Allemagne: Vers une légalisation «contradictoire» de la consommation de cannabis
L’absence de magasins publics spécialisés, comme au Canada, déçoit également. «Nous craignons une loi bien plus contraignante»
Allemagne: Vers une légalisation «contradictoire» de la consommation de cannabis
Alors que l’Allemagne s’apprête à légaliser la consommation de cannabis, un activiste dit son scepticisme
Thomas Schnee, Berlin
Publié le 30.10.2023
Temps de lecture estimé : 5 minutes
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Allemagne » Les partis gouvernementaux allemands veulent légaliser la consommation de cannabis à partir du 1er janvier 2024. Le projet de loi adopté en août par le Gouvernement fédéral est actuellement au Bundestag. Steffen Geyer, activiste de la première heure, directeur du Musée berlinois du chanvre et depuis peu président de la toute nouvelle Fédération allemande des «clubs sociaux de Cannabis», juge le texte de manière plus que critique.
Quelles sont les grandes lignes du texte?
Steffen Geyer: La détention de cannabis, jusqu’à 25g, va devenir légale. De même que celle de trois plants par personne, à la maison. Pour le reste, la production et la distribution se feront via des clubs privés nommés «Cannabis social clubs» avec un maximum de 500 membres par club. Nombre de ces structures sont en cours de création dans toute l’Allemagne. Elles attendent cependant le vote de la loi pour afficher officiellement leur raison sociale. Ces clubs à but non lucratif pourront approvisionner leurs membres à raison d’un maximum de 25g par jour et 50g par mois. Pour protéger les plus jeunes, il sera par ailleurs interdit de fumer à moins de 200m des écoles, jardins d’enfants, aires de jeu, etc.
«Nous craignons une loi bien plus contraignante»
Steffen Geyer
Les fumeurs de joints vont devoir se mettre au jardinage?
Il y a déjà beaucoup de gens qui savent cultiver le cannabis, illégalement en Allemagne, et légalement dans d’autres pays. Les savoir-faire sont là. Les semences se trouvent sur internet. Quant à la terre, les engrais, les lampes, les systèmes d’arrosage et d’aération, tout s’achète légalement dans le commerce. Par ailleurs, les surfaces de culture nécessaires ne sont pas démesurées. Un expert évaluait récemment qu’il faudrait 15 à 20 m2 de plants pour couvrir la consommation d’une centaine de personnes dans les conditions prévues par la future loi.
A Berlin, ces clubs sont déjà complets…
Nous n’en sommes qu’au début. Nous constatons des créations sur tout le territoire. Mais beaucoup de gens attendent que la loi soit adoptée pour créer leur club.
4,5 MILLIONS
de consommateurs de cannabis en Allemagne
Vous militez pour la légalisation depuis plus de 20 ans. Votre rêve devient réalité?
Nous sommes très partagés. Cette loi est un important pas en avant. Cependant, le projet final diffère grandement de ce qui était prévu au départ. Nous allons par exemple nous retrouver dans une situation paradoxale où le régime de légalisation pourrait être plus répressif et criminalisant que le régime actuel de prohibition. Par ailleurs, le système des clubs ne pourra jamais couvrir les besoins.
En quoi la légalisation pourrait conduire à plus de répression?
Pour protéger la jeunesse, la nouvelle loi va interdire la consommation de cannabis dans un rayon de deux cents mètres autour de tous les endroits où se trouvent des mineurs. Quand vous appliquez la règle aux centres de Munich ou de Berlin, vous vous apercevez qu’il sera illégal de fumer dans la plus grande partie de ces villes. A cela s’ajoute l’introduction d’amendes allant jusqu’à 50’000 euros pour les contrevenants. Tandis qu’aujourd’hui, où la possession de 15 grammes est tolérée, la police se contente de confisquer le joint du fumeur qui se fait attraper. Nous craignons donc une loi bien plus contraignante.
L’absence de magasins publics spécialisés, comme au Canada, vous déçoit également.
Les traités internationaux et européens ratifiés par l’Allemagne interdisent aux Etats signataires d’autoriser le commerce de la drogue à des fins récréatives. Le Gouvernement fédéral s’est donc dégonflé car il craint qu’une légalisation sur le modèle canadien soit bloquée par Bruxelles. La seule possibilité de contourner est de déclarer une expérimentation à des fins scientifiques ou médicales. C’est le cas pour les coffee shops néerlandais depuis 35 ans. En Allemagne, le projet de loi prévoit une deuxième étape qui sera l’objet d’une évaluation scientifique. Ce «modèle régional» permettra aux communes ou aux Länder de délivrer une licence de production et de distribution dans des magasins pilotes pendant 5 ans à des entreprises spécialisées.
Le Ministère de la santé évalue à 4,5 millions le nombre de consommateurs en Allemagne. Les clubs pourront-ils répondre à la demande?
Il faut le demander au législateur. Jusqu’au 12 mars 2023, les clubs sociaux de cannabis ne figuraient même pas dans les plans du gouvernement. Désormais, ils en sont la pièce centrale et doivent couvrir un marché de plusieurs milliards d’euros d’ici à l’année prochaine! C’est dément. Sur la base des expériences similaires qui existent en Espagne, en Uruguay ou à Malte, de tels clubs absorbent environ 10% du marché. Pas plus. Nous sommes donc très inquiets. La majorité des consommateurs de cannabis allemands continuera probablement à s’approvisionner illégalement et le marché noir ne disparaîtra pas. Nous craignons même que la loi ne facilite le travail des dealers puisque, dans le même temps, il sera légal de posséder 25 grammes de cannabis.
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