Vers le pot en aérosol

La Presse, samedi 26 janvier 2002, p. A13
Perreault, Mathieu

Profitant de l'intérêt de nombreux gouvernements pour les applications thérapeutiques de la marijuana, des compagnies américaines et britanniques tentent d'administrer la drogue au moyen de pilules, de vaporisateurs et de timbres. Les groupes de pression pro-marijuana, qui pensaient que ses usages thérapeutiques mèneraient à une légalisation des joints, sont pris de court.

Cette semaine, le groupe torontois Médecins pour un Canada sans fumée a dénoncé les recherches sur les cigarettes de marijuana financées par le ministère fédéral de la Santé. Pourquoi ne pas essayer plutôt des pilules, des timbres, et pourquoi pas, des gâteaux? demandait l'association, qui s'inquiète des impacts néfastes de la fumée sur les poumons.

Les pilules de marijuana existent depuis une quinzaine d'années. Aux États-Unis, au Canada et dans certains pays d'Europe, la compagnie Solvay vend depuis 1987 sur ordonnance la pilule Marinol, comme stimulant de l'appétit, dont l'ingrédient actif est un composant du cannabis, le delta-9 THC.

Les autorités américaines ont même assoupli en 1999 les restrictions sur le Marinol, permettant sa vente en pharmacie plutôt qu'en hôpital. Les ventes ont grimpé à 20 millions US l'an dernier.

«Les avantages d'une pilule sont un dosage précis et l'absence de composés cancérigènes présents dans la fumée», explique Gabrielle Andres, relationniste chez Solvay. «Nos patients apprécient aussi que le Marinol ne crée pas d'euphorie comme les joints.»

Mais le Marinol a ses désavantages, selon Jean-Sébastien Fallu, président du Groupe de recherche et d'intervention psychosociale.

«La plupart des patients qui veulent fumer de la marijuana pour soulager leurs douleurs prennent déjà beaucoup de pilules, dit M. Fallu. Leur estomac tolère donc moins une autre pilule, ce qui est paradoxal compte tenu qu'il s'agit de susciter l'appétit. D'une manière plus générale, je trouve dommage que la médecine tente de contrôler et de synthétiser une pratique naturelle, une substance naturelle.»

Efficacité antidouleur

Le président du Bloc Pot, Marc Boris Saint-Maurice, se dit quant à lui favorable à des recherches sur de nouvelles voies d'administration de la marijuana.

Le problème des pilules est qu'elles transitent par le foie avant d'arriver dans le sang, estime Mark Ware, chercheur de McGill qui teste l'efficacité antidouleur des joints.

«Le foie transforme les composés synthétisés en d'autres composés qui n'ont pas nécessairement le même effet sur la douleur et l'appétit, explique le Dr Ware. Ce qui passe par les poumons, qu'il s'agisse de fumée ou du contenu d'un vaporisateur, va directement dans le sang. Je sais qu'une université américaine travaille sur un timbre de marijuana, mais encore là, je crois que ça transitera par le foie avant d'arriver dans le sang. Il y a aussi des recherches sur un suppositoire, qui permettrait aussi d'éviter le foie. Mais je ne crois pas que les Nord-Américains soient prêts pour cette avenue.»

Inquiet de la réaction de ses confrères médecins, le Dr Ware a précisé en début d'entrevue à La Presse que ses patients ne fumeraient des joints que pendant un mois. «Les effets néfastes de la fumée faisaient partie de nos préoccupations, et nous avons limité l'exposition.»

L'une des compagnies les plus avancées dans la recherche de moyens de remplacement pour exploiter le potentiel de la marijuana est britannique. En 1997, GW Pharmaceuticals a été choisie par le gouvernement anglais pour faire pousser de la marijuana, en vue de recherches sur le potentiel thérapeutique des joints. Depuis, GW a synthétisé divers composés du cannabis, et tente de les incorporer à un vaporisateur et à des cachets à utiliser sous la langue (qui éviteraient aussi le foie, selon le Dr Ware), et à un inhalateur.

Dépénalisation

GW s'est inscrite en Bourse il y a quelques années, et a vu ses actions prospérer au fil des différents projets de recherche sur la marijuana annoncés par le gouvernement de Tony Blair, qui envisage aussi la dépénalisation des fumeurs de cigarettes de marijuana. À tel point que certains investisseurs s'inquiètent maintenant de l'impact sur GW d'une légalisation de cette drogue, qui lui enlèverait son monopole si prometteur...