Richard Branson était à Genève: Cette guerre contre les drogues ne sera jamais gagnée

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L’INterview de la semaine samedi 05 octobre 2013

Richard Branson: «les riches sont incroyablement chanceux»
Frédéric Lelièvre et Richard Werly

Richard Branson était à Genève ce lundi. Le président du groupe Virgin participait à une séance consacrée à la lutte contre la drogue, en compagnie de plusieurs anciens chefs d’Etat et de gouvernement. Le Britannique commente aussi sa participation à «The Giving Plegde», l’initiative philanthropique de Warren Buffett et Bill Gates

Il sort tout juste d’une après-midi de débats avec une brochette d’anciens chefs d’Etat ou de gouvernement, réunis dans le cadre de la Commission mondiale pour la politique des drogues (lire ci-dessous).

Le salon de l’Hôtel de la Paix, sur le quai du Mont-Blanc à Genève, bruit encore des apartés entre l’ancien président mexicain Ernesto Zedillo, son homologue brésilien Henrique Cardoso, l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi Annan et l’ancienne présidente de la Confédération Ruth Dreifuss. Sir Richard Branson, lui, avance vers nous. Arrivé lundi matin 30 septembre aux commandes de son avion personnel, il doit redécoller vers 22?h pour l’Afrique du Sud. Avant de participer à un débat sur les drogues parrainé par Le Temps, il fait une pause et répond à nos questions.

Le Temps: Quel message êtes-vous venu délivrer à Genève?

Richard Branson: Cette Commission pour la politique des drogues dans laquelle j’ai choisi de m’impliquer défend une ligne simple: la guerre mondiale contre la drogue nous conduit tous à une impasse meurtrière et dévastatrice. Croire que l’on en finira avec les drogues par la force des armes et de la répression est une dangereuse illusion.

Plus l’on persiste à considérer les toxicomanes comme des criminels, et à refuser l’option d’un accès médical contrôlé à certaines catégories de stupéfiants, plus l’on fait le jeu des mafias et de tous ceux qui s’enrichissent de leurs trafics. Les prisons privées aux Etats-Unis sont pleines, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, aujourd’hui couloirs de transit, sont en passe de devenir des «narco-Etats».

Cette guerre contre les drogues ne sera jamais gagnée. Pour preuve, plusieurs Etats d’Amérique du Nord, comme la Californie ou le Colorado, ont commencé à amender leur législation.

– Vous êtes un entrepreneur. Or, cette guerre mondiale contre la drogue est aussi, vous venez de le dire, un marché qui brasse des milliards et que beaucoup ont intérêt à faire prospérer…

– On estime à 400 milliards de dollars par an ce marché contrôlé par les mafias et la criminalité organisée. Il y a derrière des profits colossaux, des centaines de milliers d’«emplois», des intérêts très puissants. Tous ceux-là veulent que la guerre contre la drogue continue, car ils connaissent les moyens de continuer à approvisionner les toxicomanes du monde entier par les voies souterraines sous leur contrôle. Comment rompre cette chaîne infernale du profit? En les privant de leur business! J’admire ce qu’un pays comme le Portugal a commencé à faire, avec un encadrement médicalisé des toxicomanes pour leur permettre d’avoir accès aux drogues sous contrôle.

Il faut changer notre raisonnement: passer du tout répressif à une approche médicale, sociale. Si mes enfants, mon frère, ma sœur étaient toxicomanes, je ne voudrais pas qu’on les enferme, mais qu’on les aide.

– Quel soutien financier apportez-vous à cette Commission mondiale pour la politique des drogues?

– Je ne sais pas! Franchement, je ne connais pas le montant de mon soutien financier à cette initiative. Je suis surtout là pour apporter mon regard d’entrepreneur, pour aider les personnalités politiques très respectables qui composent cette commission à se fixer des objectifs et à les «vendre» aux gouvernements et à l’opinion.

Je ne suis pas naïf.

Nous avons peu de chances de convaincre aujour­d’hui des pays comme la Russie ou la Chine. Mais nous avons des arguments très convaincants pour faire bouger les choses aux Etats-Unis, en Europe, en Amérique latine. En tant qu’entrepreneur, ma devise a toujours été de contredire ceux qui jugeaient mes projets impossibles à réaliser. Mon rôle est le même ici: refuser la résignation!

– En début d’année, vous avez rejoint «The Giving Pledge», cette campagne philanthropique lancée par Warren Buffett et Bill Gates, en promettant de donner la majorité de votre fortune. Pour quelle raison?

– J’emploie mes talents d’homme d’affaires pour régler des problèmes du monde d’une autre façon que ce qui a été fait jusqu’ici. Nous avons créé «The Elders» (Les Sages), avec Nelson Mandela, Aung San Suu Kyi, Desmond Tutu ou encore Mary Robinson, des personnes formidables. L’un d’eux mène des discussions sur la Syrie. D’autres ont aidé le Kenya. Ou reviennent de Birmanie pour essayer de mettre un terme au massacre de groupes ethniques.

Nous avons aussi créé la «Carbon War Room» pour retirer des gigatonnes de CO2 de l’atmosphère en travaillant avec les 21 industries les plus polluantes, comme le transport maritime ou l’aviation. Pour que les compagnies aériennes développent des carburants propres pour alimenter leurs avions. Nous travaillons encore avec des villes. La Carbon War Room a imaginé un montage financier pour Miami afin d’aider les habitants à réduire leurs émissions de CO2, tout cela étant également rentable pour la banque qui le structure.

Je peux encore citer notre initiative en faveur des océans, soutenue par James Cameron, Neil Young et d’autres noms, des scientifiques aussi. Au Costa Rica, où je suis allé il y a quatre mois, nous avons milité en faveur d’une loi qui protège les requins, tués en masse pour leur aileron.

– Pourquoi, dans ces initiatives, voit-on toujours les mêmes noms du côté des donateurs?

– J’ai la chance aujourd’hui de pouvoir déléguer la gestion de mes affaires et ainsi de consacrer du temps à ces activités à but non lucratif. Je ne veux pas être présomptueux et dire ce que les autres devraient faire. Les personnes riches sont incroyablement chanceuses, elles sont privilégiées. Elles ne méritent pas la richesse dont elles disposent, peu importe qu’elles aient beaucoup travaillé pour la gagner. Beaucoup d’autres personnes travaillent aussi dur. Ces richesses énormes imposent d’immenses responsabilités.

Nous venons de créer la «B Team», parce que nous ne revendiquons pas pouvoir être la «A Team». Je vais d’ailleurs ce soir [lundi soir, ndlr] en Afrique du Sud, où nous avons une séance. Cette équipe comprend notamment Muhammad Yunus, Ratan Tata et d’autres capitaines d’industrie. Nous allons analyser le capitalisme. Tout le monde, à juste titre, reconnaît qu’il s’agit du seul système de société qui fonctionne. Mais il a ses faiblesses, comme l’accumulation extrême de richesses, qui sont gâchées si elles restent sur un compte en banque. Il faut garder cette incitation – devenir riche –, mais nous pourrions proposer de nouveaux modèles. Les affaires doivent-elles seulement se concentrer sur le bénéfice du prochain trimestre? Ou intégrer dans les comptes un poste de pertes et profits environnemental, social?

– On vous reproche aussi de faire ces donations pour ne pas payer d’impôts…

– C’est une vue bien trop simpliste. Si vous donnez 100 livres, même s’il y a une exemption fiscale de 30%, vous en avez tout de même abandonné 70%. En Europe en particulier, il n’y a pas de gain particulier à tirer des dons. Ce n’est donc pas le problème.

– L’héritage redevient plus important que le talent d’entrepreneur pour devenir riche, vient de montrer un économiste français. Qu’est-ce que cela vous inspire?

– Beaucoup d’enfants de personnes fortunées ne méritent pas l’argent qu’ils reçoivent. Certains l’investissent bien, d’autres pas. Une des raisons pour lesquelles j’ai rejoint le Giving Pledge, c’est parce qu’il m’est apparu important que la majorité de ma fortune soit investie dans de bonnes causes plutôt que dans de grands bateaux. Mes enfants disposeront de tout l’argent dont ils pourront avoir besoin au cours de leur existence. Je ne leur ai donc pas demandé un sacrifice massif. Cela dit, il est vrai que certaines personnes restent assises sur des montagnes d’argent. C’est le cas chez Apple ou Microsoft. Mais pas tous. Les fondateurs de Google, par exemple, réinvestissent leur fortune dans des idées remarquables qui profiteront à la société tout entière. Leur projet de voiture sans conducteur a le potentiel, à terme, de sauver des milliers de vies. J’ose espérer que Virgin, un petit acteur en comparaison, essaie aussi de faire avancer les choses.

– Pourquoi ces initiatives sont-elles essentiellement soutenues par de riches Occidentaux et non par des fortunes d’Asie ou de Russie, là où les nouvelles richesses se créent aujourd’hui?

– Peut-être que parce qu’il s’agit d’argent neuf, de première génération. Ils redoutent peut-être de perdre cette fortune, et vont la conserver. Espérons qu’ils apprendront qu’il y a plus dans la vie qu’un nouveau yacht. La B Team va pousser les grands groupes dans cette direction, les détourner de leur seul but actuel, faire de l’argent. Je crois que les jeunes entrepreneurs sont différents.

– Parlons un peu de l’Europe. Etes-vous pessimiste à son sujet?

– Je crois que l’Europe est en train de sortir de la récession. Si la crise en Syrie trouve une issue, le prix du pétrole pourrait baisser, ce qui apportera une grande aide.

Je suis surtout inquiet devant le chômage dans certains pays, en particulier chez les jeunes. Nous travaillons sur un programme pour aider les gouvernements. Au Royaume-Uni, le taux de chômage est de 8%. Il devrait être possible de partager le travail avec huit autres pour cent de la population active, d’une telle façon que tout le monde travaille, même pour trois jours.

– Voilà une idée bien socialiste!

– Je suis peut-être un entrepreneur, mais vous pourriez définir une bonne partie de mes idées comme étant socialistes. Pour reprendre mon raisonnement sur le partage du travail, on pourrait imaginer que les jeunes entrent dans la vie active en ne travaillant que trois jours par semaine. Ils seraient ravis d’avoir de longs week-ends. En Grande-Bretagne, beaucoup de personnes souhaitent travailler à temps partiel, ce qui est pourtant aujourd’hui très difficile.

– Dans vos affaires, Virgin Galactic projette-t-il toujours de réaliser son premier vol commercial dans l’espace en 2014?

– Oui, nous sommes toujours dans les temps pour y parvenir au premier trimestre de l’année prochaine. Il nous reste encore deux tests à passer et, si tout se déroule bien, ce rêve deviendra réalité.

– Fin septembre, les autorités de la concurrence américaines ont approuvé la création de la société commune entre Delta Airlines et Virgin Atlantic. Certains y voient la fin prochaine de votre compagnie. Que leur répondez-vous?

– (Rire) La seule personne à pouvoir suggérer cela ne peut être que le directeur de British Airways, dont la compagnie prédit notre sortie du marché depuis trente ans!

Nous avons remporté les plus grandes indemnités dans un procès contre British Airways l’an passé, au moment de Noël, ce qui a permis à nos équipes de recevoir un cadeau de leur part.

Qu’il continue à émettre de telles hypothèses…

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