Petite histoire d'un élan du coeur

Depuis le 1er octobre 1999, date de son inauguration, le Club Compassion de Montréal (CCM) se donne pour mandat de rendre accessible du cannabis pour usage médicinal à des individus dont les souffrances, maux ou conditions briment leur dignité, leur autonomie ou leur bien-être.

Qu'on ne s'y trompe pas: il serait malhonnête de réduire le Club Compassion de Montréal à un simple point de vente de cannabis, associant ce dernier aux organisations criminelles qui en contrôlent le marché à seule fin d'en tirer des profits. Le contexte de la prohibition ne nous a que trop bien habitués, par le biais d'une désinformation soutenue, à faire de telles associations.

Il importe de bien insister sur la nature communautaire et thérapeutique des activités du CCM. Tout comme les autres clubs ou organismes à même vocation à travers le continent, on y offre plus qu'un accès à la plante: on y traite les patients comme les êtres humains qu'ils sont, dans toute leur individualité, leur personnalité, leur diversité. Comme le confirment des entrevues faites avec les gens s'approvisionnant dans de tels endroits [1], le mouvement Compassion offre plus que du cannabis contre vos douleurs: il vous offre un milieu d'échange social, une écoute, une conversation, un lieu où l'on vous accepte tel que vous êtes, sans s'arrêter aux conditions qui vous y amènent, où l'on souhaite établir un contact humain pour apporter un peu de sollicitude au milieu de votre souffrance .

À l'initiative de ses fondatrices, Caroline Doyer et Louise-Caroline Bergeron, le CCM est un organisme sérieux et réglementé, qui ne fournit du cannabis qu'aux personnes dont les souffrances, les maux ou la condition en nécessitent l'usage comme traitement médical, et qu'à ces personnes seulement, après avoir vérifié l'ordonnance auprès du médecin traitant.

Le Club Compassion de Montréal est un organisme sans but lucratif, indépendant et sans vue partisane, qui oeuvre sur une base de nécessité, de compassion, d'entraide et d'humanisme afin de:

- soulager la douleur et donner le droit à des êtres humains de mener une meilleure existence;
- fournir un cannabis de qualité contrôlée de manière à préserver la santé des patients contre les effets nocifs d'engrais et d'insecticides chimiques;
- créer un lieu sécuritaire, propre et chaleureux pour la distribution du cannabis thérapeutique aux personnes nécessiteuses;
- fournir un encadrement à ces personnes;
- sensibiliser la population à ces souffrances sans but ainsi qu'à l'alternative optimale que peut représenter le cannabis;
- informer la population sur les propriétés de cette plante, sur ses effets, ses risques, ainsi que sur ses enjeux dans notre société;
- participer et encourager des recherches sérieuses et impartiales sur la culture, l'usage, les moyens d'accessibilité et les règles de distribution du cannabis thérapeutique.

Le CCM n'est pas fondé sur des principes qui seraient contre la loi, ni en marge d'elle, mais qui se situent bien au-delà. Son action répond à un impératif humain qui demande que la loi protège les plus vulnérables et non qu'elle mette leur vie en jeu. Bien des intervenants exigent, depuis de nombreuses années, qu'un débat ait lieu sur la question du cannabis médical. Ce débat tarde toujours et aucun changement n'a encore été apporté à la loi, si ce n'est l'exemption à l'article 56, sous autorisation exclusive et discrétionnaire du ministère fédéral de la Santé.

L'exemption, qualifiée d'option «illusoire» par les juges de la Cour d'appel de l'Ontario, donne au gouvernement bonne conscience mais sa portée et la structure du processus pour son obtention sont par trop inadéquates, inefficaces, castratrices et irréalistes. Elle est rarement accordée, rappelons-le, puisqu'elle ne l'est qu'aux personnes en phase terminale de leur maladie ou dont la condition est fatale à court terme. De plus, elle est sujette à révision tous les six mois.

Cette exemption tient plus d'un système de santé à deux vitesses, créant deux classes de patients: ceux auxquels on accorde le privilège de ne pas encourir les peines prévues par la loi, et ceux dont les souffrances ne sont pas jugées suffisamment graves, par le ministère et la GRC, pour être soulagées. Comme s'il n'était pas déjà obscène de prétendre juger la perception qu'a une personne de sa propre douleur, on se permet de ne pas la juger grave! Comme s'il n'était pas déjà immonde de subordonner cette expérience à des intérêts partisans ou économiques, on demande à ceux qui souffrent de patienter jusqu'à ce qu'on satisfasse ces intérêts!

L'exemption constitue une formalité incapable de répondre aux besoins pressants de ceux qui y seraient théoriquement éligibles puisqu'elle implique des délais administratifs beaucoup trop longs, des coûts que les bénéficiaires ne sont pas en mesure d'assumer, des procédures exigeantes, fastidieuses et frustrantes pour les médecins qui doivent remplir des formulaires exorbitants desquels la GRC demandera des comptes.
Rappelons enfin que l'exemption ne règle en rien la question de l'approvisionnement, de la qualité des produits, de l'encadrement et du soutien aux patients.

Les clubs Compassion ont trouvé une alternative concrète à ces problèmes. Ils permettent l'existence de lieux sains et sécuritaires d'approvisionnement en cannabis thérapeutique, offrant un premier niveau de contrôle de la qualité, une accessibilité réaliste au cannabis et une alternative à l'obligation pour les patients de s'approvisionner sur le marché noir, éliminant par le fait même les risqués encourus par la fréquentation de ce milieu, tel que la violence, l'angoisse et l'incapacité d'y transiger, le prix élevé demandé pour ce produit et la mauvaise qualité du cannabis que l'on y trouve.

Malgré l'approbation populaire qui leur est consentie, les clubs Compassion se retrouvent isolés des recherches entreprises, et doivent toujours se battre contre l'intolérance dont leurs patients, les méde-
cins traitants et eux-mêmes sont victimes.

Le CCM est actuellement la seule clinique d'approvisionnement en cannabis thérapeutique existant au Québec, le seul lieu autoréglementé capable de répondre aux réels besoins des personnes souffrantes qui nécessitent cette substance. Le CCM agit malgré l'autorité de la loi, parce qu'on croit toujours qu'il est urgent qu'une action soit posée, car les belles paroles et les belles promesses n'ont aucune valeur sans action concrète.

Pendant que les gouvernements se renvoient la balle, le fédéral jugeant que le dossier est de juridiction provinciale puisqu'il s'agit de santé, et le provincial argumentant qu'il ne peut agir puisque le cannabis est contrôlé par la loi fédérale, le CCM a posé un geste concret.

Depuis son ouverture, le Club Compassion de Montréal fait l'objet d'une surveillance aiguë de la part de la police, au même titre qu'une organisation criminelle, ce que le CCM n'est pas. Le 10 février 2000, les policiers procédaient à une perquisition au local du CCM, saisissant les dossiers, les documents d'opération et le cannabis réservé aux patients, interrompant les activités du Club et privant, par la même occasion, les clients du seul lieu d'approvisionnement sécuritaire et contrôlé de cannabis au Québec. Les deux bénévoles sur place, Marc-Boris St-Maurice et Alexandre Néron, furent arrêtés et accusés de possession et de trafic de «stupéfiants». Pour avoir donné de leur temps et voulu venir en aide à des personnes souffrantes, ces deux bénévoles risquent cinq ans moins un jour de prison. Deux bénévoles qui traîneront, si leur procès ne leur donne pas raison et si la loi est appliquée aveuglément, un dossier criminel pour la seule offense d'avoir contribué à une alternative thérapeutique reconnue scientifiquement et approuvée par la société civile.

Devant cette opération, le CCM ne peut que se questionner sur les véritables motivations de ceux que l'on paie pour nous protéger. Il semble peu probable que les lois, telles qu'elles sont, servent et protègent la population.

Aucune plainte n'a jamais été déposée contre le Club Compassion de Montréal, par un citoyen ou un autre. Les activités du CCM n'ont en aucun cas perturbé la vie du quartier en augmentant le taux de criminalité ou de violence, ou en mettant en danger la sécurité des citoyens. Les forces de l'ordre ont agit de leur propre initiative, usant de leur pouvoir discrétionnaire, nuisant au Club plutôt que de lui venir en aide, par un moyen ou par un autre.

Au lieu d'y voir un moindre mal, comme c'est le cas à Vancouver, ou à tout le moins de ne pas lui nuire, la police a commencé ce qui fut perçu comme du harcèlement, allant jusqu'à envoyer une
lettre aux patients du CCM et à leurs médecins, qui eut l'effet d'une profonde intimidation sur ces derniers, mettant l'accent sur les pires éventualités, sans tenir compte de l'impact que celles-ci auraient dans le vécu des individus impliqués.

Ce harcèlement, cette intimidation est non seulement inutile, elle est aussi inadmissible et injustifiable. La souffrance des personnes qui vivent chaque jour dans un stress et une angoisse constante, dont les systèmes physique, moral et psychologique sont affaiblis par la maladie, la douleur, l'inconfort, la peur de subir de nouvelles crises, de nouvelles interventions, à ceux-là déjà malades, épuisés, parfois démunis mais souvent isolés, on ajoute la peur de se voir emprisonné, perquisitionné, bousculé.

Pour ceux-là, la vie est en soi difficile et angoissante, est-il besoin d'en ajouter?

De même, l'intimidation faite aux médecins ayant prescrit du cannabis ne démontre en aucun cas la volonté de servir la population. Au contraire, elle ne fait que mettre de l'huile sur le feu. Au lieu de s'attaquer aux problèmes urgents et sérieux qui mettent en jeu la sécurité publique, les instances en lesquelles nous mettons notre confiance n'auront fait que gaspiller l'argent des contribuables en s'en prenant aux plus faibles d'entre nous, ceux dont la force de se défendre manque parfois terriblement.

Il est inacceptable que ces patients soient traités comme des criminels, car en aucun cas ces personnes représentent-elles une menace pour la société.

En aucune manière le CCM, ses bénévoles et ceux qui supportent leurs démarches peuvent-ils être assimilés à des actes criminels.

Alors que les effets thérapeutiques du cannabis ont été démontrés à maintes occasions, les médecins qui le prescrivent continuent d'être menacés par leurs collègues, alors que la loi les autorise à prescrire autant le cannabis que la morphine, la méthadone ou toute autre substance qu'ils jugent nécessaire au soulagement des souffrances de leurs patients, et tel que le ministre de la Santé, Alan Rock l'a dit lui-même: «Si un produit ne présente pas de risques majeurs pour la sécurité et possède la valeur médicale tel que prétendue par le procureur, ce produit est approuvé. » (23 novembre 1997)

On est aujourd'hui en droit de se demander dans quel intérêt travaillent les professionnels de la médecine. En maintenant une position fermée à l'égard des autres options thérapeutiques, ils privent la majorité des gens qui ne peuvent se les payer de toute alternative de traitement. Le choix éclairé d'un traitement est pourtant entendu comme faisant partie du droit de tout individu à la santé et à la sécurité de sa personne, et de tout choix concernant celles-ci.

La loi est un mécanisme rigide, un monstre bureaucratique qui ne peut admettre d'écart, de sens critique ou de réflexion. La loi admet peu la tolérance et n'implique pas la compréhension de ses fondements, ni l'obligation de la réviser à intervalles décents; la loi, c'est la loi. Sa nature est fixe et rigide, elle n'est pas en mesure de s'adapter aux changements sociaux qui s'opèrent rapidement et malgré elle, de répondre aux besoins émergeants, aux réalités nouvelles qui se forment et nous transforment. Or l'évolution imprévisible à longue échéance de la société demande, un jour ou l'autre, qu'on la contemple, qu'on prenne un recule pour l'appréhender et pour l'intégrer à notre réalité individuelle. Le processus de révision nous permet d'extraire du flot incessant d'information les enseignements nécessaires pour adapter notre attitude et notre environnement à nos nouveaux besoins.

La loi est un ordre qu'on impose au désordre de nos existences et qui malheureusement ne se conforme pas tout à fait à ses contours. Au lieu d'admettre qu'elle ne peut ni tout prévoir ni tout contrôler et de chercher les moyens de réduire les méfaits de l'imprévisible et de l'incontrôlable, la loi, mais avant tout ceux qui la rédigent, préfère ignorer, dénier, faire l'autruche et passer le dossier au département suivant.

Depuis 1996, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances interdit la possession de cannabis sans tenir compte de ses valeurs médicales, et par conséquent, de sa nécessité thérapeutique pour une multitude de personnes malades ou souffrantes. Cette loi occulte une pratique et une connaissance médicinales qui ont permis à travers le monde, depuis des millénaires, de soulager plus d'une centaine de maux ou de conditions.

Il importe de se demander pourquoi, malgré une utilisation médicale du cannabis encore courante au début du siècle, une telle loi existe. Lorsqu'on légifère pour limiter les libertés individuelles, il faut avoir une très bonne raison. Les bénéfices sociaux de cette infraction à la liberté doivent dépasser les coûts qu'elle engendre au niveau individuel. L'établissement d'une telle loi ne peut pas être prit à la légère. Alors qu'elle semble dire que le cannabis est nuisible pour la santé ou la sécurité publique ou individuelle, on retrouve de plus en plus les traces de l'utilisation thérapeutique du cannabis dans le passé.


[1] Feldman, H. W. & Mandel, J. (1998). Providing Medical Marijuana: The importance of Cannabis Clubs, Journal of Psychoactive Drugs, 30 (2), April — Jonc, pp. 179-186.