Je m'appelle Salomée et je suis toxicomane depuis 10 ans. Les "salles d'injection" nous donneraient le droit d'exister, un peu
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Je suis toxicomane : les "salles de shoot" nous donneraient le droit d'exister, un peu
Modifié le 23-10-2012 à 13h10
Par Salomée Miroir
jeune femme toxicomane
LE PLUS. La ministre de la Santé Marisol Touraine a évoqué l'expérimentation de salles de consommation de drogue d'ici la fin de l'année.
Salomée Miroir, jeune femme toxicomane, espère que les choses vont se mettre en place et souligne à quel point cela pourrait être important pour elle.
Édité par Gaëlle-Marie Zimmermann
Je m'appelle Salomée et je suis toxicomane depuis 10 ans.
Ce que je trouve frappant dans les déclarations des "contre" la mise en place des salles d'injection, c'est cette ignorance non seulement des réalités de la toxicomanie, mais aussi de l'organisation des salles d'injection en elles-mêmes.
Une incitation à se droguer ? C'est ridicule
Parmi les "arguments" qui reviennent régulièrement, il y a la prétendue "incitation à se droguer" : soit en mettant en place ces salles, on inciterait les jeunes enfants innocents (il faut surtout bien penser à foutre la trouille) à se shooter, soit on inciterait le toxico déjà accro à continuer.
Pour ce qui est de l'incitation d'un public sain et non concerné, j'avoue que j'ai vraiment du mal à comprendre l'idée. Valider cet argument, c'est valider le présupposé qu'au fond de nous, on a tous un désir irrépressible de se shooter, mais qu'on ne le fait pas parce que c'est trop compliqué. C'est absurde.
Quant à "l'incitation à continuer si un drogué veut s'arrêter" évoquée entre autre par Bernard Debré, c'est une gageure absolue. Le problème est en fait à considérer à l'envers : en tant que toxico dépendant, on est toujours incité à continuer. C'est physiologique, c'est le principe de la dépendance, on a mille raisons d'arrêter mais on ne le fait pas parce qu'on ne voit plus rien, parce qu'on est dans la compulsion, parce qu'on n'a plus de contrôle.
Et avec la drogue, il y a cette particularité de l'interdit qui fait qu'on apprend très vite à ne pas parler de ce qu'on vit. Ce n'est pas juste une question de tabou social, c'est du pragmatisme : parler, c'est s' exposer à de lourdes peines de prison et/ou à un sevrage brutal (donc atrocement violent et douloureux), ce dernier étant aujourd'hui considéré comme une sacro-sainte et absolue solution.
Ajoutez à cela le vide thérapeutique autour de la question, et vous comprendrez rapidement qu'un toxico ne rencontre finalement pour ainsi dire jamais d'occasions de s'entendre dire qu'il existe des soins, qu'il peut essayer, qu'on peut l'aider, que s'il se plante c'est pas grave, ça veut pas dire que c'est foutu et qu'on le lâchera ou qu'on l' enfermera.
De même qu'un toxico ne rencontre finalement pour ainsi dire jamais d'oreille capable de prêter attention à ses souffrances, ses peurs, ses problèmes, ou toutes autres choses.
Ainsi les salles de consommation peuvent, dans le "pire" des cas, n'avoir aucune conséquences, et dans le "meilleur", inciter au soin et au sevrage. Et entre le "pire" et le "meilleur", il y a toute une palette de possibilités, de la reconsidération de soi à la vigilance retrouvée, en passant par la semence de graines d' idées nouvelles auxquelles il faudra laisser le temps de germer.
En tant que toxico, j'ai l'impression qu'on me tend enfin la main
Étant moi-même toxico depuis 10 ans, je peux témoigner du fait que je n'ai jamais ressenti autre chose de la part des institutions que de multiples formes d'agressions et d'oppressions. Jamais. En fait, cela fait 10 ans que j'ai juste tous les jours un peu plus le sentiment d'être hors marges, et juste tous les jours un peu plus peur.
Aujourd'hui, celles-ci songent à faire un petit pas vers nous, les camés. Elles songent à nous tendre une main, une vraie, de façon pragmatique, et pour une fois, non répressive. Elles semblent vouloir nous dire qu'elles sont conscientes de certaines de nos difficultés, et qu'elles souhaitent au moins essayer d'aider une partie d'entre nous. En fait elles sont, pour la première fois depuis très longtemps, prêtes à reconnaître qu'on existe, et qu'on est des êtres humains.
C'est un geste fort, et tellement nécessaire. Je dois d' ailleurs admettre que ça m'a énormément surprise de la part de la France, qui fait vraiment la guerre à ses pourtant nombreux toxicos, et ce sans l'ombre d'une remise en question de ses méthodes depuis un très long moment.
Alors quand je vois qu'il y a des résistances, et surtout pourquoi, j' enrage un peu. J'enrage parce que ce sont des résistances idéologiques, quand il ne s'agit pas tout simplement de postures travaillées en vue d'un calcul électoral ou politique. J'enrage parce que s'il s'agissait d'alcoolisme ou de produits licites, les choses seraient différentes. Or, lorsqu'on est dépendant d' une substance psycho-active, peu importe de laquelle il s'agit, au final c'est le même mal, et la même... maladie. Alors quoi ?
Cachons ces toxicos que vous ne sauriez voir
Alors oui c'est sûr, c'est compliqué. Parce que finalement, l'interdit et la silenciation/invisibilisation qu'il entraîne, dans le fond c'est bien pratique : on est pas censé exister, donc on fait comme si.
Pas la peine de réfléchir, pas la peine d'en parler, et surtout, pas la peine de se remettre en question et pas la peine de changer. Yeux fermés, oreilles bouchées, enfin pas trop quand même, juste ce qu'il faut pour nous jeter dans des prisons en restant totalement aveugles et sourds à nos douleurs et nos démons. Les toxicos, c'est le bout de la chaîne, derrière eux y a plus personne.
Certains s'esclaffent, mais comment on va faire, ça n'a ni queue ni tête ! Rendez-vous compte, ces gens seront là, en train de clairement enfreindre la loi par leur simple possession de produit, oh non mais c'est pas possible, c'est trop compliqué, comment on va faire pour trouver un consensus, comment on va faire pour trouver une éthique ?
La morale sociale face à la souffrance
Bah on va pas faire. Voilà. On est arrivé au point de non-retour, celui où il va falloir accepter les choses et s'y adapter, celui où effectivement, il va falloir se remettre en question pour trouver une cohérence avec les valeurs qu'on s'approprie, humanisme et pragmatisme en particulier, et parmi tant d'autres.
Oui, ça va fâcher des gens. Les déranger surtout. Le déni, c'était plutôt pratique, le libre-arbitre version extrémiste, c'était bien aussi, "t'avais qu'à", "t'avais qu'à pas", maintenant tant pis pour ta gueule, de toute façon t'existes pas.
Ça va fâcher des gens, eh bien tant pis. Parce que pendant que ça se fâche pour des histoires de morale, de posture et d'idéologie, des gens crèvent, souffrent, des gens ont besoin d'aide, de soins et d'écoute, ça c'est pas des mots, c'est pas des chiffres, c'est du concret, c'est du réel, et il faut faire avec.
Si les salles d' injection se mettent en place, ça ne changera pas ma vie. Moi, je fais partie de cette énorme majorité de toxicos qui ne se shootent pas. Cette majorité qui sniffe et/ou qui fume, plus ou moins planquée dans le décor. Et à vrai dire, j' ai une liste de critiques longue comme un bras à délivrer au sujet des salles de shoot.
Un dispositif à parfaire, en lien avec les forces de l'ordre
La plus importante étant qu'à mon sens, mettre en place un tel dispositif, si ce n'est pas accompagné d'une révision de la loi de 70, ça n'aura des effets que très limités. Pour une raison toute simple : après des décennies de harcèlement policier (oui oui, je pèse mes mots), peu nombreux sont les toxicos qui vont oser se pointer dans une institution en tant que ce qu'ils sont tout en se sentant en sécurité.
Vraiment, on a beaucoup de mal à croire que les flics vont savoir résister à une aubaine pareille. Et puis on connaît le truc, ne vous inquiétez pas, c'est sous contrôle, vous avez des droits, jusqu'au jour où bing, ha bah oui mais non, là y a exception, c'est pour votre sécurité vous comprenez.
On m'a dit qu'en cas de mise en place du dispositif, il y aura des accords avec la police, comme ce serait apparemment déjà le cas actuellement avec les quelques associations d'aide aux toxicos en place. J'imagine que pour un citoyen lambda, c'est un gage de viabilité suffisant. Mais quand on fait partie d'une communauté harcelée et traumatisée par la police depuis des décennies, ça sonne surtout comme une vaste blague.
Élargir les dispositifs sanitaires aux autres toxicomanies que celles par injection
Aussi, je ne comprends pas qu'on ne s'intéresse qu'aux injections. C'est clairement le mode de consommation le plus dangereux qui existe, mais le sniff ou même la fume sont aussi des pratiques qui ont leur lot de problèmes sanitaires.
Et en plus, ce sont les pratiques de consommation les plus répandues. Et compte tenu du vide thérapeutique auquel on est confronté(e) quand on est toxico, permettre de faciliter les contacts avec des soignants, ce serait vraiment pas un luxe.
Et puis en réfléchissant, je me suis rendu compte que la particularité du sniff et de la fume, c'est que ça se faisait "tout seul". Je veux dire, on peut pas le faire à ta place. Et je me demande si dans le fond, c'est pas ce qui dérange.
Parce que dans le dispositif tel qu'il est prévu, ce sont des soignants qui injectent des malades, et à ces malades, on est pas censés apprendre l'autonomie. Finalement, tout va bien, le paternalisme est sain et sauf, et la négation du toxico en tant que sujet actif reste sauve. Amen.
Pour finir, rien à l'horizon pour étudier et comprendre les mécanismes toxicomaniaques. Pourtant les chiffres gonflent...
Pour autant... J'espère sincèrement que les choses vont se mettre en place.
Une avancée bénéfique malgré tout
D'une part parce que ça ne concernera peut-être que très peu d'entre nous, mais ceux qui le seront ne seront pas n'importe lesquels : il s'agira des plus précaires, ceux qui se shootent au chrono dans les chiottes publiques ou celles du McDo parce qu'ils n'ont nulle part d'autre où aller, "oh et puis tant pis pour le nettoyage du matos, si je me magne pas je vais finir au trou" : ce genre de choses arrivera encore, mais ça arrivera moins.
Ceux qui se shootent à quatre avec une même seringue et qui se charcutent littéralement tout le corps à la lumière d'une bougie chauffe plat, squat de fortune sans eau ni électricité, pareil, ça arrivera encore, mais ça arrivera moins.
Et puis ceux qui se shootent dans des cages d'escalier, dans les parcs publics, n'importe où pourvu qu'ils puissent se planquer, tout ça c'est des souffrances atroces qu'on pourra faire diminuer.
D'autre part, mettre en place des salles d'injection, ça veut dire nous donner le droit d'exister, un peu, un tout petit peu, mais quand même. Ça veut dire aussi, faire grossir le parc de soignants compétents, et ça ça urge juste à mort. Ça veut dire ouvrir une page, la toute première depuis la Méthadone, dans laquelle on écrira une autre histoire que celle d'une guerre.
Ça veut dire redonner de l'espoir à des gens qui ont oublié qu'ils avaient des droits. En fait ça veut dire plein de choses, mais en résumé c'est surtout : "Vous êtes là, on le sait, on comprend un minimum votre maladie, et on vous redonne le droit de vivre un tout petit peu avec nous, regardez, on vous a même fait une petite place".
Ça n'a l'air de rien, mais franchement c'est énorme.
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http://www.famillechretienne.fr/societe/sante/salles-de-shoot-peut-mieux...
Protestations médicales
Les choses ne sont pas aussi simples… D’un point de vue médical d’abord, l’ACADÉMIE DE MÉDECINE FRANÇAISE a fait part de son opposition dans un communiqué repris par Le Figaro « La mise à disposition de ces salles d’injection aurait pour effet de sortir, de facto, les drogues les plus détériorantes du statut illicite où elles sont actuellement et de REMMETTRE AINSI EN QUESTION L'IMAGE RÉPULSIVE QU'IL CONVIENT DE LEUR CONSERVER pour éviter toute confusion dans la population, en particulier, chez les jeunes »...
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