Pot et propagande : Un ado meurt après avoir été mélangé par la désinformation policière et médiatique! (février 2005)

Début janvier 2005, La Presse poursuit son œuvre de désinformation prohibitionniste en publiant en Une, à quelques jours d’intervalle, deux papiers démonisant le cannabis. Même s’il est admis que « fumer du cannabis, même à long terme, n’est pas dangeureux pour la santé. » [1] Qu’« on n’a jamais signalé de décès attribuable à une surdose de marijuana » [2] et qu’« une étude démontre qu’il faut administrer la quantité de THC fournie par 681 kg de cannabis en 15 minutes pour atteindre la dose mortelle. » [3] Cela n’a pas empêché La Presse (7 janvier) de titrer : « Cocktail mortel — Un adolescent meurt après avoir mélangé du cannabis à un puissant analgésique ».

J’ai toujours sniffé beaucoup de colle quand j’étais enfant. J’étais vraiment intéressé par la colle, après, je suis passé à la bière et aux amphétamines, puis j’ai dérivé vers l’héroïne, parce que quand j’étais jeune, tout le monde me disait “Ne fume pas de marijuana, ça va te tuer. – Irvine Welsh, Trainspotting

Dès le début, le ton est donné : un adolescent est mort, un autre hospitalisé « après qu’ils eurent mélangé cannabis et Fentanyl transdermique (Duragésic), un analgésique plus puissant que la morphine ». Ce n’est qu’après s’être lourdement attardé sur la consommation de cannabis du jeune décédé que la journaliste arrive au Fentanyl, un opioïde de synthèse « 100 fois plus puissant que l’héroïne. » En fait, les ados ont pris du Duragésic®, un timbre transdermique diffusant du fentanyl pendant 72 heures. Il faut attendre vers la fin de l’article pour obtenir quelques vagues précisions. On lit que « Santé Canada ne recommande pas l’utilisation de Duragesic chez les jeunes de moins de 18 ans. Dans son Bulletin canadien des effets indésirables d’octobre dernier, il mentionne avoir reçu deux notifications de décès d’adolescents à qui on avait prescrit le médicament. »

Ce que ne dit pas La Presse, c’est que la notification du Bulletin de Santé Canada précise que, dans les deux cas, les adolescents ont été retrouvés en dépression respiratoire, l’un 14 heures l’autre 21 heures après la première application de Duragésic. Les deux sont morts après une seule dose de ce médicament sous prescription. D’un côté nous avons une plante médicinale et psychotrope dont l’innocuité est reconnue depuis des millénaires et, de l’autre, un médicament récent de l’industrie chimique qui a tué deux fois à la première dose. Et voilà que la journaliste de La Presse en procédant par amalgame, laisse entendre que les deux sont tout aussi toxiques.

Car c’est bien là le cœur du problème. La Presse précise qu’«ironiquement, les policiers avaient rendu visite aux élèves de cette école juste avant les Fêtes pour mettre les adolescents en garde contre les dangers liés à l’absorption et aux mélange de drogues.» Encore une fois, on tente d’induire le lecteur en erreur en laissant croire que c’est le « mélange » qui a tué. Mais il n’y a pas un mot sur la pertinence de confier l’éducation des jeunes à des policiers qui défendent leurs intérêts corporatifs avant l’intérêt public. En répandant la rumeur que le cannabis est une drogue « dure » à cause de l’augmentation du taux de THC, ils n’ont aucune crédibilité quand vient le temps de mettre les étudiants en garde contre les drogues mortelles.

Recherche bidon et journalisme de bas étage

Quelques jours plus tard, La Presse (11 janvier) remettait ça en publiant encore en Une un papier de Nathaëlle Morissette titré « Les jeunes Canadiens ont plus de facilité à se procurer de la mari que des cigarettes ». L’article portait sur « Une étude, intitulée Recherche qualitative permettant d’aider les jeunes à développer des moyens de refuser de consommer, commandée par Santé Canada et rendue publique à la fin de l’année 2004. » Cette fois, il ne s’agit pas seulement de désinformation, mais de mensonge par omission, pour ne pas dire de mensonge tout court.

Morissette amorce son article en soutenant que « Dans les cours d’école même, plusieurs jeunes Canadiens ont plus de facilité à se procurer de la marijuana que des cigarettes. » Remarquez l’affirmation. Alors qu’il est plutôt noté dans ce rapport que les jeunes croient que les cigarettes et le cannabis sont tout aussi facilement disponibles dans les cours d’école, mais ils ont « l’impression » que la mari est plus facilement accessible. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. D’ailleurs, la question était piégée, puisque les jeunes déclarent aussi que les cigarettes sont tout aussi facilement disponibles dans certains dépanneurs complaisants, qui sont rarement situés dans les cours d’école, comme chacun sait. Mais il y a pire.

Premièrement, il ne s’agit pas d’une « étude de Santé Canada », comme certains journaux l’ont prétendu, ni d’une recherche scientifique, mais d’un sondage d’opinion réalisé par Millward Brown Goldfarb (MBG), une multinationale de marketing. Les experts en marketing utilisent le terme générique « recherche qualitative » pour décrire un sondage d’opinion avec des groupes de discution (focus groups). MBG est une filiale de WPP (surnommée World Propaganda Power), une des deux plus grandes agences de publicité et de relations publiques au monde avec Omnicon. WPP contrôle aussi les agences de publicité J. Walter Thompson et Young & Rubican, de même que les multinationales des relations publiques Burson-Marsteller et Hill and Knowlton, pour ne nommer que celles-là. On n’est pas chez les scientifiques, mais bien chez les requins du marketing et des relations publiques qui ont flairé les gros contrats publicitaires.

Deuxièmement, ce sondage ne date pas de la fin de 2004, mais du début de l’année, mars 2004 pour être précis. Troisièmement, il n’a pas été rendu public par Santé Canada, puisqu’il s’agit d’un outil de travail interne destiné à orienter une future campagne de propagande publicitaire. Selon Pierre Duchesne, porte parole de Santé Canada, ce sondage n’a pas fait l’objet d’un communiqué spécial. Il a été déposé à la Bibliothèque nationale en mars 2004, sans tambour ni trompette. On peut se demander qui a fait parvenir aux médias ce document vieux de presqu’un an, pendant le creux du temps des Fêtes, en soulignant au crayon gras quelques morceaux choisis qui font plaisir aux prohibitionnistes. Une des nombreuses filiales de relations publiques de WPP qui trouve que les contrats tardent à venir, probablement.

Tout porte à croire que Nathaëlle Morissette n’a pas lu le rapport de MBG (qui fait une centaine de pages) [4]. Elle se sera contenté du résumé d’une page et demi en introduction. Elle a sans doute lu aussi les journaux du ROC qui ont publié des papiers biaisés sur le sujet la veille. Morissette écrit « plusieurs adolescents interrogés croient que la marie-jeanne est moins nocive que le tabac des cigarettes. » C’est vrai pour certains groupes. Mais elle omet de mentionner que chez les 13-15 ans, « à Montréal, la plupart pensent que la marijuana est plus dangeureuse que le tabac “parce que tu ne sais jamais par où elle est passée”. Ils avaient l’impression que parce que le tabac est produit par des compagnies bien connues, il ne peut pas être si nocif », précise le rapport. Voici qui contredit directement ce que la journaliste de La Presse a écrit.

Ce n’est pas tout. Morissette cite cette autre conclusion du rapport. Chez les jeunes de 10 à 15 ans, écrit-elle, « plusieurs ont l’impression que la marijuana est moins dommageable car, à la base, il s’agit d’une plante qui peut être utilisée à des fins thérapeutiques. » Encore une fois, mis à part le fait qu’elle traduit a few participants (quelques-uns), par « plusieurs », elle omet de mentionner que chez les 16 à 19 ans, « à Montréal, il a été établi que la marijuana, comme substance, est plus nocive, mais parce qu’elle est consommée beaucoup moins fréquemment, l’impact sur la santé serait moindre. » Voici qui est encore en contradiction directe avec l’article de La Presse.

Dans le code d’éthique du Conseil de presse, auquel La Presse devrait se soumettre, on lit : « Les médias et les professionnels de l’information ne doivent pas déformer la réalité en recourant au sensationnalisme. » Ou encore que « La presse ne peut se permettre de taire ou de donner une image déformée des faits sous prétexte qu’ils sont l’objet de quelque tabou ou qu’ils sont susceptibles de compromettre certains intérêts particuliers. » En matière de cannabis, ces beaux principes sont presque toujours systématiquement bafoués.

La Presse est farouchement prohibitionniste. Paul Desmarais fils, propriétaire du journal, appuie publiquement le « périmètre de sécurité nord-américain, qui serait implanté par l’harmonisation et l’unification a peu près complète des services frontaliers entre les deux pays » (La Presse, 8 avril 2003). Ce qui exigera une certaine « harmonisation » des lois criminelles avec les États-Unis, particulièrement les lois anti-drogues et anti-terroristes. On se souvient que l’ambassadeur des États-Unis Paul Cellucci et le tsar de la drogue de la Maison Blanche John P. Walters ont promis de foutre le bordel aux frontières si le Canada adoucissait sa loi prohibitionniste.

Power Corporation a des intérêts importants dans l’industrie pharmaceutique, laquelle serait l’une des grandes perdantes de la légalisation du cannabis. Le scandale du Vioxx, qui aurait tué jusqu’à 139 000 malades aux États-Unis, a eu droit à un entrefilet en page A12, alors qu’un adolescent qui s’empoisonne avec un médicament fait la Une trois jours plus tard. Parce qu’il a aussi eu le malheur de fumer un joint. On tenterait de blanchir l’industrie en démonisant un concurent qui menace ses profits qu’on n’agirait pas autrement.

Nous verrons le mois prochain que les dernières études commandées par le National Institute on Drug Abuse sur les campagnes de publicité démonisant le cannabis arrivent à la conclusion que, souvent, les jeunes les plus exposés aux annonces ont tendance à consommer plus de drogues en vieillissant que ceux qui ont été épargnés.

Jean-Marie Laliberté


[1] The Lancet novembre 1995.
[2] Journal de l’Association médicale canadienne 15 mai 2001.
[3] Mohamed Ben Amar, pharmacologue, Drogues, santé et société printemps 2004.
[4] Sondage d’opinion réalisé par Millward Brown Goldfarb