Pot et propagande : Un ado meurt... (deuxième partie, mars 2005)
Les Zamaricains, eux-autres ils l’ont pas l’affaire !
Le mois dernier, nous avons vu que la démonisation du cannabis par la désinformation policière et médiatique discrédite totalement les autorités quand vient le temps de mettre les jeunes en garde contre les drogues mortelles. Nous avons aussi vu qu’une étude de marketing commandée par Santé Canada à une filiale de la multinationale WPP, une des plus grandes agences de publicité au monde, avait été faussement qualifiée par les médias d’étude « de » Santé Canada, laissant croire qu’il s’agissait d’une étude scientifique. De plus, ces mêmes médias ont rapportés certaines conclusions choisies soutenant le discours alarmiste prohibitionniste, alors que d’autres conclusions contredisant les premières ont été ignorées.
Une des conclusions les plus intéressantes du rapport en question, commandé pour tenter de définir les paramètres d’une future campagne de marketing social, aura échappé aux mauvais journalistes. À Halifax, des sujets ayant visionné des publicité anti-marijuana ne les ont pas trouvées crédibles. Une publicité montrant une jeune fille enceinte avec le message « c’est ce qui t’arrivera sur le pot » a été citée en exemple. Les jeunes concernés ont déclaré « On a tendance à savoir ce que l’on fait sur le pot ». Voilà qui rejoint les études sur l’efficacité des campagnes anti-marijuana faites par nos puritains voisins du Sud.
L’Office of National Drug Control Policy (ONDPC), mieux connu aux États-Unis comme le bureau du « tsar de la drogue », a dépensé 1,5 milliard de dollars US depuis 1998, essentiellement pour démoniser le cannabis. Les publicités sont placées par Partnership for a Drug Free America (PDFA), un organisme quasi gouvernemental qui reçoit aussi des fonds par millions de l’industrie pharmaceutique. Cette dernière serait, avec la police, l’une des grandes perdantes de la légalisation. Le cannabis pourrait remplacer, selon certaines évaluations, de 10 à 20% des médicaments sur ordonnance dès sa légalisation, et probablement jusqu’à 40 ou 50% à plus ou moins long terme (Omni septembre 1982). Ces dernières années, PDFA s’est classé au quatrième ou cinquième rang des annonceurs nationaux, en compétition avec des firmes comme AT&T ou Burger King.
La campagne de PDFA a été confiée à l’agence Ogylvy & MatherWorldwide, une autre filiale de WPP. Le monde de la publicité est petit. Ogylvy & Mather se défend actuellement devant les tribunaux d’accusations de surfacturation dans l’orchestration des campagnes de l’ONDCP. Les créatifs de PDFA ont multiplié les campagnes publicitaires négatives trompeuses. On a tenté de faire croire aux jeunes qu’« Une bouffée t’es accroché ». Une autre annonce bien connue montrait à l’écran un encéphalogramme plat comme étant celui d’un ado de 14 ans ayant fumé du pot. Jusqu’à ce que quelqu’un découvre qu’il s’agissait d’un patient dans le coma et que la pub soit retirée des ondes. Plus récemment, on a pu voir des publicités prétendant que le trafic de cannabis soutenait le terrorisme international et que les fumeurs étaient en partie responsable de leurs attentats. Bref, absolument n’importe quoi pour tenter de faire peur.
Le National Institute on Drug Abuse (NIDA), qui finance lui-aussi en partie les campagnes publicitaires, a commandé plusieurs études sur l’efficacité des dites campagnes à Westat Inc et au Annenberg Public Policy Center de l’Université de Pensylvanie. Le rapport le plus récent Evaluation of the National Youth Anti-Drug Media Campaign: 2003 Report of Findings1 arrive à la conclusion que les campagnes de publicité négative ont eu l’effet contraire de celui visé. Les jeunes qui ont vu le plus souvent les publicité antidrogue « n’ont pas démontré de différences statistiques quant à leurs croyances et leurs habitudes ». Ils ont déclaré que leurs exagérations grossières, voire caricaturales, rendaient les messages peu crédibles, et qu’il était évident pour eux qu’il s’agissait de propagande gouvernementale. Ceux qui ont été massivement exposés aux campagnes semblent « être plus portés à adopter une attitude pro-drogues en vieillissant », que ceux qui ont été épargnés. Les auteurs du rapport ont noté que l’exposition répétée aux publicités négatives pouvait même stimuler l’usage de drogue, dans certains cas.
Ironiquement, le rapport commandé par Santé Canada démontre par l’absurde l’échec de la prohibition, puisque les jeunes croient qu’il est plus difficile de se procurer du tabac dans les cours d’école, une substance légale et réglementée, que du cannabis, une substance prohibée. La seule conclusion logique, c’est que le cannabis devrait être légalisé pour les adultes avec les mêmes restrictions et contrôles pour les jeunes que ceux imposés pour le tabac et l’alcool.
Il faut, bien sûr, faire l’éducation des jeunes sur les drogues : ils doivent connaître les effets et les dangers de l’abus de café, de cannabis, de tabac, d’alcool, de médicaments, de cocaïne, d’héroïne et de solvents volatils. Pour ce faire nous avons besoin d’éducateurs spécialisés dans les substances toxiques, pas de spécialistes en répression policière et en marketing. Des éducateurs qui informent, pas des incompétents qui mettent toutes les drogues au même niveau et qui voient dans la légalisation du cannabis une menace à leur sécurité d’emploi. La répression et la santé sont deux choses distinctes et leur mélange, comme on l’a vu, est un cocktail qui peut être mortel. D’ailleurs, comment se fait-il que les syndicats d’enseignants acceptent que des policiers qui n’y connaissent rien fassent l’éducation des enfants sur les drogues? Les syndicats policiers accepteraient-ils que les professeurs donnent des contraventions autour des postes de police? Il faut sortir les policiers « éducateurs » des écoles et ça presse!
Jean-Marie Laliberté
[1] National Youth Anti-Drug Media Campaign: 2003 Report of Findings
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