Île de la Réunion : l’éruption d’une jeunesse oubliée. Les moins de 25 ans détiennent un triste record avec 60% de chômeurs.

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Île de la Réunion : l’éruption d’une jeunesse oubliée

28 février 2012

Olivier Crenn

On aurait pu croire à un printemps réunionnais mais les autorités de l’Etat et les médias traditionnels en ont décidé autrement. Parti d’un ras-le-bol des professionnels de la route, le mouvement est devenu en quelques jours une grogne sociale avant de se transformer en longues nuits d’émeutes. Itinéraire d’un mouvement perdu…

Outre le fait qu’une personne sur 10 soit illettrée sur le département, les moins de 25 ans détiennent un triste record avec 60% de chômeurs. Pas de travail, pas d’argent, pas d’avenir. Ici, la justice se montre plus tolérante pour les cultivateurs de zamal (le cannabis local), mais cette politique de l’autruche ne change en rien les tristes perspectives d’avenir d’une majorité de la jeunesse.

Les parents, eux, vivent du RSA pour beaucoup. Ici, le travail au black est courant. Lors de la dernière campagne de coupe de la canne à sucre (première économie de l’île), la préfecture a même accepté, et officialisé par voix de fait, qu’aucun contrôle de l’inspection du travail n’aurait lieu. Une histoire de gros sous autour de quelques familles qui gardent un contrôle ferme sur la finance de la Réunion.

La monoculture de la canne à sucre entraîne de fait une forte demande en importation des produits de base alimentaire mais pas seulement. Malgré la proximité de l’île avec la Chine et les pays africains industriellement développés comme l’Afrique du Sud, la plupart des produits importés viennent directement de la métropole. Une économie soutenue par une taxe, l’octroi de mer, de 22%, censée aider la région à s’autofinancer. Une règle bien étrange pour un département français.

Une récente étude du journal local de l’île de la Réunion montre que les produits sont en moyenne 40% plus élevés qu’en France métropolitaine. Il s’agit d’une moyenne bien entendu, car si on enlève les produits non importés, on se rend vite compte que certaines denrées de première nécessité sont vendues jusqu’à 400% plus cher que dans les supermarchés parisiens.

Lorsqu’une entreprise extrait du pétrole brut en Afrique du Sud, une autre société s’occupe du transport maritime et une troisième, dotée d’un monopole sur les carburants pour l’Île de la Réunion, se charge du raffinage, puis de la distribution. Seul hic (et de taille), ces trois sociétés dépendent d’une société mère unique, le groupe Total.

Ce monopole, irréprochable lorsque les grandes entreprises étaient publiques, ne devrait plus être en vigueur depuis longtemps. Aux vues des conditions géographiques de la Réunion, et compte tenu de l’alignement des prix du gasoil sur l’Afrique (et non pas sur celui de la métropole), cet argument a constitué l’un des premiers motifs de la grève et du blocus des professionnels de la route.

Après une première victoire face au dernier préfet nommé sur l’île, (la baisse des prix du gasoil professionnel et de la bouteille de gaz), les manifestants ont été pris à partie par l’ensemble de la population, lassée de la vie chère et mécontente de voir que les camionneurs et autres chauffeurs de taxi n’avaient pas obtenu la baisse des prix des carburants pour l’ensemble des utilisateurs.

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Quelques jours plus tard, le mouvement reprend de plus bel et des barrages voient le jour aux quatre coins du département. Peu à peu, la population s’en mêle et organise spontanément des opérations escargot. Les rassemblements populaires se multiplient dans presque toute les villes : le mouvement contre la vie chère est en marche.

Pour ne pas prendre la population en otage et paralyser le réseau routier, les gréviste déplacent le blocus à la porte de la raffinerie de Total. Ils sont très vite soutenus par une partie de la population et par certains élus. Sur les radios locales, les esprits s’échauffent tout comme dans les quartiers populaires où le mal de vivre est aussi palpable que dans les grandes cités dortoir de métropole.

Les premières attaques visent les supermarchés, considérés comme responsable de cette vie trop chère. A grands coups de publicités sur les bas prix, les acteurs de la grande distribution ont vraisemblablement énervé voire provoqué les consommateurs décidés à en découdre violemment face au silence d’un préfet dépassé par les événements.

Les manifestants veulent des mesures immédiates, on leur promet une discussion quelques jours plus tard. Face à eux, l’Etat envoie des renforts et la violence répond à la violence. Matraques, flash-ball et bombes lacrymo contre jet de canettes de bières, cailloux et cocktails Molotov. Nous ne sommes pas en Afrique ni au Moyen-Orient mais bel et bien en France. Les jeunes laissés pour compte ne sont plus des révoltés en mal d’avenir mais des émeutiers illégaux, des casseurs.

Le premier soir de révolte n’avait pourtant vu que l’attaque de grandes enseignes aux grandes marges de profit et des voitures de concessionnaires hors de prix prendre feu. Contraints par la force de se retrancher dans leurs quartiers, les jeunes déshérités ont vu des hommes de guerre se positionner face à eux. Des hommes armés face à des gosses des rues.

Comme dans toutes les confrontations, il y a eu des dommages collatéraux. Ces hommes d’Etat décideurs de guerres en Irak et en Afghanistan ne pourront pas me contredire. Mais pour celle de la vie chère dans les DOM TOM , pas d’hôpitaux détruits par des obus, pas de convois humanitaires détournés. Juste quelques poubelles et voitures brûlées… De quoi détourner l’opinion publique des réels maux de ces jeunes mais pas de quoi crier au scandale.

Pourtant, depuis une semaine, les procès s’enchaînent, les condamnations pleuvent. La population carcérale aura, d’ici quelques jours, gagné en surpopulation. Les magistrats sont fermes, pas question de faire de cadeau, il faut que cette situation cesse. Alors, ils ont choisi une politique simple, l’enfermement social.

La majorité des condamnés n’ont pas 25 ans, ne touchent donc pas le RSA ni aucune aide pour le logement puisque domiciliés chez leur parents pour la plupart. Une vie pour rien, sans perspective, sans ambition. Une vie de merde. La faute à une France qui fait la part belle à ses grands patrons et laisse pourrir la vie de ses enfants. Des enfants qui se réveilleront demain dans la cellule d’une prison de la République.

Olivier Crenn (Ile de la Réunion)

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