Karzaï, le Parrain de l’Afghanistan (10) : la province perdue

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par morice lundi 12 juillet 2010 - 2 réactions

Karzaï, le Parrain de l’Afghanistan (10) : la province perdue
La province d’Helmand est devenue en quelques mois l’objet de toutes les sollicitudes américaines. La région qui fournit le plus de drogues, qui vient d’ajouter à ces fabuleux tonnages de production d’opium ceux de haschich, est en effet un enjeu vital pour tout le monde étant donné que c’est elle qui procure les plus hauts revenus au pays. Nous venons de voir que l’offensive US qui s’y est tenue n’était qu’un nuage de propagande destiné à aveugler l’opinion américaine. Le nuage une fois dissipé, il reste une gouvernance plus qu’aléatoire et ce nouveau problème d’accusations portées sur une ONG italienne, qui cachent difficilement l’échec complet du gouvernement dans cette région comme dans les autres. L’heure du bilan Karzaï est arrivée : il est catastrophique, et n’augure rien de bon pour les années venir. Le problème de son maintien demeure, tout en sachant que personne aujourd’hui ne peut redresser une barre aussi faussée par la drogue et la corruption.

Voilà donc pour Obama, qui profite de l’aubaine pour redorer son blason auprès des américains partisans de la guerre, mais la réaction du gouverneur, qui souhaite ouvertement faire de la province d’Helmand un "nouveau Dubaï" n’est pas la même. N’ayant en rien bénéficié de l’offensive, côté image de marque, il lui faut réagir : sa décision est prise. Il fait planquer des vestes de kamikazes, munies de bombes, dans l’hôpital italien, aidé par la CIA dont s’est la spécialité, et déboule avec des soldats anglais pour fabriquer un false flag à sa manière, réinventant l’opération des Irlandais de Vincennes sous Mitterrand. Il en tient enfin, des talibans ! Enfin, à défaut, il tient ceux qui les aident, selon lui ! Une accusation téléphonée, venant d’un homme que l’on peut facilement et largement soupçonner de compromission avec l’occupant. Mangal a en effet un vieux passé de girouette en politique : en 1970, il travaillait pour le ministre de l’industrie du gouvernement installé par les soviétiques, avant de subitement retourner sa veste quand il a vu les talibans arriver. Il en est aujourd’hui à la troisième, de veste, cette fois aux couleurs du clan Karzaï. Celui des traîtrises et des coups bas, de la compromission avec l’industrie du crime organisé et des vendeurs de drogue. Celui de ceux qui veulent la peau des humanitaires car ils dérangent tous leurs plans et perturbent tous leurs trafics !

Un Gulab Mangal bien hyprocrite, qui reconnaît ailleurs qu’il n’est en fait chef de pas grand’chose et "que les talibans ont le contrôle pur et simple de trois des 13 districts de la province". Comptez 10 plutôt que 3 dans sa bouche ! Mais aussi que "dans la plupart des autres districts, les seuls domaines où le gouvernement a le contrôle sont les capitales de district, selon les habitants et certains fonctionnaires du gouvernement". Bref, sorti des villes, le pays est toujours aux mains des talibans ! Au même endroit, un habitant décrit les talibans de Marjah de cette façon : "ils sont partout dans la ville. Ils laissent leurs armes chez eux à la maison et viennent dans la ville. " Ils n’avaient donc même pas quitté la région pendant l’offensive, seuls les paysans ont fourni l’exode ! Plus loin encore, on relève un gouverneur nommé par Mangal, gouverneur de rien, Abdul Razik, qui n’a pas pris son poste du district de Bahgran.. de peur des talibans : "Comment puis-je y aller moi-même si ses zones sont sous contrôle ?". "Nous n’avons pas assez de soldats ou de la police pour venir avec moi. Je ne peux pas y aller seul." Quel aveu d’impuissance et quelle forfanterie de la part de Mangal, qui ne fait que répercuter les directives de la CIA et de Karzaï : faisons peu de choses, mais parlons-en beaucoup dans les médias !

Mais surtout pas un mot sur la triste réalité qui l’entoure : en juin 2009, un raid des agents narcotiques de la DEA aboutissait au commandant des forces de police de Kandahar, nommé Shar Shahin. Le raid, avait été lourdement préparé, et comportait 37 agents, venus par hélicoptères, deux MI-17, et cinq UH-1H Hueys et un antique DC-3 équipé du même matériel que celui des narcos colombiens. Au bout du compte, ce jour-là, il y en avait pour 4,3 tonnes d’opium ! L’enquête démontrait l’implication directe d’agents mercenaires de DynCorp, ceux-là mêmes qui avaient été chargés de former les policiers agfhans ! Un raid similaire l’année précédente, baptisé opération Albatross II, dans la région de Spin Boldak avait découvert un dépôt incroyable de 262 m3 de haschich, l’équivalent de 30 bus londoniens à deux étages !

L’homme relié à ce dépôt était le commandant des forces de police du coin : le major général Abdul Razziq, surnommé "l’ennemi des talibans"...mais aussi "The Godfather", "réputé proche du président afghan Hamid Karzaï, est fortement soupçonné de profiter financièrement du trafic de drogue qui transite par la frontière qu’il contrôle" disait de lui l’AFP... les américains, selon l’agence, "fermant les yeux sur ses agissements". Un bien étrange général, qui sait lui où sont disposées les fameuses mines ou IEDs : "Mais les forces américaines préfèrent ne pas spéculer sur la zone d’ombre du "parrain". Le "général" Razziq a notamment une connaissance pointue de l’emplacement des IED dans la région. Ces derniers jours, un convoi de blindés américains, parti pour une mission de reconnaissance, a dû rebrousser chemin, le terrain difficile ayant endommagé les véhicules de déminage. Le "général" Razziq et ses hommes, eux, attendaient au point de rencontre prévu, après avoir contourné en Humvee la zone truffée de bombes artisanales." Comment peut-il le savoir... mystère... il a moins d’appareillages de détection que n’en a l’armée américaine... à moins d’être de mèche avec les planteurs de bombes ?

Le nœud de l’affaire, cette fois n’étant pas autour de DynCorp, mais autour d’un autre groupe de mercenaires : "le colonel afghan part passer ses troupes en revue. A Spin Boldak, la police des frontières n’est pas formée par les forces internationales mais par le groupe américain de sécurité ex-Blackwater, rebaptisé Xe après les scandales qui ont entaché sa réputation en Irak. Blackwater, Dyncorp, Razziq, même combat ? L’argent facile, là où il se trouve ? Et l’armée américaine, avec ses moyens de détection, incapable de savoir où se niche un dépôt de plus de 250 m3 en plein désert ? De 237 tonnes de haschich ? Mais de qui se moque-t-on ? Le "Godfather" Karzaï a de la concurrence avec un autre "Godfather", portant cette fois l’uniforme de la police afghane ?

Reste en ce qui concerne nos médecins italiens l’aide qu’ils pourraient espérer de leur propre pays. Or, de ce côté, il n’y a rien à espérer de la part du gouvernement de Silvio Berlusconi. "Et le gouvernement italien dans tout cela ? Bien qu’il se soit, paraît-il (?), activé immédiatement, son comportement n’est pas des plus chaleureux, je dirai même qu’il donne l’impression de prendre ses distances. Car lui non plus, il n’aime pas Emergency : parce que les témoignages d’Emergency ternissent continuellement l’émouvante et rutilante image médiatique de la « Mission de Paix » des 3 150 Italiens de la FIAS/ISAF, que le monopole des médias passe volontiers en boucle ; parce qu’Emergency dément les « bienfaits » des frappes, parce qu’Emergency donne visibilité aux chiffres du gâchis, parce qu’Emergency, en quelque sorte emblème de la résistance à tous les mensonges, est très appréciée par une bonne partie des Italiens, qui, lors de leur déclaration d’impôt, l’ont mise à la tête de la liste des organismes, associations, ONG, etc. pour l’attribution du 5 pour mille (*) ." On ne peut mieux dire : ce sont les italiens qui avaient révélé en premier le principe du paiement des talibans à Kapisa, ce fameux "péage"pour ne pas être attaqués ! Principe qu’a ignoré à ses dépens, hélas, l’armée française ! Nous y reviendrons demain encore, sur ce sujet, si vous le voulez bien.

Les infirmiers italiens ont bien fait l’objet de tirs croisés : de Karzaï, de son administration corrompue, et de l’armée américaine qui ne supporte pas qu’on lui rappelle que la moitié du pays a été miné par des engins lui appartenant :"En résumé, il semble que cette fois-ci Emergency soit le carton d’un concours de tir (**) : de la part du gouvernement afghan qui ne supporte ni l’indépendance de son aide, ni le fait qu’elle soit respectée par l’ensemble de la population afghane, quel que soit son bord ; de la part des forces multinationales de la FIAS/ISAF qui ne veulent plus aucun témoin de leurs « effets collatéraux », et du gouvernement italien qui n’en peut plus de cette épine dans le flanc qui met à nue ses incohérences mensongères".

Alors "Que faire", comme dirait Lénine ? Eh bien pas grand’chose à moins de changer toute la clique gouvernementale, seul moyen de s’attaquer à la corruption qui mine tout le pays jusque ses moindres recoins. Le mal est très profond ! Mais il y en existe un, qui a trouvé la solution miracle : "Nous devons revenir au système tribal", nous dit cet homme qui connaît si bien ce pays, qui assène un argument massue pour assurer ses dires :"vous ne pouvez pas corrompre 50 anciens mais vous pouvez facilement corrompre un juge isolé. ... Soixante-dix pour cent des problèmes peuvent être résolus par les anciens." Cet homme, c’est Wali Karzaï, qui ne fait aucun cas du parlement et du débat démocratique et avoue corrompre facilement la justice de ce pays, qui n’en a donc pas aujourd’hui de véritable. L’Afghanistan et la démocratie ? La greffe n’a toujours pas pris. Elle ne prendra pas de si tôt !

Le bilan est donc lourd, très lourd, la liste des mafieux plutôt longue, et il est difficile de trouver une solution au problème Karzaï , comme le dit Peter Galbraith : “Il ne s’agit pas de le raisonner. Il a dirigé depuis huit ans un gouvernement corrompu et inefficace. Il est maintenant au pouvoir grâce aux fraudes, délégitimé aux yeux de nombreux Afghans : de ce fait, il ne peut pas être un partenaire fiable. Ce n’est pas un problème soluble". Pas "soluble" ? Il fut un temps où on arrivait à "dissoudre" (ou "dessouder" ?) n’importe qui, pourtant, à la CIA... Car dans cette histoire de frangins au départ de notre dossier , Wali et Hamid, nous en rappelle fortement une autre ! Rappel : en 1963, cela faisait déjà neuf ans que Ngo Dinh Diem, fils de mandarin dans le gouvernement de l’Empereur Bao D?i, était à la tête du Sud Vietnam (sous Eisenhower donc). Selon l’ancien Secrétaire d’Etat John Dulles, Diem était "le meilleur à leur disposition", comme Karzaï pour l’équipe Bush. Mais cela c’était pour la devanture : le comportement de Diem, sa tyrannie et son despotisme, ces frasques et ses relations avec les américains avaient fini par les lasser. C’est son frère cadet Ngô Dinh Nhu, chef des milices privées dotées de tortionnaires, et organisateur du trafic d’opium (***), mais aussi grand admirateur d’Hitler, qui causera en fait sa perte. Sa femme avait pourtant eu les honneurs de Time, au frangin ! Un coup monté de la CIA avec des comploteurs comme Du’ong Van Minh, les éliminera tous les deux promptement à l’arrière d’un véhicule de transport de troupes vietnamien.Mitraillés alors qu’ils se rendaient, ayant été arrêtés par Minh, avec comme explication donnée aux médias une grotesque et improbable "altercation" où ils se seraient mutuellement abattus ! Les gardes du corps de Minh, le capitaine Nguyen Van Nhung et le major Du’ong Hieu Nghia les avaient en fait purement et simplement assassinés.

Reste plus qu’à vérifier l’engagement personnel des gardes personnels de Karzaï : ce sont tous des mercenaires américains de chez DynCorp. Je serais de lui, j’en changerais, où je leur éviterais de tomber sur les cassettes de l’histoire des frères Diem. Ils ont beau avoir été choisis soigneusement après une première tentative d’assassinat... un bon paquet de dollars pourrait en faire changer d’avis un ou d’eux. A condition que la somme que cela représente dépasse l’équivalent de 30 bus anglais à impériale remplis de hasch ?

(*) "C’est un mécanisme de contribution sociale au volontariat, à la recherche, aux ONG no profit, aux associations sportives, etc... Dans sa déclaration d’impôts, le contribuable italien peut désigner l’organisme, l’association, etc. de son choix auquel l’Etat reversera le 5%0 des impôts qu’il aura payé".

(**) La réponse cinglante aux accusations calomnieuses de Gino Strada sur La Repubblica :
"On introduit quelques armes dans un hôpital – directement ou avec la complicité de quelqu’un qui y travaille -, puis on donne le via à l’opération... Des troupes afghanes et anglaises encerclent le Centre chirurgical d’Emergency à Lashkar-gah, puis elles y entrent la mitraillette au poing et vont là où elles savent qu’elles vont trouver des armes, car, pour autant que nous sachions, aucun autre endroit n’est perquisitionné. Elles vont directement vers un magasin, n’ont pas même besoin de contrôler les centaines de cartons qui se trouvent sur les étagères, car les deux cartons avec les armes sont déjà – Oh ! quelle surprise ! -, sur le sol, au milieu de la pièce. Une caméra et les jeux sont faits".

"Même un dément ne croirait pas à de telles accusations ! Pourquoi donc devraient-ils faire une chose pareille ? A Lashkar-gah, la majorité des missiles et des bombes ont pour objectif le palais du gouverneur. Qui pourrait bien être assez stupide pour payer 500.000 dollars pour un attentat qu’on essaie déjà d’accomplir tous les jours et gratuitement !? (...) Ce coup monté est destiné à se dégonfler, malgré la complicité de quelques personnes médiocres - quelle honte pour notre pays ! – qui essaient de la tenir sur pied entre insinuations et calomnies, dans la tentative de discréditer Emergency, son travail et son personnel (Traduction de l’italien par ImpasseSud, impassesud.joueb.com)."

(***) Extrait du livre "Les complots de la CIA" d’Antonel, Jaubert et Kovalson (Stock, 1976) : "... la C.I.A. a financé l’armée secrète constituée avec les débris de l’armée nationaliste chinoise réfugiée en Thaïlande, le K.M.T. Nhu travaillait en liaison étroite avec ces armées évoluant dans le triangle d’or de l’opium. Pour financer la corruption et l’entretien de sa police secrète, il organisait, avec la collaboration de la C.I.A. par l’intermédiaire des compagnies aériennes contrôlées par l’Agence, comme Air America, le trafic de l’opium avec les Méos du Laos. Il avait ainsi la haute main sur la route de l’opium du Laos vers le Sud-Vietnam".
Voir sur le site: Documents joints à cet article

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