Position de la Bolivie face à la criminalisation de la coca

La communauté andine résiste à l'assimilation culturelle

La Convention unique sur les stupéfiants de 1961 avait entre autres buts de mettre fin à une pratique ancestrale très répandue dans les pays andins:

La mastication de la feuille de coca devra être abolie dans un délai de vingt-cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente Convention, comme prévu au paragraphe 1 de l’article 41; [1]

Cet objectif s’est bien entendu soldé par un échec. Or la Convention de 1961 est toujours en vigueur et l'article en question n'a jamais été retiré. De plus – alors que la Convention unique n’avait en matière criminelle qu’une valeur incitative – la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes (Convention de 1988) a rendu contraignante l’adoption de mesures pénales :

Sous réserve de ses principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de son système juridique, chaque Partie adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, à la détention et à l’achat de stupéfiants et de substances psychotropes et à la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle en violation des dispositions de la Convention de 1961, de la Convention de 1961 telle que modifiée ou de la Convention de 1971. [2]

Réserve émise par la délégation bolivienne

Voilà ce qui a incité la Bolivie à émettre la réserve suivante:

La République de Bolivie formule une réserve expresse à l’égard du paragraphe 2 de l’article 3 et déclare que lesdites dispositions, qui pourraient s’interpréter pour qualifier de criminelles l’utilisation, la consommation, l’acquisition et la culture de la feuille de coca pour l’usage personnel, lui sont inapplicables.

Pour la Bolivie, une telle interprétation desdites dispositions est contraire aux principes de sa Constitution et aux règles fondamentales de son ordre juridique qui consacre le respect de la culture, des utilisations licites, des valeurs et de la personnalité des nationalités qui composent la population bolivienne. L’ordre juridique bolivien reconnaît le caractère ancestral de l’utilisation licite de la feuille de coca, qu’une grande partie de la population bolivienne utilise depuis des siècles. En formulant cette réserve, la Bolivie considère:

  • que la feuille de coca n’est pas en soi un stupéfiant ou une substance psychotrope;
  • que son utilisation et sa consommation n’entraînent pas d’altérations psychiques physiques plus profondes que celles résultant de la consommation d’autres plantes ou produits dont l’utilisation est libre et universelle;
  • que la feuille de coca a de nombreuses propriétés médicinales attestées par la pratique de la médecine traditionnelle défendue par l’OMS et confirmées par la science;
  • qu’elle peut être utilisée à des fins industrielles;
  • qu’elle est largement utilisée et consommée en Bolivie et que, par conséquent, si l’on acceptait d’interpréter ainsi la disposition en question, une grande partie de la population bolivienne pourrait être qualifiée de criminelle et sanctionnée comme telle; c’est pourquoi l’interprétation de l’article dans le sens indiqué est inapplicable à la Bolivie;
  • qu’il est nécessaire de préciser que la feuille de coca peut être transformée en pâte, en sulfate et en chlorhydrate de cocaïne par des procédés chimiques faisant intervenir des précurseurs, des équipements et des matériels qui ne sont pas fabriqués en Bolivie et qui n’en proviennent pas.

En revanche, la République de Bolivie continuera à prendre toutes les mesures légales pertinentes pour lutter contre la culture illicite de coca destinée à la production de stupéfiants, ainsi que contre la consommation, l’utilisation et l’acquisition illicites de stupéfiants et de substances psychotropes. [3]


[1] Convention unique sur les stupéfiants de 1961 telle que modifiée par le Protocole du 25 mars 1972 portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 8 août 1975, 976 R.T.N.U. 105, art. 49.2 e). En ligne: http://www.unodc.org/pdf/convention_1961_fr.pdf
[2] Convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes, 19 décembre 1988, Doc. NU E/Conf. 82/15, art. 3 §2. En ligne : http://www.unodc.org/pdf/convention_1988_fr.pdf
[3] Acte final de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 20 décembre 1988, Doc. NU E/CONF.82/14.