Santé Canada nage en pleine absurdité : Les malades peuvent fumer, mais pas acheter
Le Droit, samedi 11 mars 2000, p. 26
Gagné, Jean-Simon
Québec - Dix mois après avoir commencé à permettre l'usage de la marijuana pour soulager certains malades, Santé Canada nage en pleine absurdité. La loi permet aux malheureux de fumer des joints, mais elle leur interdit d'en acheter.
Vous êtes autorisé à consommer de la marijuana pour calmer vos souffrances? Alors suivez des cours d'horticulture. Ou prenez votre mal en patience.
Au Canada, l'utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques est devenue une véritable histoire de fou. Voyez plutôt. À condition d'obtenir une exemption écrite du ministère fédéral de la Santé, vous pouvez fumer un joint en toute légalité. Une vingtaine de malades à travers le Canada ont d'ailleurs obtenu jusqu'ici le précieux document. Mais attention: pas question d'acheter de la marijuana. Souvenez-vous- en: la vente ou l'achat de l'herbe maudite demeure illégale en toutes circonstances. Et n'essayez pas de contourner la loi en démarrant votre propre culture. Le commerce et l'achat de graines de pot sont évidemment interdits, eux-aussi.
Pas encore de fournisseur
En juin dernier, le ministre fédéral de la Santé, Allan Rock, avait annoncé la mise en place d'un programme de recherche et le choix imminent d'un fournisseur pour approvisionner légalement les malades disposant d'une autorisation. Dix mois plus tard, rien n'a été fait, ou presque. Interrogés sur le sujet, les employés de Santé Canada ont l'air aussi à l'aise que des lombrics se tortillant au bout d'un hameçon.
«Le Ministère devrait commencer les recherches dans quelques mois, probablement l'automne prochain», explique Roselyne Tremblay, porte-parole du Ministère. Pourquoi se presser, de toutes façons, puisque les essais pourraient s'étirer jusqu'en... 2005?
Quant au lancement d'un appel d'offres visant à dénicher un fournisseur officiel, Mme Tremblay l'annonce «pour les prochaines semaines», sans pouvoir en dire davantage.
Seule consolation: le Ministère assure qu'il trouvera un producteur de marijuana 100 % canadien. Avis aux intéressés. Il n'y aura pas d'importation de marijuana américaine, comme le ministre Rock l'avait un instant envisagé.
Entièrement made in Canada
À défaut d'apaiser immédiatement les souffrances, on soignera donc le nationalisme avec du pot entièrement made in Canada. Quand? C'est une autre question. En attendant, les malades continueront à évoluer en marge de la loi.
«C'est un peu comme si on vous conseillait de prendre des aspirines, mais que vous étiez obligés de les fabriquer», commente un fonctionnaire de Santé Canada, visiblement exaspéré par l'immobilisme ambiant. Car la maladie, elle, n'attend pas, soulignent les patients visés, qui sont le plus souvent atteints du cancer, du VIH/Sida ou de crampes musculaires chroniques.
Avant même d'avoir déniché un fournisseur, Santé Canada a soulevé la controverse, la semaine dernière, en suggérant que la marijuana d'État se vendrait 12 dollars le joint, soit environ quatre fois le prix du marché actuel. Embarrassé par la manchette du journal La Presse, l'organisme prétend qu'il ne s'agissait que d'un brouillon, d'un avant-projet. Brouillon ou pas, même les autorités policières ne savent visiblement plus trop où elles en sont. Le 10 février, la police de la CUM a ainsi mené une perquisition au Club compassion, un organisme montréalais qui distribuait de la marijuana aux patients munis d'une prescription du médecin. Deux militants du Bloc Pot, un parti prônant la décriminalisation des drogues douces, y ont été arrêtés. Selon les enquêteurs, Club compassion approvisionnait 33 personnes, dont plusieurs attendent depuis des mois la fameuse lettre d'exemption de Santé Canada. Un organisme semblable, basé à Vancouver, bénéficie d'une relative tolérance policière.
Un large appui
La légalisation de la marijuana à des fins thérapeutiques jouirait d'un large appui au sein de la population canadienne. En Amérique du Nord, elle rassemble des organismes et des individus aussi variés que le Bloc québécois, la Fédération de l'âge d'or du Québec ou le vice-président américain Al Gore. Le débat sur les vertus des drogues douces reste néanmoins très vif. Dans son édition du 21 février, le magazine britannique New Scientist révélait qu'un rapport commandé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à un groupe d'experts internationaux avait été amputé d'un passage minimisant les dangers du cannabis.
Publié en décembre 1997, le document concluait que le cannabis n'était pas plus néfaste que l'alcool ou le tabac. Selon l'hebdomadaire, l'OMS aurait cédé aux pressions du Programme international de contrôle des drogues des Nations unies et du National Health Institute américain. Gros bailleurs de fonds de la recherche sur la toxicomanie, ces derniers auraient fait valoir que la publication renforcerait la position des partisans d'une décriminalisation de totale des stupéfiants.
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