Cannabis - Interdiction de 4 plantes au Québec seulement
Vous devez vous battre pour votre droit de planter ! ;O)
https://youtu.be/eBShN8qT4lk
Interdiction de 4 plantes au Québec seulement
Pour punir les adultes légaux, protéger les profits du monopole
et des organisations criminelles !
La Cour suprême du Canada a tranché*, il est illégal de cultiver du cannabis
à des fins personnelles au Québec et ce même si la loi canadienne le permet.
Donc au lieu de dépenser du temps et de l'argent pour les avocats.
Il serait préférable de fournir aux producteurs perso
l'adresse d'un médecin compétant en cannabis !
Qui seraient exclus de la production perso ! Les rats des villes.
Les mêmes Québécois qui n'ont pas le droit de consommer
dans leurs logements, sur leur balcon, dehors.
Qui profiteraient de cette production perso !
Ceux qui ont une maison, un terrain.
Pour une personne qui a sa maison, son terrain,
qui fourni un endroit légal de consommation, qui paye son électricité,
quelles sont les probabilités de détection, même par hydro panne,
de la culture de 4 plantes à l’intérieur sous LED ?
Growing 4 Micro-Cannabis plants with TempleGrower
https://youtu.be/H2_17BhcFn8
TempleGrower's 6 plant Cannabis MicroGrow - The Beginning
https://youtu.be/zqN-J1L5FN0
La légalisation du thérapeutique et de sa culture il y a 23 ans
a fait avancer la technologie rapidement.
Avec des tentes de cultures qui ont des système automatisés, ou non,
une aération ventilation et contrôle des arômes
et qui empêchent les problèmes de moisissures.
« De plus la SQ qui protège les profits du monopole prétend s’en prendre aux gros joueurs ».
Les personnes de villages qui ont d'immense terrains de cuture.
4 plantes femelles de cannabis ne dérangeraient pas les voisins.
Ce que plusieurs font déjà.
* Bien que le fédéral autorise les Canadiens de cultiver jusqu’à quatre plants
de cannabis à la maison, au Québec, cette culture demeure illégale. Dans une
décision rendue en avril 2023, les juges de la Cour suprême ont confirmé que
le gouvernement du Québec a le droit de rendre illégale la culture de la
marijuana à domicile malgré le fait que la loi provinciale soit en
contradiction avec la loi fédérale.
Selon la décision de la Cour Suprême, le gouvernement provincial
a la compétence pour imposer cette interdiction
pour des raisons de santé et de
sécurité publique.
Rappelons que :
des profits du monopole : 50 % va au ministère de la "Sécurité publique" et à la "l'injustice".
https://blocpot.qc.ca/fr/forum/8002
Québec - Parce que chaque vie compte :
Caribous 59,5 millions de dollars.
Stratégie nationale de prévention des surdoses 15 M $.
Que l'interdiction de 4 plantes « n'a rien à voir avec la santé publique ».
« La réduction des méfaits ».
Ainsi que la mise en contact des adultes légaux du Québec,
par les alcoalisés, avec les organisations criminelles
qui est plus dangereuse que le cannabis et que la production perso !
Légalisation du cannabis
Le Canada a légalisé le cannabis en 2018
et il existe plusieurs jugements concernant la légalisation de cette culture.
Un citoyen a d’ailleurs contesté l’illégalité de posséder et de cultiver des
plants de cannabis à domicile, affirmant que cette loi est
inconstitutionnelle dans la mesure où elle est plus restrictive que la loi fédérale*.
En 2019, la Cour supérieure du Québec lui avait donné raison en déclarant
que les Québécois pouvaient posséder et cultiver des plants de cannabis pour
des fins personnelles. Ce jugement avait donc rendu la culture du cannabis,
à domicile, légale au Québec.
Toutefois, insatisfait de cette conclusion, le gouvernement provincial fait
appel de ce jugement et il a été renversé. La Cour suprême a donné raison
aux juges de la Cour d'appel du Québec en validant leur décision. Il est
donc dorénavant interdit de cultiver ou de posséder des plants de cannabis
au Québec sous peine d’amendes allant de 250$ à 750$.
Le Québec n’est pas la seule province à interdire
la culture du cannabis à des fins personnelles,
le Manitoba a également emboîté le pas
et d’autres provinces pourraient suivre.
2024
Aujourd’hui le Québec
Anti : Légalisation Harmonisation,
Justice Égale Pour Tout Le peuple Du Québec Et Droits Humains
est LA seule province à interdire la culture personnelle.
Le Manitoba ayant accepté la Légalisation Harmonisation
incluant la production personnelle.
https://blocpot.qc.ca/fr/forum/7999
Le Manitoba permet maintenant aux résidents
de cultiver jusqu’à quatre plants de cannabis par résidence
Et aucune province et territoire qui « auraient pu » n’a suivi !
Aucune ne retournerait à la criminalisation injuste !
Pour contrer cette injustice des caquiste alcoalisés
autoproclamés tarés humains.
Qui se cachent derrière le :
À l'impossible le nul (qui a le pouvoir du nombre et le baillon) n'est tenu.
Alors que les 9 provinces et 3 territoires ont réussi l'impossible en 5-6 ans.
« Il faut passer par le menu qu'offre le thérapeutique
pour le droit à sa culture et la protection des abus policiers ».
Dans une émission humoristique une personne voulait du cannabis.
Derrière le médecin il y avait le menu avec toutes les maladies
que le cannabis médical pouvait soulager.
Alors que le patient cherchait le médecin pointait le menu.
"Devoir mentir pour obtenir ce que tous les Canadiens ont droit depuis 2018".
Refusé aux Canadiens du Québec la seule province anti justice égale et culture perso.
MENU
Dans quelles situations médicales l'usage du cannabis thérapeutique est-il autorisé ?
L'usage du cannabis est autorisé dans les situations suivantes :
Douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles
Certaines formes d'épilepsie pharmaco-résistantes
Certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou au traitement
anti-cancéreux
Situations palliatives
Spasticité douloureuse de la sclérose en plaques
ou des autres pathologies du système nerveux central.
Il a des propriétés anti-inflammatoires,
anti-douleur et pour calmer l'anxiété, entre autres.
(Si l'interdiction de la culture de 4 plantes vous rend anxieux...)
À quelles conditions est prescrit le cannabis thérapeutique ?
Les médicaments contenant du cannabis sont prescrits en cas de :
Soulagement insuffisant
Ou d'une mauvaise tolérance des thérapeutiques accessibles,
qu'elles soient ou non médicamenteuses.
*Jugements de la Cour suprême Murray‑Hall c. Québec (Procureur général)
https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/19829/index.do
Jugements de la Cour suprême
Murray‑Hall c. Québec (Procureur général)
Collection Jugements de la Cour suprême
Date 2023-04-14
Référence neutre 2023 CSC 10
Numéro de dossier 39906
Juges Wagner, Richard; Karakatsanis, Andromache; Côté, Suzanne; Brown,
Russell; Rowe, Malcolm; Martin, Sheilah; Kasirer, Nicholas; Jamal, Mahmud; O’Bonsawin,
Michelle
En appel de Québec
Sujets Droit constitutionnel
Notes
La cause en bref
Renseignements sur les dossiers de la Cour
COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Murray‑Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10
Appel entendu : 15 septembre 2022
Jugement rendu : 14 avril 2023
Dossier : 39906
Entre :
Janick Murray-Hall
Appelant
et
Procureur général du Québec
Intimé
- et -
Procureur général de l’Ontario, procureur général du Manitoba, procureur
général de la Colombie-Britannique, procureur général de la Saskatchewan,
procureur général de l’Alberta, Canadian Association for Progress in
Justice, Société canadienne du cancer, Cannabis Amnesty, Cannabis Council of
Canada et Association québécoise de l’industrie du cannabis
Intervenants
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Brown*,
Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
Motifs de jugement :
(par. 1 à 106)
Le juge en chef Wagner (avec l’accord des juges Karakatsanis, Côté, Rowe,
Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de
sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du
Canada.
* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.
Janick Murray‑Hall
Appelant
c.
Procureur général du Québec
Intimé
et
Procureur général de l’Ontario,
procureur général du Manitoba,
procureur général de la Colombie‑Britannique,
procureur général de la Saskatchewan,
procureur général de l’Alberta,
Canadian Association for Progress in Justice,
Société canadienne du cancer,
Cannabis Amnesty,
Cannabis Council of Canada et
Association québécoise de l’industrie du cannabis
Intervenants
Répertorié : Murray‑Hall c. Québec (Procureur général)
2023 CSC 10
No du greffe : 39906.
2022 : 15 septembre; 2023 : 14 avril.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Brown*,
Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel du québec
Droit constitutionnel — Partage des compétences —
Théorie du double aspect — Prépondérance fédérale — Possession et culture de
plantes de cannabis dans une maison d’habitation — Adoption par le Parlement
d’une loi interdisant à tout individu d’avoir en sa possession ou de
cultiver plus de quatre plantes de cannabis à domicile — Adoption par le
législateur québécois d’une loi réglementant le cannabis qui inclut des
dispositions prohibant complètement la possession et la culture de plantes
de cannabis à domicile — Les dispositions de la loi québécoise interdisant
la possession et la culture de plantes de cannabis à domicile sont-elles
constitutionnellement valides au vu du partage des compétences? — Dans l’affirmative,
sont-elles opérantes au regard de la doctrine de la prépondérance
fédérale? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(13), 92(16) — Loi
encadrant le cannabis, RLRQ, c. C-5.3, art. 5, 10.
En juin 2018, le Parlement fédéral adopte la Loi sur le
cannabis (« Loi fédérale ») qui décriminalise l’usage récréatif du cannabis.
Cette loi prohibe la possession de plantes de cannabis ainsi que la culture
de telles plantes à des fins personnelles, mais exempte de ces prohibitions
la possession et la culture d’au plus quatre plantes. Au même moment, le
législateur québécois met en place son propre régime de réglementation du
cannabis en adoptant un projet de loi qui, entre autres, crée la Société
québécoise du cannabis (« SQDC »), laquelle exerce un monopole de vente du
cannabis au Québec. Il édicte également la Loi encadrant le cannabis (« Loi
provinciale »). Les articles 5 et 10 de la Loi provinciale interdisent
totalement la possession de plantes de cannabis ainsi que la culture de
telles plantes à des fins personnelles dans une maison d’habitation. Ces
interdictions sont assorties d’amendes.
En octobre 2018, M intente en Cour supérieure une action
en son nom et au nom de toutes les personnes qui, au Québec, sont
susceptibles d’être poursuivies pour possession, dans leur maison d’habitation,
d’une plante de cannabis. Il soutient que les art. 5 et 10 de la Loi
provinciale relèvent de la compétence fédérale en matière de droit criminel
prévue au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, et outrepassent
les chefs de compétence reconnus aux provinces. Il demande à la Cour
supérieure de déclarer ces dispositions ultra vires ou, à titre subsidiaire,
inopérantes par application de la doctrine de la prépondérance fédérale. La
Cour supérieure déclare les art. 5 et 10 de la Loi provinciale
constitutionnellement invalides. La Cour d’appel infirme le jugement de
première instance et confirme la validité constitutionnelle des art. 5 et
10, pour le motif que ceux-ci relèvent des compétences conférées aux
provinces par les par. 92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Elle conclut de surcroît que les dispositions contestées sont opérantes.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Les articles 5 et 10 de la Loi provinciale constituent
un exercice valide par la législature du Québec des compétences que lui
confèrent les par. 92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867. De
plus, les dispositions n’entravent pas la réalisation de l’objet du texte de
loi fédéral et elles sont en conséquence opérantes.
Pour décider si une loi ou certaines de ses dispositions
sont constitutionnellement valides au regard du partage des compétences, il
faut d’abord procéder à la qualification de cette loi ou de ces
dispositions, puis, sur cette base, à leur classification parmi les chefs de
compétence énumérés aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.
À l’étape de la qualification, il s’agit de déterminer
le caractère véritable de la loi en examinant son objet et ses effets. Aux
fins d’analyse de l’objet, les tribunaux font appel à des éléments de preuve
intrinsèque, c’est-à-dire au texte même de la loi, ainsi qu’à des éléments
de preuve extrinsèque tels que les débats parlementaires. Dans leur examen
des effets de la loi, les tribunaux tiennent compte tant de ses effets
juridiques (ceux étant directement liés aux dispositions de la loi
elle‑même), que de ses effets pratiques (les effets secondaires découlant de
son application). Lorsque des dispositions bien précises d’une loi qui,
prétend-on, font partie intégrante d’un régime de réglementation, sont
attaquées, les tribunaux qualifient d’abord les dispositions plutôt que de s’intéresser
à la validité de la loi dans son ensemble. Mais cela ne signifie pas qu’il
faille interpréter isolément les dispositions. Une lecture et analyse
contextuelle des dispositions contestées qui prend en compte le régime de
réglementation au sein duquel elles sont intégrées s’avère cruciale pour
distinguer l’objet de la loi des moyens retenus pour le réaliser.
En l’espèce, il est indispensable d’analyser les art. 5
et 10 de la Loi provinciale au regard de leur contexte et non pas de leur
simple libellé. En ce qui concerne les éléments de preuve intrinsèque aux
fins d’analyse de l’objet, un survol de la Loi provinciale révèle un vaste
système de réglementation incluant la création d’un monopole d’État, confié
à la SQDC, qui supervise chacune des étapes préalables à l’achat par les
citoyens de cannabis dans le but d’assurer la protection de la santé et de
la sécurité de la population. Les articles 5 et 10 ne poursuivent pas l’objectif
autonome et indépendant d’interdire la possession et la culture de plantes
de cannabis à des fins personnelles. Les interdictions elles-mêmes sont un
moyen, parmi un large éventail de mesures, pour réaliser les objectifs de
santé et de sécurité publiques de la Loi provinciale puisqu’elles agissent
comme de sérieux incitatifs à l’intégration des consommateurs au marché
licite du cannabis. En ce qui concerne les éléments de preuve extrinsèque,
les interventions des parlementaires québécois confirment que les
interdictions facilitent l’approvisionnement des consommateurs auprès de la
SQDC. Les dispositions contestées ne représentent pas une tentative déguisée
de réédicter les interdictions de possession et culture de cannabis abrogées
par le Parlement, vu l’absence totale de preuve d’un dessein législatif dit
inapproprié. Quant aux effets des dispositions contestées, celles-ci ont
pour conséquence pratique d’empêcher les citoyens de posséder et de cultiver
des plantes de cannabis à des fins personnelles et d’obliger les
consommateurs à s’approvisionner auprès de la SQDC. En ce qui concerne les
conséquences juridiques, les dispositions prohibent la possession et la
culture de plantes de cannabis et imposent des sanctions pénales en cas de
contravention. Ensemble, les effets juridiques et pratiques confirment la
conclusion découlant de l’analyse de la preuve intrinsèque et extrinsèque :
les art. 5 et 10 de la Loi provinciale ont pour caractère véritable d’assurer
l’efficacité du monopole étatique de vente du cannabis afin de protéger la
santé et de la sécurité du public, particulièrement celles des jeunes,
contre les méfaits de cette substance.
À l’étape de la classification, il s’agit de déterminer
si les dispositions contestées relèvent de la compétence du fédéral sur le
droit criminel prévue au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou
des compétences attribuées aux provinces sur la propriété et les droits
civils ainsi que sur les matières de nature purement locale ou privée par
les par. 92(13) et (16) respectivement. En l’espèce, même si les art. 5 et
10 présentent en apparence les caractéristiques d’une règle de droit
criminel, en ce qu’ils prévoient des interdictions assorties de sanctions et
reposent sur un objet valide de droit criminel, ils ne doivent pas pour
autant être classés sous le par. 91(27). La décriminalisation partielle du
cannabis par le Parlement a ouvert la voie à l’intervention législative des
provinces. En interdisant la possession et la culture à domicile de plantes
de cannabis, le législateur québécois a exercé le pouvoir que lui confère le
par. 92(15) d’édicter des mesures pénales destinées à la mise en œuvre d’une
loi par ailleurs valide. Les articles 5 et 10, qui contribuent à assurer l’efficacité
du monopole étatique et ainsi à protéger la santé et la sécurité du public,
se rattachent clairement aux chefs de compétence provinciaux puisque les
interventions législatives des provinces en matière de santé publique ont
pour assises principales la compétence large et plénière sur la propriété et
les droits civils (par. 92(13)), ainsi que la compétence résiduelle sur les
matières de nature purement locale ou privée dans la province (par. 92(16)).
L’intervention du législateur québécois dans le domaine de la santé témoigne
ici d’un esprit de réglementation, et non pas de répression d’une menace ou
d’un mal. Cela est d’importance puisque la santé, en tant que matière non
attribuée dans la Loi constitutionnelle de 1867, fait l’objet d’un
chevauchement de compétences. En vertu de la doctrine du double aspect, le
Parlement et les législatures provinciales peuvent adopter des lois sur des
matières qui, par leur nature même, comportent à la fois une facette
provinciale et une facette fédérale. L’encadrement de l’usage du cannabis
présente un double aspect en ce qu’il peut être abordé suivant la
perspective du droit criminel (en vertu du par. 91(27)), en réprimant un
mal, ou un effet nuisible ou indésirable pour le public; et celle de la
santé ou du commerce (en vertu des par. 92(13) et (16)), en réglementant
notamment les conditions de production, de distribution et de vente de la
substance. Les articles 5 et 10 de la Loi provinciale, qui encadrent l’usage
du cannabis suivant cette deuxième perspective normative, sont en
conséquence intra vires de la législature québécoise.
Des dispositions d’une loi provinciale qui sont
déclarées constitutionnellement valides peuvent néanmoins être déclarées
inopérantes, suivant la doctrine de la prépondérance fédérale, dans les cas
où il existe (1) un conflit d’application; ou (2) une entrave à la
réalisation de l’objet de la loi fédérale. En l’espèce, la seule question
qui se pose consiste à décider s’il existe un conflit d’objets, ce qui
suppose d’établir d’abord quel est l’objet de la Loi fédérale et de
déterminer ensuite si les dispositions de la Loi provinciale sont
incompatibles avec cet objet.
La Loi fédérale n’a pas pour objet de créer, et ce, dans
le but de limiter les activités illicites liées au cannabis, des droits
positifs permettant de posséder et de cultiver à des fins personnelles au
plus quatre plantes de cannabis. Une telle interprétation ne correspond pas
à la nature essentiellement prohibitive du pouvoir de légiférer en matière
de droit criminel, et n’est pas appuyée par le texte de la Loi fédérale. Les
interdictions aux art. 5 et 10 de la Loi provinciale répondent directement à
plusieurs des objectifs de la Loi fédérale énumérés à l’art. 7 de cette loi.
De plus, même si les approches retenues respectivement par le législateur
fédéral et le législateur provincial à l’égard de l’auto-culture du cannabis
sont différentes, la Loi provinciale témoigne au même titre que la Loi
fédérale d’un souci de lutter contre le crime organisé. Les objectifs de
santé et de sécurité publiques poursuivis par la Loi provinciale et ses
interdictions aux art. 5 et 10 sont donc en harmonie avec les objectifs
visés par la Loi fédérale, et il n’y a pas lieu de conclure à l’existence d’un
conflit d’objets.
Jurisprudence
Arrêt appliqué : Rothmans, Benson & Hedges Inc. c.
Saskatchewan, 2005 CSC 13, [2005] 1 R.C.S. 188; distinction d’avec l’arrêt :
R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463; arrêts examinés : Ward c. Canada
(Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569; Procureur général du
Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206; Québec
(Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1
R.C.S. 693; Reference as to the Validity of Section 5(a) of the Dairy
Industry Act, [1949] R.C.S. 1; Siemens c. Manitoba (Procureur général), 2003
CSC 3, [2003] 1 R.C.S. 6; Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112;
arrêts mentionnés : Renvoi relatif à la Loi sur la non‑discrimination
génétique, 2020 CSC 17, [2020] 2 R.C.S. 283; Renvoi relatif à la Loi sur les
armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783; Banque canadienne de l’Ouest
c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada
(Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; Friends of the Oldman River
Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Bande
Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes
entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S.
146; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61,
[2010] 3 R.C.S. 457; Westendorp c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 43; Renvoi
relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S.
837; Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Renvoi
relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S.
297; R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571; Chaoulli c.
Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791; Dupond c.
Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770; Canada (Procureur général) c. PHS
Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; R. c.
Hydro‑Québec, [1997] 3 R.C.S. 213; Rio Hotel Ltd. c. Nouveau‑Brunswick
(Commission des licences et permis d’alcool), [1987] 2 R.C.S. 59; Transport
Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2019 CSC 58, [2019] 4 R.C.S. 228;
Reference re The Farm Products Marketing Act, [1957] R.C.S. 198; Nova Scotia
Board of Censors c. McNeil, [1978] 2 R.C.S. 662; Husky Oil Operations Ltd.
c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453; SEFPO c. Ontario
(Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon,
[1982] 2 R.C.S. 161; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51,
[2015] 3 R.C.S. 327; Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging
Ltd., 2015 CSC 53, [2015] 3 R.C.S. 419; Procureur général du Canada c. Law
Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307; Renvois relatifs à la Loi
sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre,
2021 CSC 11; Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots
Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536; Proprietary Articles Trade
Association c. Attorney General for Canada, [1931] A.C. 310; R. c. Sharma,
2022 CSC 39; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des
Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38; Canadian Foundation
for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4,
[2004] 1 R.C.S. 76.
Lois et règlements cités
Loi concernant la lutte contre le tabagisme, RLRQ, c. L‑6.2, art. 13, 14.4.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 92.
Loi de l’opium et des drogues narcotiques, 1923, S.C. 1923, c. 22.
Loi encadrant le cannabis, RLRQ, c. C‑5.3, art. 1 al. 1, al. 2, 5, 10, 25,
27, 29, 30, 31 al. 2, 33, 34 à 39, 40 à 42, 44, 45, 56, 57.
Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19,
art. 4 à 7.1, ann. II.
Loi sur la réglementation des alcools, des jeux et du cannabis, C.P.L.M., c.
L153, art. 101.13(1), 101.15.
Loi sur la Société des alcools du Québec, RLRQ, c. S‑13, art. 16.1 al. 1.
Loi sur le cannabis, L.C. 2018, c. 16, art. 2 « cannabis illicite », 7,
8(1)b), e), 9(1)a)(iv), 12(4), 13(1).
Projet de loi C‑45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi
réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres
lois, 1re sess., 42e lég., 2018.
Projet de loi no 157, Loi constituant la Société québécoise du cannabis,
édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en
matière de sécurité routière, 1re sess., 41e lég., 2018, art. 3.
Règlement déterminant d’autres catégories de cannabis qui peuvent être
vendues par la Société québécoise du cannabis et certaines normes relatives
à la composition et aux caractéristiques du cannabis, RLRQ, c. C‑5.3, r.
0.1.
Règlement sur la formation relative à la vente au détail de cannabis et sur
les renseignements à communiquer à l’acheteur lors de toute vente de
cannabis, RLRQ, c. C‑5.3, r. 1, art. 1, ann. I.
Doctrine et autres documents cités
Brun, Henri, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet. Droit constitutionnel, 6e
éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 148,
no 314, 1re sess., 42e lég., 13 juin 2018, p. 20875.
Québec. Assemblée nationale. Journal des débats, vol. 44, no 346, 1re sess.,
41e lég., 6 juin 2018, p. 21972‑21973.
Québec. Assemblée nationale. Journal des débats de la Commission permanente
de la santé et des services sociaux, vol. 44, no 189, 1re sess., 41e lég.,
21 mars 2018, p. 22, 35.
Québec. Assemblée nationale. Journal des débats de la Commission permanente
de la santé et des services sociaux, vol. 44, no 191, 1re sess., 41e lég.,
27 mars 2018, p. 3.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec
(les juges Thibault, Pelletier et Rancourt), 2021 QCCA 1325, [2021]
AZ‑51792418, [2021] J.Q. no 10432 (QL), 2021 CarswellQue 13667 (WL), qui a
infirmé une décision de la juge Lavoie, 2019 QCCS 3664, [2019] AZ‑51625540,
[2019] J.Q. no 7561 (QL), 2019 CarswellQue 7632 (WL). Pourvoi rejeté.
Maxime Guérin et Christian Saraïlis, pour l’appelant.
Patricia Blair et Frédéric Perreault, pour l’intimé.
Hera Evans et S. Zachary Green, pour l’intervenant le
procureur général de l’Ontario.
Kathryn Hart et Deborah Carlson, pour l’intervenant le
procureur général du Manitoba.
Jonathan Penner et Robert Danay, pour l’intervenant le
procureur général de la Colombie‑Britannique.
Thomson Irvine, c.r., et Noah Wernikowski, pour l’intervenant
le procureur général de la Saskatchewan.
David N. Kamal et Nathaniel Gartke, pour l’intervenant
le procureur général de l’Alberta.
Olga Redko et Ryan D. W. Dalziel, c.r., pour l’intervenante
Canadian Association for Progress in Justice.
Robert Cunningham et Fady Toban, pour l’intervenante la
Société canadienne du cancer.
Ren Bucholz et Annamaria Enenajor, pour l’intervenante
Cannabis Amnesty.
Adam Goldenberg et Holly Kallmeyer, pour les
intervenants Cannabis Council of Canada et l’Association québécoise de l’industrie
du cannabis.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge en chef —
[1] Il y a quelques années, le Parlement
fédéral a édicté une loi sur le cannabis. Suivant cette loi, il est interdit
à tout individu d’avoir en sa possession ou de cultiver plus de quatre
plantes de cannabis à son domicile. Les provinces et les territoires ont par
la suite adopté leurs propres lois afin de réglementer des questions d’ordre
pratique telles les modalités de vente et d’entreposage du cannabis. Dans le
cadre d’un vaste projet législatif incluant l’instauration d’un monopole de
vente du cannabis, le législateur québécois a pour sa part adopté des
dispositions prohibant complètement la possession et la culture de plantes
de cannabis à domicile, quel que soit le nombre de plantes. Dans le présent
pourvoi, il s’agit de décider si les dispositions québécoises sont
constitutionnellement valides au vu du partage des compétences et, dans l’affirmative,
si elles sont opérantes au regard de la doctrine de la prépondérance
fédérale. Pour les motifs qui suivent, je conclus que les dispositions
contestées constituent un exercice valide par la législature du Québec des
compétences que lui confèrent les par. 92(13) et (16) de la Loi
constitutionnelle de 1867. Je conclus également que les dispositions
contestées n’entravent pas la réalisation de l’objet du texte de loi fédéral
et qu’elles sont en conséquence opérantes.
[2] Dans les présents motifs, je n’émets aucune
opinion sur l’opportunité ou le bien-fondé des approches retenues
respectivement par le Parlement et le législateur québécois. Je m’attache à
expliquer pourquoi deux approches à l’égard de l’auto‑culture de cannabis —
l’approche fédérale dite plus « permissive », et l’approche québécoise dite
plus « restrictive » — peuvent coexister sur le plan juridique au sein de la
fédération canadienne.
I. Contexte
[3] En 2018, le Canada est devenu le deuxième
pays du monde après l’Uruguay, et le tout premier pays du G7, à
décriminaliser l’usage récréatif du cannabis. La décriminalisation de cette
substance psychoactive, aussi appelée marijuana, marque un véritable
changement d’approche par rapport à celle qui était suivie au pays depuis
près d’un siècle. En effet, la consommation, la possession et la vente du
cannabis avaient été criminalisées pour la première fois en 1923, lorsque
cette substance fut ajoutée à la liste des stupéfiants bannis par la Loi de
l’opium et des drogues narcotiques, 1923, S.C. 1923, c. 22. Le cannabis a,
de nombreuses décennies plus tard, été inscrit à la liste des substances
contrôlées figurant à l’ann. II de la Loi réglementant certaines drogues et
autres substances, L.C. 1996, c. 19 (« LRDS »).
[4] Le 19 juin 2018, le Parlement fédéral a
adopté le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi
réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres
lois, 1re sess., 42e lég. Cette loi est entrée en vigueur le 17 octobre 2018
sous le nom de Loi sur le cannabis, L.C. 2018, c. 16 (« Loi fédérale »). La
décriminalisation de l’usage récréatif du cannabis est au cœur de cette
mesure législative qui soustrait cette substance à l’application des
interdictions criminelles prévues aux art. 4 à 7.1 de la LRDS. La Loi
fédérale prohibe la possession de plantes de cannabis ainsi que la culture
de telles plantes à des fins personnelles, mais exempte de ces prohibitions
la possession et la culture d’au plus quatre plantes. Les dispositions
créant ces prohibitions sont rédigées ainsi :
Possession
8 (1) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi :
. . .
e) il est interdit à tout individu d’avoir en sa possession plus de quatre
plantes de cannabis qui sont ni en train de bourgeonner ni en train de
fleurir;
. . .
Production
12 . . .
. . .
Culture, multiplication ou récolte — individu âgé de dix-huit ans ou plus
(4) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi, il est
interdit à tout individu âgé de dix-huit ans ou plus de se livrer aux
activités suivantes :
. . .
b) cultiver, multiplier ou récolter plus de quatre plantes de cannabis au
même moment dans sa maison d’habitation, ou offrir de le faire.
[5] L’adoption de la Loi fédérale représente un
changement de paradigme dans le paysage juridique canadien. D’une approche
axée sur la répression, le Canada a migré à un régime confiant aux provinces
la responsabilité de déterminer le cadre régissant la vente et la
distribution du cannabis sur leur territoire respectif. En d’autres mots,
les provinces sont appelées à légiférer, dans leurs champs de compétence,
sur une substance qui faisait jusqu’alors, et ce, depuis près d’un siècle, l’objet
de prohibitions de nature criminelle. Les lois et règlements établis par les
provinces parallèlement à la Loi fédérale instaurent principalement des
règles encadrant la vente de la substance, par exemple en ce qui a trait à l’emplacement,
au fonctionnement et au personnel des magasins où sont vendus les différents
produits du cannabis. Bon nombre des mesures législatives provinciales
prévoient également des restrictions supplémentaires, qui s’ajoutent au
cadre législatif fédéral, notamment pour ce qui est de l’âge minimal requis
pour acheter du cannabis, de la limite applicable en matière de possession
de cette substance et des lieux où celle-ci peut être consommée en public.
[6] Le 12 juin 2018, le législateur québécois a
mis en place son propre régime de réglementation du cannabis en adoptant le
projet de loi no 157, Loi constituant la Société québécoise du cannabis,
édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en
matière de sécurité routière, 1re sess., 41e lég. La création de la Société
québécoise du cannabis (« SQDC »), une filiale de la Société des alcools du
Québec exerçant un monopole de vente de la substance au Québec, a été l’une
des mesures les plus importantes. L’édiction de la Loi encadrant le
cannabis, RLRQ, c. C‑5.3 (« Loi provinciale ») en a été une autre. La Loi
provinciale comprend une vaste gamme de dispositions concernant la
possession, la culture, l’usage, le transport, l’entreposage, la vente et la
promotion du cannabis sur le territoire du Québec. Les dispositions
particulières de la Loi provinciale qui sont contestées en l’espèce sont les
art. 5 et 10, qui interdisent totalement la possession de plantes de
cannabis ainsi que la culture de telles plantes à des fins personnelles dans
une maison d’habitation. Ces interdictions sont assorties d’amendes allant
de 250 $ à 750 $, lesquelles sont portées au double en cas de récidive:
5. Il est interdit d’avoir en sa possession une plante de cannabis.
Quiconque contrevient aux dispositions du premier alinéa commet une
infraction et est passible d’une amende de 250 $ à 750 $. En cas de
récidive, ces montants sont portés au double.
10. Il est interdit de faire la culture de cannabis à des fins personnelles.
Cette interdiction de culture s’applique notamment à la plantation des
graines et des plantes, la reproduction des plantes par boutures, la culture
des plantes et la récolte de leur production.
Quiconque contrevient aux dispositions du premier alinéa en faisant la
culture de quatre plantes de cannabis ou moins dans sa maison d’habitation
commet une infraction et est passible d’une amende de 250 $ à 750 $. En cas
de récidive, ces montants sont portés au double.
Aux fins du troisième alinéa, une « maison d’habitation » a le sens que lui
donne le paragraphe 8 de l’article 12 de la Loi sur le cannabis (L.C. 2018,
c. 16).
[7] En conséquence, aux termes des art. 5 et 10
de la Loi provinciale, la possession et la culture à domicile de plantes de
cannabis sont sanctionnées pénalement au Québec — tout comme au Manitoba d’ailleurs,
cette province ayant adopté une approche similaire à celle du Québec dans sa
Loi sur la réglementation des alcools, des jeux et du cannabis, C.P.L.M., c.
L153, par. 101.13(1) et art. 101.15.
[8] Le 25 octobre 2018, l’appelant devant notre
Cour, Janick Murray-Hall, a intenté en Cour supérieure du Québec une action
en son nom et au nom de toutes les personnes qui, au Québec, sont
susceptibles d’être poursuivies pour possession, dans leur maison d’habitation,
d’une plante de cannabis et de subir ainsi les conséquences pénales
découlant de la Loi provinciale. Il soutient alors que les art. 5 et 10 de
la Loi provinciale relèvent de la compétence fédérale en matière de droit
criminel prévue au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 et
outrepassent les chefs de compétence reconnus aux provinces. Il demande à la
Cour supérieure de déclarer ces dispositions ultra vires ou, à titre
subsidiaire, de les déclarer inopérantes par application de la doctrine de
la prépondérance fédérale.
II. Historique judiciaire
A. Cour supérieure du Québec, 2019 QCCS 3664
[9] Le 3 septembre 2019, la Cour supérieure du
Québec a donné raison à M. Murray-Hall, et déclaré les art. 5 et 10 de la
Loi provinciale constitutionnellement invalides.
[10] La cour est arrivée à cette conclusion d’invalidité
en qualifiant, dans un premier temps, le caractère véritable des
dispositions contestées comme étant le fait d’« établir une interdiction
complète de la culture personnelle de cannabis, car elle est de nature à
nuire à la santé et la sécurité publique » (par. 51 (CanLII)). Le caractère
absolu des interdictions ainsi que le sentiment de « désapprobation
générale » (par. 46) à l’égard de la consommation de cannabis se dégageant
des débats parlementaires permettent, selon la cour, de conclure que les
dispositions contestées ne visent pas simplement à protéger la santé et la
sécurité de la population. Elles auraient plutôt pour objet de « réprimer la
production personnelle de cannabis » (ibid.) comme le faisaient les
anciennes dispositions de la LRDS, ce qui amène la cour à conclure au
caractère « déguisé » des dispositions contestées. Pour ce qui est de l’argument
portant que les interdictions établies aux art. 5 et 10 constituent des
moyens pour réaliser les objectifs de santé et de sécurité de la population
énoncés dans la Loi provinciale, la cour juge qu’il n’est pas appuyé par la
preuve intrinsèque et extrinsèque ni par l’examen des effets. De l’avis de
la cour, « les interdictions posées par les articles 5 et 10 ne sont pas des
moyens, mais bien l’objet même de ces dispositions » (par. 76).
[11] La Cour supérieure poursuit son examen de la
validité constitutionnelle et statue que les dispositions contestées
relèvent de la compétence fédérale en matière de droit criminel. À l’étape
de la classification, la cour conclut à la présence des trois
caractéristiques d’une règle de droit criminel valide, ainsi qu’à la
similitude des dispositions contestées et des dispositions de la LRDS qui
interdisaient autrefois la possession et la culture de cannabis. La cour
ajoute que la théorie du double aspect ne trouve pas application dans la
présente affaire, puisque, de par le caractère absolu des interdictions qu’ils
contiennent, les art. 5 et 10 se rattachent uniquement au pouvoir fédéral de
légiférer en droit criminel. Évoquant la possibilité de restreindre la
possession et culture personnelle de cannabis à une, deux ou trois plantes,
la cour souligne qu’« [i]l est évident qu’au-delà de zéro plant, il aurait
été envisageable que la province puisse légiférer, soit au niveau de la
santé ou de la sécurité » (par. 87).
[12] Enfin, la cour conclut que les dispositions
jugées invalides ne peuvent être sauvegardées en vertu de la doctrine des
pouvoirs accessoires. En effet, elles ne peuvent être considérées
suffisamment intégrées à la Loi provinciale, par ailleurs jugée valide dans
son ensemble, étant donné que les interdictions totales qu’elles prévoient n’étaient
« pas absolument nécessaires » (par. 99). Selon la cour, l’imposition d’une
restriction plus sévère que celle imposée par la Loi fédérale concernant le
nombre de plantes, au lieu des interdictions absolues, aurait permis de
réaliser les objectifs poursuivis par la législature provinciale.
[13] Ayant conclu à l’invalidité constitutionnelle
des art. 5 et 10 de la Loi provinciale, la cour a jugé qu’il n’était pas
nécessaire d’évaluer le caractère opérant des dispositions. Elle rejette en
outre la demande de suspension de la déclaration d’invalidité, au motif qu’aucun
vide juridique ni chaos ne sont susceptibles de découler de sa décision.
B. Cour d’appel du Québec, 2021 QCCA 1325
[14] Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel du
Québec a infirmé le jugement de première instance et en conséquence confirmé
la validité constitutionnelle des art. 5 et 10 de la Loi provinciale, pour
le motif que ceux-ci relèvent des compétences conférées aux provinces par
les par. 92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867.
[15] À l’étape de la qualification, la cour estime
que le caractère véritable des dispositions contestées consiste à « mettre
en place l’un des moyens choisis pour assurer l’efficacité du monopole d’État
confié à la SQDC » (par. 82 (CanLII)), monopole dont la création vise à
prévenir et à réduire les méfaits du cannabis, ainsi qu’à protéger la santé
et la sécurité de la population. Les articles 5 et 10 de la Loi provinciale,
qui interdisent la possession et la culture à domicile, ont donc pour objet
de diriger les consommateurs vers la seule source d’approvisionnement ayant
reçu la confiance du législateur québécois. Contrairement à ce qu’a conclu
la Cour supérieure, les dispositions contestées ne poursuivent pas un «
objectif autonome et indépendant d’interdire la culture personnelle de
cannabis » (par. 81). Dans son raisonnement, la Cour d’appel insiste sur la
nécessité de tenir compte de la Loi provinciale dans sa globalité plutôt que
de faire une lecture isolée des art. 5 et 10. Elle invite également à la
prudence dans l’analyse des débats parlementaires, lesquels ne démontrent
pas en l’espèce l’existence d’une législation déguisée visant à réprimer
moralement la possession et la culture personnelle de cannabis en tant que
telles.
[16] À l’étape de la classification, la Cour d’appel
conclut que les dispositions contestées se rattachent aux compétences
provinciales prévues aux par. 92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de
1867. Elle juge que la présente affaire se prête à l’application de la
doctrine du double aspect, les deux ordres de gouvernement poursuivant des
objectifs parallèles qui s’inscrivent dans leurs champs de compétence
respectifs. Le législateur fédéral, note-t-elle, « cherche à mieux contrôler
l’immixtion des organisations criminelles » dans le marché du cannabis en
remplaçant une mesure qu’il juge inefficace (la prohibition totale de la
possession) par une mesure qu’il considère plus à même de réduire l’importance
du rôle du crime organisé (la décriminalisation de la possession d’une
quantité restreinte) (par. 93). Le législateur provincial cherche pour sa
part à assurer un contrôle efficace de l’accès ordonné au cannabis en créant
un monopole étatique de distribution.
[17] Ayant confirmé la validité constitutionnelle
des dispositions contestées, la Cour d’appel conclut de surcroît qu’elles
sont opérantes au regard de la doctrine de la prépondérance fédérale. Se
penchant sur la possibilité d’une entrave à la réalisation de l’objet de la
Loi fédérale, la cour rejette l’argument de M. Murray-Hall selon lequel le
législateur fédéral ait non pas seulement décriminalisé la culture à
domicile, mais l’ait véritablement autorisée dans le but de limiter l’exercice
des activités illicites liées au cannabis. La cour note que le texte de la
Loi fédérale ne confère expressément aucun droit positif de posséder ou de
cultiver des plantes de cannabis à domicile à des fins personnelles. Elle
ajoute que l’argument de M. Murray-Hall est d’autant plus troublant qu’il
repose sur l’idée selon laquelle le Parlement posséderait le pouvoir en
vertu de sa compétence en matière de droit criminel non seulement d’interdire
des comportements, mais celui d’en d’autoriser formellement. Enfin, la Cour
d’appel souligne à nouveau la complémentarité des deux lois en cause,
lesquelles reflètent le même souci de combattre les méfaits associés à la
consommation de cannabis. En conséquence, il est possible selon elle de
donner à la Loi fédérale une interprétation qui soit conforme au principe du
fédéralisme coopératif, et de conclure que celle-ci « n’a pas limité le
pouvoir de l’Assemblée nationale d’interdire la culture privée du cannabis
dans le cadre de la mise en œuvre de moyens propres à atteindre ses
objectifs » (par. 139).
III. Questions en litige
[18] Le présent pourvoi soulève les deux questions
suivantes :
A. La Cour d’appel du Québec a-t-elle fait erreur en droit en concluant
que les art. 5 et 10 de la Loi provinciale sont constitutionnellement
valides?
B. La Cour d’appel du Québec a-t-elle fait erreur en droit en concluant
que les art. 5 et 10 de la Loi provinciale sont constitutionnellement
opérants?
[19] Bien que M. Murray-Hall ne mentionne
expressément que la première question dans ses observations écrites, je suis
d’avis que notre Cour doit également se pencher sur la deuxième. Plusieurs
des arguments de M. Murray-Hall se rapportent à l’existence d’une prétendue
incompatibilité d’objets entre la Loi fédérale et les art. 5 et 10 de la Loi
provinciale. La Cour d’appel a également consacré une bonne partie de ses
motifs à la question de savoir si l’application des dispositions contestées
entrave ou nuit à la réalisation de l’objet de la Loi fédérale. Dans de
telles circonstances, il m’apparaît avisé de trancher cette question, en
apportant toutes les nuances nécessaires.
IV. Analyse
A. La Cour d’appel du Québec a-t-elle fait erreur en droit en
concluant que les art. 5 et 10 de la Loi provinciale sont
constitutionnellement valides?
[20] Comme je l’explique ci-après, je suis d’avis
que les art. 5 et 10 de la Loi provinciale constituent un exercice valide
par la législature québécoise des compétences que lui confèrent les par.
92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867, et que la Cour d’appel n’a
donc pas commis d’erreur dans son examen de la validité des dispositions
contestées. Je vais d’abord présenter le cadre d’analyse que j’applique pour
arriver à cette conclusion.
(1) Cadre d’analyse
[21] Le cadre d’analyse applicable à la
détermination de la validité constitutionnelle des lois est bien établi et
ne fait l’objet d’aucune controverse particulière dans la présente affaire,
de sorte qu’un bref rappel suffira.
[22] Pour décider si une loi ou certaines de ses
dispositions sont constitutionnellement valides au regard du partage des
compétences, les tribunaux doivent d’abord procéder à la qualification de
cette loi ou de ces dispositions, puis, sur cette base, à leur
classification parmi les chefs de compétence énumérés aux art. 91 et 92 de
la Loi constitutionnelle de 1867 (Renvoi relatif à la Loi sur la
non‑discrimination génétique, 2020 CSC 17, [2020] 2 R.C.S. 283, par. 26,
citant Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31,
[2000] 1 R.C.S. 783, par. 15).
[23] À l’étape de la qualification, il s’agit de
déterminer le caractère véritable de la loi (Renvoi relatif à la Loi sur la
non‑discrimination génétique, par. 28, citant Banque canadienne de l’Ouest
c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 26). Dans la jurisprudence
de la Cour, cette opération a été décrite comme visant à dégager l’« objet
principal » de la loi (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général),
[1995] 3 R.C.S. 199, par. 29), sa « caractéristique principale ou la plus
importante » (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des
Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, p. 62‑63), ou encore son « idée maîtresse »
(R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 481‑482). L’étape de la
classification consiste quant à elle à déterminer si le caractère véritable
ainsi circonscrit relève de l’un des chefs de compétence du législateur qui
a adopté le texte de loi (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par.
25).
[24] Pour déterminer le caractère véritable d’une
loi, les tribunaux examinent son objet et ses effets (Renvoi relatif à la
Loi sur les armes à feu, par. 16). Cette opération essentiellement
interprétative ne se veut ni technique, ni formaliste, pour reprendre les
mots du regretté professeur Peter W. Hogg (Constitutional Law of Canada (éd.
feuilles mobiles), vol. 1, p. 15‑12, cité dans Ward c. Canada (Procureur
général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569, par. 18). En effet, il est
loisible aux tribunaux de prendre en compte, outre les termes employés dans
la loi elle-même, les circonstances dans lesquelles celle-ci a été édictée
(Ward, par. 17, citant Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par.
17‑18, et Morgentaler, p. 483).
[25] Aux fins d’analyse de l’objet, les tribunaux
font appel à des éléments de preuve intrinsèque, c’est-à-dire au texte même
de la loi, y compris son préambule et les dispositions énonçant ses
objectifs généraux, ainsi qu’à des éléments de preuve extrinsèque tels que
les débats parlementaires et les procès-verbaux de comités parlementaires
(Banque canadienne de l’Ouest, par. 27; Bande Kitkatla c.
Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du
Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146, par. 53‑54;
Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3
R.C.S. 457 (« Renvoi relatif à la LPA »), par. 22 et 184). Dans leur examen
des effets de la loi, les tribunaux tiennent compte tant de ses effets
juridiques, soit ceux étant directement liés aux dispositions de la loi
elle‑même, que de ses effets pratiques, c’est‑à‑dire les effets «
secondaires » découlant de son application (Bande Kitkatla, par. 54, citant
Morgentaler, p. 482-483).
[26] Cela dit, j’insiste tout de même sur le fait
que c’est l’analyse du texte qui est au cœur de l’opération de
qualification. Comme le rappelait le juge Kasirer dans le Renvoi relatif à
la Loi sur la non‑discrimination génétique, « [e]n fin de compte, c’est la
substance même de la loi qu’il faut qualifier, et non les discours prononcés
devant le Parlement ou les propos publiés dans la presse » (par. 165).
[27] Les prochaines sections sont consacrées à ces
deux étapes de l’analyse — la qualification et la classification —, l’opération
ayant pour objectif de déterminer si les art. 5 et 10 de la Loi provinciale
ont été à bon droit jugés constitutionnellement valides par la Cour d’appel.
(2) La qualification des dispositions contestées
[28] À mon avis, les dispositions contestées ont
pour caractère véritable d’assurer l’efficacité du monopole étatique, dans
un but de protection de la santé et de la sécurité de la population,
particulièrement celles des jeunes, contre les méfaits du cannabis. Il s’ensuit
que les interdictions visant la possession de plantes de cannabis et leur
culture à domicile prévues aux art. 5 et 10 de la Loi provinciale
constituent un moyen au service des objectifs de santé et de sécurité
publiques poursuivis par cette même loi. À quelques nuances près, ma
conclusion à l’étape de de la qualification rejoint celle de la Cour d’appel.
[29] Avant d’entreprendre l’analyse, je vais faire
un bref survol des principes applicables à la qualification de dispositions
qui, prétend-on, font partie intégrante d’un régime de réglementation. Il
est utile de préciser dans quelle mesure les tribunaux devraient procéder à
l’analyse d’une loi dans son ensemble afin de qualifier certaines de ses
dispositions. En l’espèce, la question est pertinente étant donné que le
désaccord entre les parties à l’étape de la qualification repose
essentiellement sur l’importance que celles-ci accordent respectivement aux
dispositions contestées et à la Loi provinciale considérée dans sa
globalité. Monsieur Murray-Hall insiste sur les dispositions elles-mêmes, et
reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir véritablement envisagé la
possibilité que celles-ci poursuivent un objectif distinct de celui visé
globalement par la loi. Le procureur général du Québec met plutôt l’accent
sur le rôle que jouent les dispositions au sein du régime, faisant siens les
propos de la Cour d’appel selon lesquels « leur véritable objectif ne se
dégage que lorsqu’on les analyse dans le contexte global de la [Loi
provinciale] » (par. 43).
[30] Lorsque, comme dans la présente affaire,
seules des dispositions bien précises sont attaquées et non pas toute la
loi, certains principes s’appliquent. Il convient de qualifier d’abord les
dispositions plutôt que de s’intéresser à la validité de la loi dans son
ensemble, un principe qui a été formulé par le juge Dickson (plus tard juge
en chef) dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du
Canada, Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206. Mais, d’ajouter le juge Dickson, cela ne
signifie pas qu’il faille interpréter isolément les dispositions. Une
analyse contextuelle des dispositions s’impose lorsqu’elles font partie d’un
système de réglementation. Voici les propos du juge Dickson à cet égard :
Il est évident au départ qu’une disposition inconstitutionnelle ne sera pas
sauvée par son insertion dans une loi par ailleurs valide, même si cette loi
comporte un système de réglementation établi en vertu de la compétence
générale en matière d’échanges et de commerce que confère le par. 91(2). La
bonne méthode, lorsque l’on doute que la disposition contestée ait la même
caractérisation constitutionnelle que la loi dont elle fait partie, est de
prendre pour point de départ ladite disposition plutôt que de commencer par
démontrer la validité de la loi dans son ensemble. Je ne crois pas toutefois
que cela signifie qu’il faille interpréter isolément la disposition en
cause. Si l’argument de validité constitutionnelle se fonde sur la
prétention que la disposition contestée fait partie d’un système de
réglementation, il semblerait alors nécessaire de l’interpréter dans son
contexte. Si, en fait, elle peut être considérée comme faisant partie d’un
tel système, il faudra alors examiner la constitutionnalité de ce système
dans son ensemble. [Je souligne; p. 270-271.]
[31] La Cour a maintes fois insisté sur la
nécessité de considérer les dispositions contestées à la lumière de leur
interaction avec le régime dont elles font partie. Dans l’arrêt Québec
(Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1
R.C.S. 693 (« Québec (Procureur général) 2015 »), l’une des questions
consistait à déterminer si la disposition exigeant la destruction des
données relatives à l’enregistrement des armes d’épaule portait sur la même
matière — la sécurité publique — que la loi abrogeant le régime d’enregistrement.
S’exprimant au nom de la majorité, les juges Cromwell et Karakatsanis ont
dit ceci : « La “matière” de la disposition doit [. . .] être examinée dans
le contexte du régime général, vu que son lien avec ce régime peut être une
considération importante lorsqu’il s’agit d’établir son caractère véritable
. . . » (par. 30).
[32] Le principe qu’a formulé la juge en chef
McLachlin dans l’arrêt Ward, où il était question de la validité
constitutionnelle d’un article d’un règlement fédéral sur les pêcheries qui
interdisait la vente de jeunes phoques, est également pertinent : « La
question n’est pas tant de savoir si le Règlement interdit la vente que de
savoir pourquoi celle‑ci est interdite » (par. 19 (souligné dans l’original)).
Dans cette affaire, on ne pouvait donc pas simplement s’arrêter au fait que
la disposition contestée interdisait la vente, l’échange ou le troc, ce qui
aurait pu laisser croire qu’elle relevait de la compétence des provinces sur
la propriété ou le commerce. En examinant le pourquoi de l’interdiction et
son interaction avec le reste du régime, il est devenu apparent que le
Parlement visait par cette interdiction à réduire la chasse commerciale et
qu’il exerçait validement sa compétence en matière de pêcheries.
[33] Je tiens également à souligner qu’une lecture
des dispositions contestées qui prend en compte le régime au sein duquel
elles sont intégrées s’avère cruciale pour distinguer l’objet de la loi des
moyens retenus pour le réaliser. Dans Ward, la juge en chef McLachlin
mettait d’ailleurs en garde contre le fait de « confondre l’objet de la
mesure législative avec les moyens choisis pour réaliser cet objet » (par.
25).
[34] Gardant à l’esprit les enseignements énoncés
dans Transports Nationaux et la mise en garde formulée dans Ward, je vais
maintenant procéder à la qualification des art. 5 et 10 de la Loi
provinciale. Je m’attacherai d’abord à l’objet de ces dispositions, puis à
leurs effets.
a) L’objet des dispositions contestées
(i) La preuve intrinsèque
[35] Les articles 5 et 10 de la Loi provinciale
établissent respectivement des interdictions absolues de possession et de
culture de plantes de cannabis dans une maison d’habitation, auxquelles sont
assorties des amendes de 250 $ à 750 $. Si on s’arrêtait simplement au
libellé de ces dispositions, comme nous y invite l’appelant, c’est la notion
d’interdiction qui en ressortirait.
[36] Or, il est indispensable d’analyser les art. 5
et 10 au regard de leur contexte et non pas de leur simple libellé, puisque
c’est la prétention du procureur général du Québec qu’elles font partie
intégrante du régime de réglementation mis en place par la Loi provinciale.
Pour reprendre la formule utilisée par la juge en chef McLachlin dans Ward,
il ne faut pas se limiter à constater l’existence des interdictions de
possession et de culture, mais il importe d’examiner le pourquoi de leur
intégration dans le régime de réglementation bien précis de la Loi
provinciale.
[37] J’estime également qu’il faut éviter de faire
une lecture « indépendante » ou « individuelle » des dispositions contestées
sous prétexte que celles-ci représenteraient potentiellement une matière
fort éloignée du reste des dispositions. Pour citer la Cour d’appel, « [l]a
constitutionnalité des articles 5 et 10 de la [Loi provinciale] ne se prête
pas à une analyse en vase clos, indépendante de la [Loi] dans sa globalité »
(par. 41). Bien évidemment, il est tout à fait possible que certaines
dispositions d’une loi puissent revêtir « un caractère absolument
différent » des autres dispositions du même texte législatif (Westendorp c.
La Reine, [1983] 1 R.C.S. 43, p. 51). Mais avant d’arriver à une telle
conclusion, on ne peut faire l’économie d’une analyse contextuelle des
dispositions contestées. En toute logique, on ne saurait statuer sur l’existence
de la différence marquée qu’invoque M. Murray-Hall entre l’objet des art. 5
et 10 et celui du reste des dispositions de la Loi provinciale sans avoir
considéré la loi dans son ensemble.
[38] Un survol de la Loi provinciale révèle l’étendue
du système de réglementation implanté par le législateur québécois. À l’instar
de la Cour d’appel, je conçois cette entreprise comme étant la création d’un
monopole d’État supervisant chacune des étapes préalables à l’achat par les
citoyens de cannabis dans le but d’assurer la protection de la santé et de
la sécurité de la population. Les interdictions prévues aux art. 5 et 10
constituent, avec les autres mesures d’encadrement établies par la loi, les
rouages de cette entreprise. Plus précisément, les interdictions de
possession et de culture de plantes de cannabis participent de l’efficacité
du monopole étatique en dirigeant les consommateurs vers la seule source d’approvisionnement
légalement autorisée, soit celle de la société d’État.
[39] Il convient de rappeler que, parallèlement à l’adoption
de la Loi provinciale, le législateur québécois a modifié la Loi sur la
Société des alcools du Québec, RLRQ, c. S-13, afin de créer la SQDC, une
filiale de la Société des alcools du Québec, qui assurerait la vente « dans
une perspective de protection de la santé, afin d’intégrer les consommateurs
au marché licite du cannabis et de les y maintenir, sans favoriser la
consommation de cannabis » (art. 16.1 al. 1; voir aussi l’art. 3 du projet
de loi no 157).
[40] La Loi provinciale prévoit les différents
aspects encadrant l’exercice du monopole de vente de la SQDC (art. 25), dont
le contrôle de l’emplacement des points de vente (art. 27 et 33), le
contrôle de la qualité des produits offerts (art. 29, 44 et 45), l’interdiction
de vente aux personnes âgées de moins de 21 ans (art. 34 à 39), la
sensibilisation des consommateurs aux risques que présente le cannabis pour
la santé (art. 30, 31 al. 2, 41 et 57 al. 2), ainsi que le respect de normes
d’étalage, d’affichage et d’emballage (art. 40 à 42, 56 et 57). À mon avis,
il faut considérer les interdictions et modalités de contrôle prévues par la
Loi provinciale comme des moyens choisis pour réaliser les objets énoncés au
premier alinéa de l’art. 1, soit « prévenir et [. . .] réduire les méfaits
du cannabis afin de protéger la santé et la sécurité de la population,
particulièrement celles des jeunes », et « assurer la préservation de l’intégrité
du marché du cannabis ». Ces interdictions et modalités de contrôle sont la
suite logique des fins énoncées en ce qu’elles permettent, pour reprendre
les termes du deuxième alinéa de ce même article, d’encadrer « la
possession, la culture, l’usage, la vente et la promotion du cannabis ».
[41] Tout comme les dispositions tout juste
évoquées, les art. 5 et 10 s’inscrivent dans la logique monopolistique
voulue par le législateur québécois, et les interdictions que prévoient ces
articles constituent un moyen de réaliser les objectifs de santé et de
sécurité publiques.
[42] En réalité, l’impossibilité de posséder et de
cultiver des plantes de cannabis à domicile sous peine de sanctions pénales
a pour effet de diriger les consommateurs québécois vers la source d’approvisionnement
sûre que constitue la SQDC. Ces derniers bénéficient ainsi de produits dont
la qualité est contrôlée, ainsi que des conseils de préposés à la vente
formés aux risques associés à la consommation de cannabis (sur le premier
point, voir les art. 29, 44 et 45 de la Loi provinciale et le Règlement
déterminant d’autres catégories de cannabis qui peuvent être vendues par la
Société québécoise du cannabis et certaines normes relatives à la
composition et aux caractéristiques du cannabis, RLRQ, c. C-5.3, r. 0.1; sur
le deuxième point, voir l’art. 1 et l’ann. I du Règlement sur la formation
relative à la vente au détail de cannabis et sur les renseignements à
communiquer à l’acheteur lors de toute vente de cannabis, RLRQ, c. C-5.3, r.
1). Le fait que les consommateurs s’approvisionnent auprès de la SQDC fait
également en sorte que ceux-ci sont assujettis à une série d’exigences, dont
la plus importante m’apparaît être celle fixant à 21 ans l’âge minimal
requis pour y acheter du cannabis.
[43] L’essentiel de la thèse défendue par l’appelant
devant notre Cour est que l’objet poursuivi par la Loi provinciale aurait pu
être réalisé en encadrant — plutôt qu’en prohibant complètement — la culture
de cannabis à domicile, par exemple en permettant la possession et la
culture à des fins personnelles d’une, de deux ou de trois plantes de
cannabis. En choisissant plutôt des interdictions de nature absolue, le
législateur provincial se serait indûment ingéré dans l’exercice de la
compétence fédérale en matière de droit criminel. Je note que le caractère
absolu des interdictions a également été soulevé par la juge de première
instance, qui y voyait le signe que le législateur québécois « cherchait en
réalité à pallier l’abrogation des anciennes dispositions rendant la culture
personnelle et la possession de plante de cannabis criminelles » (par. 45).
[44] J’estime cependant que cette distinction entre
les interdictions absolues contestées et les interdictions plus souples
mentionnées en ce qui concerne le nombre de plantes permis n’est d’aucun
secours à l’appelant. Même en admettant que les objectifs de protection de
la santé et de la sécurité du public auraient pu être réalisés par un
encadrement moins strict de la culture de cannabis à domicile et non pas
seulement par sa prohibition totale, cet argument est loin d’être
déterminant dans l’identification du caractère véritable des dispositions
contestées. Devant deux approches jugées potentiellement efficaces, il
appartient aux organes législatifs de choisir celle qui sera la plus
susceptible de favoriser la réalisation des objectifs poursuivis. Notre Cour
a d’ailleurs souligné à plusieurs reprises que les considérations liées à l’efficacité
ou à la sagesse des moyens choisis ne sont pas utiles à l’étape de la
qualification (Ward, par. 18 et 22; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à
feu, par. 18, citant Morgentaler, p. 487‑488; Renvoi relatif à la Loi sur
les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 90; Renvoi
relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, p. 425).
[45] Bref, envisagés conjointement avec les autres
dispositions de la Loi provinciale, les art. 5 et 10 ne poursuivent pas l’objectif
autonome et indépendant d’interdire la possession et la culture de plantes
de cannabis à des fins personnelles. Les interdictions elles-mêmes doivent
être envisagées comme un moyen, parmi un large éventail de mesures, que le
législateur québécois a jugé nécessaires pour réaliser les objectifs de
santé et de sécurité publiques de la Loi provinciale. Plus précisément, les
interdictions agissent comme de sérieux incitatifs à l’intégration des «
consommateurs au marché licite du cannabis » qui assure, entre autres, le
contrôle de la qualité des produits offerts, la sensibilisation aux risques
posés par la consommation de cannabis et le respect de normes relatives à l’âge
minimal d’achat (voir l’art. 16.1 al. 1 de la Loi sur la Société des alcools
du Québec; voir aussi m.i., par. 12).
(ii) La preuve extrinsèque
[46] J’estime que les débats parlementaires sont d’une
utilité relative dans le présent pourvoi. Je fais miens les propos de la
Cour d’appel soulignant que « [l]eur lecture tend [. . .] à mettre en
évidence la concordance des interventions portant sur les dispositions
contestées avec le but précédemment dégagé lors de l’analyse de la preuve
intrinsèque » (par. 72). Les interventions des parlementaires québécois
permettent donc de confirmer ce qui ressortait déjà de l’interaction entre
les dispositions contestées et le reste des interdictions et modalités de
contrôle prévues par la Loi provinciale, c’est-à-dire que les interdictions
relatives à la possession et à la culture à domicile facilitent l’approvisionnement
des consommateurs auprès de la SQDC.
[47] Il ressort des travaux de la Commission
permanente de la santé et des services sociaux que deux approches concernant
la culture à domicile ont été considérées par les parlementaires québécois :
l’une misant sur l’interdiction absolue de la possession et de la culture de
plantes de cannabis pour faire en sorte que les consommateurs s’approvisionnent
auprès de l’État, et l’autre sur la tolérance de ces pratiques comme levier
dans la lutte contre le crime organisé et dans l’« autonomisation » des
consommateurs à faible revenu (voir Assemblée nationale, Journal des débats
de la Commission permanente de la santé et des services sociaux, vol. 44, no
189, 1re sess., 41e lég., 21 mars 2018, p. 22 (S. Jolin-Barrette), et 35 (M.
Massé); Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission permanente
de la santé et des services sociaux, vol. 44, no 191, 1re sess., 41e lég.,
27 mars 2018, p. 3 (S. Pagé)). Entre ces deux approches, le choix du
législateur québécois s’est clairement arrêté sur la première.
[48] Les propos d’un député de l’opposition, qui
ont plus tard reçu l’assentiment de la ministre responsable de la Santé
publique, sont révélateurs : « Nous, dans un souci de sécurité publique,
dans un souci de santé publique, dans un souci d’aller progressivement, nous
faisons le choix, comme État, de ne pas permettre la culture à domicile, et
on veut, à des fins de santé publique et de sécurité, orienter les
consommateurs vers les magasins d’une filiale de la société d’État pour
faire en sorte que la consommation se fasse d’une façon responsable »
(Journal des débats de la Commission permanente de la santé et des services
sociaux, 21 mars 2018, p. 22 (S. Jolin-Barrette)). L’intention du
législateur était de favoriser la consommation responsable de la substance
par la mise en place d’un système où les particuliers, privés de l’option de
cultiver leur propre cannabis, seraient dirigés vers les succursales de la
SQDC.
[49] Cela dit, je reconnais que le débat sur la
preuve extrinsèque en Cour supérieure et en Cour d’appel a principalement
porté sur la question de savoir si les dispositions contestées constituaient
une forme de « législation déguisée ». Pour cette raison, les remarques
suivantes s’imposent.
[50] Aussi désignée sous le terme de « détournement
de pouvoir », la notion de « législation déguisée » s’entend d’une loi
portant en apparence sur un sujet relevant de la compétence de l’ordre de
gouvernement qui l’a édictée, mais qui dans les faits porte sur un sujet ne
relevant pas de cette compétence (Morgentaler, p. 496). Le recours à des
éléments de preuve extrinsèque, pour autant que ceux-ci reflètent l’intention
du législateur, est depuis longtemps admis pour trancher le caractère
prétendument « déguisé » d’un texte de loi (Renvoi relatif à la Upper
Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, p. 318‑319).
[51] L’appelant soutient que les parlementaires
québécois ont, à plusieurs reprises, démontré leur volonté de contrecarrer l’application
de l’approche retenue par le législateur fédéral concernant la culture à
domicile et ainsi d’adopter, sous une forme « déguisée », les dispositions
de la LRDS qui interdisaient autrefois la possession et la culture de
cannabis. Cette prétention ne peut être retenue.
[52] Il est vrai qu’un certain inconfort a été
exprimé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale à l’égard du projet de
décriminalisation, lancé sur la seule initiative du gouvernement fédéral. De
même, les parlementaires québécois ont jugé opportun de réitérer la
dangerosité du cannabis en raison des risques de banalisation — perçus ou
avérés — de cette substance qu’entraînait l’adoption de la Loi fédérale. L’appelant
nous renvoie au discours prononcé par la ministre responsable de la Santé
publique, au cours des dernières étapes ayant mené à l’adoption de la
version finale du projet de loi no 157 :
Ce projet de loi positionne et prépare le Québec à l’entrée en vigueur
prochaine de la légalisation du cannabis, imposée, il faut se le dire, là,
Mme la Présidente, unilatéralement par le gouvernement fédéral. Je veux que
les citoyens comprennent bien, là, que ce n’est pas le gouvernement du
Québec puis ce n’est pas les députés de l’opposition puis ce n’est pas
personne ici, à Québec, qui ont demandé ça. Ça s’est ramassé dans notre
agenda suite à une décision du gouvernement fédéral. Alors, on s’est activés
avec des échéanciers extrêmement courts et un degré d’incertitude élevé
quant aux intentions fédérales. Dire que c’était un réel défi, c’est peu
dire, Mme la Présidente. Le but ultime, le même pour nous depuis le départ,
était d’offrir le meilleur encadrement possible à cette substance sur notre
territoire, compte tenu des enjeux qu’elle comporte. Et, je tiens à le
répéter, Mme la Présidente, le cannabis n’est pas une substance banale et
inoffensive. Je dis aux jeunes : Ce n’est pas génial de fumer du cannabis.
[Je souligne.]
(Assemblée nationale, Journal des débats, vol. 44, no 346, 1re sess., 41e
lég., 6 juin 2018, p. 21972-21973 (L. Charlebois))
[53] De tels propos sont toutefois loin d’être
suffisants pour conclure à l’existence d’une législation déguisée. Comme le
soulignaient les juges Cromwell et Karakatsanis dans Québec (Procureur
général) 2015, « [l]es tribunaux sont, à juste titre, réticents à conclure
qu’une loi est déguisée » (par. 31). Une application moins restrictive de la
théorie du détournement de pouvoir entraînerait un risque que les tribunaux
outrepassent leur fonction judiciaire et statuent sur la base de
considérations d’ordre politique, manifestant ainsi « leur désapprobation
soit du principe directeur du texte législatif, soit du moyen par lequel la
loi cherche à l’appliquer » (ibid.).
[54] À mon avis, les propos de la ministre ne
démontrent pas une volonté de recriminaliser ce que le Parlement fédéral
avait pour but de décriminaliser. Ils reflètent plutôt une inquiétude
générale à l’égard des risques que crée la consommation de cannabis,
particulièrement chez les plus jeunes. Comme le souligne la Cour d’appel,
cette inquiétude a été maintes fois exprimée à la Chambre des communes lors
de l’examen du projet de loi C-45 (par. 102). En effet, bon nombre de
parlementaires ont mentionné que c’est chez « [l]es Canadiens et les
Canadiennes, y compris les enfants et les jeunes » qu’on observe certains
des plus hauts taux de consommation de cannabis dans le monde, et que ses
effets pouvaient s’avérer particulièrement dangereux pour les jeunes
consommateurs (ibid., citant Débats de la Chambre des communes, vol. 148, no
183, 1re sess., 42e lég., 30 mai 2017, p. 11706 (M. Mendicino)). Considérés
dans un tel contexte, les propos de la ministre montrent simplement que les
préoccupations relatives aux effets nocifs du cannabis pour la santé n’ont
pas disparu du seul fait de la décriminalisation de cette substance. En d’autres
mots, les préoccupations exprimées par les parlementaires fédéraux lors des
débats sur le projet de loi C-45 ont trouvé écho à l’intérieur des murs de l’Assemblée
nationale du Québec.
[55] Un parallèle a été tracé par la juge de
première instance entre les circonstances de l’espèce et celles de l’affaire
Morgentaler, où une loi de la Nouvelle-Écosse interdisant les avortements,
sauf en milieu hospitalier, avait pour caractère véritable non pas le
contrôle des établissements de santé privés, mais bien la limitation de l’avortement
en tant qu’acte socialement indésirable qu’il convenait de supprimer ou de
punir. L’arrêt Morgentaler rappelait notamment « [l]e principe directeur
[voulant] que les provinces ne puissent s’ingérer dans les sphères
criminelles en essayant de renforcer, de compléter ou de remplacer le droit
criminel [. . .] ou de remédier à ce qu’elles considèrent comme des défauts
ou des failles » (p. 498). En l’espèce, l’appelant plaide que ce même
principe est battu en brèche par les art. 5 et 10 de la Loi provinciale,
lesquels viseraient à remédier à l’abrogation des dispositions qui
criminalisaient autrefois la production personnelle de cannabis.
[56] À l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis
que les circonstances de l’espèce diffèrent de celles de l’arrêt
Morgentaler. Les interventions des parlementaires provinciaux dans
Morgentaler témoignaient d’une opposition frontale aux cliniques d’avortement
autonome comme « fléau public » à éliminer, et ne laissaient aucune
ambigüité sur le dessein poursuivi par la mesure législative contestée (p.
503). En outre, bon nombre de préoccupations importantes se rapportant à l’objet
déclaré de la loi — à titre d’exemples, les coûts des soins de santé ou l’opposition
à un système de santé à deux niveaux — avaient été passées sous silence lors
des débats parlementaires. On ne peut en dire autant de la façon dont se
sont déroulés les débats ayant mené à l’adoption de la Loi provinciale et
des dispositions contestées dans la présente affaire. Lorsque débattues par
les parlementaires québécois, les interdictions de possession et de culture
de plantes de cannabis ont été clairement envisagées sous l’angle des objets
déclarés de la loi, soit la préservation de l’intégrité du marché du
cannabis et la protection de la santé et de la sécurité de la population.
[57] Vu l’absence totale de preuve d’un dessein
législatif dit « inapproprié », et faisant montre de la prudence avec
laquelle la Cour a toujours traité les allégations de législation déguisée,
je ne peux accepter l’argument de l’appelant. Les dispositions contestées ne
représentent pas une tentative déguisée de réédicter les interdictions de
droit criminel abrogées par le Parlement.
b) Les effets des dispositions contestées
[58] Les effets des dispositions contestées sont
limpides, et je souscris au portrait qu’en dresse la Cour supérieure dans
ses motifs :
. . . l’application des articles 5 et 10 a pour conséquence pratique d’une
part, d’empêcher les citoyens de posséder et de cultiver des plantes de
cannabis à des fins personnelles et d’autre part, d’obliger les
consommateurs à s’approvisionner en cannabis auprès de la SQDC.
Quant aux conséquences juridiques, les dispositions provinciales ont pour
effet, tout d’abord, de prohiber la possession d’une plante de cannabis et
la culture personnelle de cannabis ainsi que d’imposer des sanctions pénales
en cas de contravention. Elles entraînent aussi des conséquences de nature
pénale à des actes qui étaient autrefois criminalisés par une loi fédérale,
soit la LRDS. [par. 49‑50]
[59] Je me permets cependant d’ajouter que, si les
dispositions contestées introduisent effectivement dans le champ du droit
pénal des comportements par ailleurs décriminalisés, les conséquences en cas
de contravention sont d’un tout autre ordre que celles découlant de l’application
des dispositions de la LRDS. Les personnes contrevenant aux art. 5 et 10 de
la Loi provinciale sont susceptibles d’être condamnées à des amendes qu’on
pourrait qualifier de relativement modestes, en ce qu’elles vont de 250 $ à
750 $.
[60] Ensemble, les effets juridiques et pratiques
décrits précédemment confirment la conclusion à laquelle je suis parvenu
plus tôt après analyse de la preuve intrinsèque et extrinsèque. Les articles
5 et 10 de la Loi provinciale n’ont pas pour objet de réprimer la possession
et la culture à domicile en tant que telles, mais bien d’assurer l’efficacité
du monopole étatique dans un but de protection de la santé et de la sécurité
du public contre les méfaits du cannabis.
[61] Un dernier point sur les effets des
dispositions contestées mérite qu’on s’y attarde. L’intervenante Canadian
Association for Progress in Justice soutient que le caractère déguisé des
dispositions contestées pourrait ressortir, outre de l’examen des débats
parlementaires, de la prise en compte de leurs effets. Plus précisément, les
art. 5 et 10 de la Loi provinciale et une série d’infractions criminelles
prévues par la Loi fédérale auraient pour effet combiné de recriminaliser
des comportements qui avaient pourtant été décriminalisés. Les interdictions
provinciales transformeraient les plantes de cannabis que possèdent ou
cultivent des particuliers québécois en une forme de « cannabis illicite »
au sens de l’art. 2 de la Loi fédérale, où ce terme est défini ainsi : «
Cannabis qui est ou a été vendu, produit ou distribué par une personne visée
par une interdiction prévue sous le régime de la présente loi ou d’une loi
provinciale . . . » La possession, la distribution, la culture et la
production de « cannabis illicite » sont l’objet d’infractions criminelles
prévues respectivement aux art. 8(1)b), 9(1)a)(iv), 12(4)a) et 13(1) de la
Loi fédérale. Partant, les dispositions contestées de la Loi provinciale
créeraient, en raison du caractère « illicite » des plantes cultivées dans
les maisons d’habitation québécoises, non pas seulement des infractions
réglementaires, mais également des infractions criminelles.
[62] J’accepte la prémisse selon laquelle l’examen
des débats parlementaires ainsi que l’analyse des effets peuvent être utiles
aux fins de démonstration du caractère déguisé d’une loi. Notre Cour l’a
elle-même affirmé dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu,
lorsqu’elle a souligné que « les effets de la loi peuvent indiquer un objet
autre que celui qu’elle énonce » et qu’« on parle parfois de “motif
déguisé” » en cas de différence marquée entre les effets de la loi et son
objet déclaré (par. 18). Cela dit, je ne peux toutefois retenir l’argument
selon lequel la recriminalisation de comportements ayant été décriminalisés
en l’espèce soit un effet des dispositions provinciales, lorsque l’on
considère leur interaction avec la Loi fédérale. Le Parlement a rédigé la
définition de « cannabis illicite » par référence à la législation
provinciale, et de façon à ce que des comportements sanctionnés pénalement
par les provinces fassent l’objet des interdictions criminelles prévues aux
art. 8(1)b), 9(1)a)(iv), 12(4)a) et 13(1) de la Loi fédérale. La possibilité
que soient recriminalisées la possession ou la culture d’une à quatre
plantes de cannabis à domicile résulte donc du seul fait de la décision qu’a
prise le Parlement d’envisager, à l’art. 2 de sa loi, l’intervention des
provinces sur le plan de la réglementation. Pour dire les choses simplement,
toute possible recriminalisation ne découle pas des dispositions
provinciales, mais bien uniquement des dispositions fédérales.
[63] Faire droit à l’argument de l’intervenante
signifierait que l’adoption par une province de toute interdiction du
cannabis à des fins de réglementation serait ultra vires parce que déjà
visée par la définition de « cannabis illicite », et par la possible
application des prohibitions criminelles prévues aux art. 8(1)b),
9(1)a)(iv), 12(4)a) et 13(1) de la Loi fédérale. Concrètement, cela aurait
pour effet d’annihiler le pouvoir des provinces d’encadrer l’usage de cette
substance. Un tel résultat irait à l’encontre de la vision du fédéralisme
préconisée par la Cour et de l’intention manifeste du législateur fédéral.
Sur ce dernier point, le Parlement a visiblement tenu pour acquis que les
provinces seraient en mesure de légiférer relativement au cannabis à l’intérieur
de leurs champs de compétence, d’où la mention des lois provinciales dans le
texte de la définition de « cannabis illicite ».
c) Conclusion sur le caractère véritable
[64] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que
les art. 5 et 10 ont pour caractère véritable d’assurer l’efficacité du
monopole étatique de vente du cannabis afin de protéger la santé et la
sécurité du public, particulièrement celles des jeunes, contre les méfaits
de cette substance. Les interdictions de possession et de culture de plantes
de cannabis ne constituent pas en soi l’objet des dispositions contestées,
mais bien un moyen permettant de diriger les consommateurs vers la seule
source d’approvisionnement jugée fiable et sécuritaire.
(3) La classification des dispositions contestées
[65] En l’espèce, la question qui nous occupe à l’étape
de la classification consiste à déterminer si les dispositions contestées
relèvent de la compétence du fédéral sur le droit criminel prévue au par.
91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou des compétences attribuées
aux provinces sur la propriété et les droits civils ainsi que sur les
matières de nature purement locale ou privée par les par. 92(13) et (16)
respectivement. Pour les raisons qui suivent, je conclus que les art. 5 et
10 de la Loi provinciale se rattachent aux pouvoirs des provinces et qu’ils
sont en conséquence intra vires de la législature québécoise.
[66] D’entrée de jeu, je ne peux accepter le
raisonnement qu’a suivi la juge de première instance et que l’appelant nous
invite à faire nôtre, à savoir que les art. 5 et 10 de la Loi provinciale
réunissent les trois éléments essentiels à la validité d’une règle de droit
criminel et, partant, que ces dispositions relèvent de la compétence du
fédéral. En ce qui concerne les deux premiers éléments, il m’apparaît
indubitable que les dispositions contestées prévoient des interdictions
assorties de sanctions (Reference as to the Validity of Section 5(a) of the
Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1 (« Renvoi sur la margarine »), p.
49‑50). Quant au troisième élément, la Cour a déjà reconnu que la protection
des groupes vulnérables contre les risques posés par le cannabis pour leur
santé constitue un objet valide de droit criminel (R. c. Malmo‑Levine, 2003
CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 76‑78). Cela dit, il convient de noter que
dans le présent contexte, le législateur québécois visait à assurer l’efficacité
du monopole étatique, dans une visée de protection de la santé et de la
sécurité de la population.
[67] Je suis d’avis que même si les art. 5 et 10
présentent en apparence toutes les caractéristiques des règles de droit
criminel, ils ne doivent pas pour autant être classés sous le par. 91(27) de
la Loi constitutionnelle de 1867. Pour les raisons qui suivent, j’estime qu’on
ne peut se limiter à la simple correspondance entre les trois exigences
énoncées dans le Renvoi sur la margarine, d’une part, et les dispositions
contestées en l’espèce, d’autre part, pour décider de la classification de
ces dernières.
[68] Premièrement, la décision du Parlement de
décriminaliser une conduite donnée laisse le champ libre aux provinces d’adopter
leurs propres interdictions assorties de pénalités liées à cette même
conduite, pour autant que les interdictions servent à faire appliquer des
lois portant sur des matières de compétence provinciale (par. 92(15) de la
Loi constitutionnelle de 1867). En conséquence, les mesures réglementaires à
caractère pénal qu’adoptent les provinces à l’égard d’activités
décriminalisées ne constituent pas nécessairement des tentatives de
légiférer en matière criminelle. C’est en ce sens que le juge Major, dans l’arrêt
Siemens c. Manitoba (Procureur général), 2003 CSC 3, [2003] 1 R.C.S. 6,
écrivait que « [l]a seule existence d’une interdiction et d’une sanction n’invalide
pas l’exercice par ailleurs acceptable d’une compétence législative
provinciale » (par. 25).
[69] Deuxièmement, il est reconnu que les provinces
ont compétence pour légiférer à l’égard de plusieurs matières touchant à des
objets qui constituent par ailleurs des objets valides de droit criminel.
Dans le Renvoi sur la margarine, le juge Rand a désigné [traduction] « [l]a
paix, l’ordre, la sécurité, la santé et la moralité publics » comme les «
fins » poursuivies ordinairement, mais non exclusivement par le droit
criminel (p. 50). Si la paix, l’ordre, la sécurité, la santé et la moralité
publics sont des objets classiques de droit criminel, les provinces peuvent
prendre en compte de tels impératifs dans la conception de leurs propres
systèmes de réglementation. Comme nous l’enseigne l’arrêt Siemens, « [l]e
fait que certaines [des] considérations [prises en compte par la législature
provinciale] aient un aspect moral n’invalide pas pour autant une loi
provinciale par ailleurs légitime » (par. 30). Ici, le seul fait que le
législateur québécois ait légiféré en considérant le risque réel que
représente la consommation de cannabis pour certaines populations
vulnérables n’est pas en soi le signe d’un empiètement sur le domaine du
droit criminel.
[70] Plutôt que de prendre pour point de départ le
cadre analytique élaboré dans le Renvoi sur la margarine, comme l’a fait la
juge de première instance, je procéderai à la qualification des dispositions
contestées en considérant les fondements constitutionnels de l’action
législative des provinces en matière de santé publique.
[71] En l’espèce, la décriminalisation partielle
par le Parlement de la possession, de la vente et de la distribution de
cannabis, ainsi que de la possession et de la culture de plantes de
cannabis, a ouvert la voie à l’intervention législative des provinces. En
interdisant la possession et la culture à domicile de plantes de cannabis,
le législateur québécois a exercé le pouvoir que lui confère le par. 92(15)
d’édicter des mesures pénales destinées à la mise en œuvre d’une loi par
ailleurs valide. J’ai conclu, plus tôt, que les art. 5 et 10 de la Loi
provinciale instaurent un régime assurant l’efficacité du monopole étatique
et qu’ils contribuent, de fait, à la réalisation des objectifs de santé et
de sécurité publiques. Ainsi qualifiées, les dispositions contestées se
rattachent clairement aux chefs de compétence provinciaux prévus aux par.
92(13) et (16). Cela s’explique par le fait que les interventions
législatives des provinces en matière de santé publique ont pour assises
principales la compétence large et plénière sur la propriété et les droits
civils (par. 92(13)), ainsi que la compétence résiduelle sur les matières de
nature purement locale ou privée dans la province (par. 92(16)) (Chaoulli c.
Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791, par. 18).
[72] Un mot sur ces deux chefs de compétence comme
fondements distincts de la validité des art. 5 et 10. Dans l’arrêt Dupond c.
Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770, le juge Beetz écrivait que la Loi
constitutionnelle de 1867 reconnaît aux législatures provinciales un pouvoir
général de « faire des lois relatives à toutes les matières de nature
purement locale ou privée dans la province », les différents domaines de
pouvoir législatif énumérés à l’art. 92 n’en étant « que des exemples » et
le par. 92(16) établissant un pouvoir résiduel (p. 792). En l’espèce, et de
façon similaire aux conclusions dans l’affaire Dupond, les dispositions
contestées tirent leur validité constitutionnelle non seulement du par.
92(16), mais également du par. 92(13). La compétence prévue au par. 92(13)
vise le droit privé, c’est-à-dire le droit relatif aux rapports
interpersonnels (H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel
(6e éd. 2014), p. 495, par. VI-2.109).
[73] Cette précision faite, il incombe maintenant d’expliquer
en quoi l’intervention du législateur québécois dans le domaine de la santé
témoigne ici d’un esprit de réglementation, et non pas de répression d’une
menace ou d’un mal. Cela est d’importance puisque la santé, en tant que
matière non attribuée dans la Loi constitutionnelle de 1867, fait l’objet d’un
chevauchement de compétences (RJR-MacDonald, par. 32; Schneider c. La Reine,
[1982] 2 R.C.S. 112, p. 142; Canada (Procureur général) c. PHS Community
Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 68). Dans le Renvoi
relatif à la Loi sur la non‑discrimination génétique, la juge Karakatsanis a
décrit en ces termes l’existence d’un chevauchement de compétences dans ce
même domaine : « La santé constitue un champ de compétence qui présente un
caractère “informe”, et où il y a chevauchement entre des exercices valides
de la compétence générale des provinces pour réglementer le domaine de la
santé et la compétence du Parlement en matière de droit criminel pour
répondre aux menaces à la santé . . . » (par. 93). Il est par ailleurs bien
établi que les deux ordres de gouvernements sont habilités à légiférer
relativement à la production, à la distribution et à la vente de produits
présentant un danger pour la santé publique, dont le tabac et l’alcool
(RJR-MacDonald, par. 36-38; R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213, par.
131; Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis
d’alcool), [1987] 2 R.C.S. 59, p. 63 et 67‑68).
[74] Ici, la possession et culture personnelle de
cannabis n’a pas été envisagée par le législateur québécois comme un fléau
social à réprimer, mais plutôt comme une pratique qu’il convient d’interdire
pour diriger les consommateurs vers une source d’approvisionnement
contrôlée. Il est utile de faire une analogie avec les conclusions de notre
Cour dans l’arrêt Schneider, où l’Heroin Treatment Act, S.B.C. 1978, c. 24,
de la Colombie‑Britannique a été jugée intra vires de la législature
provinciale en vertu du par. 92(16). De l’avis de la Cour, la loi visait non
pas à punir les toxicomanes, mais plutôt à encadrer leur traitement médical
et à veiller à leur sécurité (Schneider, p. 132‑133). En l’espèce, et de
façon similaire à l’esprit de la loi contestée dans Schneider, les
interdictions prévues aux art. 5 et 10 de la Loi provinciale ne visent pas d’objectifs
punitifs en tant que tels, mais reflètent plutôt une logique d’encadrement
et de supervision de l’accès à la substance.
[75] À la lumière de ce qui précède, les art. 5 et
10 relèvent donc non pas de la sphère du droit criminel, mais bien de la
compétence générale des provinces en matière de réglementation de la santé.
[76] S’il est vrai que des interdictions semblables
à celles prévues aux art. 5 et 10 ont autrefois été adoptées par le
Parlement en vertu du pouvoir fédéral en droit criminel, cela s’explique par
la doctrine du double aspect. Celle-ci participe du courant moderne en
matière de fédéralisme et d’interprétation constitutionnelle, lequel
reconnaît les inévitables chevauchements de compétence (Banque canadienne de
l’Ouest, par. 42). En vertu de la doctrine du double aspect, le Parlement et
les législatures provinciales peuvent adopter des lois sur des matières qui,
par leur nature même, comportent à la fois une facette provinciale et une
facette fédérale (Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2019 CSC
58, [2019] 4 R.C.S. 228, par. 84). La doctrine du double aspect sera donc
susceptible d’application lorsque chaque ordre de gouvernement a un intérêt
« impérieux » à légiférer relativement à différents aspects de la même
activité ou matière (par. 85). En pratique, sans pour autant créer une
compétence concurrente sur une même matière, la doctrine du double aspect
« ouvre la voie à l’application concurrente de législations fédérale et
provinciales » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 66
(italique omis)).
[77] Le présent pourvoi est un cas classique d’application
de la doctrine du double aspect. L’encadrement de l’usage des drogues,
notamment du cannabis, comporte des aspects à la fois fédéraux et
provinciaux, ce qui permet d’envisager l’application concurrente de lois des
deux ordres de gouvernement. Cette matière présente un double aspect en ce
qu’elle peut être abordée suivant deux perspectives différentes : (1) celle
du droit criminel (en vertu du par. 91(27)), en réprimant un « mal » ou un
effet nuisible ou indésirable pour le public; et (2) celle de la santé ou du
commerce (en vertu des par. 92(13) et (16)), en réglementant notamment les
conditions de production, de distribution et de vente de la substance. Les
articles 5 et 10 de la Loi provinciale encadrent l’usage du cannabis suivant
cette deuxième perspective normative, et ainsi relèvent de la compétence
provinciale.
[78] Je conclus cette portion de l’analyse en
insistant sur le fait que les dispositions contestées n’empiètent pas sur la
compétence fédérale en matière de droit criminel du seul fait qu’elles
prévoient des interdictions de nature absolue. La juge de première instance
a émis l’opinion contraire, expliquant qu’« en choisissant d’interdire de
façon absolue la possession de plantes de cannabis et sa culture à des fins
personnelles, la province a perdu sa compétence » (par. 86). Cette inférence
n’est pas appuyée en droit, et fait abstraction du fait que bon nombre d’interdictions
réglementaires revêtent un caractère absolu sans pour autant être
considérées comme des interdictions de droit criminel. Il suffit de citer à
titre d’exemple l’interdiction de la vente de tabac aux mineurs consacrée,
en droit québécois, aux art. 13 et 14.4 de la Loi concernant la lutte contre
le tabagisme, RLRQ, c. L-6.2.
(4) Conclusion sur la validité constitutionnelle des dispositions
contestées
[79] La présomption de constitutionnalité des lois
demeure un principe cardinal de notre jurisprudence en matière de partage
des compétences (Reference re The Farm Products Marketing Act, [1957] R.C.S.
198, p. 255; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1978] 2 R.C.S. 662, p.
687-688; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3
R.C.S. 453, par. 162; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 25).
En vertu de cette présomption, toute disposition législative est présumée
intra vires de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée.
[80] En l’espèce, il incombait à l’appelant de
démontrer que, de par leur caractère véritable, les art. 5 et 10 ne se
rattachent pas à l’une des catégories de sujets relevant de la compétence
des provinces. Il n’y est pas parvenu. Les dispositions contestées n’ont pas
pour matière la répression morale de la production personnelle de cannabis.
Leur caractère véritable est plutôt d’assurer l’efficacité du monopole
étatique de vente du cannabis, dans un but de protection de la santé et de
la sécurité de la population contre les méfaits de cette substance.
[81] Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis
que les art. 5 et 10 de la Loi provinciale constituent un exercice valide
par le législateur québécois des compétences que lui confèrent les par.
92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867, et que la Cour d’appel n’a
donc pas commis d’erreur dans son examen de la validité des dispositions
contestées.
[82] Même s’il ne s’agit pas d’un facteur
déterminant, je souligne que le procureur général du Canada n’est pas
intervenu dans la présente affaire pour contester la validité
constitutionnelle des art. 5 et 10 de la Loi provinciale. Ma conclusion sur
la validité de ces dispositions s’inscrit bien dans l’esprit de prudence qui
guide les tribunaux lorsque le gouvernement fédéral renonce à toute
participation au débat : « . . . la Cour devrait se montrer particulièrement
réticente à invalider une loi provinciale lorsque le gouvernement fédéral n’en
conteste pas la validité . . . » (SEFPO c. Ontario (Procureur général),
[1987] 2 R.C.S. 2, p. 19‑20).
B. La Cour d’appel du Québec a-t-elle fait erreur en droit en
concluant que les art. 5 et 10 de la Loi provinciale sont
constitutionnellement opérants?
[83] Dans cette deuxième partie, je vais traiter de
la question de savoir si la doctrine de la prépondérance fédérale s’applique
dans la présente affaire, de telle sorte que les art. 5 et 10 de la Loi
provinciale seraient déclarés inopérants dans la seule mesure de leur
incompatibilité avec la Loi fédérale. À l’instar de la Cour d’appel, je suis
d’avis que les dispositions contestées sont opérantes. L’application des
interdictions absolues prévues par la Loi provinciale n’entrave pas la
réalisation de l’objet fédéral identifié par l’appelant. Contrairement à ce
que prétend ce dernier, la Loi fédérale n’a pas pour objet de créer, et ce,
dans le but de limiter les activités illicites liées au cannabis, des droits
positifs permettant de posséder et de cultiver à des fins personnelles au
plus quatre plantes de cannabis. Une telle interprétation de l’objet de la
Loi fédérale ne correspond pas à la nature essentiellement prohibitive du
pouvoir de légiférer en matière de droit criminel, et n’est pas appuyée par
le texte de cette loi.
[84] En guise d’introduction, je rappelle les
circonstances qui commandent l’application de la doctrine de la
prépondérance fédérale. Il y a incompatibilité justifiant de faire primer
une loi fédérale sur une loi provinciale valide dans les cas où il existe un
conflit d’application ou une entrave à la réalisation de l’objet de la loi
fédérale. Dans le premier cas, le conflit d’application suppose une
impossibilité de respecter les deux lois simultanément, notamment « lorsqu’une
loi dit “oui” et que l’autre dit “non” » selon l’expression consacrée dans l’arrêt
Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 191. Dans le
second cas, « l’imposition de l’obligation de se conformer à une législation
provinciale équivaudrait à empêcher la réalisation de l’objectif de la loi
fédérale » (Banque canadienne de l’Ouest, par. 73). Comme l’a précisé le
juge Major dans l’arrêt Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, 2005
CSC 13, [2005] 1 R.C.S. 188, par. 14-15, l’existence de l’une ou l’autre de
ces situations suffit à déclencher l’application de la doctrine de la
prépondérance fédérale, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il soit aisé d’en
faire la démonstration.
[85] En effet, le fardeau de preuve qui incombe à
la partie alléguant l’existence d’un conflit d’application ou d’un conflit d’objets
est élevé (Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3
R.C.S. 327, par. 27; Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging
Ltd., 2015 CSC 53, [2015] 3 R.C.S. 419, par. 21-23). Une telle exigence
découle de la règle cardinale d’interprétation constitutionnelle portant que
« [c]haque fois qu’on peut légitimement interpréter une loi fédérale de
manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut
appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait
un conflit » (Procureur général du Canada c. Law Society of British
Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, p. 356). En outre, j’estime que l’impératif
de mener le volet de l’opérabilité avec autant de précision possible prend
une importance toute particulière dans des circonstances comme celles en
cause, où la matière législative présente un double aspect. Il s’agit « de
ne pas éroder l’importance accordée à l’autonomie provinciale », un souci
que j’exprimais notamment dans les Renvois relatifs à la Loi sur la
tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC
11, par. 128.
[86] Pour les raisons qui suivent, et à la lumière
de l’approche dite « restrictive » qui guide la Cour en la matière, je suis
d’avis que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui
incombait.
[87] Je tiens à dissiper d’emblée toute idée selon
laquelle il existerait un conflit d’application entre les dispositions
contestées et la Loi fédérale. Lorsque questionné par la Cour à ce sujet, l’appelant
a d’ailleurs concédé qu’il était possible d’obéir aux deux lois, ce qui
suggère une absence de conflit d’application. En s’abstenant de posséder et
de cultiver des plantes de cannabis à son domicile, un particulier québécois
peut ainsi se conformer aisément à la fois à la Loi fédérale qui soustrait
au champ d’application de son régime d’infractions criminelles la possession
et la culture d’au plus quatre plantes de cannabis, et à la Loi provinciale
qui interdit la possession et la culture de toute plante de cannabis dans
une maison d’habitation.
[88] La seule question qui se pose consiste donc
plutôt à décider s’il existe une entrave à la réalisation d’un objet
fédéral, ce qui suppose en l’espèce d’établir d’abord quel est l’objet de la
Loi fédérale et de déterminer ensuite si les dispositions de la Loi
provinciale sont incompatibles avec cet objet (Québec (Procureur général) c.
Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536,
par. 66).
[89] La thèse de l’appelant concernant l’existence
d’une entrave à la réalisation de l’objet de la Loi fédérale peut se résumer
en quelques lignes. L’incompatibilité découlerait du fait que la Loi
provinciale ne se contente pas de restreindre ce que permet la Loi fédérale,
soit la culture et la possession d’au plus quatre plantes de cannabis dans
une maison d’habitation, mais a plutôt pour effet de l’interdire
complètement. En avançant un tel argument, l’appelant tient pour acquis que
les al. 8(1)e) et 12(4)b) de la Loi fédérale ont dans les faits créé un
droit positif d’auto-culture de cannabis. Le fait de permettre positivement
et expressément de cultiver un nombre maximal de quatre plantes de cannabis
à domicile constitue, selon l’appelant, l’objet des dispositions fédérales.
Dans sa forme plus raffinée, l’argument revient à suggérer que le fait de
conférer aux Canadiens et aux Canadiennes un droit positif de posséder ou de
cultiver au plus quatre plantes de cannabis constitue l’objet précis des al.
8(1)e) et 12(4)b). Un tel objet serait poursuivi pour réaliser d’autres
objets plus généraux de la Loi fédérale énoncés à l’art. 7 de cette loi,
notamment le fait d’éliminer ou de limiter le marché illicite du cannabis
(al. 7c)) (voir la distinction qui est faite entre un objet précis et un
objet général dans Rothmans, par. 25).
[90] À mon avis, la thèse de l’appelant ne peut
être retenue. L’objet des dispositions de la Loi fédérale n’est pas de créer
un droit positif d’auto-culture de cannabis, et ce, dans un objectif plus
large consistant à limiter l’influence du crime organisé. Un tel objet n’est
pas conforme à « la nature essentiellement prohibitive du pouvoir en droit
criminel » (Rothmans, par. 19), dont la reconnaissance en droit canadien
remonte à l’arrêt phare Proprietary Articles Trade Association c. Attorney
General for Canada, [1931] A.C. 310 (C.P.). Comme le rappelait la juge en
chef McLachlin dans le Renvoi relatif à la LPA, « [l]e pouvoir fédéral de
légiférer en droit criminel ne peut être exercé que pour interdire des
actes » (par. 38). Ainsi, lorsque sont prévues des exceptions visant des
pratiques que le Parlement n’entend pas interdire, « [la loi] n’autorise pas
vraiment ces pratiques, elle s’abstient seulement de les interdire » (ibid.
(italique omis)).
[91] Il est vrai que, dans le langage courant et
même dans le discours de certains parlementaires, le fait de prévoir des
exceptions ou des exemptions dans le cadre d’un régime d’infractions
criminelles est souvent présenté comme un effort de « légalisation ». Une
telle façon de s’exprimer est toutefois erronée et laisse faussement
entendre qu’ont été conférés à la population des droits positifs l’autorisant
à se conduire de telle ou telle manière. En l’espèce, on ne saurait donc
voir dans les propos de la ministre fédérale de la Santé, qui parlait d’une
« autorisation de la culture limitée à domicile », la manifestation claire
de la volonté du Parlement de conférer un droit positif d’auto-culture
(Débats de la Chambre des communes, vol. 148, no 314, 1re sess., 42e lég.,
13 juin 2018, p. 20875). Je rappelle par ailleurs que les tribunaux doivent
faire preuve de circonspection lorsqu’ils s’appuient sur les débats
parlementaires comme expression de l’intention du législateur. Le recours à
ce type de preuve extrinsèque doit être envisagé « avec prudence », compte
tenu du fait que « les déclarations faites par les députés peuvent s’avérer
de mauvais indicateurs de l’intention du Parlement » (R. c. Sharma, 2022 CSC
39, par. 89).
[92] En outre, je note que rien dans le libellé des
al. 8(1)e) et 12(4)b) n’indique que l’intention du législateur fédéral était
d’autoriser l’auto-culture de cannabis. Au contraire, ces dispositions se
présentent comme des règles classiques de droit criminel : elles renferment
une interdiction, une sanction et elles s’attaquent à un mal en matière de
santé et de sécurité publiques. Elles sont greffées d’exemptions visant la
culture et la possession d’une à quatre plantes de cannabis. Leur texte ne
laisse planer aucune ambiguïté sur le fait que la possession et la culture d’une
à quatre plantes de cannabis ont simplement été exclues du champ d’application
des infractions criminelles prévues par la Loi fédérale. Soulignant l’absence
de dispositions conférant un droit exprès de cultiver du cannabis à des fins
personnelles, la Cour d’appel a conclu à bon droit qu’« il semble plus exact
de dire non pas que la [Loi fédérale] a légalisé certains volets liés à l’usage
de cette substance, mais, plutôt, qu’elle les a décriminalisés » (par. 117).
[93] L’appelant fait grand cas du fait que l’al.
7c) de la Loi fédérale est formulé de façon nettement plus positive ou
permissive, énonçant un des objets de la loi comme étant le fait de «
permettre la production licite de cannabis afin de limiter l’exercice d’activités
illicites qui sont liées au cannabis ». Il y voit le signe que le
législateur fédéral avait véritablement pour intention de conférer un droit
positif d’auto-culture. Encore une fois, je ne peux accepter les prétentions
de l’appelant.
[94] Premièrement, il n’est pas évident que par «
production licite » à l’al. 7c), le législateur visait explicitement la
production de cannabis à domicile. Je considère plutôt que le terme «
production licite » exprime une intention générale de permettre la
production à l’intérieur du cadre légal mis en place par la Loi fédérale. La
notion de « production licite » pourrait également être considérée, a
contrario, comme l’inverse de la notion de « cannabis illicite » qui, à l’art.
2 de la Loi fédérale, est définie comme tout « [c]annabis qui est ou a été
vendu, produit ou distribué par une personne visée par une interdiction
prévue sous le régime de la présente loi ou d’une loi provinciale ou qui a
été importé par une personne visée par une interdiction prévue sous le
régime de la présente loi. »
[95] Deuxièmement, même en admettant que la notion
de « production licite » puisse s’entendre de la production à domicile, le
mot « permettre » à l’al. 7c) ne peut être interprété comme le signe d’une
autorisation ou permission créatrice de droits positifs. Il ne peut l’être
puisque, comme je l’ai souligné plus tôt, la création de droits positifs ne
constitue pas un exercice valide de la compétence en matière de droit
criminel et que la validité constitutionnelle de la Loi fédérale doit être
présumée dans notre examen de l’opérabilité des dispositions provinciales.
[96] Les enseignements de l’arrêt Rothmans sont
pertinents pour les besoins du présent pourvoi. J’estime que les principes
qui s’en dégagent permettent de trancher la question de l’opérabilité des
dispositions contestées. Dans cette affaire, il fallait décider si une loi
provinciale interdisant la promotion des produits du tabac dans tout endroit
accessible à des jeunes entravait la réalisation de l’objet d’une loi
fédérale qui interdisait la promotion des produits du tabac, sauf dans les
commerces de détail. La Cour d’appel de la Saskatchewan avait conclu que la
loi provinciale interdisait ce qui était par ailleurs autorisé par la loi
fédérale, c’est-à-dire la promotion du tabac dans les commerces de détail.
Notre Cour a conclu différemment, précisant que « le Parlement n’accordait
pas et ne pouvait pas accorder aux détaillants un droit positif d’exposer
des produits du tabac » (par. 18 (je souligne)). En outre, les lois adoptées
en vertu du pouvoir de légiférer en droit criminel « ne permettent
généralement pas de créer des droits autonomes qui limitent la capacité des
provinces de légiférer plus rigoureusement dans le domaine que le
Parlement » (par. 19 (je souligne)).
[97] Le principe qu’il faut retenir de ces passages
est que l’adoption d’exceptions ou d’exemptions dans le cadre d’un régime de
droit criminel ne peut servir à conférer des droits positifs de pratiquer
les activités faisant l’objet de ces mêmes exceptions ou exemptions. Cette
précision est importante dans un cas comme celui qui nous occupe. Les
provinces peuvent légitimement prendre des initiatives réglementaires pour
encadrer des activités décriminalisées sans ce faisant entraver la
réalisation d’un objet — la création de droits positifs — qui est par
définition étranger au pouvoir de légiférer du fédéral en matière de droit
criminel.
[98] Je reconnais que les circonstances de l’arrêt
Rothmans diffèrent de celles de l’espèce sur un point important. Dans
Rothmans, l’exemption relative à l’exposition de produits du tabac dans les
commerces de détail ne semblait pas intimement liée à la réalisation de l’objet
de droit criminel visé par la loi dans son ensemble, soit le fait de s’attaquer
à un problème de santé publique d’envergure nationale. Comme l’a indiqué la
Cour dans cette affaire, même si on acceptait que la loi fédérale octroie
aux détaillants un droit positif d’exposer des produits du tabac, il serait
difficile d’imaginer qu’un tel droit puisse véritablement contribuer à la
lutte contre un mal dans le domaine de la santé publique (par. 20). Dans l’affaire
qui nous occupe, il serait au contraire possible de soutenir que les
exemptions visant la possession et la culture de plantes de cannabis à
domicile participent directement à la réalisation d’un objet de droit
criminel, soit celui de décourager le commerce illicite du cannabis. Suivant
cette logique, la reconnaissance d’un droit positif d’auto-culture pourrait
ainsi contribuer à limiter la demande pour du cannabis provenant de sources
illicites ou d’organisations criminelles, un objet auquel nuirait l’application
des interdictions absolues adoptées par le législateur québécois.
[99] Je ne peux toutefois accepter que des
exceptions ou des exemptions adoptées dans le cadre d’un régime d’infractions
criminelles puissent générer des droits positifs, même lorsque ces
exceptions ou exemptions sont intimement liées à la réalisation d’objets de
droit criminel. La Cour a circonscrit au cours des dernières années l’étendue
de la compétence fédérale sur le droit criminel. Dans le Renvoi relatif à la
LPA, la juge en chef McLachlin a notamment formulé une mise en garde
précisant qu’« une définition sans balises [de ce que constitue un véritable
objet de droit criminel], jumelée à la règle de la prépondérance, est
susceptible de rompre l’équilibre constitutionnel entre pouvoirs fédéraux et
provinciaux » (par. 43). À mon sens, la modification des principes de l’arrêt
Rothmans présenterait un risque similaire pour l’équilibre constitutionnel
du régime fédéral. La reconnaissance de droits positifs créés à partir d’exceptions
ou d’exemptions intimement liées à un objet valide de droit criminel
élargirait indûment l’étendue du pouvoir fédéral de légiférer en droit
criminel.
[100] Les principes qui se dégagent de l’arrêt Rothmans
sont pertinents, sans qu’il soit nécessaire d’y apporter quelque
modification, et ils s’appliquent au présent pourvoi. Cela signifie que les
exemptions prévues aux al. 8(1)e) et 12(4)b) de la Loi fédérale ne sont pas
des sources de droits positifs, malgré l’apparence d’un lien étroit entre
celles-ci et l’objet de droit criminel que constitue la lutte contre les
activités illicites.
[101] Bien que cela ne soit pas en soi déterminant pour
trancher la question de l’opérabilité, je souligne que les objectifs
poursuivis par le Parlement et la législature provinciale sont concordants.
En effet, la protection de la santé et de la sécurité de la population —
particulièrement celles des jeunes —, la lutte contre le crime organisé et
le fait de garantir l’accès à des produits dont la qualité est contrôlée
sont autant de considérations ayant manifestement animé l’adoption de la Loi
fédérale et de la Loi provinciale.
[102] Je note à cet égard que les interdictions
provinciales répondent directement à plusieurs des objectifs énumérés à l’art.
7 de la Loi fédérale. En effet, les interdictions absolues de possession et
de culture de la Loi provinciale permettent vraisemblablement de protéger la
santé des jeunes en restreignant l’accès au cannabis (al. 7a)), la culture à
domicile par des personnes majeures étant susceptible d’accroître l’accessibilité
de cette substance par les mineurs résidant sous le même toit. Elles
préviennent également les incitations à l’usage du cannabis (al. 7b)), la
présence de plantes de cannabis au domicile pouvant être considérée de facto
comme une incitation. Elles contribuent au contrôle de la qualité des
produits offerts (al. 7f)), le cannabis cultivé à la maison n’étant pas
soumis à des normes de qualité telle la concentration maximale du principal
composé actif du cannabis, le tétrahydrocannabinol (« THC »). Elles
contribuent clairement à la sensibilisation du public aux risques que pose
la consommation du cannabis pour la santé (al. 7g)), l’offre d’information
aux consommateurs étant facilitée par leur intégration à un cadre de vente
réglementé.
[103] Enfin, j’ajouterais que même si les approches
retenues respectivement par le législateur fédéral et le législateur
provincial à l’égard de l’auto-culture sont différentes, la Loi provinciale
témoigne au même titre que la Loi fédérale d’un souci de lutter contre le
crime organisé (al. 7c) et d)). Le législateur provincial était d’avis qu’en
raison de leur contribution à l’instauration d’un marché unique, les
interdictions absolues de possession et de culture à domicile permettraient
de limiter le trafic de cannabis provenant de sources non autorisées. En
outre, il n’est pas du ressort de la Cour de trancher la question de savoir
laquelle des deux approches — la prohibition de la production personnelle,
ou la tolérance d’une telle pratique — est la plus susceptible de limiter l’exercice
d’activités illicites liées au cannabis. Il suffit de constater que c’est ce
même objectif qui a guidé l’intervention législative des deux ordres de
gouvernement en l’espèce.
[104] En conséquence, je conclus que les art. 5 et 10
de la Loi provinciale n’entravent pas la réalisation des objets énoncés dans
la Loi fédérale, notamment celui de limiter la présence des organisations
criminelles dans le marché du cannabis, et qu’elles sont opérantes au regard
de la doctrine de la prépondérance fédérale. Les objectifs de santé et de
sécurité publiques poursuivis par la Loi provinciale et ses interdictions
sont, dans une large mesure, en harmonie avec les objectifs visés par la Loi
fédérale, et il n’y a pas lieu de conclure à l’existence d’un conflit d’objets.
V. Conclusion
[105] Les articles 5 et 10 de la Loi provinciale sont
valides et opérants. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
[106] Le procureur général du Québec a demandé que lui
soient accordés les dépens. J’estime qu’il ne serait pas justifié de faire
droit à cette demande. La Cour possède le pouvoir discrétionnaire de déroger
à la règle usuelle selon laquelle la partie ayant obtenu gain de cause a
droit aux dépens. La présence d’un enjeu d’intérêt public constitue un
facteur dans l’exercice de ce pouvoir, si bien que « la partie déboutée qui
soulève une question de droit sérieuse et importante pour le public ne doit
pas toujours supporter les dépens de l’autre partie » (Little Sisters Book
and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC
2, [2007] 1 R.C.S. 38, par. 35, citant à titre d’exemple Canadian Foundation
for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4,
[2004] 1 R.C.S. 76, par. 69). En l’espèce, l’appelant est un citoyen qui a
soulevé d’importantes questions de droit constitutionnel relativement à un
enjeu d’intérêt général, soit la décriminalisation de l’usage récréatif du
cannabis et ses conséquences. Je suis d’avis que de telles circonstances
militent en faveur de l’exercice de notre pouvoir discrétionnaire et, en
conséquence, chaque partie assumera ses propres dépens devant la Cour et
devant les juridictions inférieures.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelant : Saraïlis Avocats, Québec.
Procureurs de l’intimé : Lavoie, Rousseau
(Justice‑Québec), Québec; Ministère de la Justice du Québec, Québec.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario
: Procureur général de l’Ontario — Direction du droit constitutionnel,
Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du
Manitoba : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la
Colombie‑Britannique : Legal Services Branch — Ministry of Attorney General,
Victoria.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la
Saskatchewan : Constitutional Law Branch — Ministry of Justice and Attorney
General, Regina.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta
: Attorney General of Alberta — Constitutional and Aboriginal Law, Edmonton.
Procureurs de l’intervenante Canadian Association for
Progress in Justice : IMK, Montréal; Dalziel Law Corporation, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante la Société canadienne du
cancer : Société canadienne du cancer, Ottawa; Langlois Lawyers, Montréal.
Procureurs de l’intervenante Cannabis Amnesty : Paliare
Roland Rosenberg Rothstein, Toronto; Ruby Shiller Enenajor DiGiuseppe,
Toronto.
Procureurs des intervenants Cannabis Council of Canada
et l’Association québécoise de l’industrie du cannabis : McCarthy Tétrault,
Toronto.
* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.














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