L’INSUPPORTABLE CROISADE DE GÉRARD DELTELL

S’improvisant expert de la question, le professeur Deltell affirme sans sourciller que, non, l’alcool n’affecte pas le cerveau ! Il faut le faire, non ?

CANNABIS
MICHEL MORINAVOCAT, AUTEUR DE L’ESSAI Ô CANNABIS
LA PRESSE+
Édition du 19 octobre 2018,
section DÉBATS, écran 4

Si l’on en croit ce qu’a affirmé le député fédéral Gérard Deltell sur les ondes du 98,5 au lendemain de la légalisation du cannabis récréatif, le Canada serait le premier endroit au monde à rendre légale cette drogue abjecte après le Paraguay. Sous-entendu : à part un petit pays sans importance, aucune nation qui se respecte n’a osé emprunter cette dangereuse avenue. Ainsi, on pénètre en territoire inconnu et on risque de le regretter amèrement.

Outre cette gênante confusion (c’est l’Uruguay qui a légalisé le cannabis, et non le Paraguay), M. Deltell ignore ou fait semblant d’ignorer que les expériences de légalisation vont bon train chez nos voisins américains. Déjà, neuf États ont mis en place l’initiative. Si on juge l’arbre à ses fruits, on est en droit de penser que l’expérience est positive : six autres États sont en effet sur le point de légaliser à leur tour la substance. Si on ajoute les 13 États ayant décriminalisé, ce sera bientôt plus ou moins la moitié des Américains qui vivront dans des États où le cannabis ne fera plus figure de hors-la-loi. Non, nous n’entrons pas ici dans un territoire inexploré.

Se fiant à l’opinion d’un intervenant de la profession médicale, M. Deltell nous ressert dans cette entrevue le mythe voulant que le pot détruit les cellules du cerveau en plus de répéter l’inépuisable argument du cerveau-qui-se-développe-jusqu’à-25-ans.

(Considérant que les adolescents consomment de toute manière malgré la prohibition, on ne devrait même pas inviter l’argument du cerveau en développement au débat sur la légalisation mais, bon, puisqu’il faut, semble-t-il, en parler…)

Mis à part le cortex orbi-frontal, le cerveau d’un ado est entièrement développé. Qu’est-ce qui peut affecter le développement de cette région précise ? Plusieurs facteurs en tête, parmi lesquels on retrouve l’alcool.

S’improvisant expert de la question, le professeur Deltell affirme sans sourciller que, non, l’alcool n’affecte pas le cerveau ! Il faut le faire, non ?

Pendant qu’on y est, voici une liste non exhaustive de ce qui affecte aussi le développement du cerveau : la mauvaise alimentation, le stress, l’environnement, etc.

Et le cannabis ? Peut-être bien, mais nous n’avons que des hypothèses et des études contradictoires. Il n’y a pas encore de résultats d’études longitudinales, mais tout indique qu’un usage modéré n’affecterait en rien le développement du cerveau. Et quand bien même ce serait le cas, il faut rappeler cette évidence qui échappe à Gérard Deltell : la légalisation n’est pas un encouragement à l’usage, mais un moyen de mieux l’encadrer.

LE MENSONGE DE L’ESCALADE

Toujours au chapitre des mythes longtemps entretenus au sujet du cannabis, il y a la célèbre théorie de l’escalade voulant que le pot soit un « gateway drug » vers la consommation de drogues plus nocives. On ne compte plus les études qui démontent ce mythe. Affichant une désinvolture sidérante à l’égard des faits, notre député fédéral jure que le pot conduit tout droit aux drogues dures. C’est un mensonge.

Commentant au passage l’expérience du Colorado, M. Deltell a proféré durant l’entrevue d’autres mensonges éhontés, prétendant qu’on observait là-bas une hausse affolante de la consommation de marijuana. Rien n’est plus faux. Sondage après sondage, on note une stabilité chez les usagers et même une légère baisse chez les jeunes. Tendances qui ressemblent d’ailleurs à celles enregistrées dans les autres États ayant légalisé le cannabis.

Prophétisant des lendemains apocalyptiques, le fils spirituel de Stephen Harper s’entête à affirmer que notre belle jeunesse, jusque-là tellement méfiante de cette herbe maudite (haha !), s’abandonnera désormais à son usage sur une base quotidienne. Trépignant à la façon d’un Gargamel obsédé par sa haine des Schtoumpfs, M. Deltell exprime ouvertement son indignation de bon père de famille : Trudeau banalise le pot, mes amis !

M. Deltell a-t-il seulement lu la Loi fédérale sur le cannabis et les lois québécoises encadrant le cannabis ? Sait-il que leurs objectifs premiers sont de maximiser les efforts en matière de santé et sécurité publiques ? Que d’importants budgets, autant au fédéral qu’au provincial, seront consacrés à de vastes campagnes de prévention et d’éducation ? Que la promotion et la publicité du cannabis sont à toutes fins pratiques interdites ? Que de nouvelles dispositions de notre Code de la sécurité routière viennent accroître les pouvoirs d’intervention policière afin de mieux déceler les conducteurs sous l’influence de la drogue ?

Je ne sais pas ce qui m’afflige le plus en entendant les propagateurs de peur comme M. Deltell : le contenu trompeur de leurs interventions ou le fait qu’on leur accorde encore de l’espace médiatique.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.

Commentaires

Dénigrer la science ?

Les conservateurs ont toujours le réflexe de dénigrer la science et le savoir pour tenter de gagner des appuis électoraux.

La CAQ aussi dénigre la science et le savoir pour tenter de gagner des appuis électoraux !
Criminaliser les adultes de moins de 21 ans sans aucune étude rigoureuse scientifique pour les appuyer seulement pour tenir une promesse, appuyé par leurs "experts " en sondages et en compilation de sondages d'opinions appelés méta analyses.
Ils n'ont pas touché aux lois pour le tabac et l'alcool qui tuent chaque jours pour gagner les appuis, ne pas se mettre à dos les 82 % de consommateurs d'alcool qui leur auraient fait perdre l'élection.
Pour le tabac même sans acceptation culturelle sociale ils le laissent tuer 245 Québécois par semaine ?

Pire encore !
C'est un sondage maison sur le site de la CAQ qui a suffit à influencer ces "experts" pour criminaliser les adultes Québécois de moins de 21 ans.

Isaac Asimov considérait qu'il suffit que la population générale adhère avec émotion à une conception contredisant la science pour que cette conception soit presque certainement fausse. Inversement, si une hérésie scientifique est ignorée ou dénoncée par le population, elle a une chance d'être correcte.

Pages

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.