Portugal-La dépénalisation de la consommation de toutes les drogues n’a entraîné ni explosion du trafic ni tourisme de la drogue
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Drogues mardi8 juin 2010
Conseiller au lieu de punir, ça marche
Sylvie Arsever
Depuis 2001, consommer une substance illégale ou en détenir une petite quantité n’est plus un délit au Portugal. Les contrevenants sont convoqués par une commission de dissuasion qui leur propose des mesures d’appui
C’est un article laudateur publié sous l’égide d’un think tank libéral américain, le Cato Institute, qui a allumé les projecteurs. La dépénalisation de la consommation de toutes les drogues adoptée en 2001 par le Portugal n’a entraîné ni explosion du trafic ni tourisme de la drogue. Le pays fait au contraire figure de bon élève en la matière. Et les préventions d’origine ont si bien disparu que le Monsieur drogues lusitanien, Joao Goulao, a été désigné comme président de l’Observatoire européen des drogues. Il est cette semaine en Suisse pour y présenter cette politique à des représentants du monde politique et au public.
Le Temps: Dépénaliser les drogues, c’est une proposition facile à faire passer politiquement?
Joao Goulao: Au Portugal, cela s’est passé assez facilement pour des raisons historiques. Après la Révolution des œillets [avril 1974], l’ouverture du pays et le retour d’Afrique de soldats et d’émigrés qui avaient pris l’habitude de consommer surtout du cannabis ont favorisé une véritable flambée où l’héroïne tenait la vedette. A la fin des années 1990, un Portugais sur cent avait un sérieux problème d’addiction. Tous les milieux sociaux étaient touchés et la drogue était la principale préoccupation mentionnée dans les sondages.
– Et une telle situation favorise les solutions peu répressives?
– Tout le monde connaissait au moins un toxicomane. Et savait que ce dernier avait besoin d’aide mais n’était pas un criminel. Le gouvernement a créé une commission d’experts, dont j’ai fait partie et dont les propositions ont été adoptées. Il s’agissait de continuer à lutter contre le trafic, de réduire la demande par la prévention et par la multiplication d’offres de traitement et d’endiguer la progression du VIH parmi les toxicomanes. Pour atteindre ces deux derniers buts, il était indispensable d’entrer en contact avec le plus grand nombre possible d’usagers. Or ces derniers se méfiaient des centres de traitement par peur d’être dénoncés à la police.
– D’où l’idée de dépénaliser?
– Cela nous a paru plus logique. Mais nous n’avons pas voulu brouiller les signaux. La consommation et la détention de petites quantités d’une drogue illégale continuent à justifier une arrestation. Simplement, cette arrestation ne débouche pas sur la filière pénale. Les contrevenants sont présentés à une commission de dissuasion, composée d’un juriste, d’un psychologue et d’un travailleur social qui peut les orienter vers un traitement ou se borner à un avertissement. Ce système fonctionne surtout comme un signal d’alerte pour les nouveaux consommateurs. Pour les personnes déjà dépendantes, elle conduit en général à une réévaluation du traitement.
– Et les consommateurs font confiance à cette commission?
– Ils ne sont pas ravis d’être arrêtés. Mais ils sont vus par des professionnels, et ça se passe bien. Le plus souvent, les solutions proposées sont légères: discussion sur la situation personnelle, intervention éventuelle sur les points qui posent problème.
– Les policiers ne sont pas désarmés dans leur lutte contre le trafic?
– C’est l’une des craintes qui avait été exprimée. Mais la police a pu se concentrer sur la collaboration nationale et internationale et aujourd’hui, au lieu de saisir des grammes et des kilos, elle saisit des tonnes.
– Et les résultats?
– La dépénalisation n’a provoqué aucune explosion de la consommation. Le Portugal reste l’un des pays où la prévalence des drogues est basse. L’héroïne est en net recul comme ailleurs en Europe. Le nombre des personnes gravement dépendantes a diminué de moitié, les infections par le VIH reculent et la drogue a passé au 12e rang des préoccupations. Et surtout la consommation de drogues est en recul parmi les 15-19 ans. Cela dit, je n’attribue pas ces résultats à la seule dépénalisation. Cette dernière fait partie d’un tout sans lequel elle n’aurait pas grand sens.
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