Pot et propagande : Les ravages de la prohibition (décembre 2004)

L'article publié dans nos pages le mois dernier, dénonçant le manque de rigueur journalistique du « Dossier Les ravages du pot » (La Presse 9 et 10 octobre 2004), nous a valu une lettre enflammée de madame Marie-Michelle Poisson, (voir courrier des lecteurs page 2). La lettre de madame Poisson, qui accuse l'auteur de ces lignes de se prêter à la désinformation, est elle-même remplie de désinformation prohibitionniste. Elle reprend à son compte certains mythes prohibitionnistes véhiculés dans l'article de La Presse.

Le dossier de La Presse sur les ravages (sic) du pot était si biaisé, que le Parti Marijuana (PM) a déposé une plainte au Conseil de la Presse pour : « le manque d'exactitude de l'information transmise, l'utilisation sélective d'information, la manipulation de données, le manque de rigueur, d'équilibre et d'exhaustivité dans l'élaboration de ce reportage à saveur sensationnaliste. » [2] Le PM s'inquiète avec raison, de ne jamais lire d'articles sur la majorité des fumeurs qui font un usage responsable du cannabis, n'ont jamais eu aucun problème et approuvent la légalisation. Alors que les cas problèmes font la Une, même s'ils ne représentent qu'un pourcentage infime des consommateurs.

Madame Poisson, comme une bonne partie des journalistes, puise peut-être son information dans les « études » de la police. Dans un article intitulé « Entre la liberté et la sécurité, Analyse de quelques prises de position sur le cannabis et la loi » (Drogues, santé et société, printemps 2004), le bioéticien Guy Bourgeault qualifie la prose policière sur le cannabis de caricaturale. Les positions des opposants à la prohibition y sont présentées, écrit-il « Comme les questions du petit cathéchisme […] formulées simplement pour que les réponses préfabriquées puissent être données à apprendre. » Et Bourgeault de conclure « Je me méfie des policiers lorsqu'ils prétendent aussi être agents d'information du public et d'éducation des jeunes. »

L'avenir de not' belle jeunesse inquiète madame Poisson. Ils ne sont pas cons les jeunes. À force de leur dire n'importe quoi pour démoniser le cannabis, les éducateurs perdent toute crédibilité. Il ressort d'une enquête nationale de Santé Canada sur la consommation d'alcool et d'autres drogues, qui vient tout juste de sortir, que « près de 70% des personnes agées de 18 à 24 ans en ont fait usage au moins une fois » dans leur vie. Ils sont donc aux premières loges pour savoir que le cannabis n'est pas la plante démoniaque qu'on leur décrit. L'éducation des jeunes sur les drogues devrait être basée sur les connaissances scientifiques, la compassion, la santé publique, les libertés fondamentales et les droits humains, et non pas sur l'obscurantisme, le puritanisme, la déformation des faits, la démonisation et la répression, comme c'est le cas actuellement. Le gouvernement fédéral dépense 500 millions de dollars par année pour la répression policière et des miettes pour l'éducation. La prohibition fait obstacle à l'éducation, puisqu'elle accapare la presque totalité des budgets.

L'intolérance totale (tolérance zéro) nie l'existence de la consommation responsable et donc de l'éducation basée sur la connaissance et la modération. Et puis les jeunes, ils n'ont pas tous des problèmes. C'est plutôt l'exception que la règle. « Les études tendent à montrer que les jeunes qui font un usage problématique du cannabis ont aussi une consommation problématique d'alcool et manifestent une tendance plus élevée à adopter des « comportements à risque ». Il semble donc que la consommation problématique chez les jeunes soit un symptôme d'autres problèmes sous-jacents plutôt qu'une cause » (Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Le Cannabis).

En passant, une société qui prescrit des camisoles de force chimiques (Ritalin et autres saletés) aux élèves du primaire pour contrôler leurs débordement d'énergie, ne devrait pas se surprendre de les voir fumer du pot quand ils arrivent au secondaire. Et puis, dans la fameuse série d'articles de La Presse, on pouvait lire : « On fume avant les cours quand on sait que la matière vue en classe n'est pas très difficile » (10 octobre). Si on voulait être méchant et procéder par amalgame, comme font certains journalistes, on pourrait conclure que les jeunes fument avant les cours où ils s'ennuient. Et que les professeurs ennuyeux se servent du cannabis comme bouc émissaire pour camoufler leur incompétence.

Il faut qu'une société soit gravement malade pour tenter de faire croire à ses citoyens qu'une plante, qui a fait partie de la pharmacopée traditionnelle de l'humanité depuis des millénaires, est soudain devenue la cause de ses problèmes sociaux. Le cannabis est là pour rester, quoi qu'en pensent les prohibitionnistes. Tant que la politique d'intolérance totale sera appliquée et que la propagande prohibitionniste tiendra lieu d'information en même temps que d'éducation pour les jeunes, les problèmes de consommation et de crime organisé risquent d'empirer. C'est le mauvais exemple étatsunien, à ne pas suivre.

L'abolition de la prohibition est le seul moyen de mettre fin à l'emprise du crime organisé. Le meilleur moyen de protéger les jeunes, c'est de consacrer à l'éducation et la santé, les centaines de millions de dollars dépensés annuellement en répression policière. En attendant, 68% des Québécois appuient la légalisation, 25% la décriminalisation, et seulement 4% croient qu'il faut maintenir le statu quo. Comme la majorité des citoyens appuie la légalisation, ils devraient disposer d'autant, sinon de plus d'espace médiatique pour exprimer leur opinion, que celui consacré aux prohibitionnistes. Ce qui n'est pas le cas actuellement.

Madame Poisson termine son réquisitoire en déclarant qu'« il est plus que temps que nous ayions un débat responsable et véritablement adulte sur l'ensemble des problématiques entourant le commerce et la consommation de pot au Québec ». C'est bien le seul point sur lequel nous sommes d'accord. Mais, pour avoir un débat éclairé sur le sujet, il faut que l'information se rende jusqu'au public. C'est pour pallier à la carence d'information objective dans les grands médias sur la question que Le Couac publiera une série d'articles sur le sujet au cours des prochains mois. La propagande n'est généralement pas conçue pour résister à une analyse approfondie, et la propapande prohibitionniste anti-cannabis ne fait pas exception à cette règle. Nous en analyserons les failles et tenterons de découvrir à qui elle profite. Au programme : « Mon pot est plus fort que le tien », « Quelle différence y a-t-il entre un poteux et un schizo », « Tolérance zéro = Intelligence zéro », etc.