L'économie de la douleur
Le cannabis s'est vu injustement qualifier de dangereux. Plus que jamais, nous pensons que la prohibition qui touche cette plante ne vient pas des dangers potentiels qui lui seraient imputables, mais qu'elle est motivée par des intérêts particuliers qui, encore une fois, reportent l'être humain à un niveau de considération secondaire. Mais nous _ne es pas dupes. Les campagnes prohibitionnistes ne visent en aucun cas la santé, le bien-être et la sécurité des citoyens, mais servent des intérêts mercantiles, financiers et géopolitiques.
La prohibition a pour conséquence de contribuer à l'affaiblissement des pays du tiers-monde, producteurs de cannabis et d'autres drogues fortement en demande dans nos pays opulents. Elle permet d'assurer sur eux une mainmise occidentale, un contrôle économique et politique, d'accroître le monopole et les dividendes des multinationales pharmaceutiques, textiles et pétrolières; trois champs d'activités dans lesquels le cannabis s'est fait honnir. Médicament, fibre textile, nourriture, carburant, papier... Autant d'utilisations du cannabis qu'on ne lui reconnaît plus et que reprirent d'autres industries à mesure que le cannabis se fit généralement interdire.
L'excuse de son usage récréatif ne saurait satisfaire: l'intoxication, et à des substances bien autrement dangereuses et fortement approuvées et promues par l'état, fait partie des moeurs et des rites populaires. On ne saurait priver des gens d'une substance pouvant améliorer considérablement leur existence pour les abus d'une inconséquente minorité, alors que d'autres abus, aux conséquences bien plus graves sur le climat social, n'entraînent pas la substance en cause jusqu'à une si restrictive prohibition.
De plus, l'usage récréatif du cannabis ne remonte, de façon répandue dans la culture nord-américaine, que bien après son interdiction, soit dans les années 1970. Jusqu'en 1937, année du Marihuana Tax Act, le cannabis était partie intégrante de notre économie, de notre santé, de nos travaux, bref de nos usages les plus divers.
On peut affirmer qu'en 70 ans d'histoire, la prohibition aura causé plus de tort et créé plus de problèmes qu'elle n'en aura résolu. Elle est incapable, d'une part, de faire disparaître complètement cette drogue de l'usage populaire, que ce soit thérapeutique ou récréatif, de son commerce par les organisations criminelles, comme elle est incapable de faire disparaître ces organisations, ainsi que la violence qu'elles engendrent et que la prohibition a elle-même créées. D'autre part, malgré cette incapacité, elle représente une dépense exorbitante des fonds publics à la seule fin d'entretenir des brigades policières, du matériel d'armement, d'écoute et de surveillance, des opérations souvent dérisoires, des juges et des tribunaux, des institutions carcérales, etc.; dépenses qui, si elles étaient redirigées, pourraient financer des programmes de santé, d'éducation, de réinsertion, de développement communautaire, de réaménagement urbain, de gestion écologique.
Nous croyons qu'il est plus que temps de revoir cette loi injuste qui s'est forgée malgré tous les avis médicaux de l'époque et qui, encore aujourd'hui, dépossède les êtres humains de leur droit à disposer d'eux-mêmes.
Aujourd'hui, par son action même, le CCM remet en cause cette loi absurde qui prive des centaines, voire des milliers d'individus de leur propre vie. Le CCM contrevient à la loi, il lui désobéit parce que dans cette mesure thérapeutique, il ne lui reconnaît pas sa raison d'être. Ce que le CCM demande, par son geste, c'est que l'on replace l'être humain au centre de la société. Dans un monde où le profit passe avant la compassion, l'entraide et la compréhension de son prochain, où des règles l'interdisent même, le CCM tente de faire une brèche par laquelle déjà, des milliers de voix se font entendre.
Les lois existent afin de protéger et de coordonner la vie des citoyens. Voilà leur vraie raison d'être. Mais quand il apparaît qu'une loi dépossède les êtres humains de leur vie, il est alors du devoir de chaque citoyen de la remettre en cause, de la questionner et de la contester, par la pratique autant que par les tribunes publiques qui lui sont offertes.
Déjà, la Cour d'appel de l'Ontario a rendu, dans l'affaire Terrence Parker (31 juillet 2000), un jugement sans précédent, dans lequel elle rend inconstitutionnelle, telle qu'elle est, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. On reproche à celle-ci de ne pas tenir compte des usages médicinaux du cannabis et donc de priver certaines personnes de leur seule option thérapeutique valable. De plus, elle oblige les patients à faire un choix impossible: ou bien subir ses souffrances, se contenter des remèdes classiques et peut-être mettre en danger sa vie, ou bien enfreindre la loi, risquer amende et prison mais se soulager encore quelque temps. L'appel a confirmé le jugement de première instance et va jusqu'à obliger le gouvernement fédéral à modifier sa loi dans un délai d'un an, sans quoi la prohibition du cannabis ne tient plus.
Encore une fois, les élus accusent un énorme retard, non seulement sur la société civile mais aussi sur les instances qui ont pour mandat de faire respecter les lois qu'ils ont écrites. Encore une fois, les élus se départissent du devoir qui est le leur de légiférer sur la question et s'en remettent aux tribunaux pour le faire.
La douleur ne se reporte pas. Pas plus qu'elle ne se mesure. Seules les personnes souffrantes sont en mesure de savoir ce qui leur convient, quelles sont leurs préférences ou leurs besoins particuliers. Chaque individu est unique. La souffrance est une valeur subjective qui résistera toujours à la réduction, à la quantification. Le mot lui-même est incapable de rendre compte de la réalité qu'il symbolise. Nul ne peut ressentir la douleur d'un autre. Pour cette raison, nombreux sont ceux qui la prennent à la légère. S'il n'y a pas de spasmes, de cris, d'agonie, si elle n'est pas visible, la douleur est relativisée, dénigrée.
Le patient exagère, il n'a qu'à prendre son mal en patience. Mais qui saurait vraiment dire ce qu'il en est des perceptions de l'autre, de sa pensée. Angoisse, douleur, angoisse de la douleur, nausées, tensions, migraines, isolement, dépression, frustrations, malaises, faiblesses, mal de vivre: la souffrance a mille formes, elle se présente sous mille visages. La douleur ne se soumet pas à la mesure, ni à la traduction en mots, en statistiques ou en promesses.
Parce que ...
- chaque jour de souffrance est un jour qui compte;
- il s'agit de dignité, de bien-être et du droit qu'a l'être humain à garder un contrôle sur sa vie;
- depuis trop longtemps la douleur est évacuée du débat au profit de
considérations légales et politiques, depuis trop longtemps on laisse en plan des individus qui ont besoin d'une action réelle;
- ces personnes ne sauraient obtenir une meilleure qualité de vie de
cette seule encre qui coule dans les bureaux de nos fonctionnaires;
- pour ces patients, seuls les délais et les reports du gouvernement sont des actes criminels;
- elle rend la culture, l'utilisation, la consommation et la mise en circulation du cannabis illégales, la prohibition favorise l'émergence d'organisations qui, aujourd'hui veulent posséder le monopole et le contrôle de cette plante;
- elle crée ainsi un climat de violence, de méfiance, d'insécurité et d'abus autour du cannabis;
- elle favorise ainsi la mise en circulation d'une drogue dont la qualité ne peut être contrôlée et qui s'avère parfois moins efficace, moins saine, voire à certains égards plus dangereuse pour la santé des usagers;
- elle marginalise ses usagers, fussent-ils gravement malades, et leur appose l'étiquette de criminel, parce qu'elle brise la vie de milliers de personnes qui jusqu'alors fonctionnaient normalement et pacifiquement dans le cadre social, par des arrestations, des emprisonnements, des contraintes sur leur vie et leurs déplacements, notamment par une surveillance accrue;
- elle inflige la honte et l'angoisse à des patients qui se voient «criminalisés», parce qu'elle brime le droit de ces patients de garder le contrôle sur leur vie, sur leur douleur et leur bien-être;
- elle remplace le cannabis, une médecine naturelle dont les effets secondaires sont jugés mineurs et sans danger, par des drogues synthétiques plus toxiques et dont les répercussions sur le corps ou la qualité de vie sont beaucoup plus néfastes;
- elle ne considère en aucune façon l'usage thérapeutique qui peut être tiré du cannabis et qu'elle assimile cette plante à toutes les autres drogues, selon les mêmes risques, les mêmes conséquences et les mêmes peines;
- la douleur est présente, sous une forme ou sous une autre, à un degré
ou à un autre, et parce qu'il existe une alternative reconnue, naturelle, efficace et sécuritaire, qui donne au patient la possibilité de gérer lui-même son traitement selon ses besoins et suivant leur évolution;
notre santé et notre vie n'appartiennent qu'à nous-mêmes;
- il est temps que les industries pharmaceutiques cessent la fragmentation et l'appropriation de nos corps, de nos cycles de vie, de nos états de conscience;
- il est temps que chacun puisse reprendre le contrôle de ses états, de sa douleur et des moyens de la soulager;
- il est temps d'assumer la responsabilité de notre santé, de gérer soi- même l'écoute de notre corps, de ses réactions, de ses possibilités et de ses limites;
Le CCM demande, dans l'attente de modifications considérables à la loi qui rendront justice à la polyvalence et aux multiples propriétés de la plante cannabis, un moratoire dans l'application de celle-ci pour ce qui est de l'usage thérapeutique du cannabis.
La souffrance n'est pas un crime. Les gens qui veulent se soigner ne sont pas des criminels et il est grand temps que la législation le reconnaisse. Il n'y a pas lieu d'ajouter des embûches à des existences déjà bien assez difficiles. Qui a déjà souffert connaît le prix de ce qui soulage. Pour preuve, des gens continuent et continueront, malgré la loi et les conséquences qu'elle prévoit, de se procurer du cannabis afin de soulage leurs conditions.
Il est temps de donner libre champ à l'action des clubs Compassion, de leur venir en aide, par une plus grande tolérance, un support concret, une aide à l'encadrement de ses patients.
Aujourd'hui nous demandons que la douleur soit prise en compte, que chaque individu qui souffre soit considéré pleinement, dans toute son humanité et sa dimension holistique plutôt que comme un simple objet médical.
Par nécessité et par compassion pour tous les humains qui souffrent et jusqu'à ce que les recherches gouvernementales soient terminées, nous demandons des gouvernements et des forces de l'ordre une plus grande tolérance, afin de faciliter la tâche du CCM et de permettre à un plus grand nombre de patients d'accéder au médicament qui leur convient.
Nous demandons que soient disponibles les échéances des recherches, leurs méthodologies, leur financement, leurs considérations éthiques et leurs résultats, et que soit diffusée une information non biaisée sur l'usage thérapeutique du cannabis et ce qui l'entoure.
Mais surtout, nous demandons que soit modifiée la loi actuelle qui empêche l'accès au cannabis et qu'elle le soit dans les plus brefs délais, afin d'assurer l'accès au cannabis à tous ceux qui nécessitent cette substance, sans démarche administrative complexe et sans autre obligation que la prescription du cannabis par le professionnel médical traitant.
Nous le demandons, et même, nous l'exigeons parce que
les gouvernements,
le système judiciaire,
les forces de l'ordre,
les média,
la profession médicale,
l'industrie pharmaceutique,
l'entreprise mondiale de réification de la nature et de l'être humain, et chacun de nous lorsque nous nous taisons.
Toutes ces entités contribuent à entretenir une politique de l'autruche, une déresponsabilisation générale et insidieuse qui veut nous faire oublier que notre existence, notre corps et notre pensée nous appartiennent, qu'il est naturel de vouloir les préserver, et que la douleur est bien réelle.
À suivre...
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