« Nous, on veut juste s’en sortir » : les visages des crises qui secouent Montréal

Pauvreté, problèmes de santé mentale, manque de ressources, manque de logements abordables.
C'est ridicule : sur un budget de 2,3 millions de dollars, le seul financement de base (celui qui est garanti, NDLR),
c'est 193 000 $. Tout le restant est [renouvelable] sur une base d'un an, ou de trois ans.

« Nous, on veut juste s’en sortir » : les visages des crises qui secouent Montréal

Pauvreté, problèmes de santé mentale, manque de ressources, manque de logements abordables.

Mais aussi l'embourgeoisement des quartiers populaires, sans oublier des drogues de piètre qualité qui menacent la santé des consommateurs… Le phénomène de la toxicomanie, à Montréal, continue de prendre de l'ampleur, alimenté par de multiples facteurs.

Une seringue sur le sol.
À Montréal, la pauvreté, la toxicomanie, la crise du logement et les drogues de mauvaise qualité se combinent pour former ce qui est décrit comme une « crise humanitaire ».

PHOTO : GETTY IMAGES / IRINA274/ISTOCK

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Hugo Prévost (accéder à la page de l'auteur)
Hugo Prévost
Publié hier à 4 h 00

« Nous, on veut juste s'en sortir, comme les gens normaux. Personne ne choisit d'être dans la rue. » Ces propos, ce sont ceux d'une jeune femme de 24 ans, sans domicile fixe depuis huit mois et enceinte depuis deux.

Rencontrée près de l'église de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, qui lui sert de refuge, cette femme déplore que les loyers du quartier soient devenus inabordables, se situant entre 1000 et 2000 $ par mois.

Par ailleurs, plusieurs personnes admises au refuge consomment de la drogue, affirme la jeune femme, ce qui peut provoquer des crises. Au lieu de les aider et de les envoyer à l'hôpital psychiatrique, on les met dans la rue, soutient-elle, faute de ressources.

Cette femme, qui souhaite plus que tout retrouver un toit avant d'accoucher, est l'un des visages de ce qui est décrit comme une crise humanitaire dans la métropole. Une crise aux allures catastrophiques, où les organismes communautaires tentent tant bien que mal de garder la tête hors de l'eau.

Le Téléjournal week-end
Le cri du cœur d'une jeune femme sans-abri à Montréal

Le cri du cœur d'une jeune femme sans-abri à Montréal. Il y a quelques jours, des résidents du centre-ville se plaignaient d'une cohabitation difficile avec les itinérants et les toxicomanes. Les gouvernements ont beau investir des sommes records, il est toujours difficile de trouver des places dans les refuges, d'autant que dans certains quartiers, des pétitions sont lancées pour les faire déménager. C'est le cas de celui où Mélina a trouvé refuge dans Hochelaga. Reportage de Charlotte Dumoulin.

Selon Annie Aubertin, directrice générale de Spectre de rue, un organisme installé dans Ville-Marie doté d'un site d'injection supervisé, l'un des facteurs contribuant à empirer cette crise est le fait que la qualité des drogues circulant dans la rue a nettement diminué. Et en raison du fait que les stupéfiants sont ainsi trafiqués avec toutes sortes de choses, dont du Fentanyl, en plus d'être mal dosés, le nombre de surdoses, lui, est en forte hausse.

D'une surdose par semaine, ou peut-être par deux semaines, on est passés à environ une par jour, en moyenne, cet été. Des fois, deux, indique Mme Aubertin, avant de préciser qu'en raison de la disponibilité de la naloxone, aucun consommateur de drogue n'a perdu la vie dans les locaux de l'organisation.

On a l'objectif que les gens repartent sur leurs deux pieds, et en vie, lance-t-elle en entrevue pour Radio-Canada.

Annie Aubertin.
Annie Aubertin, directrice générale de Spectre de rue

PHOTO : RADIO-CANADA

Sa collègue Alicia Morales, elle, est catégorique : on dénombre cinq fois plus de surdoses qu'en 2019.

Les gens consomment-ils davantage? De l'avis de Mme Aubertin, ils sont plus nombreux à visiter les locaux de Spectre de rue parce que les personnes qui s'injectent ont de plus en plus conscience que c'est dangereux, et qu'ils ont donc avantage à venir sur un site d'injection supervisé.

Quoi qu'il en soit, malgré tous les efforts de l'organisme, on s'y dit conscient du fait qu'il peut exister des tensions avec le voisinage. Il y a cinq ans, au moment d'ouvrir les portes du site, les choses étaient un peu difficiles, confie Mme Aubertin. Depuis, ça va de mieux en mieux, mais on reste vigilants.

Impossible de s'en tirer tout seul
De fait, la hausse de l'achalandage se conjugue à un écueil financier : en vertu des plus récentes subventions, le poste de travailleur de rue, une personne qui allait notamment rencontrer les commerçants du quartier, a été éliminé, faute d'argent.

Selon Annie Aubertin, les organismes communautaires ont besoin d'un financement plus stable afin de s'assurer qu'ils puissent offrir leurs services principaux de façon constante. C'est ridicule : sur un budget de 2,3 millions de dollars, le seul financement de base (celui qui est garanti, NDLR), c'est 193 000 $. Tout le restant est [renouvelable] sur une base d'un an, ou de trois ans, dit-elle.

Qu'est-ce qui se passe, avec nos institutions?, renchérit Alicia Morales. Les organisations communautaires ne peuvent pas s'en tirer toutes seules.

Et les critiques de la cohabitation avec les itinérants et les toxicomanes, qui se font davantage entendre depuis quelques années au centre-ville de Montréal et dans les quartiers avoisinants, sont symptomatiques d'une transformation, estime Mme Aubertin.

Si celle-ci juge les doléances décevantes, elle estime surtout que cela parle d’une méconnaissance, du syndrome "pas dans ma cour", ça parle de la gentrification du quartier.

« Les gens s’installent après l’arrivée de nos organisations, et il faudrait que nous, nous rentrions dans le plancher parce qu’ils se sont installés. »

— Une citation de Annie Aubertin, directrice générale de l'organisme Spectre de rue
Michelle Patenaude.
Michelle Patenaude, directrice générale du CAP St-Barnabé

PHOTO : RADIO-CANADA

Cette perception d'une situation catastrophique est entièrement partagée par Michelle Patenaude, directrice générale du CAP St-Barnabé, un organisme de lutte contre la pauvreté dans Hochelaga-Maisonneuve.

Depuis 2020, son organisation offre ce qui devait être un hébergement temporaire à 350 personnes itinérantes. Avec les années, des frictions sont apparues avec les habitants du quartier, alors que la recherche d'un nouveau bâtiment pour loger ces gens à la rue se poursuit.

La crise du logement a aussi alimenté la crise de l'itinérance, explique Mme Patenaude, qui parle d'un gros combat rassemblant la lutte contre la pauvreté, l'accès à des logements abordables, la possibilité de se nourrir sainement, l'accessibilité des épiceries... sans compter la question de la toxicomanie.

La responsable du CAP St-Barnabé ne va toutefois pas jusqu'à parler d'intolérance dans la communauté, se contentant d'évoquer un enjeu d'accompagnement, en matière de communications. Il y a aussi de la mécompréhension à propos de ce que nous faisons, dit-elle.

Pour Mme Patenaude, d'ailleurs, ce n'est pas seulement au milieu communautaire de trouver des solutions, mais plutôt à tous les paliers de gouvernement. Et il faut surtout se concentrer sur des programmes de prévention, même si cela peut prendre du temps avant d'obtenir des résultats. Un gouvernement qui se lancerait immédiatement dans un tel plan, après son élection, n'aurait ainsi probablement pas d'impacts concrets avant la fin de son mandat, reconnaît la directrice générale.

Pas d'action, parce que c'est stigmatisé
Aux yeux de Jean-Sébastien Fallu, professeur à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal, la crise des surdoses, qu'il qualifie de crise de santé publique inégalée depuis des décennies, découle notamment de l'aspect illégal des substances en cause.

On parle de bientôt 40 000 morts [de surdose] au Canada. Si ce n’était pas une question de drogues illégales, il y aurait des ressources mobilisées, et on ferait appel à la science et aux politiques de santé publique, comme ce fut le cas avec la COVID, a-t-il déclaré en entrevue sur les ondes de ICI RDI.

« On ne le fait pas, parce que c’est stigmatisé, et pour toutes sortes d’autres raisons. Et donc, les gens meurent. »

— Une citation de Jean-Sébastien Fallu, professeur à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal
Et cette prohibition peut être blâmée pour l'arrivée de drogues de mauvaise qualité sur le marché montréalais, juge le spécialiste.

C’est documenté : plus on interdit des substances, plus il apparaît des substances inconnues, toxiques, à risque, dit-il.

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Avec les informations de Charlotte Dumoulin

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Un budget caquiste lamentable bête et méchant !

Un budget caquiste lamentable bête et méchant !

Alors que le débat sur les salles de shoot agite la France, et ailleurs, la prescription médicale d'héroïne fait partie de l'arsenal du Royaume-Uni en matière de lutte contre la toxicomanie depuis les années 1920.
La prescription médicale d'héroïne, ce système britannique dont vous ne soupçonniez pas l'existence*
Très peu d'intervenants semblent connaitre ces faits et encore moins les utilisent, les médiatisent !?

« Le principal fléau de l'humanité n'est pas l'ignorance, mais le refus de savoir. »

Si l'on était responsable que des choses dont on a conscience,
les imbéciles seraient d'avance absous de toute faute.
[...] l'homme est tenu de savoir. L'homme est responsable de son ignorance.
L'ignorance est une faute.
Milan Kundera

C'est ridicule : sur un budget de 2,3 millions de dollars,
le seul financement de base (celui qui est garanti, NDLR), c'est 193 000 $.
Tout le restant est [renouvelable] sur une base d'un an, ou de trois ans.

Pas surprenant avec un gouvernement qui refuse de rembourser le cannabis thérapeutique prouvé efficace,
prescrit à des enfants épileptiques souffrant et mourant par Lionel Carmant un neuropédiatre
spécialiste en épilepsie, mais qui n'exige pas son remboursement, pour suivre la ligne de parti !

Violant son serment "De Tout Faire Pour Soulager La Souffrance", pour suivre la ligne de parti !

Pensez aux enfants si précieux en caquetage !
Penser ne fait pas cuire le riz ! Ne soulage pas la souffrance ni ne sauve de la mort !

Les 50 % de femmes de la caq élues et avec des enfants, ni les 50 % d'hommes et pères,
n'exigent pas le remboursement du cannabis thérapeutique prouvé efficace,
ne déchirent pas leurs chemises, pour suivre la ligne de parti ?
Parce que elles et ils. Ont les moyen$ de payer pour le cannabis thérapeutique efficace à leurs enfants !

Un "BON" père/mère de famille ne va pas laisser les enfants souffrir et mourir, consommer de l'alcool à 6-12 ans,
ni laisser criminaliser les adultes légaux à 18 ans selon la substance légale qu'il a choisi de consommer !

Qui se ressemble s'assemble !
Les individus dotés de qualités et défauts semblables souvent s'associent.
Exemple: Legault l'orgueilleux cannaphobe pro-criminalisation et mise en contact avec les organisations criminelles
qui s'est associé à l'autre cannaphobe conservateur Deltell pour le faire réélire !

C'est ridicule : sur un budget de 2,3 millions de dollars,
le seul financement de base (celui qui est garanti, NDLR), c'est 193 000 $.
Tout le restant est [renouvelable] sur une base d'un an, ou de trois ans.

Ridicule alors que la vente de cannabis non mortel
aux multiples bienfaits et usages millénaires :
Thérapeutiques - Récréatifs - Agricoles/Alimentaires - Industriels - Économique$
et qu'en 2020-2021 le cannabis a rapporté au monopole un profit net de 75,7 millions $.

Ce montant, auquel s’ajoutent diverses taxes perçues sur le cannabis,
a permis à la société de générer 214,7 millions $ pour le gouvernement québécois
et 56,4 millions $ pour le fédéral.

Rappelons que ce gouvernement
"Anti Science & Anti Justice Égale Pour Tout Le peuple du Québec".
Avec la criminalisation des adultes légaux de 18-21 ans depuis 2018.

Fourni depuis la mise en contact de 2018: 200 000 clients
et plus de 20 MILLION$ trimestres, 80 MILLION$ par année non taxés
aux organisations criminelles aux nombreux médicaments dangereux mortels addictifs
dont les opioïdes, l'héroïne le fentanyl ainsi que l'alcool et le tabac.

Rappelons que depuis la mise en contact de 2018 avec les opiacés
les surdoses mortelles ne cessent d'augmenter Continuer (slogan de la caq)
mais pas les budgets pour une aide immédiate et gratuite.
Lien de causalité !?

* La prescription médicale d'héroïne, ce système britannique dont vous ne soupçonniez pas l'existence
La prescription médicale d'héroïne fait partie de l'arsenal du Royaume-Uni en matière de lutte contre la toxicomanie depuis les années 1920.

https://www.huffingtonpost.fr/life/article/la-prescription-medicale-d-he...
Life
31/10/2016 20:15
La prescription médicale d'héroïne, ce système britannique dont vous ne soupçonniez pas l'existence
La prescription médicale d'héroïne fait partie de l'arsenal du Royaume-Uni en matière de lutte contre la toxicomanie depuis les années 1920.

Par Mejda Dihi

Un homme prépare une injection d'héroïne
STRINGER RUSSIA / REUTERS

SANTÉ - Mon interview avec Sarah* a duré une heure et demie, mais je ne me suis pas douté un instant qu'elle avait pris de l'héroïne le matin-même. Son appartement en sous-sol, dans l'ouest londonien, ne présente pas les signes habituels de chaos et de désordre que l'on associe habituellement à celui d'un toxicomane. Le salon est propre. La seule chose qui traîne est une écuelle pour le chat, qui nous rend visite pendant que nous parlons. Dans la bibliothèque bien fournie, les ouvrages spécialisés "Prescription Drugs: Alternative Uses, Alternative Cures" côtoient les livres de cuisine et les romans.

Tous les matins, au réveil, cette femme de 47 ans s'injecte une dose d'héroïne par voie intramusculaire. Elle en prend une autre dans l'après-midi, vers dix-sept heures, quand elle travaille ou quand elle fait du bénévolat, puis une dernière avant de se coucher, soit 300 milligrammes par jour. Tout son matériel est propre et bien rangé.

Demain, il lui en faudra encore. Elle sortira, pas pour chercher un dealer, mais pour se rendre dans une clinique des addictions, où son référent lui demandera comment elle va avant de lui prescrire l'équivalent de deux semaines de doses. Sa pharmacie lui fournira alors gratuitement des ampoules lyophilisées de diamorphine (appellation médicale de l'héroïne), des seringues neuves, de l'eau stérile et des tampons désinfectants.

Alors que le débat sur les salles de shoot agite la France, la prescription médicale d'héroïne fait partie de l'arsenal du Royaume-Uni en matière de lutte contre la toxicomanie depuis les années 1920. Mais le grand public ne le sait pas. Cette mesure était si rare dans le reste du monde qu'on l'a surnommée "le système britannique". Le Bureau de l'intérieur autorise certains médecins à prescrire de la diamorphine à ceux qui ne peuvent se satisfaire d'un substitut comme la méthadone ou la morphine. La détention de diamorphine, une drogue de catégorie A dans le système de classification britannique des stupéfiants, peut valoir jusqu'à sept ans de prison.

Sarah suit un traitement sur ordonnance depuis 14 ans. Elle est devenue accro à l'héroïne à 15 ans, quand elle a quitté le domicile de ses parents, en Australie. Avant de prendre de l'héroïne médicale, elle avait fait plusieurs cures de désintoxication à la méthadone, en vain. Elle veut arrêter le traitement mais craint de ne plus y avoir droit si elle fait une rechute.

L'une des ampoules de 30 mg de diamorphine (appellation médicale de l'héroïne) de Sarah.
HUFFPOST UK/JACK SOMMERS

Je lui demande où elle en serait si elle ne le suivait pas. Elle réfléchit pendant 15 secondes. "Je n'en ai aucune idée", répond-elle. "Quand j'ai demandé qu'on me prescrive de l'héroïne médicale, je me disais que c'était ma dernière chance."

"Je ne savais pas ce qui m'arriverait si on me le refusait. Je sais que ça paraît absurde, parce que les gens se disent: 'La solution, c'est d'arrêter de prendre de l'héroïne. De se foutre un bon coup de pied au cul et d'arrêter.' Mais je crois que quand on est dans une situation qui nous semble inextricable, on plonge facilement dans la drogue..."

"Je me souviens encore de ce type qui disait: 'Quand on est tout en bas de l'échelle, on ne peut pas tomber plus bas.' Mais ça a l'air quasiment insurmontable. Cette ordonnance m'a vraiment permis de sortir du trou."

Sarah parle lentement, et choisit ses mots avec soin. Elle soutient la dépénalisation, et la distribution gratuite, de diamorphine pour ceux qui en ont besoin dans un monde où "les gens ne voient que les toxicos, l'héroïne et ses dégâts". Elle veut que ça fonctionne. Elle ne sait peut-être pas où elle serait sans ordonnance de diamorphine, mais les problèmes qu'elle a rencontrés avant de l'obtenir ont tout d'une tragédie.

L'effet d'une "course sur tapis roulant"

Après être partie de chez ses parents quand elle était adolescente, elle a eu envie d'expérimenter. Elle a commencé à prendre de l'héroïne et des amphétamines. Sa consommation est devenue quotidienne quand elle a rencontré son premier copain. Il y avait "tellement d'héroïne" qu'elle est devenue toxico. Un matin, elle s'est sentie "très mal" et "extrêmement angoissée, jusqu'aux os. Je n'arrivais plus à y voir clair". C'est ainsi qu'elle décrit les symptômes de la dépendance. Sarah, qui en était réduite à se prostituer, a pris de la méthadone. Celle-ci atténuait ses symptômes, mais ne faisait pas disparaître la sensation de manque.

En 1993, quand elle avait la vingtaine, Sarah a émigré au Royaume-Uni. Sa mère espérait que cela l'aiderait à décrocher. Elle a continué à prendre de la méthadone pour arrêter l'héroïne, mais cela n'a rien donné car elle fréquentait toujours des toxicomanes. "L'héroïne fait moins d'effet quand on prend de la méthadone. Si on n'est pas décidé à arrêter, on prend des cachets en plus de l'héroïne (quand on réussit à s'en procurer)." Sa dépendance lui faisait l'effet d'une "course sur tapis roulant", explique-t-elle. "On ne pense qu'à ça, et on ne fait que ça. Parce qu'il faut trouver de l'argent, trouver un dealer, sortir tout son matos, ressentir ce petit frisson, avant de tout recommencer."

Sarah fait le geste de s'essuyer les mains avec une serviette, et prend le temps de trouver le mot juste. "L'héroïne fait disparaître la nausée, mais aussi le désir de prendre de l'héroïne. C'est peut-être lié au fait de prendre sa dose. C'est sûrement ça, d'ailleurs, cette sensation de satisfaction immédiate. C'est vraiment magique. En un instant, on fait disparaître les nausées, les maux de ventre. ON se sent enfin bien."

Sur la table du salon, l'ordonnance de Sarah.
HUFFPOST UKJACK SOMMERS

Après des années de traitement à la méthadone, un autre médecin lui a demandé ce dont elle pensait avoir besoin. "Une prescription pour l'héroïne, en fait", a-t-elle répondu, sans savoir que c'était possible. Le médecin lui a dit que si. Sarah est d'abord allée dans une clinique où elle devait passer chaque jour, prendre ses ampoules de diamorphine, se les injecter à la maison, et les ramener le lendemain, sous peine de ne pas obtenir les suivantes.

Pour elle, c'était terrible. Les doses étaient insuffisantes et les patients prenaient d'autres choses avec sans oser le dire de peur de ne plus recevoir d'ordonnance. Les visites quotidiennes l'empêchaient aussi de se libérer des fréquentations liées à l'héroïne.

Elle a vu un jour, dans la salle d'attente, un homme dont la peau était devenue jaunâtre. Il lui a dit qu'il avait un abcès aux fesses et a baissé son pantalon pour lui montrer une énorme zone noirâtre. Il n'en a pas parlé aux médecins de peur de perdre son traitement à la méthadone, et n'est même pas allé dans l'hôpital qui jouxtait la clinique.

Un homme s'injincte une dose d'héroïne dans Platzspitz Park à Zurich, en 1990
ROMANO CAGNONI VIA GETTY IMAGES

Sarah a cessé de se rendre à la clinique. Elle a recommencé à prendre de la méthadone. C'est seulement quand un de ses amis lui a cédé sa place que Sarah a pu suivre un traitement à la diamorphine chez elle. "Quand je suis allé les voir pour les supplier de me donner cette ordonnance, je prenais tout et n'importe quoi. J'avais même commencé à boire", reconnaît-elle.

Quand le traitement a commencé, les choses se sont améliorées. "Je crois que j'avais besoin de sentir que les médecins me faisaient confiance, que je pouvais me sortir de cette impasse. Je consacrais toute mon énergie à assouvir ma dépendance." Au bout de quelques mois, son médecin a fini par accepter de lui prescrire de la diamorphine ailleurs qu'à Londres, quand elle est partie vivre six mois chez sa mère à la campagne.

Elles revenaient de temps en temps dans la capitale pour vider peu à peu l'appartement de tout ce qu'elle utilisait pour prendre de l'héroïne. Les autres toxicos ont arrêté de l'appeler. Elle a fini par revenir chez elle. "C'était le jour et la nuit", s'exclame-t-elle. "Avec la diamorphine, j'ai complètement arrêté de prendre des trucs en plus. "Sa dépendance, et son combat pour obtenir une ordonnance, lui ont permis d'acquérir une certaine expertise et de militer pour les droits des toxicomanes. Elle a lancé un magazine afin "que les gens qui se droguent puissent se faire entendre du corps médical". Elle fait du bénévolat pour une plateforme téléphonique dédiée aux toxicomanes, encourage les médecins à prescrire de la diamorphine, mais les ordonnances de ce type sont de plus en plus rares.

Elle est persuadée que les gens qui suivent un traitement n'iront pas revendre leur dose d'héroïne médicale. "Pour quoi faire? Pour racheter de l'héroïne à un dealer? Si vous faites je ne sais combien de démarches pour suivre ce traitement, vous êtes vraiment accro à l'héroïne. Ça n'aurait aucun sens."

Sarah se fait prescrire les ampoules qu'elle s'injecte.
HUFFPOST UK

Elle a un jour fait une conférence où elle montrait deux photos de sa table basse, une à l'époque où elle prenait de l'héroïne achetée illégalement, l'autre quand elle était sous ordonnance. "Dans le premier cas, on voyait des cuillères, des seringues. On peut trouver des modèles autobloquants quand on a les veines abîmées. C'est vraiment bordélique, il y a des mouchoirs, des briquets pour faire chauffer la cuillère. De l'acide citrique pour dissoudre l'héroïne, un tourniquet et des ceintures." Dans le second cas, on voyait des seringues propres, de l'eau et une boîte d'ampoules. La différence était marquante.

Sarah n'a jamais eu d'abcès en s'injectant la diamorphine médicale qui, précise-t-elle, est "plus propre" que l'héroïne que vendent les dealers. Pour elle, c'est un médicament comme un autre. Elle ne passe pas des heures dans un état de stupeur après une injection. Comme elle s'y est accoutumée, elle peut prendre sa dose, se lever et être active durant la journée. "Les gens ne se rendent pas compte que j'en prends", dit-elle.

Elle a réduit sa consommation de moitié, parce que ça la fatiguait trop et pense prendre qu'un toxicomane ne peut pas prendre moins que cela. "La méthadone, c'est comme un gros manteau. Il n'est pas à moi, mais il me tient chaud. L'héroïne, ce sont mes vêtements. Ils sont plus légers, et moins tristes."

"200 personnes tout au plus, et probablement beaucoup moins"

Elle craint que le pays soit en train d'abandonner ce système. D'autres toxicomanes au bout du rouleau ne peuvent plus en bénéficier, et n'auront pas sa chance. "Très peu de médecins acceptent de prescrire de la diamorphine, et ils n'ont pas particulièrement envie d'avoir de nouveaux patients toxicomanes. Je connais des types avec une jambe en moins qui se shootent toujours. Mais ils n'ont pas droit à ce traitement."

Gary Sutton, thérapeute et chef du service de toxicomanie de l'organisation caritative Release, qui prodigue conseils et mesures de soutien, pense que la Grande-Bretagne revient en arrière, et affirme que le nombre de patients sous diamorphine est en baisse.

Il se souvient que l'ex-Secrétaire d'Etat à l'Intérieur, David Blunkett, avait évoqué la possibilité d'étendre ce genre de traitement au début des années 2000, mais qu'il était passé à autre chose et que rien n'avait vraiment changé. Un spécialiste de ces questions estime que 400 toxicomanes recevaient de la diamorphine à l'époque (les médias citent le chiffre de 400 à 500 personnes dans la première moitié de la décennie). En 2008, le British Medical Journalécrivait qu'ils étaient environ 300, des chiffres ridicules comparés à ceux des patients sous méthadone. Selon une autre étude, le traitement à la diamorphine durait en moyenne six ans. Mais, en 2010, le nouveau discours politique en matière de stupéfiants était qu'il y avait "beaucoup trop" de toxicomanes sous ordonnance et que ces traitements "ne les aidaient pas à s'en sortir ".

Il pense aussi que beaucoup de patients ont "subi des pressions" pour arrêter leur traitement ces dernières années, et qu'ils ne sont plus aujourd'hui que "200 tout au plus, et probablement beaucoup moins ".

En tant que psychothérapeute, Gary Sutton a travaillé avec des patients qui avaient subi des traumatismes dans leur enfance. Selon lui, les opiacés comme l'héroïne leur permettent d'atténuer la douleur qu'engendrent ces souvenirs.

"Les gens qui consomment des opiacés ont souvent des difficultés à s'attacher aux autres, ils ont souvent été victimes d'attouchements ou de maltraitance quand ils étaient petits", explique-t-il. "Je suis persuadé que ceux qui deviennent dépendants de ces drogues sur le long terme en ont besoin pour prendre le recul nécessaire vis-à-vis de ce qu'ils ont vécu très jeunes."

"Ils souffrent toujours, mais moins intensément. Il y a bien entendu des exceptions, mais je pense que c'est ce qui se passe dans l'immense majorité des cas."

Il reconnaît cependant que l'héroïne médicale est bien plus chère que la méthadone. En vérifiant le prix d'une ampoule lyophilisée de diamorphine (10 € les 100 mg), il calcule que le coût annuel d'un traitement tourne autour de 16 000 €, uniquement pour les doses. La méthadone que l'on trouve en pharmacie coûte, elle, moins de 2 200 €. "C'est un choix difficile quand on n'a pas beaucoup d'argent". Pour lui, il serait plus simple de fournir la diamorphine sous forme de tablettes ou de poudre, mais l'Intérieur s'y oppose.

Il recommande le type de traitement dont bénéficie Sarah. "Dans la plupart des cas, la méthode la plus efficace consiste à fournir une dose raisonnable aux patients, et à leur permettre de venir la chercher. Cela permet de construire les bases d'une vie plus productive, sans tous les drames, les interruptions et la désocialisation liés à la recherche d'argent pour se fournir chez un dealer."

Un adolescent fume une cigarette
GETTY IMAGES

Sarah avait prévu d'arrêter son traitement. Elle s'est inscrite à un master en communication, politique et progrès social qui commençait en septembre. Elle espérait que l'université tiendrait compte de son expérience de militantisme, puisqu'elle a interrompu ses études à 14 ans, mais elle n'a pas été acceptée. Elle avait prévu d'arrêter de prendre de l'héroïne médicale quand elle obtiendrait son diplôme.

"A mon âge, on a déjà rechuté plusieurs fois. J'ai envie d'arrêter, de faire ça bien. Je ne veux pas faire d'erreur." Elle n'ose pas dire à son entourage qu'elle prend de l'héroïne médicale depuis plus de dix ans, de peur qu'on lui réponde qu'elle ne sera jamais capable de s'en passer.

"Ça ne se passe pas comme ça. J'ai vraiment peur de ne plus pouvoir reprendre le traitement si j'arrête. Ce n'est pas comme si j'étais alcoolo, que j'arrêtais de boire et que j'avais la possibilité d'aller reprendre un verre au pub du coin: ça ne me tuerait pas. Mais rechuter quand on a une tolérance très basse est extrêmement risqué. La plupart des overdoses surviennent dans ces cas-là. Ils ont perdu l'habitude, ils en reprennent juste un tout petit peu, sans encadrement, et c'est fini. C'est vraiment très dangereux."

"On ne me laisserait jamais reprendre le traitement", ajoute-t-elle. Je lui demande ce qui lui fait dire ça. "Je le sais, c'est tout. Si je claque la porte, ce sera définitif."

*Le prénom a été changé.

Cet article, publié à l'origine sur Huffington Post britannique, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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