Cohabiter entre les fumées

La belle saison, ce moment où on ouvre les fenêtres et on se pavane sur les balcons, dans les parcs ou au camping.

Cohabiter entre les fumées des barbecues
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Des arrondissements de Montréal interdisent les barbecues dans les parcs à cause de l’absence de bacs à cendre pour recueillir les résidus chauds en toute sécurité. Photo: Adil Boukind Le Devoir Sarah R. Champagne

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Mis à jour à 11h16
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La belle saison, ce moment où on ouvre les fenêtres et on se pavane sur les balcons, dans les parcs ou au camping. Entre plaisirs et désagréments, les voisins semblent en tout cas plus près que jamais. L’été, c’est fait pour cohabiter. Aujourd’hui, les barbecues au charbon : s’inquiéter ou se réjouir des fumées ?

Vous êtes dans un parc avec une progéniture qui tient à peine debout, des amis qui déballent leur pique-nique et quelques écureuils qui lorgnent le tout. Soudainement, toute la scène se trouve brouillée par un nuage de fumée émanant de plusieurs barbecues au charbon qui viennent d’être allumés autour de vous. Vous hésitez entre saliver ou tousser.

Maxime Lavoie, lui, n’aurait pas une seconde de doute à votre place : « Je ne connais personne dans le monde qui n’aime pas ça. C’est une odeur tellement rassurante. » Il se décrit comme un « fan fini » de barbecues au charbon, qui a fait de sa passion son travail, puisqu’il est devenu président de l’entreprise BBQ Québec.

Le gril, c’est une véritable culture pour lui : « Je peux t’en parler tout l’après-midi ; je suis assis dans l’herbe avec neuf barbecues derrière moi », relate-t-il. Le charbon de bois est privilégié par des adeptes comme lui, car il « infuse » les aliments et leur donne un goût caractéristique.

M. Lavoie se souvient quand même du temps, quand il vivait à Montréal, où il allumait son barbecue à briquettes « en paniquant un peu » que ses voisins allaient se plaindre des odeurs et de la fumée : « Mais, au contraire, ils finissaient par venir me dire qu’ils “tripaient” sur le barbecue au charbon eux aussi. »

En ville, à défaut d’avoir accès à un feu de camp, l’odeur de la viande qui grille — ou du chou-fleur tient-il à ajouter — peut devenir une évocation des vacances ou des souvenirs forts… à condition que ce soit de la « bonne boucane ».

L’idée est d’accélérer le processus d’allumage, pour que la combustion entre 0 et 400 degrés se fasse sans dégager un nuage qui pourrait potentiellement alerter les pompiers. Certains dispositifs existent, ou plus simplement un éventail de fortune, pour aider la circulation de l’air et soutenir cette bonne combustion. « Tu n’es jamais censé étouffer à côté », explique le père de famille.

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S’en préoccuper ?
La réglementation autour du chauffage au bois n’a jamais été si sévère à Montréal, et bientôt à Québec. La fumée incommodante des feux de forêt de l’an dernier n’est pas non plus si loin pour nombre de résidents du Québec. Même la SEPAQ s’est récemment engagée à mieux informer les campeurs de la présence de particules fines attribuables aux feux de camp dans les prochaines années. Les barbecues au charbon seront-ils la prochaine source de pollution atmosphérique à déclencher les passions ?

Il n’y a pas d’études connues sur le sujet au Québec ni même au Canada, selon deux experts que Le Devoir a consultés.

Certains arrondissements de Montréal les interdisent dans les parcs. La raison principale n’est toutefois pas les fumées dégagées, mais l’absence de bacs à cendre pour recueillir les résidus chauds en toute sécurité. « Nos équipes ont fait face à plusieurs situations dangereuses causées par l’utilisation de barbecues au charbon dans les parcs, comme des arbres en feu, des cendres chaudes jetées dans le lavabo de toilettes, ou encore des tables à pique-niques et des racines d’arbres brûlées par des braises », nous écrit par exemple une chargée de communication de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie.

La Dre Ève Riopel, pédiatre et membre de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME), s’est prêtée au jeu de rechercher la documentation qui aborde le sujet. Après une revue rapide de la littérature scientifique, elle conclut : « Tant le fait de respirer les inhalations que de consommer la viande cuite sur un barbecue au charbon peut nous exposer à des agents cancérigènes. »

Elle est cependant loin de prendre un ton alarmiste. Un chercheur polonais, Artur Jerzy Badyda, a notamment mené plusieurs études sur cette question. Dans un article scientifique de 2022, il explique avoir mesuré l’exposition principalement aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et au benzène selon différents barbecues. Résultat : l’exposition à ces substances est de loin la plus grande pour l’appareil au charbon en comparaison d’un appareil électrique ou à gaz.

D’autres études tendent à démontrer que la concentration de ces polluants diminue rapidement dès qu’on s’éloigne, ne serait-ce que de moins d’un mètre : « On est donc dans rien de catastrophique pour les voisins », note Mme Riopel. Le plus exposé reste donc celui ou celle « qui a la tête dans le gril », note-t-elle.

Tant le fait de respirer les inhalations que de consommer la viande cuite sur un barbecue au charbon peut nous exposer à des agents cancérigènes.

— Ève Riopel
Par rapport à la combustion du bois en hiver, il faut rappeler que l’exposition est limitée dans le temps. « C’est très ponctuel et local », dit Stéphane Buteau, professeur et chercheur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« Du point de vue de la santé, les expositions de courte durée peuvent exacerber les problèmes existants respiratoires et cardiovasculaires », note-t-il, en précisant qu’il ne connaît pas d’études sur les barbecues au charbon précisément.

« On n’a pas un mode de vie qui fait en sorte qu’on est exposés de manière continue et répétée à des fumées de barbecues », rappelle le spécialiste, mais ça n’empêche pas de se sentir potentiellement incommodé ou de ressentir des inconforts sur le moment.

À long terme, la pollution ambiante favorise le développement de maladies chroniques, mais elle est plutôt liée aux émissions des véhicules routiers ou au fait de vivre près d’une industrie, ajoute M. Buteau. « L’élément qui influe le plus sur la concentration de particules fines dans l’air, la principale catégorie émettrice, c’est vraiment le transport routier », souligne Mme Riopel.

Vaut-il donc mieux faire un barbecue dans sa cour plutôt que de rouler des centaines de kilomètres ? « Je n’ai pas la réponse, c’est une tout autre comparaison », dit la médecin en riant.

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