Gilles Duceppe sert une rebuffade à Parizeau

Le Devoir, lundi 31 janvier 2000, p. A1
Buzzetti, Hélène

Québec - Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a voulu minimiser la portée des propos de Jacques Parizeau, hier, en martelant que son parti était l'allié indéfectible du Parti québécois dans la lutte du Québec pour la souveraineté. Il s'en remet à Lucien Bouchard pour décider du moment d'un prochain référendum tout en se disant confiant que celui-ci se tiendra l'intérieur du mandat actuel du premier ministre.

Dans son bref discours de clôture du congrès du Bloc québécois, au cours duquel les militants ont accepté d'ouvrir les caisses électorales aux entreprises et accordé un vote de confiance à leur chef, de 87,3%, M. Duceppe a insisté longuement qu'il n'y avait pas de clivage dans le mouvement souverainiste, entre son parti et celui de Lucien Bouchard.

L'ex-premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, avait, dans un discours percutant samedi soir, déclaré que c'était désormais les bloquistes, et non les péquistes, qui étaient le fer de lance de la souveraineté du Québec (voir autre texte en page A4). M. Parizeau encourageait les militants à relancer la discussion sur le pourquoi de la souveraineté afin de permettre un vote favorable d'ici trois ans.

«Le Bloc québécois est certes un acteur incontournable dans le mouvement souverainiste, a lancé Gilles Duceppe, mais en sommes-nous le fer de lance? Si oui, je vous dis que la lance est pointée vers Ottawa. Nous participons pleinement au mouvement souverainiste, surtout avec le Parti québécois, notre allié. Nous sommes des alliés indéfectibles.» M. Duceppe a nié qu'il avait tenté par cette déclaration de réparer les pots cassés par Jacques Parizeau. «Le Bloc et le PQ sont "complémentaires" et cela a toujours été la position du Bloc québécois, quel qu'en soit le chef [d'appuyer le leader péquiste]. J'ai réitéré cela»

M. Duceppe a soutenu qu'il ne voyait pas de différence entre sa position, qui laisse à Lucien Bouchard le soin de réunir les conditions gagnantes pour ensuite annoncer un référendum, et celle de M. Parizeau, qui disait samedi qu'il fallait annoncer un référendum pour la toute fin du mandat actuel du premier ministre. «Moi je vous dis qu'on va travailler à référendum gagnant», et a fait la synthèse des deux positions.

M. Duceppe a également profité de son discours pour annoncer le lancement d'un autre «grand chantier» de réflexion, cette fois sur la démocratie. Ce chantier travaillera pendant un an et devra faire son rapport à l'été 2001. Les résultats seront débattus au congrès du Bloc prévu pour 2002.

Sans entrer dans les détails du mandat de ce chantier, qui n'est pas encore bien défini, M. Duceppe a expliqué qu'il s'inspirera de la constituante telle que proposée par Réal Ménard, ainsi que du comité de rédaction d'une constitution québécoise cher à Daniel Turp.

La proposition de M. Ménard de créer une assemblée constituante a en effet été adoptée à la majorité, hier. La proposition amendée suggère que cette assemblée sonde les Québécois afin de proposer une association aux nations autochtones et utilise la période pré-référendaire pour faire de «l'animation collective préparatoire à la souveraineté». M. Ménard y voit une idée «en droite ligne avec les propos de Jacques Parizeau».

Quant au comité responsable d'esquisser une constitution du Québec, les militants l'ont accepté par une large majorité. Selon la proposition, il devrait déterminer les orientations fondamentales d'une constitution québécoise, établissant par exemple, le système politique qui serait mis en place dans un Québec indépendant. Monsieur Duceppe n'a pas voulu dire si une constitution devrait absolument être écrite avant un prochain référendum.

Parmi les autres grands changements, les militants du Bloc québécois ont accepté par une très mince majorité d'accepter les dons de personnes morales avec un plafond de 5000$. La loi fédérale sur le financement électoral permet aux partis politiques de recevoir des dons illimités d'individus ou de personnes morales, mais le Bloc québécois s'imposait des restrictions plus sévères, inspirées de la loi québécoise, et n'acceptait que les dons de personnes avec une limite 5000$. Yves Duhaime s'est réjoui de cette décision qui permettra de construire un "pont solide" avec les milieux d'affaires, condition à la réalisation de la souveraineté.

La députée de Mercier, Francine Lalonde, qui s'était farouchement opposée à ce changement en contradiction selon elle avec la mémoire de René Lévesque, paraissait complètement démolie par cette décision et a immédiatement annoncé qu'elle refuserait encore les dons de personnes morales dans sa circonscription.

Quant à l'atelier plénier de samedi sur le droit du Québec de choisir librement son avenir, il n'a pas éveillé l'indignation des militants. «À l'image de l'accueil quasi indifférent que les Québécois ont jusqu'à date réservé au projet de loi C-20, le débat a été très calme et sans surprise».

Le ministre québécois des Affaires intergouvernementales, Joseph Facal, était présent pour expliquer le projet de loi 99 qui se veut une réplique à C-20. Questionné par un militant sur la riposte future du gouvernement du Québec, M. Facal n'a pas exclu le recours devant les instances internationales comme à l'Organisation des Nations unies. «Oui, on y a songé, mais rien n'est décidé, rien n'est exclu. Nous n'allons pas faire de la stratégie devant 1000 personnes.»

M. Facal a aussi réagi aux commentaires de l'ancien président de l'Assemblée nationale française

Philippe Séguin, qui déclarait au Devoir qu'il valait mieux pour le Québec de chercher à négocier une entente avec Ottawa, à mi-chemin "entre la souveraineté-association et la société distincte", en niant avoir perdu un allié important.

«J'accueille avec respect les positions de M. Séguin qui est un ami du Québec", a dit M. Facal pour ajouter ensuite qu'il s'agissait d'une opinion "parmi d'autres". "Mais je ne vois absolument pas du côté du gouvernement fédéral en ce moment quelque velléité que ce soit de s'asseoir et de discuter avec le Québec. Au contraire. Je voisà chaque jour un durcissement du régime fédéral, une négation même de la souveraineté du Québec dans ses champs de compétences».

Par ailleurs, le Bloc québécois a coupé l'herbe sous le pied du Bloc pot en adoptant une résolution donnant le mandat à l'aile parlementaire de lutter contre la politique canadienne de prohibition du cannabis. Les tenants de cette résolution veulent ainsi mettre l'accent sur la prévention de la toxicomanie plutôt que sur sa criminalisation. Un des intervenants a d'ailleurs soutenu qu'il s'agissait d'un moyen de voler la plate-forme électorale du parti marginal Bloc pot et ainsi éviter une division du vote favorisant les libéraux.