J'ai écouté les propos du chef Fantino, et je trouve que ce qu'il a dit n'a tout simplement aucun bon sens.
D'emblée, je tiens à vous prévenir que je n'ai pas l'intention de mâcher mes mots et j'espère que l'on ne trouvera pas mes propos irrévérencieux.
M. Alan Young, professeur agrégé, Osgoode Hall Law School: Je travaille sur la question de la légalisation de la marijuana depuis une dizaine d'années. J'ai représenté une centaine de personnes qui ont eu des démêlés avec la justice, et j'ai joué un rôle capital dans le mouvement pour la légalisation de la marijuana pour des fins médicinales.
D'emblée, je tiens à vous prévenir que je n'ai pas l'intention de mâcher mes mots et j'espère que l'on ne trouvera pas mes propos irrévérencieux. Ceci étant dit, j'ai écouté les propos du chef Fantino, et je trouve que ce qu'il a dit n'a tout simplement aucun bon sens. L'un des obstacles à la réforme législative intelligente dans ce domaine réside dans la désinformation et les mythes hystériques qui circulent à ce sujet. Je vous donne deux exemples.
Des sénateurs ont posé une question se rapportant au nombre de personnes qui meurent de la marijuana. S'il est une chose qui est claire, il n'y a pas tellement de choses qui le sont, c'est que la marijuana n'a jamais, dans l'histoire de l'humanité, causé la mort directe de quelqu'un. Les scientifiques n'ont jamais réussi à établir une dose létale 50, c'est-à-dire une dose de marijuana pouvant provoquer la mort. On peut tuer des rats avec du sucre et de la caféine, mais non avec de la marijuana. Voilà le genre de désinformation que je viens tout juste d'entendre.
D'autre part, j'ai entendu quelque chose qui m'a beaucoup troublé, à savoir qu'une livre de marijuana se vendait à 18 000 $ US. Si tel était le cas, je changerais de carrière immédiatement en quittant cette réunion. Ce prix n'a jamais existé, et le chef Fantino le sait très bien, puisque ses propres agents ont témoigné devant un tribunal en précisant que la marijuana se vendait entre 2 500 $ et 3 000 $ la livre.
Je voulais apporter cette petite précision, car il y a problème lorsque l'on tient des audiences de cette nature et que les témoins se présentent sans statistiques, ni informations à l'appui. Je dirai probablement des choses que vous remettrez en question et qui vous amèneront à vous demander d'où j'ai bien pu tirer ces statistiques.
La véritable question - et c'est là que j'espère que vous ne trouverez pas mes propos irrévérencieux -, c'est pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui? Je trouve cela quelque peu mystérieux. Il y a eu tellement de commissions et de comités d'enquête qui se sont penchés sur cette question, et depuis 1892, soit depuis la Commission du chanvre du Canada, pratiquement toutes les commissions mises sur pied sont arrivées à la même conclusion: s'agissant de la marijuana, c'est une tempête dans un verre d'eau. Ce n'est pas un sujet qui mérite d'occuper l'esprit des autorités judiciaires.
Au Canada, nous avons consacré des années et des millions de dollars à la commission Le Dain - dont les travaux sont toujours considérés comme étant les plus exhaustifs du genre -, et pourtant, le rapport de cette commission a été relégué aux oubliettes dans les bibliothèques où seuls des universitaires comme moi peuvent le lire et le recycler.
Je sais également qu'un autre comité sénatorial a été mis sur pied en 1996 avec pour mandat de réviser la Loi réglementant certaines drogues et autres substances - et nous avons recueilli dans l'affaire Clay le témoignage de Sharon Carstairs, sous forme d'affidavit - et que les sénateurs étaient prêts à faire une recommandation en faveur de la décriminalisation. Tous les organes bien informés parviennent à la même conclusion. Tous ceux qui ne tiennent pas compte de considérations politiques recommandent la décriminalisation de certaines drogues. Ceci étant dit, le sénateur Carstairs a affirmé dans son affidavit que les sénateurs n'ont pas fait de recommandation dans ce sens, car le comité ne pensait pas que le Parlement était prêt.
Quand le Parlement sera-t-il prêt? Quand le Parlement donnera-t-il suite au rapport de la commission Le Dain?
À mon avis, si votre groupe respectable recommande la décriminalisation de certaines drogues, ne vous contentez pas de rédiger un rapport, puis de le reléguer aux oubliettes. Faites preuve d'une certaine ténacité assurez-vous que le Parlement ne s'en sorte pas en louvoyant, comme il l'a déjà fait à trois reprises au cours des 30 dernières années.
Pourquoi mes arguments en faveur de la décriminalisation et la légalisation de la marijuana sont-ils aussi francs? La marijuana est l'une des substances les plus inoffensives sur notre planète. Le seul préjudice que cette substance peut causer a été constaté chez les utilisateurs chroniques, et non les utilisateurs occasionnels. Or, les utilisateurs chroniques représentent moins de un pour cent de tous les consommateurs de marijuana. Nous criminalisons donc 99 p. 100 des utilisateurs de la marijuana qui ne souffrent d'aucun effet nocif de cette drogue.
Le seul préjudice attesté dont conviennent tous les scientifiques est l'irritation pulmonaire chronique, qui est une forme de bronchite. Il n'y a même pas de preuve que cette substance peut causer le cancer des poumons. C'est pourquoi je dis qu'au Canada, on se sert du droit criminel pour éviter que l'on ne devienne une nation où tout le monde tousse et respire péniblement, mais ce n'est pas là le rôle de la justice pénale.
Je suis criminaliste depuis une vingtaine d'années. J'ai vu des affaires de meurtres, d'agressions sexuelles, mais je n'ai jamais vu de cas où l'on se servait du droit simplement pour promouvoir la bonne santé.
Je sais que le Dr Kalant a comparu devant vous. C'est l'un des plus éminents pharmacologistes du monde, notamment en ce qui a trait au cannabis, et j'ai le plus grand respect pour lui. À la fin de son témoignage très objectif dans l'affaire Clay, nous lui avons demandé: «croyez-vous à la décriminalisation de certaines drogues?» Rappelez-vous que c'est un homme qui a étudié cette question toute sa vie et qu'il a fait toutes sortes de recherches sur des rats, et pourtant, il a répondu «oui». Je lui ai alors posé une deuxième question: «que pensez-vous du fait que 600 000 Canadiens ont des antécédents criminels?» À cela, il a répondu simplement «c'est regrettable».
Le président: Monsieur Young, mes collègues ne connaissent peut-être pas bien l'affaire Clay. Veuillez nous expliquer en quelques minutes en quoi elle consiste.
M. Young: L'essentiel de ce qui s'est produit au Canada découle de l'affaire Clay, qui a été jugée à London, en Ontario, en 1997. Pendant trois semaines, on a examiné des pièces à conviction et entendu sept experts de différents domaines, notamment la criminologie, la sociologie, la pharmacologie et la médecine; c'était très semblable à ce que vous faites ici. Le juge surnuméraire qui ne savait rien de la marijuana a conclu que cette substance était relativement inoffensive, mais qu'il n'était pas du ressort du tribunal de changer la politique gouvernementale. L'affaire Clay s'est rendue jusqu'à la Cour suprême du Canada, et nous allons plaider notre cause l'année prochaine.
Pour ce qui concerne le préjudice - et le Dr Kalant vous dira la même chose -, les préjudices possibles dont vous parleront d'autres témoins, notamment l'affaiblissement possible des systèmes immunitaires, reproductifs et cognitifs, se rapportent tous à des études faites sur des rats, et qui n'ont jamais été faites sur des humains.
Si nous savons que la fumée provenant du tabac cause le cancer, ce n'est pas grâce aux études faites sur les rats dans les années 30 et 40. Les gens n'ont commencé à écouter sérieusement que lorsque l'on a effectué des études sur des humains et que l'on a relevé une plus grande prépondérance du cancer du poumon chez les fumeurs.
Pourquoi ne pas faire d'études sur des humains alors? Nous avons des millions de Nord-américains qui consomment de la marijuana depuis une trentaine d'années. Il n'y a plus d'excuses pour ne pas faire d'études sur des humains. Pourtant, le Canada ne finance pas ce genre d'études, et le NIH aux États-Unis ne finance que les études faites sur des rats. Pourquoi? C'est que la seule étude réalisée sur des humains - et j'admets qu'elle comporte des failles - remonte à 1970; c'est une étude qui a été menée en Grèce, en Jamaïque et au Costa Rica. Il ressort de cette étude que le taux de morbidité ou de mortalité chez les fumeurs de marijuana n'était pas supérieur à celui de la population en général. On ne fait pas d'études sur les humains parce qu'elles ne produiraient pas les résultats dont les gouvernements ont besoin pour maintenir l'interdiction.
Tous ces discours à propos des dangers du cannabis pour la santé ne sont qu'un leurre, sénateurs. La question n'est pas là. L'aspect médical ou la promotion de la santé et du bien-être n'ont rien à voir avec la justice pénale.
Selon une enquête de Statistique Canada sur les victimes d'actes criminels datant de 1993 et publiée dans Jusistat, 27 p. 100 des Canadiens ont peur de se promener dans leur quartier la nuit, mais ce n'est pas à cause de ceux qui fument ou qui vendent de la marijuana. Il faut donc penser aux millions, sinon aux milliards de dollars qui, au lieu de servir à combattre les crimes graves contre les personnes, servent à pourchasser des gens dont nous avons fait des criminels à cause du cannabis, mais qui autrement sont des citoyens productifs et respectueux des lois.
Si la promotion de la santé était une priorité de la justice pénale, je proposerais un nouvel article interdisant la vente de croustilles graisseuses. Elles entraînent des problèmes gastro-intestinaux et des frais d'hospitalisation qui surpassent de très loin tous les inconvénients de la marijuana. Peut-être faudrait-il interdire également la vente d'alcool.
C'est alors, sénateurs, que les gens commenceront à parler de libertés civiles. Je me spécialise dans le domaine des libertés civiles; j'estime que l'on devrait pouvoir être libre de choisir la substance intoxicante de son choix, à la condition que cela ne fasse pas de tort aux autres, mais les tribunaux ne sont pas d'accord. Si vous supprimez le droit de consommer de l'alcool, les gens comprendront que c'est une question de liberté civile.
Pour décider s'il y a lieu d'interdire la marijuana en imposant des sanctions pénales et des peines d'emprisonnement, il ne s'agit pas de se demander si elle peut causer une bronchite. Il faut plutôt se demander si la marijuana est criminogène. Pousse-t-elle la criminalité, tout comme l'héroïne entraîne une accoutumance qui conduit à des effractions puis à des vols qualifiés? Il faut aussi se demander si cette substance entraîne l'éclatement de la famille, si la consommation de marijuana cause des drames familiaux, si elle favorise des attitudes antisociales?
Voilà le genre de raisons qui devraient inciter la justice pénale à intervenir. Je répondrais à toutes ces questions par non.
La marijuana n'a jamais été criminogène; elle n'entraîne pas l'éclatement de la famille ni des attitudes antisociales. Si vous passez cinq minutes en compagnie de fumeurs de marijuana, vous saurez qu'ils ne pourront jamais aller voler des banques; ils n'en seraient pas capables. C'est une impossibilité; cela peut être le sujet de bons films, mais pas de la politique en matière de justice pénale.
Tout ce que je peux dire au sujet de la marijuana, d'après mon expérience personnelle et mes contacts avec des milliers de gens, c'est qu'elle a tendance à stimuler la pensée critique et à amener à mettre en doute les valeurs conventionnelles. Nous nous souvenons tous de l'expérience des années 60. Mais si les gouvernements ont peur de la pensée critique, nous ne sommes pas dans une société libre. Si c'est ce qui justifie une interdiction, il y a lieu de réexaminer le principe démocratique.
J'ai étudié à fond les preuves disponibles pendant 20 ans et je n'hésite aucunement à appuyer une légalisation.
Je n'hésiterais pas non plus à dire une chose que la plupart des défenseurs de la marijuana hésitent à dire parce que c'est contraire au conformisme politique: les Canadiens devraient pouvoir fumer de la marijuana s'ils le désirent. Ce n'est pas mauvais pour la santé, cela favorise un état paisible et contemplatif, comme le disait Aldous Huxley, cela peut ouvrir le cerveau juste assez pour améliorer la connaissance et l'introspection.
Sénateurs, puisque vous menez ces audiences pour écouter tous ceux qui ont quelque chose à dire, je vous demanderais d'appuyer les efforts que je déploie, comme des millions de Canadiens, pour mettre un terme à cette guerre qui ruine de jeunes vies. C'est une moquerie et une véritable honte nationale.
Je reçois deux à trois appels par semaine de citoyens qui, si ce n'est qu'ils fument de la marijuana, sont autrement respectueux des lois, mais qui ont perdu leur emploi, se sont vu refuser l'entrée aux États-Unis ou l'accès à leurs enfants ou à des emplois au gouvernement. Ces gens ont été traités comme des criminels de droit commun. C'est le plus gros problème que pose l'interdiction de la marijuana: si vous traitez en criminels ceux qui, autrement, sont respectueux des lois, ils commenceront à perdre tout respect pour des gens comme M. Fantino et ceux qui s'efforcent de défendre et de protéger nos intérêts.
J'ai vu les études indiquant la répartition démographique des fumeurs et le nombre de gens qui fument au Canada. Je trouve honteux que des gens qui ont déjà fumé au cours de leur vie et qui occupent maintenant des charges publiques puissent rester assis les bras croisés. Ils ne font absolument rien pour changer une loi qui pourrait faire d'eux des criminels en raison de leurs erreurs passées ou des choix qu'ils ont fait autrefois.
Le président: Merci, monsieur Young.
Avant de passer aux questions, je voudrais apporter un complément d'information. C'est peut-être passé inaperçu quand le ministre de la Santé a annoncé le nouveau règlement à la fin juillet, mais une étude est en cours, à l'Université McGill, sur les effets analgésiques de la marijuana sur les humains. C'est une étude nouvelle et assez limitée, mais elle sera disponible.
M. Young: Ce sont des études sur la valeur thérapeutique de cette substance. Du point de vue de la justice pénale, si vous croyez que ces peurs pour la santé justifient des sanctions pénales, il faut se pencher sur sa nocivité.
Quand Gabriel Nahas a affirmé qu'elle nuisait au système immunitaire, c'était à partir des études qu'il avait effectuées sur des rats dans les années 70. Le pouvoir public doit vérifier si l'effet est le même sur l'humain.
Donald Abrams, de UCLA, vient de réaliser la première étude de l'utilisation thérapeutique de la marijuana pour les patients atteints du SIDA et il a conclu que ses effets étaient effectivement thérapeutiques, qu'il n'y avait pas d'atteinte du système immunitaire, ce qui est essentiel pour un sidéen, et que la marijuana n'entraînait pas de maladies apparentées à l'emphysème, obstruant les poumons.
Le sénateur Grafstein: C'est anecdotique. Ce n'est pas basé sur des études scientifiques, mais quand vous parlez aux médecins, à des praticiens très qualifiés, ils estiment que les preuves ne sont pas suffisantes.
Il semble donc y avoir un problème. Toutefois, il n'y a pas suffisamment d'études, suffisamment de preuves pour affirmer que cette substance n'est pas nocive.
Certains médecins très réputés disent - encore une fois, c'est entièrement anecdotique - que le cannabis, qu'il soit utilisé de façon régulière ou chronique, a un effet direct sur les cellules du cerveau et qu'il augmente la quantité de dopamine, ce qui cause de sérieux problèmes.
Encore une fois, c'est plus anecdotique que scientifique. J'ai très bien connu Gerry Le Dain et je sais qu'il a eu beaucoup de difficultés à réunir des preuves. Notre comité doit donc analyser toute cette information de façon systématique pour voir si la preuve est suffisante pour dire que cette substance n'est pas nocive.
Le comité a pour tâche, en effet, non pas de dire que ce produit est sain, mais qu'il est nocif ou non avant d'en arriver à d'autres conclusions.
Quelles études récentes pouvez-vous nous citer pour démontrer que la marijuana est aussi inoffensive que des croustilles, de l'alcool, de la bière, des cigarettes ou autres choses?
C'est ma première question, monsieur le président. Permettez- moi de poser ma deuxième question qui découle de la première.
Ne trouvez-vous pas plutôt curieux, monsieur Young, qu'alors qu'au Canada et aux États-Unis nous sommes en train de changer profondément les habitudes en faisant du tabagisme une chose inacceptable à cause du cancer du poumon et d'autres maladies, vous-même et d'autres - je ne critique personne, je me contente d'analyser la situation - cherchez à promouvoir une autre forme de tabagisme qui a certainement des effets sur les poumons et le système nerveux? Si le tabagisme pose un problème, la marijuana doit poser, sinon le même problème, un problème similaire.
M. Young: Oui. Merci. J'ai beaucoup de choses à vous répondre. Pour ce qui est de l'insuffisance des preuves, j'aurais deux choses à vous dire à ce sujet.
Pour commencer, les National Institutes of Health, aux États-Unis, recherchent des preuves de nocivité depuis 25 ou 30 ans. À un moment donné, quand on est dans l'impossibilité de réunir des preuves, il faut y renoncer.
Deuxièmement, la question n'est pas vraiment de savoir, selon moi, s'il existe ou non suffisamment de preuves. Il faut plutôt se demander qui doit avoir le bénéfice du doute. En 1972, une commission a déclaré qu'à son avis la marijuana était sans danger et qu'il fallait poursuivre les recherches.
Le sénateur Grafstein: C'est exact.
M. Young: Quand j'ai contre-interrogé Bruce Rowsell, qui était alors directeur à Santé Canada, il a reconnu que le gouvernement n'avait fait faire aucune autre étude depuis le rapport Le Dain. La participation du gouvernement est indispensable, car sinon, comment obtenir légalement de la marijuana.
Qui devrait faire les frais de notre manque de connaissances? Le gouvernement. Il maintient l'interdiction en place alors qu'il n'a pas fait les études voulues. Je dirais qu'il faudrait suspendre l'interdiction, effectuer ces études et rétablir l'interdiction si les résultats le réclament. Il ne faut pas coller des casiers judiciaires aux gens sur la foi de simples soupçons et de simples conjectures. Voilà mon opinion.
Je ne suis pas médecin. Nous constaterons peut-être, dans 25 ans, que la marijuana a de terribles conséquences. Je ne le crois pas. Je crois toutefois que, dans l'intervalle, le gouverne ment devrait prendre le taureau par les cornes et faire les études voulues pour justifier son interdiction.
Pour ce qui est des études récentes, certaines émettent un avis favorable, mais les journaux n'en parlent pas. Par contre, si vous faites, aux États-Unis, une étude sur les rats couvant une accoutumance on s'empresse d'ameuter les populations; c'est une véritable hystérie. Lorsqu'une étude conclut qu'il n'existe aucune preuve, les journaux n'ont rien à raconter.
Par exemple, comme le Dr Kalant et le Dr Morgan ont comparu devant le comité, vous savez qu'il y a tout un débat au sujet de l'étude réalisée à l'université Johns Hopkins au sujet de l'altération des facultés cognitives. Les chercheurs ont suivi 1 600 patients sur une longue période et n'ont constaté aucune augmentation de l'incidence de l'altération des facultés cognitives chez les fumeurs de marijuana par rapport à l'ensemble de la population. J'ai mentionné l'étude que Don Abrams a réalisée, à San Francisco, auprès de sidéens. Il a finalement conclu que la marijuana ne lésait pas le système immunitaire de ses patients.
Il y a donc quelques études nord-américaines et européennes. Mais de façon générale, le gouvernement ne finance pas suffisamment d'études sur l'être humain. C'est sans doute parce qu'il préfère vivre dans l'ignorance; parce qu'il est de beaucoup préférable de maintenir l'interdiction en disant: «Nous n'avons pas suffisamment de preuves et nous devons donc être prudents», plutôt que de produire une étude auprès de la population montrant que l'augmentation de la morbidité et de la mortalité est nulle et d'avoir à justifier cela aux Canadiens. Voilà donc ce que j'ai à vous répondre au sujet de l'insuffisance des preuves.
Quant au fait que nous voulons rendre le tabagisme inacceptable, c'est une excellente chose. Ce n'est pas une question de justice pénale, mais d'éducation. Il s'agit d'une douce coercition. Cette méthode a donné d'excellents résultats dans les années 70 et 80; l'incidence du tabagisme est tombée. Elle est remontée. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais c'est peut-être parce que certaines campagnes de sensibilisation ne rejoignent pas les enfants. Elles sont plutôt ridicules.
Mais il n'est pas contradictoire de promouvoir l'usage de la marijuana alors que nous essayons de réduire le tabagisme. Tout le monde sait que le tabac tue énormément de gens et que son coût économique et social est astronomique.
En 1992 - et je sais qu'Eric Single, du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies a comparu devant vous - le Centre a effectué une étude de l'usage des drogues illicites. Pour toute l'année 1992, il n'y a eu que 152 hospitalisa tions associées à la marijuana. Ce n'est rien. Ce n'est qu'une goutte d'eau. L'aspirine cause beaucoup plus de complications que la marijuana.
Mais surtout, si nous décriminalisons la marijuana et enseignons aux gens à la consommer de façon raisonnable, ils commenceront sans doute à se servir des systèmes de filtration des pipes à eau ou «vaporisateurs» qui existent actuellement sur le marché. Peut-être vont-ils même ingérer la marijuana. Il y a plusieurs façons de réduire les effets nocifs du tabagisme qui n'est pas un moyen propre d'absorber la substance. Peu importe que vous fumiez des cigarettes, de la marijuana ou du thé.
Il faudrait donc, en effet, déconseiller aux gens de fumer, mais ce n'est pas une raison pour criminaliser ceux qui choisissent une substance intoxicante différente des substances traditionnelles dont la nocivité a été démontrée.
Le sénateur Kenny: Monsieur le président, il est toujours agréable d'accueillir un témoin de passion et de connaissance.
Ma première question concerne ce qui se passe actuellement dans cette salle. Avez-vous entendu le témoignage de M. Fantino?
M. Young: La fin, oui.
Le sénateur Kenny: Avez-vous remarqué que nous avions alors quatre caméras de télévision et que les membres du personnel n'étaient pas aussi nombreux qu'ils le sont maintenant à la table réservée à la presse? Il y a peut-être quelques journalistes - je ne sais pas exactement qui ils sont - je suppose qu'il y en a parmi ceux qui tiennent un stylo et qui ont l'air sérieux.
Pourquoi ces propos suscitent-ils tellement d'intérêt? Vous êtes venu nous dire des choses qui m'ont paru également très intéressantes mais les médias semblent moins s'y intéresser.
Ce n'est pas la première fois; alors pouvez-vous nous donner une idée de ce qui se passe selon vous, dans la société, lorsque c'est le cas?
M. Young: Oui. En fait, vous avez mis le doigt sur une question beaucoup plus importante que celle de savoir s'il faudrait permettre ou non aux gens de fumer de la marijuana. C'est la question du contrôle de l'information dans une société libre et démocratique.
Je n'ai pas à vous rappeler toutes les déclarations hystériques qu'on a pu entendre de la bouche de gens comme M. Fantino - pas lui particulièrement - mais ses prédécesseurs et des gens comme eux.
Les agents publics contrôlent l'information. Voilà pourquoi ils ont le devoir sacré de fournir les renseignements exacts et de ne pas parler d'une valeur de 18 000 $US la livre. Je ne suis personne, je ne suis qu'un professeur qui jette des pavés dans la marre. M. Fantino est le grand responsable de l'application de la loi. Les Canadiens le respectent. Ils comptent sur lui pour les informer et s'imaginent à tort que ce qu'un agent public leur dit doit être exact. Combien de fois au cours de notre histoire nous sommes-nous aperçus que les pouvoirs publics contrôlaient l'information?
C'est ce qu'on appelle la «guerre contre la drogue» et l'une des principales armes de la guerre, c'est la propagande. Je suis parfaitement conscient du problème que vous avez mentionné. Voilà pourquoi en 1997, j'ai décidé de contester la constitutionnalité de l'interdiction à la marijuana en sachant que c'était sans doute une cause perdue. Je suis un constitutionnaliste. Je suis très conscient de ce que les tribunaux sont capables de faire.
Pourquoi l'ai-je fait? Parce qu'en comparaissant devant un tribunal et ce genre de tribune publique, je pouvais attirer l'attention des médias. Et c'est ce qui a lancé, il y a quatre ans, une grande campagne de sensibilisation du public - à laquelle j'ai eu l'honneur et le privilège de participer - visant à contrer une partie de cette mythologie.
Il s'agit d'un problème constant. Je ne parlerai pas des raves, mais j'ai entendu M. Fantino aborder le sujet. Ça nous ramène au genre d'informations qui sont divulguées. Par exemple, même après le rave du Nathan Phillips Square, j'ai lu dans le journal qu'il y avait eu 17 arrestations dont cinq pour une histoire de drogue. D'où viennent ces renseignements? De la police, bien entendu, pas de moi. Pourquoi sont-ils diffusés? Parce que cela confirme la position de la police selon laquelle les raves ont quelque chose de dangereux.
Je crois que les policiers - je ne cherche aucunement à les insulter, car j'admire beaucoup notre police - sont les gens les plus mal placés pour parler de la réforme du droit. Ils ont des intérêts économiques en jeu. Ils diront peut-être que la marijuana n'est pas en tête de liste de leurs priorités, mais regardez un peu leur budget.
En fait, les sénateurs ont demandé à M. Fantino quelle somme était affectée à la lutte antidrogue et il a répondu qu'il n'en était pas certain. Bien sûr qu'il le sait! Il reçoit chaque année une allocation budgétaire.
Je peux vous dire ce que je sais. J'ai écrit une note à ce sujet, car j'ai trouvé cela révoltant. Quand j'ai pu obtenir copie du budget opérationnel de 1992-1993, grâce à diverses sources, j'ai découvert que la police des moeurs, qui s'intéresse surtout à la drogue, un peu à la prostitution et au jeu, mais surtout à la drogue, disposait d'un budget trois fois plus important que l'escouade chargée des agressions sexuelles.
Ce sont des faits que le public devrait connaître, mais que la police veut lui cacher. Si l'on consacre autant d'argent à la drogue, c'est parce que c'est une activité qui exige beaucoup de main-d'oeuvre et de capitaux. Quand vous enquêtez sur une agression sexuelle, vous parlez à des gens et vous les questionnez. Quand vous enquêtez sur un important réseau de trafiquants, vous vous servez de matériel et de logiciels. Vous recourez au pire instrument d'atteinte à la vie privée qui ait jamais été inventé, soit la table d'écoute. Vous exercez une surveillance physique dans toute la ville. C'est une activité très coûteuse.
Cela soulève la question du contrôle de l'information et je me suis battu, ces deux dernières années, pour trouver un moyen d'avoir accès aux médias en tant que simple citoyen. Je crois avoir pu le faire, mais je ne pourrai jamais concurrencer M. Fantino.
Je regrette également de devoir dire qu'en ce qui concerne l'usage de la marijuana à des fins thérapeutiques, je crois que le gouvernement fait de sérieux efforts et je l'en remercie, mais c'est sans résultat. Je ne peux rien faire pour empêcher Allan Rock d'emmener les médias dans le bunker pour leur montrer ce que fait son ministère. C'était une excellente publicité pour le Canada, pour montrer qu'il s'était doté d'une politique libérale progressiste.
J'ai essayé de faire comprendre aux médias que c'était sans résultat et purement illusoire. Mais bien entendu, les journalistes préfèrent interviewer M. Rock et ses collègues plutôt que moi. L'accès à l'information est difficile dans une société démocratique et libre.
Le sénateur Kenny: Très bien. Je crois avoir entendu M. Fantino dire qu'il fallait imposer des limites quelque part. Avez-vous quelque chose à répondre à cela?
M. Young: Je ne sais pas exactement de quoi il voulait parler, mais s'il parle d'établir une limite et si la marijuana se trouve du mauvais côté, je ne serai pas d'accord avec sa limite. Je crois que des millions de gens ne seront pas d'accord avec lui.
Je pourrais vous parler aujourd'hui de la légalisation de drogues plus dures et de certains des arguments que des gens comme Milton Freedman ont avancés à cet effet. Mais je m'en abstiendrai car ce dont je suis certain, c'est que la marijuana ne devrait pas être mise dans le même panier que les autres drogues.
J'ai été témoin de certaines tragédies causées par l'héroïne et la cocaïne. Je connais leur potentiel. Je m'intéresse à la marijuana depuis 30 ans et j'ai vu effectivement quelques gens stupides en consommer à l'excès. Mais ces gens-là étaient déjà stupides avant de commencer à fumer.
Je n'ai pas encore vu le genre de tragédies que causent les autres drogues. Voilà pourquoi si M. Fantino affirme qu'il faut établir des limites et que malheureusement, faute de preuves suffisantes, la marijuana se retrouvera de l'autre côté de la barrière, j'estime que c'est un manque de respect envers la liberté de choix. Les gouvernements devraient pouvoir dire: «Nous agissons dans l'intérêt public. Nous savons que la consommation de cette substance va faire du tort à la société et voilà pourquoi nous l'interdisons». Mais il ne peut pas l'affirmer.
Le sénateur Kenny: Ce débat tient-il compte des études et des recherches? Ou les gens se présentent-ils avec des valeurs profondément enracinées sans s'écarter de leur opinion, peu importe ce que disent les études?
M. Young: C'est une observation très intéressante. Je ne pense pas que les opinions soient aussi arrêtées que pour le débat sur l'avortement, par exemple, où les pro-vie et les pro-choix ne se convaincront jamais mutuellement.
Je crois que les gens se laissent assez influencer par les études. Je peux prendre l'exemple de ma propre mère. Ma mère est le baromètre de la pensée conservatrice. Au cours des quatre dernières années, je lui ai beaucoup parlé de mon travail, parce qu'elle voulait savoir ce que je faisais et même si elle ne m'a pas dit que j'avais réussi à la convaincre, j'ai pu constater qu'elle digérait l'information, qu'elle commençait à comprendre ma position, à savoir qu'il y a de graves crimes commis contre la personne au Canada et qu'il faudrait cesser de pourchasser ceux qui sont autrement des citoyens respectueux des lois.
Je pense donc que le public réagit. Voilà pourquoi je crois que le gouvernement canadien n'a financé aucune étude: il est beaucoup plus facile de maintenir l'interdiction compte tenu de l'ouvrage d'Emily Murphy intitulé The Black Candle, de toute cette hystérie, de toute cette folie à propos de la marijuana que de reconnaître qu'une étude de l'Université Johns Hopkins a établi que les facultés cognitives des fumeurs de marijuana n'étaient pas affaiblies. Il n'est pas facile de maintenir des sanctions pénales devant des preuves contradictoires.
Le sénateur Kenny: Mais cette observation quant aux limites à établir sous-entend qu'il s'agit d'une drogue d'introduction.
M. Young: Oui.
Le sénateur Kenny: Il existe des preuves selon lesquelles ceux qui ont consommé d'autres drogues ont également consommé de la marijuana. Comment faites-vous la distinction?
M. Young: Je peux vous répondre à cela en citant Mark Twain qui a dit qu'il y avait des mensonges, des sacrés mensonges et des statistiques. Pour ce qui est de la théorie de l'introduction, la plupart des chercheurs éclairés l'ont totalement abandonnée. Ma meilleure source est l'affaire Clay dans laquelle un grand nombre des témoins que vous avez entendus comme Patricia Erickson, Marie-Andrée Bertrand, ont déclaré qu'environ un fumeur de marijuana sur neuf essayait la cocaïne et un sur vingt, essayait l'héroïne.
À mon avis, la marijuana ferme la porte aux autres drogues au lieu de l'ouvrir. Elle l'ouvrirait si 11 fumeurs de marijuana sur 20 essayaient l'héroïne. La majorité des fumeurs de marijuana sont suffisamment intelligents pour savoir que si la marijuana est sûre et agréable, les autres drogues ne le sont pas nécessairement.
Je crois que c'est davantage un problème de psychologie et de personnalité. Certaines personnes sont prêtes à tout essayer une fois. Certains vont sauter dans le Grand Canyon au bout d'un élastique; je ne le ferai pas. Si les gens qui n'ont pas peur des risques essaient une nouvelle substance, cela n'a rien à voir avec ses propriétés pharmacologiques, mais plutôt avec leur personnalité. C'est un phénomène que les lois ne peuvent pas contrôler.
Le sénateur Di Nino: C'est une question sur laquelle les gens ont des opinions bien arrêtées. C'est une bonne chose, car de toute évidence, nous voulons entendre des opinions qui reposent sur quelque chose. La réponse que vous avez donnée au sénateur Kenny m'amène à poser une question concernant la responsabilité des médias.
Il ne fait aucun doute que certains personnages publics attirent davantage l'attention. Mais voulez-vous dire que les médias ne s'intéressent pas aux opinions contraires? Les médias sont-ils les coupables?
M. Young: Je n'avais pas l'intention de venir ici pour me mettre à dos à la fois les sénateurs et les journalistes, mais je vais vous répondre très brièvement et de façon purement anecdotique.
Pendant tout un été, j'ai été le correspondant juridique d'un grand réseau canadien, et je couvrais un grand procès. J'ai vu comment on encapsulait l'information. Il faut que ça rapporte. Il s'agit de vendre des journaux. Et, comme je l'ai dit, si on met à la une: «La marijuana: terriblement toxicomanogène», le journal se vend beaucoup mieux que si l'on titre: «La marijuana ne crée pas de dépendance».
Il serait peut-être bon qu'un comité tienne des audiences sur la responsabilité qui incombe aux médias, mais alors on toucherait à toute la question de la liberté de la presse et ce serait un cauchemar. Il vaut probablement mieux laisser les journalistes faire ce qu'ils veulent et encourager véritablement chez les citoyens une perspective intelligente et éclairée afin que les gens comprennent que tout ce qu'on peut lire dans les journaux n'est pas parole d'évangile. Parfois il faut que les lecteurs fouillent plus loin que ce qui est imprimé et se renseignent eux-mêmes.
Le sénateur Di Nino: Merci.
Ma question à vrai dire portait sur un problème tout à fait différent. Il me semble que le débat est concentré sur les expériences dans certaines villes et certains États en Amérique du Nord. Pouvez-vous nous dire quelque chose des expériences d'autres pays, en particulier les pays que l'on dit être du monde occidental, afin que nous comprenions mieux ce qui s'y passe?
M. Young: Cela est très important car dans la foulée de l'affaire Clay en 1997, le juge McCart a déclaré, après avoir entendu l'avis d'experts en développement international, que l'Amérique du Nord n'était pas au diapason du reste du monde occidental. Cela est malheureusement net. À mon avis, si rien de constructif ne se produit au Canada, c'est seulement parce que nous sommes géographiquement très près des États-Unis.
Tous les pays d'Europe de l'Ouest ont ni plus ni moins dépénalisé cette substance. Je ne peux pas vous parler de l'Europe de l'Est car cette information ne semble pas être fournie par ces pays. Le journal national de Madrid a publié un rapport signalant qu'il y a seulement quatre pays de l'Union européenne qui continuent d'appliquer leurs lois. Récemment, la Belgique s'est alignée sur la Hollande; la marijuana sera vendue dans les cafés. Dans le nord de l'Allemagne, la loi n'est pas appliquée depuis des années. Le Portugal, l'Espagne et l'Italie ont tous de fait dépénalisé la marijuana, de jure, c'est-à-dire dans leurs législations, et non seulement de facto comme en Hollande, où on fait mine de ne pas voir.
Actuellement, en Europe, l'Angleterre, la France, la Norvège et la Suède, je pense, appliquent les lois concernant la marijuana. Pour ce qui est des pays du Commonwealth maintenant, en Australie, cinq des six États australiens - pardonnez-moi si je ne suis pas précis là-dessus - ont instauré un système d'«expiation», qui est ni plus ni moins ce que l'Oregon avait mis en oeuvre dans les années 70. C'est un système où l'on dresse un procès-verbal, semblable aux contraventions au code de la route. La possession de certaines quantités est permise mais si vous êtes arrêté en public en possession de ces quantités, on dresse un procès-verbal et le contrevenant doit payer l'amende. Cela ne relève pas de la justice pénale.
Je n'ai pas très bien compris pourquoi on exerçait ce contrôle marginal. Si c'est permis, pourquoi ne pas laisser les gens s'y adonner. C'est une sorte de droit à payer pour l'obtention d'un permis.
À mon avis, d'ici 2005, le Canada et les États-Unis seront les seuls pays dans cette situation. Nous serons la risée du monde occidental car nous dépenserons des milliards de dollars en pure perte, alors que les autres pays investiront leurs ressources limitées en matière de justice pénale pour tenter de régler des problèmes graves.
Le sénateur Milne: J'en appelle à votre esprit agile pour vous demander de conjecturer sur les éventuelles relations entre le Canada et les États-Unis, advenant que ces derniers maintiennent leur politique de tolérance zéro pour la drogue et que quant à nous, nous choisirions de dépénaliser ou de légaliser?
M. Young: Je ne veux pas vraiment répondre à cette question car j'estime qu'il y aura des représailles quelconques. Je sais qu'il y en aura. C'est la façon de procéder des Américains.
Ai-je besoin de vous dire à quel point il est important pour les Américains de faire la guerre aux drogues. Fait intéressant, quand les Américains se sont retirés du Cambodge, Nixon a entrepris de faire la guerre aux drogues. Les Américains ont besoin d'une guerre. C'est le phénomène américain. Ils ne vont pas nous laisser badiner avec leur guerre.
Si je ne veux pas répondre à votre question, c'est parce qu'il est honteux de penser que le Canada ne va pas affirmer une position autonome à cet égard, de crainte des représailles américaines.
Je ne suis pas économiste et je ne suis pas l'évolution de l'ALENA, mais je sais qu'il y a un différend concernant le bois d'oeuvre. Eh bien, nous allons nous battre à propos de la marijuana. Cela vaut peut-être la peine étant donné ce que nous allons épargner sur le plan de l'application des lois pénales. Si jamais la marijuana était vendue sur le marché - ce que je ne préconise pas - on en tirerait une grande quantité de recettes fiscales. Cela serait comparable à ce qui s'est produit quand les provinces ont pu profiter des tables de jeu; en 1989, les tables de jeu étaient considérées immorales, mais dès 1994, c'était une grosse affaire.
Le sénateur Di Nino: Je ne sais pas si c'est prématuré, mais je me demandais si vous pouviez nous fournir des statistiques sur les questions qui ont été posées aujourd'hui et auparavant en comité? Je songe en particulier aux questions concernant l'expérience européenne, celle des pays qui ont dépénalisé ou qui font semblant de ne pas voir, par rapport à l'expérience américaine?
M. Young: Si le comité ne peut pas obtenir ces statistiques lui-même, je m'engage à vous les fournir. Je pense que vous avez entendu - mais je ne me souviens plus - un Allemand.
Le président: Cohen.
M. Young: Cohen. Je pense qu'il est mieux à même que moi de vous fournir ces statistiques.
Je peux vous dire qu'il n'y a pas eu un grand nombre d'études de suivi. On semble estimer de façon générale que la dépénalisation officieuse fonctionne bien. En Hollande, il y a eu quelques accrochages, et on a pensé là-bas faire marche arrière, mais quand tous les autres pays lui ont emboîté le pas, la Hollande a décidé de maintenir sa politique.
À propos de l'expérience européenne, la seule chose que je trouve pertinente - et c'est critique, et je suis navré de ne pas avoir de chiffres précis - est que les taux de consommation chez les jeunes Canadiens sont passés d'environ 30 p. 100 à la fin des années 70 à leur plus bas niveau, 17 p. 100 au moment où Nancy Reagan faisait sa campagne «Dites simplement non», avant de revenir actuellement à environ 30 p. 100. Cela représente un assez grand nombre de jeunes gens qui fument de la marijuana.
En Hollande, où l'on peut dans la rue, dans un café, prendre un cappuccino avec un joint, il y a seulement environ 9 p. 100 des jeunes Néerlandais qui fument de la marijuana. Ainsi, cela vient étayer ma thèse de toujours: Si un produit est illégal, cela stimule les jeunes. À mon avis, c'est la seule chose qu'il faille retenir de l'expérience européenne. Si le produit est autorisé, les gens ne se précipitent pas pour le consommer. À ce moment-là, le produit perd de son attrait, ce n'est plus le fruit défendu, la rébellion disparaît. En effet, bien des gens ont fumé de la marijuana étant jeunes pour exprimer leur rébellion. Si un produit n'est pas interdit par la loi, il n'y a pas de quoi se rebeller. Les jeunes trouveront autre chose, mais ce ne sera pas la marijuana.
Le président: Je voudrais vous poser deux questions. Il s'agit de l'affaire Clay. Je ne veux pas ici saper vos arguments stratégiques, mais je me demandais si vous pouviez fournir au comité la source de votre argumentation?
M. Young: Oui
Le président: Une dernière question sur les traités internationaux et leur effet exécutoire dans notre système judiciaire.
M. Young: Permettez-moi de parler des traités internationaux d'abord, parce qu'il y a un groupe de penseurs en Angleterre qui vient de terminer une étude, que je n'ai fait que parcourir. L'organisation s'appelle «Drug Scope». Elle a analysé en profondeur les traités internationaux et elle en conclut la même chose que ce que je préconise depuis 10 ans maintenant, à savoir que rien dans les traités internationaux ne nous empêche d'adopter une autre solution que celle du recours à la justice pénale.
Les traités internationaux exigent un certain contrôle - pas nécessairement des sanctions pénales - et cela, je l'ai toujours su. Par contre, les gouvernements se sont abrités derrière la sécheresse du texte des traités internationaux qui suggèrent des mesures d'interdiction très rigoureuses.
Même la Convention de 1988 sur les drogues psychotropes, qui est relativement catégorique en ce qui concerne les pouvoirs de perquisition, ne dit en fait pas grand-chose dans le cas des délits mineurs concernant les drogues, laissant aux gouvernements d'adopter plutôt d'autres politiques et d'intervenir par exemple dans le domaine de l'éducation ou du traitement. Ce ne sont donc pas les traités internationaux qui constituent le problème, cela n'a jamais vraiment été le cas.
Pour en revenir à l'affaire Clay, si vous me permettez de résumer de la manière suivante - parce que de toute évidence les choses étaient un peu plus nuancées et un peu plus complexes que cela - nous soutenons que, sur le plan constitutionnel, il n'appartient pas à un gouvernement d'interdire des comportements relativement inoffensifs sous peine de sanction pénale.
Les principes de la justice fondamentale qu'on trouve à l'article 7 de la Charte, contiennent ce que j'appellerais le «principe du préjudice» qui est exprimé depuis 40 ans par les gouvernements du Canada. Ce principe est le suivant: Le droit pénal est réservé aux cas où le préjudice est grave. J'affirme que c'est effectivement un principe du droit constitutionnel et que, si vous parvenez à prouver qu'une substance ou une activité est inoffensive, à ce moment-là le gouvernement perd le pouvoir constitutionnel de l'interdire.
Nous sommes parvenus à convaincre les tribunaux que la marijuana était relativement inoffensive, mais la Cour d'appel - et c'est pour cette raison que cela s'est retrouvé au niveau de la Cour suprême - a mis la barre relativement bas pour une intervention licite de la part de l'État. La Cour a dit que tant et aussi longtemps que l'État pouvait raisonnablement craindre qu'il y ait un préjudice, même tout à fait mineur - vous voyez à quel point la barre a été placée bas - à ce moment-là il est tout à fait fondé par la constitution étant donné qu'il n'appartient pas aux tribunaux de juger des politiques de l'État. Cela, je peux le comprendre.
Mais ce que nous essayons de faire au niveau de la Cour suprême du Canada, c'est faire valoir encore une fois que la marijuana est relativement inoffensive, et nous voulons essayer d'amener la Cour à dire que le principe qui s'applique est que l'État doit pouvoir raisonnablement craindre qu'il y ait un préjudice notable avant de pouvoir imposer des sanctions pénales. Et si nous parvenons à convaincre la Cour suprême que l'État n'a pas à craindre qu'il y ait un préjudice important, nous obtenons gain de cause, cela ne fait aucun doute.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique et celle de l'Ontario ont maintenu l'interdiction en se fondant sur les quatre éléments identifiés en 1972 par la commission Le Dain. Pour être franc avec vous, il faut bien admettre que ces quatre préoccupations ne tiennent plus en l'an 2001. Il y avait pour commencer la question du processus d'arrivée à maturité chez l'adolescent. Je vous dirais que mon expérience personnelle ainsi que les études inédites de Schedler et Block en Californie me portent à croire que, pour ce qui est de l'arrivée à maturité chez l'adolescent, les adolescents qui sont les mieux adaptés sont précisément ceux qui ont fait l'expérience de la drogue. Certes, les plus mal adaptés d'entre eux sont ceux qui en ont fait un usage chronique, c'est certain, mais au milieu on trouve les abstinents, les tenants du «Il suffit de dire non». Leur intransigeance et leur attitude un peu dogmatique du genre «Je ne tiens pas à toucher à cela» ont produit chez eux un genre d'inflexibilité qu'on ne retrouve pas chez ceux qui ont touché à la drogue.
La question de l'arrivée à maturité de l'adolescent ne pose donc pas vraiment problème d'après les preuves dont nous disposons. Le Dain a également parlé de la conduite automobile, mais c'est un faux problème. Si les risques d'accident de voiture nous font peur, il y a toujours un moyen - et le Dr Kalant ne vous en a pas parlé, mais il nous l'a dit à nous - on peut toujours détecter la présence de marijuana par des analyses de salive. Ce n'est pas très bon marché, mais si nous craignons vraiment un carnage sur les routes - un carnage d'ailleurs qui n'est pas dû à la marijuana - il est toujours possible de faire l'adéquation. Mais il ne faudrait pas sous peine de sanction pénale interdire aux gens de faire ceci ou cela dans l'intimité de leur foyer simplement parce qu'il y a quelques mauvais conducteurs.
L'autre préoccupation signalée par Le Dain était la déficience cognitive à long terme. Mais là, je vous demande où sont les preuves? Johns Hopkins a démontré qu'il n'y en avait pas. Nous avons des millions de gens auxquels nous pouvons faire subir des tests, et si nous le faisions, je pense que nous constaterions que cette préoccupation n'était pas du tout fondée.
Le sénateur Wilson: Je voudrais vous remercier de nous avoir ramené à l'objet de notre présence ici, la question du cannabis.
Vous avez fait l'analogie avec le tabac - qui n'est pas criminalisé - et c'est ce qui se passe en raison de l'éducation, des pressions sociales et ainsi de suite. Cela s'est également produit en raison des études médico-sanitaires qui ont prouvé à l'évidence que le tabagisme détruisait les poumons.
Cela étant, il n'y a aucune étude sur le cannabis qui ait été réalisée sur une population humaine. Pourquoi donc? Ce que je veux dire par là, ce que j'essaie de découvrir - il y a eu la commission Le Dain et le sénateur Carstairs a dit: «Oui, nous allons le faire, mais c'est encore trop tôt». Qu'est-ce qui nous arrête? Est-ce une question de volonté politique?
M. Young: Au départ, le dilemme était légitime et empirique. Lorsque les gens ont commencé à contester les lois sur la marijuana, qui après tout remontent à 1920, la seule raison pour laquelle ils voulaient les faire changer c'est que, dans les années 60, on arrêtait des jeunes gens de la classe moyenne. Et on ne se préoccupait absolument pas de tous ces musiciens de jazz noirs qui avaient été traînés dans la boue avant cela.
Quoi qu'il en soit, à l'origine donc, au milieu des années 60, lorsque nous voulions jeter un coup d'oeil sur ce dossier, le problème empirique qui se posait à nous était que nous ne disposions pas d'une cohorte d'utilisateurs de longue date du cannabis qui nous aurait permis d'étudier la chose. Nous avons donc procédé à quelques études sur des populations humaines - j'ai parlé de la Grèce, du Costa Rica et de la Jamaïque. Les résultats que nous avons obtenus ne justifiaient pas qu'il y ait interdiction. La population de consommateurs de marijuana ayant maintenant vieilli, nous disposons actuellement du plus gros pourcentage de consommateurs de 30 à 50 ans que nous ayons jamais eu. Nous avons donc cette cohorte qui nous permettrait de procéder à une étude empirique. Mais ce qui nous en empêche je crois, c'est une question de volonté politique.
Je pense que les gouvernements comprennent véritablement que dès lors qu'on arrête de donner des surdoses aux rats et qu'on regarde ce qui se passe véritablement chez l'humain, on constate que la marijuana est inoffensive.
Il se fait que je lis du Baudelaire. En 1850, Baudelaire parlait du hachisch qui provenait d'Égypte et il a écrit quelque chose qui ressemble un peu à ceci:
...remplissez-en une petite cuiller, et vous possédez le bonheur; le bonheur absolu avec toutes ses ivresses, toutes ses folies de jeunesse, et aussi ses béatitudes infinies. Le bonheur est là, sous la forme d'un petit morceau de confiture; prenez-en sans crainte, on n'en meurt pas; les organes physiques n'en reçoivent aucune atteinte grave. Peut-être votre volonté en sera-t-elle amoindrie, ceci est une autre affaire.
Ce que je veux faire valoir, c'est que nous savons cela depuis 1850. Si nous voulons conserver cette interdiction aujourd'hui, en l'an 2001, il est préférable de la conserver dans l'ignorance plutôt qu'en essayant de la faire valider par des études.
Le président: Je savais qu'on allait citer un jour ou l'autre devant le comité Les fleurs du mal. Merci, professeur.
Notre attaché de recherche, M. Sansfaçon, va se mettre en rapport avec vous pour obtenir des compléments d'information et aussi, si c'est possible, tout autre renseignement que vous pourriez avoir dans vos dossiers au sujet de l'affaire Clay.
M. Young: Je ne dis pas ceci pour me vanter, mais je pense avoir la bibliothèque de référence sur le cannabis la plus riche au Canada.
Si cela peut être utile au comité, je peux demander à mon associé de vous envoyer un exemplaire de notre mémoire devant la Cour d'appel, même si ce texte résume un peu trop, à mon avis, notre dossier à l'appui étant donné que la Cour impose un nombre de pages maximum. Il n'empêche que vous trouverez également les preuves avancées par Patricia Erickson, Bertrand, Single, Kalant et bien d'autres encore.
Le président: Nous avons déjà ces travaux, mais nous aimerions avoir davantage de données statistiques. Vous avez parlé de renseignements à caractère financier que vous avez obtenus auprès de la police de Toronto. Voilà précisément le genre de données mieux ciblées et plus précises que nous aimerions avoir.
M. Young: Je ne suis pas certain d'avoir le droit d'être en possession de ces documents, mais votre attaché de recherche peut toujours me téléphoner et nous verrons lui et moi ce que je puis vous faire remettre.
Le président: Merci beaucoup, professeur.
M. Young: Je vous en prie.
Le président: Notre témoin suivant est Walter Cavalieri qui représente le Toronto Harm Reduction Task Force.Monsieur Cavalieri, vous pouvez commencer.
M. Walter Cavalieri, président, Toronto Harm Reduction Task Force: Merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant vous. Il s'agit tout à la fois d'un privilège, d'un honneur et d'une occasion dont je me félicite en espérant être à la hauteur.
Je suis le président du Toronto Harm Reduction Task Force, qui est une alliance de particuliers, de mouvements communautaires et de groupes de quartier qui travaillent ensemble depuis cinq ans environ pour mitiger les préjudices associés à l'utilisation et au commerce de la drogue à Toronto.
Je suis également le fondateur du Canadian Harm Reduction Network qui est l'ombrelle sous laquelle se regroupent les particuliers et organismes qui luttent partout au Canada pour réduire les préjudices sociaux, économiques et médico-sanitaires associés aux politiques concernant les drogues et leur usage.
Je suis également chargé de recherche et j'ai actuellement en cours deux projets à la faculté de médecine de l'Université de Toronto. Le premier est une étude qualitative des utilisateurs de drogues injectables à Toronto où je demande à ceux-ci ce qu'ils pensent des risques que présente le VIH, ce qu'ils font pour prévenir ce risque et ce qu'ils peuvent me dire des services et des fournisseurs de services auxquels ils ont eu affaire. La seconde étude est une étude ethnographique sur l'utilisation du crac à Toronto qui fait partie d'une étude couvrant plusieurs villes dont Toronto est la seule au Canada, toutes les autres étant aux États-Unis.
Enfin, je suis membre honoraire du mouvement IDUUT, l'Illicit Drug Users' Union of Toronto, ainsi que de l'International Drug Users' Union, un mouvement international basé sur l'Internet.
J'ai fait remettre à votre greffier un exemplaire de mon curriculum vitae, un texte que j'ai écrit sur la mitigation des problèmes ainsi qu'une communication que j'ai rédigée avec Diane Riley sur la réduction des préjudices et le logement. Je vous ai également fait remettre un texte qui correspond plus ou moins à ce que je vais vous dire aujourd'hui.
Je vais tenter de représenter du mieux que je peux les centaines de personnes qui utilisent des drogues illicites que j'ai rencontrées depuis 1986 et dont certaines voudraient bien pouvoir être ici, d'autres ont trop peur ou se sentent trop indignes pour l'être et dont beaucoup ne pourraient être ici parce qu'elles sont mortes.
Depuis 15 ans, le travail que j'accomplis auprès des gens dans la rue et de ceux qui utilisent des drogues - ainsi que ma curiosité qui m'a poussé à découvrir une vérité différente de celle avec laquelle on m'avait endoctriné - m'a plongé au coeur de la vie de rue à Toronto. J'ai vu les chambres d'hôtel sordides dans lesquelles les gens allaient se droguer, j'ai vu les taudis où ils habitaient le long des voies ferrées, j'ai vu les ruelles, partout où ces gens vont pour être plus en sécurité et pour trouver un peu d'intimité pour apprendre ou montrer à utiliser des drogues de façon plus sécuritaire.
Tout récemment encore, avec un collègue, j'ai été voir des gens qui habitent dans le tout premier barrio de Toronto - un village de toile situé à l'emplacement d'une décharge industrielle contaminée - où nous avons découvert comment vivaient tous ces gens, et notamment un ancien enseignant qui habitait dans une vaste tente à deux compartiments où il se sentait en sécurité.
Nous avons également visité une série d'endroits le long de la rivière Don, là où habitent des gens entre les poutrelles et sous des ponts bas dans les conditions les plus primitives et les moins sanitaires qui soient, mais où ils trouvaient une certaine sécurité.
D'autres encore campaient sur la plaine inondable où ils se sentaient en sécurité même s'ils ne l'étaient probablement pas. Nous avons visité des sites dans le ravin de Rosedale, dont certains d'ailleurs sont clairement visibles depuis le Don Valley Parkway, mais d'autres aussi qui sont au plus profond du ravin et mieux cachés. Cela, c'est le quartier Rosedale dont vous n'entendez pas parler dans le Globe and Mail ou dans le National Post.
Des campements comme cela existent également à Etobicoke et à North York, et d'ailleurs aussi dans toutes les villes du Canada. Nous avons rencontré récemment plusieurs personnes qui vivaient sous un pont non loin du centre-ville de Toronto. Ils sont sept ou huit à habiter là, dont une femme, des gens qui ont entre 20 et 50 ans et qui vivent dans trois tentes et dans trois baraquements qu'ils ont construits de leurs mains. Le bruit de la circulation est constant et assourdissant, de jour comme de nuit. Et comme aux autres endroits que j'ai mentionnés, il n'y a ni toilettes, ni eau courante pour se laver ou faire la lessive. Les portes n'ont pas de serrures, il n'y a pas de chauffage, il n'y a pas de climatisation, il n'y a pas non plus de collecte d'ordures. Et pourtant, les gens qui habitent là s'y sentent en sécurité.
J'ai même rencontré un homme qui dormait sur une poutrelle située sous le Gardiner Expressway parce qu'il s'y sentait en sécurité. J'ai passé une semaine en compagnie de quatre couples qui avaient déroulé leurs sacs de couchage le long d'un bâtiment avec pour seuls abris quelques arbres malingres. Je peux vous garantir que lorsqu'il pleut, ils ne sont pas très bien protégés. J'ai été là-bas. Ces gens se sentent en famille et constituent un genre de famille parce qu'ils s'entraident pour pouvoir se sentir en sécurité. Ou plutôt pour être en sécurité.
Ce n'est pas simplement qu'ils surveillent les possessions de leurs voisins ou qu'ils montent la garde pour les autres lorsqu'ils sont sous l'emprise de la drogue, ils ont aussi adopté scrupuleuse ment des méthodes d'utilisation pour les drogues qu'ils consomment aussi sécuritaires que les circonstances le permettent.
Ils se protègent mutuellement. Ils protègent l'environnement. Ils protègent leur communauté et font tout ce qu'ils peuvent pour protéger leurs concitoyens. De toute évidence, ils essaient de vivre et d'assumer une place respectée dans la société.
Mais tous ces gens, contre quoi essaient-ils ainsi de se protéger? Principalement, des persécutions dont ils sont victimes en raison de leur indigence. Aussi contre les persécutions dues au fait qu'ils utilisent des drogues. Je ne veux pas donner l'impression que la toxicomanie et l'indigence vont inévitable ment main dans la main. C'est vrai, dans certains cas, que la toxicomanie appauvrit à tel point le consommateur qu'il perd tout ce qu'il a et qu'il se retrouve dans la rue. Toutefois, c'est la minorité, peu importe les mythes qu'on colporte à ce sujet. Ou encore que la clochardise pousse à prendre de la drogue. Bien sûr, il y a un rapport.
Il arrive que la drogue rende un peu moins insupportable le fait de devoir dormir dans la rue ainsi que le rejet social que cela suppose. La douleur physique, émotive et sociale de l'indigence dépasse tout ce que la plupart d'entre nous, tout ce que nous tous qui sommes ici réunis, avons jamais connu. Cela dit, j'imagine que seuls les plus stoïques d'entre vous pourraient résister à l'attrait d'un quelconque moyen chimique qui pourrait soulager notre solitude, notre tristesse, notre dépression voire notre douleur physique ou psychique.
Ces gens-là dont j'ai parlé veulent simplement ne pas être pénalisés à cause de cet élément d'humanité qu'ils partagent.
Après un certain temps, j'ai fini par connaître des centaines de gens qui prenaient de la drogue. Les tout premiers d'entre eux étaient des travailleurs qui avaient réussi dans la vie. Personnelle ment, j'ai travaillé de nombreuses années au théâtre, un milieu où les gens fumaient de la marijuana, prenaient des psychédéliques, des amphétamines et de la cocaïne, mais où la drogue la plus dangereuse - dangereuse pour l'expression du talent - était cette drogue tout à fait licite qu'est l'alcool, et qui pourtant semble incontrôlable pour certains. L'alcool a ruiné la vie d'un grand nombre d'acteurs. L'utilisation d'autres drogues - le plus souvent la marijuana et la cocaïne - était toutes proportions gardées, bénigne.
Jusqu'à ce que je devienne un travailleur social, ce que je connaissais des opiacées se limitait aux médicaments prescrits par ordonnance. L'une de mes amies les plus proches - une professionnelle de grand renom - avait un grave problème de dépendance exacerbé encore par un médecin influençable et mal avisé. En fin de compte, une surdose de ces médicaments a fini par la tuer.
Évidemment, lorsque j'ai commencé à travailler avec les jeunes gens, et plus tard avec les adultes, vivant dans la rue à Toronto, la mort est devenue un genre de compagne fidèle et j'ai rapidement compris, très bien compris même, à quel point, pour tous ces gens que je fréquentais dans la rue, drogues et médicaments de toutes sortes étaient une réalité constante et oppressante de la vie.
Pourtant, c'est lorsque j'ai commencé à mettre au point et à offrir des programmes de sensibilisation au sida qui ne se contentaient pas de préconiser simplement l'usage des préservatifs et l'utilisation de seringues neuves que j'ai véritablement ouvert les yeux sur la drogue et compris comment ces gens-là composaient avec la drogue et pourquoi ils vivaient avec elle.
Lorsqu'on fait du travail social, un principe de base est qu'il faut croire éperdument que la personne avec laquelle on travaille fait le meilleur choix possible dans les circonstances dans lesquelles elle vit et en sachant ce qu'elle sait. Étant donné le genre de vie des gens que je rencontrais, c'est vrai qu'il était logique pour eux de se droguer, et au bout du compte, c'est une logique que j'ai fini par comprendre moi aussi.
Bien sûr, ce n'est pas quelque chose que je recommanderais. Ces gens-là en savaient beaucoup plus sur la drogue que je n'en saurai jamais, mais pour moi, la toxicomanie a fini par devenir quelque chose dont je pouvais dire: «d'accord, j'ai compris, mais quel est le véritable problème?» Souvent, la drogue était vraiment un secours qui leur permettait de franchir une mauvaise passe. Souvent aussi, lorsque d'autres circonstances de leur vie finissaient par changer, ils parvenaient à contrôler leur toxicomanie, voire parfois à la faire disparaître. Oui, c'est vrai, même dans le cas de drogues dures comme l'héroïne, la cocaïne ou l'alcool.
Réfléchissez un peu. Qu'est-ce qu'une jeune mère peut faire lorsqu'elle perd subitement son nourrisson et qu'elle ne parvient pas à obtenir de l'aide parce qu'elle est héroïnomane? Au moment où j'ai rencontré cette femme dont je me souviens maintenant, son bébé était déjà mort depuis deux ans. Elle suivait un traitement de substitution par la méthadone, mais elle était devenue désespérément dépendante du valium. Et pourtant, personne n'a voulu la voir pour l'aider à surmonter la peine entraînée par la perte de son enfant jusqu'à ce qu'elle abandonne le valium. En toute bonne conscience, je ne pouvais pas lui dire: «Revenez me voir lorsque vous n'aurez plus besoin du valium». Cela aurait pu la tuer, de sorte que je ne l'ai pas dit.
Bon, ce n'était pas un cadeau de travailler avec elle et elle n'a pas fait grand-chose pour améliorer mes chiffres de guérisons rapides, elle n'a pas non plus atteint la perfection - mais qui donc est parfait? Toutefois, avec de la patience et de la persistance, elle a fini par faire son deuil et à n'utiliser le valium qu'à des doses normales.
Ce qui s'est passé dans le cas de cette femme et dans le cas de milliers d'autres comme elle ici au Canada est en réalité le résultat de nos lois. Les âmes bien pensantes qui les ont conçues et la pseudo moralité qu'elles engendrent permettent à de nombreux de ces prétendus professionnels d'adopter des comportements époustouflants.
Le travail que j'effectue actuellement me met en rapport étroit avec des gens qui s'injectent du crack. Il s'agit là de quelque chose d'un peu plus complexe que, mettons, le fait de se piquer à la cocaïne parce que le crack - qui est une base sur le plan chimique - doit être mélangé à un acide afin que la cocaïne - qui est un sel - puisse se dégager et donc devienne injectable. Dans la rue, c'est une science fort inexacte. Mais les gens qui se droguent de cette façon - il y en a beaucoup qui utilisent du jus de citron, du vinaigre ou de la poudre d'acide ascorbique - s'en tirent relativement bien et sont devenus à force d'essayer, d'assez bons chimistes.
J'ai interrogé une trentaine de personnes de façon assez détaillée sur la façon dont ils s'y prennent et j'en ai observé une douzaine environ pendant qu'ils préparaient leur mixture et qu'ils se l'injectaient. Ce qui m'a le plus impressionné dans ce que j'ai appris concerne moins ce qui est sécuritaire ou ce qui ne l'est pas - et permettez-moi d'ouvrir une rapide parenthèse pour vous dire que cette pratique est beaucoup plus sécuritaire qu'on pourrait le penser en raison du fait que les utilisateurs savent parfaitement comment s'y prendre et que les programmes de vulgarisation ont porté fruit - que les effets du crack sur les gens qui en prennent.
Jusqu'à présent, je n'ai constaté aucun signe de psychose extrême induite par la cocaïne, même si je sais qu'il y a occasionnellement des cas. Par exemple, quelqu'un m'a dit que chaque fois qu'il prenait du crack, il voyait «la police dans les arbres» c'est-à-dire des policiers qui se cachaient dans tous les arbres desquels on pouvait voir chez lui - de sorte qu'il était obligé de fermer les persiennes et de se cacher pour que les policiers ne le voient pas et ne puissent pas venir l'arrêter.
Ce que j'ai par contre constaté, c'est que, chez le gens qui en prennent par intraveineuse, le crack avait des effets remarquable ment calmants et satisfaisants. Le crack pris de cette façon produit une légère euphorie, soulage les petites douleurs et les petits maux quotidiens et produit une certaine sérénité. Cela m'a abasourdi.
Qui donc parmi ces gens qui vivent dans la rue, qui n'ont pas de toit, qui sont mal compris, méprisés et rejetés, qui vivent dans l'incertitude, qui donc ne voudrait pas pendant quelques minutes éprouver ce genre d'effet? Quelques minutes seulement, ne vous y trompez pas, parce que c'est cela l'effet du crack: une prise ne produit un effet que pendant quelques minutes, pas même un quart d'heure. Lorsque l'effet a disparu, je pense qu'on pourrait facilement conduire une voiture, soigner un malade, étudier un dossier, présenter une requête, faire l'amour, donner à manger au chat ou faire une promenade. Cela dit en passant, faire une promenade en fumant un joint pour faire durer les bonnes sensations, c'est l'activité qui prédomine après une prise chez les gens auxquels j'ai parlé. Dans l'ensemble, tous ces gens ont un comportement terriblement normal, cela m'a étonné.
Les vérités qu'on nous livre à propos des drogues «dangereuses» - les drogues illicites - sont souvent des demi-vérités et des mythologies dangereuses qui sont entretenues par ceux-là qui voudraient continuer à les voir interdire peu importe le prix. Le danger, c'est que la vérité vraie concernant les drogues se propage de bouche à oreille, s'apprend par tâtonnement mais est également disponible dans le monde entier grâce à l'Internet. Tout ce que les éducateurs, et même les mieux intentionnés, peuvent dire est suspect si cela valide ne serait-ce qu'un seul mythe.
On utilise des drogues illicites pour bien des raisons: un moment de tranquillité ou encore assourdir la douleur d'un problème personnel grave, ne sont que deux de ces raisons. La liste est très longue. La plupart d'entre elles sont identiques à celles qui justifient l'utilisation de drogues illicites: la sociabilité, la confiance, le désir de s'intégrer, affronter les frustrations, le désir de s'évader. Parfois aussi, les gens ont recours à la drogue simplement parce que la drogue est là; d'autres se droguent pour chasser l'ennui, pour se sentir normal.
À part le fait de prendre de la drogue simplement pour surmonter ses problèmes, la principale raison pour laquelle les gens se droguent - dans la rue et ailleurs - c'est pour essayer de se guérir soi-même, pour soulager des douleurs psychologiques et physiques - des véritables douleurs; pour oublier leurs problèmes parce qu'ils n'ont pas trouvé d'autres moyens.
La drogue produit des résultats, et ce qui a été pour moi la révélation majeure, c'est que le crack est vraiment très efficace. Lorsque j'en ai parlé à une femme qui avait travaillé dans la rue et qui prenait beaucoup de crack en le fumant ou par intraveineuse - je l'appellerai Mary -, elle m'avait écrit ceci:
Je suis très étonnée d'apprendre que vous ne le saviez pas. C'est quelque chose que je sais d'expérience et c'est également l'une des principales raisons pour lesquelles il est difficile d'arrêter. Je pense même que le crack m'a même sauvé la vie à plusieurs reprises, et j'ai le sentiment qu'il y a là une certaine vérité.
Il est possible que j'ai commencé à prendre du crack et à aimer le crack parce qu'il m'a plusieurs fois aidée à supporter des périodes de dépression très grave due à la perte de mes enfants. À de nombreuses reprises, je me suis trouvée tellement désemparée et en proie à des tendances tellement suicidaires que pour moi, il n'y avait plus d'issue. Alors, je cédais et, comme mon esprit était moins obnubilé par le désespoir et par le dégoût que j'avais de moi-même parce que je consommais, je me suis rendu compte que je pouvais sortir de ma coquille et de mon milieu.
Pour ceux qui, comme moi, souffrent de dépression clinique, les attributs antidépressifs du crack se manifestent extrêmement rapidement. L'un des effets secondaires de la dépression clinique est la tendance à penser sérieusement au suicide. Si on ajoute à cela tout ce qu'il faut supporter d'autre dans la vie... alors que le prozac et les autres antidépresseurs doivent être pris chaque jour pendant un mois avant de faire effet, dans mon cas le crack agissait instantanément.
Le crack avait cessé de me faire planer bien avant que j'arrête d'en prendre. Lorsque je commençais à ressentir les effets de la dépression - ces effets qui se manifestaient très facilement dans mon cas -, il était pour moi extrêmement important que je «me soigne» par le crack.
J'ai continué parce que j'avais peur qu'en cessant, je finisse par me tuer. Par ailleurs, plus je me heurtais à l'indifférence des professionnels et du public, plus j'étais vulnérable à la dépression.
Lorsque Mary prenait du crack, elle était capable d'avoir des relations avec autrui, des relations qui lui permettaient à la fois de s'aider elle-même et d'aider les autres. Elle écrivait également ceci:
Parfois, le simple fait de faire preuve de générosité à l'endroit d'autrui avait une importance considérable pour toutes ces âmes en peine. Cela donnait un sens à ma vie. Je pouvais aller de l'avant. Je crois que vous voyez bien comment le fait de réduire le préjudice, entre autres, est une forme d'amour et que vous comprenez mieux maintenant pourquoi c'est devenu une partie intégrante de moi-même lorsque je prenais du crack. Le crack était alors - et c'est du passé maintenant - ma porte de sortie de cet enfer que je vivais.
L'expérience de Mary n'est pas unique en son genre. Dans son cas, la différence est qu'elle écrit bien. Je voudrais également signaler que dix-huit mois seulement après avoir quitté le monde de la rue, elle a commencé la semaine passée à suivre des cours dans un collège communautaire.
La première chose que je voudrais vous faire valoir, c'est que Mary n'est pas un cas d'espèce. Il y a en beaucoup comme elle, des gens défavorisés parce que la drogue qu'ils ont choisie est illicite. En second lieu, il y a très peu de différences entre Mary d'une part et d'autre part vous ou moi, nos frères, nos soeurs, nos enfants ou nos petits-enfants. Mary a fait de mauvais choix, elle a fait des choix stupides, mais qui n'en a pas faits? Par contre, de mauvaises lois aggravent encore les effets de ces mauvais choix et dans son cas, il y a eu des séquelles dont certaines sont irréparables.
Pourquoi ne comprenons-nous pas que de mauvaises lois et de mauvaises politiques sont nuisibles? Combien de temps encore pouvons-nous, en toute bonne conscience, constater les horreurs de la guerre livrée contre la drogue et détourner les yeux comme s'il n'y avait pas d'autres solutions?
Combien de temps encore devrons-nous attendre avant que le gouvernement admette qu'en ce qui concerne les drogues illicites, la prohibition - qui est l'une des expériences sociales les plus longues et les plus coûteuses dans l'histoire de notre civilisation - ne marche tout simplement pas?
Quand allons-nous mettre en place un contexte juridique permettant à ces personnes qui consomment des drogues de participer à la conduite des affaires du pays et de jouir équitablement des avantages de la citoyenneté? Je sais que ce sera quelque chose d'un peu étrange, mais je sais qu'il y a des gens qui souhaitent pouvoir payer des impôts et être comme les autres.
Quand le gouvernement va-t-il débloquer des fonds suffisants pour répondre efficacement aux problèmes urbains et non urbains entraînés par l'inadéquation de nos lois et politiques en matière de drogue?
Je sais que c'est un peu paradoxal de réclamer de l'argent maintenant pour appuyer des choses qui ne fonctionnent pas en attendant que la situation puisse se modifier à l'avenir, mais il faut bien faire quelque chose.
Combien de temps allons-nous pouvoir continuer à ignorer la sagesse des pays européens qui ont montré qu'il existait des moyens humanitaires, efficaces et rentables de traiter les personnes qui consomment des drogues? Pourquoi continuons- nous à nous aplatir devant l'autorité morale - la prétendue autorité morale des États-Unis - par peur? Par peur de quoi? Nous aurions certainement des choses à apprendre de l'expérience de la Hollande. L'Europe a été pétrifiée quand la Hollande a commencé à modifier ses lois et à envisager une autre façon de faire. Mais que s'est-il passé? Est-ce qu'un pays a envahi la Hollande? Non. Est-ce que quelqu'un l'a obligée à changer ses lois? Non. Ce qui s'est passé, c'est que d'autres pays ont fait la même chose et sont même allés plus loin que la Hollande.
Notre position en ce qui concerne l'usage médical de la marijuana a été bien accueillie aux États-Unis et je pense que c'est un bon signe. La semaine passée, Santé Canada a publié sa réplique au rapport du Réseau juridique canadien VIH SIDA sur l'usage de drogue par injection et le VIH SIDA. Cette réponse est pleine de belles paroles. Il y a longtemps qu'on entend de belles paroles, mais il n'y a toujours pas d'action.
Certaines formules sont très importantes: «Les utilisateurs de drogues par injection doivent être traités comme des membres à part entière de la société qui requièrent et méritent appui, aide et inclusion, et non comme des criminels qui devraient être isolés des autres.» C'est écrit dans le document. «De nouvelles mesures de réduction des méfaits doivent être élaborées.» On ajoute encore que des mesures doivent être élaborées, expérimentées et adaptées pour être mises en oeuvre au Canada comme elles l'ont été dans d'autres pays, et que la participation des personnes qui utilisent des drogues et des réseaux d'utilisateurs de drogues est essentielle pour réduire les méfaits de l'utilisation de drogue par injection.
Tout cela ce sont de très belles paroles, mais où est le plan d'action? Il n'y en a pas.
L'inaction persistante du gouvernement à l'égard de la santé et du bien-être des personnes qui consomment des drogues est criminelle, et des citoyens continuent de souffrir et de mourir à cause de cette inaction. La situation ne peut qu'empirer. Les principales causes des méfaits liés à la drogue sont les lois elles-mêmes et le climat d'ignorance, d'apathie, d'indifférence et de crainte qu'elles ont suscité. C'est à cause de ces lois qu'il n'y a pas de plan.
Il faut absolument autoriser la prescription d'héroïne et fournir des salles permettant aux personnes de s'injecter des drogues de façon sécuritaire. Ce sont des étapes intermédiaires, mais elles sont insuffisantes et ne seront jamais aussi omniprésentes que les drogues elles-mêmes.
Les Canadiens qui consomment des drogues illicites continuent d'être infectés par le VIH et le VHC en pourcentage beaucoup plus élevé que les autres membres de la population à cause de nos mauvaises lois. À cause de ces mauvaises lois, ces citoyens sont précipités dans la voie du crime et l'incarcération.
Ce n'est ni leur rêve, ni leur vision, ni leur espoir d'avenir. Ce sont des gens qui sont stigmatisés, marginalisés et ostracisés de façon très injuste. Le traitement des personnes qui consomment des drogues illicites est l'une des plus grandes faillites de notre système de santé, de services sociaux et de justice. Il faut que cela change et nous avons besoin de votre aide pour cela. Il est remarquable que vous soyez ici à nous écouter, et nous vous en sommes infiniment reconnaissants.
Enfin, je vous invite à venir avec moi rencontrer certaines de ces personnes qui ont été victimes de nos lois pour les entendre vous dire directement ce qu'elles ont à dire, non pas collective ment, mais individuellement, et les écouter en tant qu'observateurs et concitoyens désireux d'apprendre.
Cette expérience a changé et réorienté toute ma vie. Je suis profondément convaincu que l'humanité des personnes avec lesquelles j'ai travaillé et que j'ai appris à connaître aura une profonde influence sur vous et sur vos délibérations.
Je terminerai, comme je le fais souvent, par les paroles du rabbin Hillel inspirés du Talmud, que je vous invite à méditer dans votre coeur.
Le rabbin demande: Si ce n'est pas nous, qui? Si ce n'est pas comme ceci, comment? Si ce n'est pas maintenant, quand?
Le président: Merci, monsieur Cavalieri.
Avant de passer aux questions, il convient de préciser que le comité se préoccupe actuellement du cannabis.
M. Cavalieri: On ne me l'a pas précisé quand on m'a téléphoné.
Le président: Peut-être le Sénat chargera-t-il à l'avenir notre comité d'étudier d'autres drogues, mais ce n'est pas le cas actuellement. Il est évident que nous entamerons le dialogue avec les Canadiens lorsque nous en arriverons à cette étape de notre étude.
M. Cavalieri: Le cannabis n'a pas été le principal objectif des organisations et des personnes que je représente. Elles s'occupent d'autres drogues illicites et je ne suis pas prêt à parler du cannabis particulièrement, sauf pour appuyer globalement ce qu'Allan avait à dire.
Le président: De toute façon, dans nos travaux, nous n'avons jamais dit non à un témoin qui voulait parler d'une autre drogue illicite.
M. Cavalieri: Merci de m'avoir laissé continuer quand j'ai pris la parole.
Le sénateur Milne: Je voudrais vous poser une question sur le Toronto Harm Reduction Task Force, car je n'ai pas très bien compris dans votre exposé ce que faisait ce groupe ni comment il était constitué.
M. Cavalieri: Oh, j'ai sauté cela.
Le sénateur Milne: Ce sera donc ma première question. Je vais vous soumettre toutes mes questions ensemble pour que vous puissiez ensuite y répondre.
Je ne sais pas trop comment vous définissez l'expression «de façon sécuritaire» ni dans quelle mesure ces personnes sont conscientes de l'environnement, les sans-abri qui vivent sous les ponts et dans la zone de Don Valley sans installations sanitaires ou autres. J'imagine que votre définition de «sécuritaire» n'est pas tout à fait la même que celle de la majorité des gens.
La marijuana est-elle la drogue préférée de certains de ces sans-abri avec lesquels vous êtes en contact, et est-elle responsable de la situation dans laquelle certaines de ces personnes se trouvent?
M. Cavalieri: Le groupe de travail a été constitué il y a environ cinq ans à la suite d'une audience de l'évêque anglican de Toronto pour examiner l'usage de drogues - en particulier le crack - dans le voisinage d'une de ses églises où cela était devenu un véritable problème.
Le groupe est constitué de diverses personnes, y compris des utilisateurs de drogue actifs mais aussi des représentants de divers organismes, Santé Canada, le CTSM, l'hôpital St. Michael's et des cliniques de quartier. Notre objectif est d'élaborer et de promouvoir des stratégies conformes à l'objectif de notre société qui est de développer le bien commun en appuyant les principes de la santé publique et de la justice sociale.
Nous sommes financés par le SCPI pour étudier la question de la réduction des méfaits et essayer de maintenir ces personnes dans un logement pour leur éviter la misère de devenir sans-abri à cause de leur toxicomanie.
Quand je parle de conditions de sécurité, il ne s'agit pas de ma définition de la notion de «sécurité». Je ne m'attendais certaine ment pas à être en sécurité dans les endroits où je suis allé, surtout la nuit. Et quand j'y suis allé la nuit, je ne me sentais pas vraiment en sécurité. Il s'agissait de la sécurité de leur point de vue. Ils se sentaient à l'abri des observateurs curieux ou hostiles, à l'abri du harcèlement, à l'abri parce qu'ils étaient entre eux, qu'ils n'étaient pas harcelés ou agressés.
En ce qui concerne la consommation de marijuana, je pense qu'ils en consomment pour la plupart, mais ce n'est pas une passerelle vers d'autres drogues. On peut bien dire que la plupart des gens qui fument de la marijuana finissent par fumer du crack, de la cocaïne ou autre chose. On peut dire la même chose à propos du café. La plupart des gens qui boivent du café - la plupart des gens qui fument de la marijuana ont bu du café avant de passer à la marijuana. Vous savez, je ne crois pas à la théorie de la passerelle, et je ne l'ai certainement jamais constatée.
Je crois que toutes les personnes que j'ai rencontrées - je ne me souviens pas d'une seule qui n'en ait pas consommée, mais ce n'est absolument pas un problème dans leur existence. Le problème, ce sont les autres drogues et le fait qu'elles ne peuvent pas se faire soigner comme il faut. Ces personnes ne peuvent pas se faire traiter correctement lorsqu'elles ne se sentent pas bien. Elles sont marginalisées, elles doivent supporter des situations déplorables dans les hôpitaux et les cliniques. Pour pouvoir être soignées, elles doivent commencer par cesser de consommer de la drogue. La marijuana est une réalité pour ces personnes, mais ce n'est certainement pas un problème ni une passerelle vers d'autres drogues.
Le président: J'aurais une question. On a beaucoup parlé de pharmaciens et pharmacologues, mais personne ne nous a parlé de cocaïne épurée, ou crack. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit?
M. Cavalieri: La cocaïne épurée est une cocaïne qu'on mélange à du bicarbonate de soude, je crois, et qu'on chauffe pour obtenir une pâte. On obtient alors de la cocaïne épurée, ou «rock», qui se fume. C'est ce que l'on appelait autrefois la freebase.
Pour pouvoir l'injecter, il faut la reconvertir en sel. On la mélange avec un acide. Base plus acide égale sel plus eau.
Les acides de choix dans cette ville sont le jus de citron et le vinaigre - du vinaigre qu'ils trouvent chez McDonald's; du jus de citron qu'on trouve dans les petits contenants en plastique, ou de l'acide ascorbique qui est une poudre distribuée par les travailleurs des services d'approche de santé publique ou d'autres organismes.
Quand on mélange les deux produits dans les bonnes proportions, ce qui n'est pas facile parce qu'on ne connaît pas la force réelle du crack, qui est tellement frelaté qu'on peut se tromper sur la force du vinaigre ou du jus de citron, mais dans le cas de l'acide ascorbique, c'est assez clair - on obtient un liquide qu'on pompe dans la seringue et qui est injecté comme de la cocaïne.
D'après ce que les gens me disent, l'effet semble plus rapide, plus efficace que celui du produit fumé, mais l'extase est très brève.
Une des initiatives auxquelles j'ai participé l'an dernier a consisté à aller rencontrer des personnes dans la rue pour essayer de les convaincre de choisir les pipes à crack plutôt que de s'injecter la drogue. Ces pipes pour fumer le crack sont beaucoup moins dangereuses que l'injection. Même si elles présentent certains risques, ceux-ci sont bien moindres que ceux de l'injection. Nous sommes allés dans les rues pour expliquer aux utilisateurs qu'il valait mieux fumer la drogue. Je n'ai pas l'impression que cela ait servi à grand-chose.
Le président: Apparemment, le prix serait inférieur à celui de la vraie cocaïne?
M. Cavalieri: C'est très bon marché. Il est très difficile de se procurer de la vraie cocaïne à Toronto actuellement, sauf si on est riche et si on a quelqu'un qui est prêt à la livrer à domicile, mais les gens qui vivent dans la rue peuvent se procurer du crack pour 10 ou 20 $. Pour 30 $, ils en ont beaucoup. La dose typique de crack - je crois que c'est deux dixièmes de gramme - coûte 10 $. Ce n'est pas grand-chose, mais bien souvent cela ne vaut pas grand-chose non plus.
Le président: Si les attachés de recherche pensent à d'autres questions, nous poursuivrons cet échange par écrit.
M. Cavalieri: Parfait. Je suis à votre disposition.
Le président: Estimez-vous qu'il y a contradiction entre interdiction et réduction des méfaits? Y a-t-il là un problème philosophique fondamental ou est-il possible de faire coexister les deux?
M. Cavalieri: Je pense que cette coexistence va devoir se poursuivre car je ne pense pas que la prohibition disparaisse, en tout cas de mon vivant. D'ici là, il est absolument essentiel pour la santé d'avoir des mesures de réduction des méfaits. C'est un impératif social et moral d'aider les personnes à ne pas mourir quand elles sont prêtes à poursuivre leur existence et peut-être à faire de meilleurs choix.
Le président: Au début de votre témoignage, vous avez parlé de cliniques d'injection comme celles qui existent déjà en Suisse.
M. Cavalieri: Oui.
Le président: C'est de cela que vous parliez?
M. Cavalieri: En Suisse et en Australie. Et c'est quelque chose qu'on envisage aussi dans d'autres pays. On en parle aussi beaucoup ici, au plan national et à divers paliers.
Le président: Pour éclairer notre lanterne, pourriez-vous expliquer à mes collègues en quoi consistent ces cliniques?
M. Cavalieri: Il y a diverses raisons pour lesquelles des personnes se blessent ou meurent en consommant des drogues. Il y a notamment le fait qu'elles sont souvent seules, et aussi le fait qu'elles ignorent la force de la drogue qu'elles consomment parce que c'est encore une fois une variable sur laquelle elles n'ont aucune certitude. Il y a encore le risque de surdose et aussi le danger présenté par des pratiques malsaines, non hygiéniques.
C'est pourquoi dans certains pays - en Suisse au départ, mais aussi maintenant dans d'autres pays comme l'Allemagne, avec Francfort -, on a mis à la disposition des personnes qui se droguent des endroits sûrs et confortables. Ce sont des endroits bien éclairés, ce qui n'est souvent pas le cas ailleurs. Il y a des seringues propres et d'autres équipements, ce qui n'est pas non plus le cas ailleurs. Il y a de l'eau propre et c'est une nécessité. Enfin, il y a des gens prêts à intervenir au cas où il se passerait quelque chose.
Si une personne a du mal à trouver une veine, ce qui est un problème fréquent chez les personnes qui se font des injections fréquentes, il y a des infirmiers ou infirmières qui peuvent l'aider à trouver d'autres veines, lui montrer où sont les bonnes veines et comment se faire une piqûre sans danger.
Ces dispositifs sont là pour aider ces personnes à maintenir leur santé et les sortir de la rue car croyez-moi, ce n'est pas très drôle de voir quelqu'un se piquer. Cela me dérange; je trouve que c'est quelque chose de trop intime à regarder. C'est un acte privé. Grâce à ces cliniques, les personnes peuvent s'en aller de la rue et se réfugier dans des endroits où elles ne sont pas l'objet du dégoût, du mépris, des sarcasmes ou du harcèlement d'autrui et où elles peuvent s'injecter leur drogue dans de bonnes conditions.
Il s'agit généralement d'installations cliniques, mais j'ai entendu parler d'une clinique en Hollande, que j'ai trouvée sur Internet, où il y a un salon où les personnes peuvent se détendre après s'être injectées la drogue. Il est interdit d'y faire le commerce de la drogue, mais les gens y établissent des contacts. Ils échangent quelques mots, même s'ils ne restent pas bien longtemps. Mais c'est une façon d'établir des réseaux et un accès au système de soins de santé qui est beaucoup plus positive que le rejet et la condamnation.
Le président: Je ne vois pas d'autres questions, et je souhaite donc vous remercier infiniment, monsieur Cavalieri.
M. Cavalieri: Merci beaucoup.
Le président: Au besoin, nous vous transmettrons quelques autres questions.
M. Cavalieri: Très bien. Et mon invitation tient. Je serais vraiment très heureux de vous emmener rencontrer ces personnes.
Le président: Notre témoin suivant est Mme Margaret Stanowski. Vous pouvez faire votre déclaration initiale, et nous vous poserons ensuite des questions.
Mme Margaret Stanowski, directrice générale, Spring board: On m'a aussi demandé de présenter Wanda McPherson, qui est à ma droite. Elle pourra répondre aux questions précises que vous pourriez nous poser sur notre programme.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous décrire le travail de Springboard à Toronto auprès de près de 2 000 jeunes et adultes accusés d'infractions liées au cannabis. Depuis plus de 30 ans, Springboard élabore et administre des programmes de formation visant à prévenir et à réduire la criminalité. Dans 15 endroits de l'Ontario, nous avons plus de 400 bénévoles qui aident chaque année 9 000 contrevenants, jeunes ou adultes, et des personnes risquant d'avoir des ennuis avec la justice.
En 1997, dans le projet de loi C-41, à l'article 717, on a officialisé des mesures de remplacement pour les personnes accusées de simple possession de cannabis. En mai 1998, avec des fonds d'amorçage du ministère de la Justice, Springboard a commencé à administrer un programme de déjudiciarisation des problèmes de cannabis chez les adultes au palais de justice de l'ancienne mairie de Toronto. Justice Canada a aussi appuyé un programme de déjudiciarisation du cannabis pour les jeunes de 12 à 17 ans en avril 2000.
Grâce à des programmes spécialisés pour les procureurs de la Couronne et à la mise en place de formules de remplacement justifiées comme des placements de service public, la déjudiciari sation a beaucoup progressé. En général, les procureurs fédéraux de la Couronne sont favorables à la déjudiciarisation uniquement pour les personnes faisant l'objet d'une première accusation, mais en cas de récidive, le jeune ou l'adulte fait l'objet de poursuites pénales.
Les procureurs sélectionnent les personnes destinées à un programme de déjudiciarisation et les renvoient au personnel de Springboard. Dûment conseillés par leur avocat ou leur avocat de service, les jeunes et les adultes sont acceptés dans le programme une fois qu'ils ont reconnu leur responsabilité dans l'infraction et accepté d'accomplir de 25 à 40 heures de service public.
Suivant le cas, les participants peuvent avoir accès à des services tels que l'éducation sur les drogues, la formation à l'emploi ou la formation professionnelle. Lors des décisions de déjudiciarisation, on tient compte des problèmes de santé physique ou mentale ainsi que du contexte culturel et linguistique de l'accusé.
Une fois que le procureur a approuvé la mesure de déjudiciarisation, le procès est ajourné à deux mois afin de permettre à la personne d'exécuter la tâche qui lui est assignée dans le cadre de la déjudiciarisation. Lorsque le procès reprend, si cette tâche a été exécutée, l'accusation est retirée. Sinon, le procès suit son cours.
Nous avons obtenu un appui public à des mesures de déjudiciarisation dans le cas des infractions liées au cannabis en faisant participer progressivement des personnes, des groupes et des organismes qui n'avaient traditionnellement pas de rapports avec le système judiciaire. Nous nous sommes efforcés de faire participer des groupes et des personnes du voisinage à l'élabora tion et à la supervision des projets de service public et des placements auprès de sans-abri et de personnes défavorisées.
Nos propres recherches sur l'intérêt du public, confiées en 1997 à M. Tony Doob du centre de criminologie de l'Université de Toronto, ont confirmé que le grand public était en faveur de mesures de remplacement efficaces plutôt que des recours judiciaires officiels tels que le tribunal ou la prison si ces mesures débouchaient sur des résultats probants et étaient correctement exécutées par les jeunes et les adultes.
Je vais maintenant vous présenter quelques faits saillants des programmes de déjudiciarisation exécutés par Springboard. Ces faits saillants vont du 1er mai 1998 au 30 juin 2001. Au cours de cette période, nous sommes intervenus auprès de 1 869 jeunes et adultes. Ces personnes ont accompli plus de 53 000 heures de service public. Plus de 3 000 témoins policiers n'ont pas été obligés de comparaître devant les tribunaux pour adultes. Quelque 180 organismes et groupes communautaires ont participé à la conception et à la supervision des projets de service public des participants au programme de déjudiciarisation. Le taux de respect des exigences du programme a été de 92 p. 100 chez les participants.
Des recherches indépendantes financées par Justice Canada et menées par l'Université polytechnique Ryerson polytechnique auprès de 665 participants à des programmes de déjudiciarisation ont confirmé que 32 personnes seulement, soit 5 p. 100, avaient fait l'objet d'une autre condamnation pénale; et six seulement pour une infraction identique ou analogue.
Qu'est-ce que cela signifie pour votre comité? Cela signifie que ce modèle de déjudiciarisation permet effectivement de décriminaliser les infractions pour simple possession de cannabis. Des recherches indépendantes confirment le succès et le bien-fondé de cette démarche.
Axés sur la communauté, ces programmes ont aussi des retombées encourageantes: ils permettent d'intervenir de façon précoce pour éviter à une personne de faire l'objet de poursuites pénales pour avoir enfreint les lois canadiennes, avec les conséquences que cela a au niveau du casier judiciaire ou des voyages internationaux. Ils permettent une intervention précoce et une éducation sur les drogues. Ils permettent à la société de bénéficier de l'accomplissement d'un service public et ils servent à mobiliser l'appui et la participation du public au fonctionnement du système pénal. Ils permettent à des individus d'alimenter les ressources de la collectivité en s'en rapprochant. Enfin, ils allègent le fardeau des tribunaux qui peuvent s'occuper de questions plus graves.
Springboard a aussi accompli un objectif essentiel qui était d'obtenir un appui à des interventions policières différentes des interventions traditionnelles face aux cas de possession de cannabis. Le ministère de la Justice examine maintenant une proposition de programme de renvoi du service de police de Toronto en vertu de laquelle au lieu d'accuser un jeune pour une infraction de simple possession de marijuana, par exemple, on le confiera à Springboard qui établira un programme accompagné d'une reddition de comptes, par exemple un programme d'éducation sur les drogues, de service public ou de counselling sur des problèmes.
D'autres témoins érudits peuvent expliquer au comité les conséquences de l'utilisation du cannabis et d'autres questions actuellement à l'étude. Pour ma part, je peux soumettre au comité ces quatre remarques et recommandations.
Premièrement, il faudrait appuyer, disséminer et financer des programmes de déjudiciarisation et de meilleures pratiques pour éviter de criminaliser la simple possession de cannabis car ces programmes ont des résultats probants et peu coûteux, sont appuyés par le public et peuvent éviter à un accusé d'avoir un casier judiciaire.
Deuxièmement, le comité du Sénat peut encourager un plus vaste recours aux options de déjudiciarisation prévues par les lois actuelles, par exemple l'article 717 du Code criminel, la discrétion actuelle des policiers, et il peut aussi se déclarer en faveur des dispositions de la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans le cas des affaires extrajudiciaires.
Troisièmement, il faudrait réévaluer les critères fédéraux actuels concernant les mesures de remplacement. Parmi les exemples à réexaminer, citons l'exclusion de nombreux contrevenants accusés pour la première fois, l'inclusion d'autres substances réglementées telles que l'ecstasy et la possibilité d'un programme de déjudiciarisation pour les personnes soupçonnées ou accusées de ces infractions.
Enfin, compte tenu de la réussite des programmes de déjudiciarisation postérieurs à la mise en accusation qui sont bien exécutés, le comité sénatorial pourrait renforcer l'appui à des initiatives policières antérieures à la mise en accusation dans le cas de simple possession de cannabis. Toutefois, cela ne pourra se faire que s'il existe d'autres solutions et programmes tels que des programmes d'éducation sur les drogues et une possibilité pour les policiers d'y accéder rapidement dans le cadre de partenariats.
En conclusion, les programmes de déjudiciarisation de Spring board représentent une attitude raisonnable face aux infractions pour usage de cannabis et permettent de déjudiciariser les problèmes sans inquiéter le public. Ces stratégies encouragent la mise en place de programmes de prévention dans le cadre de partenariats locaux et permettent à la collectivité de mieux faire face aux problèmes de l'utilisation d'autres drogues illicites plus inquiétantes.
Le sénateur Di Nino: Monsieur le président, j'aimerais faire une brève remarque au nom de la transparence et de la pleine divulgation.
J'apporte mon appui à Springboard depuis de nombreuses années. Je connais très bien et j'approuve ce que fait cette organisation. Je pensais qu'il m'incombait de bien le préciser. Plus tard, si j'en ai le temps, j'aimerais intervenir dans les questions, mais j'ai estimé qu'il m'incombait de préciser cela officiellement.
Le président: C'est une excellente chose.
Le sénateur Milne: Madame Stanowski, le programme de Springboard concerne uniquement les utilisateurs de cannabis?
Mme Stanowski: C'est exact.
Le sénateur Milne: Et vous pensez qu'il faudrait l'élargir à des drogues comme l'ecstasy?
Le taux de récidive et les statistiques que vous mentionnez sont très impressionnants. Le chef de la police nous a dit tout à l'heure tout le bien qu'il pensait de ce programme. C'est une décriminalisation «de facto» de la possession de marijuana.
Mme Stanowski: Oui.
Le sénateur Milne: Cet exposé tombe à point. Je vous en félicite car vous avez parlé de la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et mon comité va justement l'examiner dès notre retour à Ottawa la semaine prochaine.
Quel genre de groupes communautaires faites-vous participer à cette initiative? Vous dites que vous avez intégré ces groupes progressivement?
Mme Stanowski: Oui. C'est pour cela que j'ai amené avec moi la personne qui s'occupe directement de l'administration du programme. Wanda?
Mme Wanda McPherson, surveillante, programmes de déjudiciarisation de Springboard: Nous avons eu de la chance. Environ 180 organismes collaborent actuellement avec nous et nous aident à placer les personnes qui font du travail communautaire.
Il y a aussi le Service des loisirs et des parcs, et nous avons de nombreux sites dans la région du Grand Toronto. Il y a les refuges pour itinérants et le programme «Out of the Cold», un programme d'accueil des sans-abri en hiver. Nous avons des jardins communautaires, des soupes populaires, des églises, des temples et des mosquées. Nous avons des théâtres communautaires, des clubs de garçons et de filles, des garderies et des résidences pour personnes âgées.
Il y a une foule d'endroits où l'on peut placer les personnes chargées de faire un travail bénévole. En fait, nous ciblons à peu près tous les services sociaux imaginables dans la collectivité.
Nous tenons à nous assurer que les placements sont utiles pour tout le monde. Si l'on fait effectuer un travail bénévole dans des endroits où il y a un problème particulier, on règle deux problèmes d'un seul coup
Le sénateur Milne: Vous avez commencé avec un financement d'amorçage du ministère de la Justice. Comment êtes-vous financés maintenant, car c'était il y a plusieurs années? Vous recevez des dons?
Mme Stanowski: Oui, et bien d'autres choses encore. Comme je l'ai dit, nous avons commencé avec une subvention de démarrage. Le programme est financé en ce moment - et j'ajoute que c'est parfois très difficile au niveau de la gestion des fonds - par sept sources différentes, et il y a notamment un droit pour le service que paient les adultes participant à ce programme de déjudiciarisation.
Le sénateur Milne: Ce programme est présent dans tout le Toronto métropolitain. Avez-vous installé des antennes dans d'autres villes ontariennes?
Mme Stanowski: Oui. Nous travaillons en très étroite collaboration avec la société Elizabeth Fry de la région de Peel; cette société gère également un programme très complet pour jeunes et adultes qui est semblable au nôtre.
D'un océan à l'autre, on fait très souvent appel à nous pour reproduire notre formule. Il y a des obstacles à l'exportation de notre formule. Il y a beaucoup de monde à Toronto qui sont inculpés de ce genre d'infraction. Dans les régions plus rurales, on fait appel à des procureurs de la Couronne. Nous voulons à l'avenir porter nos efforts sur les interventions policières, de telle sorte que l'on puisse intervenir au moment où l'infraction a lieu et non lorsqu'on porte des accusations, ce qui évitera peut-être au jeune ou à l'adulte de faire plusieurs milles pour se rendre à un autre tribunal.
Nous croyons qu'en ces matières, plus l'intervention est opportune, plus son effet est durable.
Le sénateur Milne: Eh bien, là je ne comprends pas très bien. Dans les petits centres, vous vous concentrez sur l'intervention policière. Voulez-vous dire que, au lieu de porter des accusations, la police va proposer que l'auteur de l'infraction fasse des travaux communautaires et qu'il rende des comptes à la police?
Mme Stanowski: Oui. C'est notre but. Le but de ce programme consiste à valoriser l'intervention policière au lieu de porter des accusations au criminel contre des personnes coupables de simple possession de cannabis.
Le sénateur Milne: Donc, dans les faits, vous éduquez les services policiers?
Mme Stanowski: Eh bien, nous avons constaté que le mot «graduel» est important. À mon avis, la police doit avoir la preuve que des programmes comme celui-ci permettent de réduire la récidive. Nous en sommes au point où le Service de police de Toronto et Springboard ont proposé l'instauration de ce modèle pré-accusatoire à Toronto pour en faire un modèle pour le reste du pays.
Le sénateur Milne: Mes félicitations.
Le président: Madame Stanowski, pouvez-vous nous dire qui sont vos clients? S'agit-il de récidivistes? S'agit-il de personnes qui consomment pour la première fois? Quel âge ont-ils?
Mme McPherson: Le profil de notre clientèle est étendu. Je vois des gens de l'âge de 13 ans jusqu'à... Je crois que mon consommateur de cannabis le plus âgé avait 86 ans. C'est la première fois que ces gens sont inculpés d'une infraction et il s'agit toujours de petites quantités - ce sont donc les personnes qui ont en leur possession 30 grammes ou moins qui sont admissibles au programme.
La plupart des gens qui sont inculpés sont dans la catégorie 18-24 ans, il s'agit donc de jeunes gens. La plupart d'entre eux sont à l'université, au collège ou à l'école secondaire, et ils consomment cette drogue à des fins récréatives. C'est ainsi qu'ils qualifient leur consommation.
Il y a très peu de participants à notre programme qui ont dit que leur consommation de marijuana leur causait des problèmes, et dans ces cas-là, nous les avons évidemment dirigés vers d'autres programmes. Mais la plupart des gens semblent avoir un travail ou aller à l'école, et ils consomment la marijuana dans un but récréatif.
Le président: Ce serait donc la première fois qu'ils seraient traduits en justice?
Mme McPherson: C'est la première fois qu'ils ont des démêlés judiciaires, et on nous les a référés.
Le président: Votre clientèle doit donc être très étendue; si j'en juge par les données que nous avons, c'est une clientèle très variée.
Mme McPherson: Oui. Les tribunaux des régions environnan tes n'ont pas de procureurs fédéraux, donc tout ce qui vient de Scarborough et des autres districts aboutit au palais de justice du Old City Hall. Donc, oui, nous avons une clientèle considérable. Nous gérons un volume très élevé.
Nous voyons les gens dès leurs premières dates de comparu tion. Donc, avant que la prochaine date de comparution soit fixée, nous les rencontrons et nous leur expliquons la nature de notre programme de telle sorte qu'ils puissent prendre une décision informée. Nous leur donnons le droit de consulter un avocat sur place, pour qu'encore là, ils puissent prendre une décision informée.
Le président: Quand la police fait-elle appel à vous? Intervenez-vous après l'arrestation? Ou fait-elle appel à vous avant qu'elle ait décidé de procéder à une arrestation, et au lieu d'intervenir, elle vous envoie à sa place?
Mme McPherson: C'est cela.
Le président: Votre organisation fait-elle de la prévention dans les écoles et les collèges?
Mme Stanowski: Oui.
Le président: Vous éduquez les jeunes?
Mme Stanowski: Oui. C'est un aspect important de notre programme.
Le président: La prévention?
Mme Stanowski: La prévention et la sensibilisation à un jeune âge, avant que les jeunes n'aient la possibilité de consommer des drogues.
Un modèle post-accusatoire de dépénalisation de la simple possession de marijuana témoigne d'une approche graduelle, d'un soutien et d'une réussite.
Nous avons constaté qu'une fois que la police voit bien qu'un modèle de déjudiciarisation post-accusatoire permet encore une fois de dépénaliser cette infraction, elle est plus susceptible de prêter son concours à une intervention immédiate.
Le président: Pré-accusatoire.
Mme Stanowski: Une déjudiciarisation pré-accusatoire. C'est le but de notre programme depuis quatre ans.
Le président: Vous serait-il possible de nous donner plus de détails sur l'aspect préventif de votre travail?
Mme Stanowski: Oui.
Le président: Nous avons quelques pages ici, mais j'aimerais lire un texte plus complet sur la façon dont vous travaillez.
Quels sont vos buts? Comment s'assure-t-on que ces buts sont atteints? Sans vouloir minimiser les efforts que vous déployez après l'intervention judiciaire, je m'intéresse davantage aux aspects préventifs. Nous avons des données qui prouvent que 63 p. 100 des jeunes Torontois consomment une drogue ou davantage. C'est un gros problème. Cela se voit ici ainsi qu'à Montréal et à Vancouver. J'aimerais en savoir davantage sur la prévention.
Êtes-vous en train de dire que vous remplacez la police? La police va déjà dans les écoles. Personnellement, je ne crois pas que la police devrait aller dans les écoles pour expliquer ce qui doit être un comportement normal. Je pense qu'il faut accorder plus d'importance à ce que vous faites. C'est mon avis à moi.
Donc pouvez-vous nous fournir des textes plus complets?
Mme Stanowski: Oui, absolument. Nous serons heureux de le faire.
Le sénateur Di Nino: Margaret, je pense que c'est le temps de faire un petit boniment.
L'une des difficultés - et cela n'est pas propre à votre organisation - tient au fait qu'un grand nombre d'organisations ont du mal à trouver les ressources voulues pour faire leur travail.
Je veux bien nous faire un peu de publicité. Demain matin, à l'aube, certains d'entre nous vont essayer de faire une partie de golf de 100 trous - c'est-à-dire 14 ou 15 heures de golf - avec un certain nombre de commanditaires. C'est la septième année consécutive que nous essayons de recueillir des fonds ainsi, et ça marche très bien. Nous avons réuni 75 000 $, 80 000 $ et 85 000 $ chaque année.
N'êtes-vous pas d'accord pour dire que cela pose encore un problème considérable pour Springboard et d'autres organisations semblables?
Mme Stanowski: Oui. C'est tout un défi pour nous à l'heure où il y a tant d'organisations qui sollicitent les mêmes subventions. Pour un travail comme celui-ci, à moins d'avoir une loi habilitante, à moins qu'il ne s'agisse d'une exigence législative, les gouvernements ne se croient pas obligés de nous financer. Nous devons donc compter sur le soutien non gouvernemental pour réunir des fonds.
Pour un travail comme celui-ci, sans financement de base, une organisation comme la nôtre est très vulnérable. Nous devons donc compter sur le dévouement de gens comme Wanda, sur notre passion et notre conviction, et chose certaine, sur l'initiative de mécènes comme le sénateur Di Nino qui font des collectes publiques pour soutenir notre effort.
Il est parfois difficile de réunir des fonds pour la prévention parce que, c'est le cas pour la santé, le système de justice pénale et la consommation de drogues, on n'en voit pas les effets immédiats. C'est un processus à long terme.
Donc, encore une fois, je vous remercie de mentionner cela parce que nous avons en effet beaucoup de mal à trouver un financement de base pour de tels programmes.
Le président: Depuis la naissance de votre programme, quelle part de votre budget est consacrée à l'évaluation de vos résultats et qui effectue ces évaluations?
Mme Stanowski: Le ministère de la Justice du Canada a recruté des chercheurs indépendants. Dans le cas de notre programme de déjudiciarisation pour les adultes accusés de possession de cannabis, le ministère a débloqué des crédits distincts qu'il a versés directement à l'université. Notre program me pour les jeunes attend une évaluation indépendante. Nous n'y consacrons donc pas un sou de notre budget étant donné qu'une évaluation doit être indépendante, et l'université fait une demande séparée pour effectuer l'évaluation.
Le seul commentaire que j'ajouterai à ce sujet, c'est que ces subventions à la recherche devraient être versées au début de la mise en oeuvre de ces programmes. Souvent, ces initiatives sont entreprises en cours de route ou après coup.
Le président: Bien sûr. Vous serait-il possible de nous communiquer ces rapports d'évaluation?
Mme Stanowski: J'ai remis au greffier le sommaire d'une étude sur le programme de déjudiciarisation pour des adultes; je lui transmettrai le texte complet. Dès que la recherche sur le programme de déjudiciarisation pour jeunes sera complétée, je vous enverrai ce rapport aussi.
Le président: Les évaluations vous contraignent-elles à modifier vos buts ou à les adapter?
Mme McPherson: Non. Cela nous a beaucoup surpris. La première évaluation qui a été faite a été très surprenante parce que nous avons justement réuni les données dont nous avions besoin. Il faut toujours apporter quelques changements.
Je crois que Marg et son entourage avaient tellement bien pensé ce programme que, dès que nous avons entrepris sa mise en oeuvre, nous savions exactement ce que nous faisions et comment nous voulions procéder. Les seuls changements que nous avons dû faire avaient trait au fait que les perspectives changent beaucoup dès qu'on se met à oeuvrer au sein du système de justice pénale. Nous avons dû nous adapter aux horaires des autres et à un système différent. Mais je crois que nos buts sont restés pas mal les mêmes et que nous les avons atteints.
Le président: Vous a-t-on demandé d'exporter votre program me?
Mme Stanowski: Oui. Vancouver attend justement qu'on fasse quelque chose.
Le président: C'est vous qui voulez exporter ou est-ce qu'on vous en fait la demande?
Mme Stanowski: Oui. D'ailleurs, la reproduction de notre modèle fait partie de l'une de nos orientations stratégiques essentielles. Il y a des pratiques exemplaires à imiter.
Nous avons inscrit dans notre praxis une conviction qui remonte à il y a 30 ans: Il faut faire participer le public à ce qu'on fait, lui donner une voix dans la conception et la mise en oeuvre de tels programmes.
Il nous tarde de reproduire notre modèle, nous pourrions même le franchiser. Cela nous permettrait peut-être de trouver une source de financement de plus pour soutenir cet effort.
Le président: Je constate qu'il n'y a plus de questions. Merci beaucoup. Nous allons lire vos textes avec intérêt.
La séance est levée.
Est-il possible de faire une overdose de Cannabis ? Oui mais...
L’idée de pouvoir subir une dose létale de cannabis est l’une des plus anciennes fausses idées concernant cette plante. Contrairement à ce que l’on a pu vous dire, il est impossible d’atteindre la limite létale.
Alors que l’on associe sous l’overdose aux drogues, il est possible de faire une overdose de tout ce qui existe.
Trop de café ? Overdose possible. Trop d’eau ? La surhydratation est une réelle menace. La possibilité d’une overdose n’est cependant pas toujours synonyme d’overdose létale. Pour faire simple, comme c’est le cas pour toutes les substances, il est possible de consommer trop de cannabis. En ce sens, une overdose est possible, mais une dose létale est extrêmement compliquée à atteindre, voire impossible.
À quel point est-ce difficile d’atteindre cette dose ?
Eh bien, pour atteindre une telle dose, vous devrez fumer près de 680 kg (1 500 lb) de cannabis en seulement 15 minutes. N’essayez même pas de calculer le nombre de joints que ça représente. Les effets de la fumée et du fait de fumer si agressivement vous tueraient bien avant que ne le fasse le THC.
Vous pouvez ingérer une plus grande quantité de THC par le biais de comestibles, car il n’y a pas de fumée impliquée, mais il y a plus de choses à prendre en compte. Il vous faudrait encore consommer 50 grammes de THC pur pour avoir 50 % de chance d’y rester si vous êtes un homme adulte. Même avec le plus puissant des comestibles, c’est surement l’excès de sucre et de sel qui vous tuerait.
J'ai un ami qui a trouvé qu'il était beaucoup plus facile de se sevrer du cannabis que du sucre !
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