Spermaculture - Marchand de sperme : un métier d’avenir
Le monde sans femme meurt de lui-même. Tandis que sans homme, c’est très possible. Il suffit de garder une éprouvette, et on continue l’espèce.
PAR BENJAMIN STOCK, 16 FÉVRIER 2015
Le monde sans femme meurt de lui-même. Tandis que sans homme, c’est très possible. Il suffit de garder une éprouvette, et on continue l’espèce. Ce monde castré que Desproges imaginait existe déjà : c’est celui de l’élevage. Pour comprendre l’industrie discrète mais puissante de l’insémination artificielle, j’ai pris contact avec Priape (son nom a été modifié), technicien génétique pour une coopérative de plus de mille personnes. Je l’ai suivi pendant son travail et, ensemble, nous avons sillonné la région du Mans toute une journée pour vendre notre semence de taureaux…
Mélancolie de la vache sans son taureau.
Par un froid matin de janvier, sous un ciel au gris séminal, je retrouve donc Priape à la gare du Mans. Il me fait monter dans sa voiture de fonction, et m’explique qu’aujourd’hui nous rendrons visite à trois éleveurs pour observer les vaches qui s’accoupleront d’ici trois ou quatre mois, et leur choisir dès aujourd’hui les géniteurs idéaux qui compenseront certaines faiblesses ou gonfleront au contraire les qualités plus recherchées. Sans surprise, ces qualités répondent à des exigences d’efficacité. La vache idéale doit manger peu, vêler facilement, bien vieillir, supporter la traite, résister au maladies, et surtout, produire beaucoup de lait (de préférence un lait pauvre en cellules somatiques et riche en gras qui sera facilement transformé par l’industrie agro-alimentaire).
Spermaculteur
Pendant la route, Priape m’explique les origines ancestrales de son étrange métier… Comme tout le monde le sait (excepté la majorité des professeurs de biologie aux États-Unis), toutes les espèces évoluent. Il y a d’abord la sélection naturelle : les individus les mieux adaptés aux conditions environnementales (nourriture, relief, climat, etc.) se reproduiront mieux. Mais dans le monde de l’élevage, une autre forme de sélection tend à prendre le dessus : c’est la sélection artificielle qu’opèrent les hommes, aussi appelée amélioration génétique. En effet, depuis le Néolithique, les éleveurs choisissent pour les accouplements des animaux qui répondent le mieux à leurs besoins. Ces besoins eux-mêmes évoluent. On ne sélectionne plus, comme au Moyen Âge, les porcs qui produisent le plus de suif, ni les vaches en fonction de leur capacité à servir d’attelage.
L’amélioration génétique est donc aussi vieille que l’élevage lui-même, et concerne tous types d’animaux : volailles, chevaux, poissons… Mais c’est surtout depuis les années 1970 que les avancées techniques ont permis à l’amélioration génétique de prendre une ampleur industrielle. Les animaux de nos fermes sont radicalement différents de ceux que nos grand-parents pouvaient voir il y a un demi-siècle ; ceux-là étaient déjà très loin des animaux sauvages dont ils étaient issus. Surtout, dans les élevages bovins laitiers où les mâles sont considérés comme des poids encombrants, plus de 90 % des animaux naissent à présent d’inséminations artificielles, y compris dans le secteur bio. Le boom de production laitière de ces trente dernières années ne s’explique pas autrement…
Nous atteignons notre première ferme aux alentours de 10 h, on enfile nos cottes (sortes de bleus de travail agricoles), puis en compagnie du propriétaire, on s’aventure au milieu du troupeau qui compte environ 150 bêtes. Elles nous jettent des regards en biais, mi-curieux mi-inquiets. Priape les a toutes sur sa liste : il prend des notes. Surtout, on commente les mamelles. On traque les plus grosses, les plus roses. Et devant les plus beaux spécimens, on s’exclame.
Pour respecter leur anonymat, nous avons dessiné des cagoules sur les personnes photographiées (Priape porte la rose).
Après la visite, on se retrouve autour d’une table pour décider des futurs accouplements. Priape est une sorte de commercial et n’apporte avec lui qu’un catalogue pour présenter ses taureaux. Pour la race dont il s’occupe, on compte environ 300 mâles qui vivent dans une « station » (une sorte de ferme) : ils y mangent, dorment, et montent des vaches artificielles une fois par jour environ, ce qui est leur seule justification existentielle. Comme les robot-mixeurs ou les lave-linges, les mâles sont classés en quatre gammes : contours, avantage, luxury et prouesse.
Tinder d’étable
Sur Biscotte, je mettrais bien Grosmatou, pour lui redonner de l’aplomb. Et Mariette, on va lui réserver Groovy-Johnny, qui a un bon index lait. Priape suggère des unions et l’éleveur, dans l’ensemble, approuve ses conseils. Je parcours le catalogue et m’interroge sur le fait que la semence de Clunk ne peut être achetée que dans la limite des stocks disponibles. C’est un mauvais donneur, me dit Priape (comprendre : Clunk peine à jouir). Par contre, il est noté que la semence de Léonzitrone possède un pouvoir fécondant supérieur. Izydor, lui, brille par ses qualités, alors forcément sa semence coûte plus chère.
En parlant de prix, notez qu’une dose de quelques centilitres seulement coûte environ 15 €, et près de 50 € si la semence est sexée : c’est à dire qu’elle n’engendrera que des femelles. Car il est possible, à 93 %, de trier les spermatozoïdes mâles des spermatozoïdes femelles. Une seule entreprise au monde en est aujourd’hui capable : elle est américaine, s’appelle Sexing Technologies, possède un laboratoire en France, et le procédé qu’elle met en oeuvre est relativement compliqué.
Après une heure de discussion, les ventes sont conclues. Au printemps, un inséminateur parmi les centaines que compte la coopérative de Priape repassera pour inséminer les vaches avec les doses, qu’il apportera congelées à -196 °C dans des bonbonnes d’azote liquide. Et ça, c’est romantique.
On procède aux appareillements.
Priape et moi prenons notre pause-déjeuner dans un village et discutons du marché mondial du sperme autour d’une assiette de pâté en croûte. Sur la race dont je m’occupe, il n’existe que deux coopératives et elles sont françaises. Mais pour les autres races, notamment la prim’holstein, la concurrence est rude, m’explique-t-il. Amérique, Canada, Allemagne : les doses viennent de partout, et la semence des champions les mieux notés s’arrache au prix fort.
On règle l’addition. On roule jusqu’à notre deuxième rendez-vous. On enfile nos cottes, et on recommence.
« Ouh qu’elle est belle ! »
Pour Priape et ses clients, l’insémination artificielle coule de source et n’est pas prête de disparaître. Ça se développe partout, aussi dans le domaine de la viande, me dit-il. C’est parti pour durer. Pour maintenir une race, il faut en permanence ramener de l’originalité dans le pedigree, sans quoi elle dégénère. C’est un travail continu. Il rappelle aussi que la situation est pire dans le domaine végétal, où l’amélioration génétique ne relève plus des agriculteurs eux-mêmes, mais a été entièrement privatisée par les grands semenciers.
Paradoxalement, cette industrie tend à nourrir les maux qu’elle prétend guérir, et se trouve régulièrement pointée du doigt par l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui l’accuse d’appauvrir la biodiversité animale en ne favorisant que la diffusion d’un petit nombre de caractéristiques au sein d’un petit nombre de races à l’échelle mondiale. De plus, fatalement, le taux de consanguinité des élevages augmente et de nouvelles maladies apparaissent, contre lesquelles il faudra lutter par une sélection encore plus serrée des semences. Et ainsi de suite. Un cercle visqueux est à craindre.
Il s’avère donc que Desproges, en définitive, avait peut-être tort… Étonnant, non ?
Un vol de plus de 50 000$ en sperme de taureau | https://www.lesacdechips.com › Potins
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