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS).

Du coup, la quantité des prises est revenue à son niveau initial. Les dealers s’adaptent aussi aux méthodes d’investigation des policiers. « Je n’avais plus de téléphone parce que je savais que je pouvais être sur écoute, raconte Kevin. Avec les membres de mon équipe, nous nous donnions des rendez-vous fixes. Au besoin, j’utilisais une cabine téléphonique. »

À l’inverse, la modification du code de procédure pénale, il y a cinq ans, a permis aux policiers d’être plus efficaces. « Les éléments recueillis grâce aux micros posés dans les voitures et les appartements ou grâce à des caméras cachées a considérablement réduit la marge de contestation des accusations », observe Daniel Merchat, avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis et ancien commissaire de police en banlieue parisienne.

« Il est plus rentable de faire des flagrants délits »

Il y a ainsi une course de vitesse permanente entre dealers et policiers. À ce jeu, les gros réseaux sont pour l’heure gagnants, même si de nouvelles techniques font leur apparition. Selon Frantz Denat, commandant de police dans l’Hérault, les critères actuels retenus pour les performances des services ne sont pas étrangers à cette situation.

« Aujourd’hui, il est plus rentable de faire des flagrants délits de petits revendeurs, qui ne nécessitent pas d’investissement en temps, qu’une longue procédure aboutissant au démantèlement d’un trafic, analyse le chargé de mission prévention délinquance, drogues et toxicomanies du département. Avant, une équipe de policiers enquêtait sur un réseau, accumulait les repérages d’acheteurs et interpellait du fournisseur au revendeur de base. » Une méthode remise en cause par la suppression de la police de proximité qui, pour l’heure, n’a pas trouvé d’équivalent.

Jean-Baptiste FRANÇOIS

(1) La drogue est-elle un problème ? : Usages, trafics et politiques publiques, Éd. Payot, 2010.

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