La dette québécoise – Y a-t-il péril en la demeure?

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Par Caroline Senneville

On nous parle beaucoup de la dette publique, mais on oublie de parler clairement à la population de ce qui a été créé et réalisé à partir de ces emprunts massifs, contractés au moment de la Révolution tranquille. On ne nous parle pas de ces actifs et de ce patrimoine qui constituent aujourd’hui la richesse de notre société : ces écoles, ces cégeps, ces universités, ces hôpitaux, ces CLSC, ces routes, ces musées […]. Ce patrimoine, il atteint aujourd’hui environ sept fois le montant de la dette publique. Ce n’est pas si déprimant comme héritage.

La dette québécoise est régulièrement présentée, sur un bon nombre de tribunes, comme un lourd boulet qui handicape le développement du Québec, voire comme une bombe à retardement léguée aux générations futures. « Vite, vite, remboursons! » entend-on. Ce discours mise en partie sur la peur et tente, au passage, d’apposer les générations les unes au autres.

La question de la dette mérite d’être examinée attentivement. Elle occupe une place importante dans le paysage politique, mais d’après la revue Commerce, seulement 14 % des Québécois peuvent la chiffrer!

La dette directe du Québec est estimée pour l’année budgétaire 2005-2006 à environ 84 milliards de dollars canadiens (84 G$). Cela peut paraître énorme… mais un chiffre, même gros, ne dit rien en soi! Pour mieux en saisir l’ordre de grandeur, disons que le budget du Québec pour la même année tourne autour de 60 G$ et que son PIB nominal (le produit intérieur brut en dollars courants, qui est une mesure de la valeur de la production de biens et services à l’intérieur des frontières d’un État) est approximativement de 277 G$ pour l’année 2005; la dette directe représente donc 30,3% du PIB.

Pour la même période, le Canada a une dette de l’ordre de 431 G$, un budget de 221 G$ et un PIB nominal de 1370 G$; la dette représente donc 31,5% du PIB. Les États-Unis ont, quant à eux, une dette de 5020 G$ US (vous avez bien lu!) pour un budget de 2286 G$ US et un PIB nominal approximatif de 13 030 G$; la dette représente 38,5% du PIB.

Avoir une dette n’est pas en soi une mauvaise chose. Pour devenir propriétaire d’une maison, par exemple, il est peu près impossible de ne pas s’endetter! On accepte ainsi de payer des intérêts, pour jouir plus tôt et plus longtemps d’une maison qui nous convient et qui, à terme, nous appartiendra.

Il en est de même, d’une certaine manière, pour le pays et les provinces. Les dettes contractées, et le Québec en est bon exemple, ont servi à mettre en place des services publics de qualité (système d’éducation, routes et infrastructures, système de santé) dont peuvent jouir toutes les citoyennes et tous les citoyens, les jeunes comme les moins jeunes. Il s’agit d’institutions et d’infrastructures durables et nécessaires.

Bien sûr, la comparaison avec la dette des particuliers a ses limites. Ainsi, il importe de signaler que la dette québécoise est, en grande partie, une dette que nous avons contractée… envers nous-mêmes ! Notre dette est essentiellement intérieure : nous en sommes à la fois les créditeurs et les débiteurs. La proportion de la dette québécoise détenue par des non-résidents est d’environ 25%.

Ce qui compte, au regard de la dette publique, c’est que notre niveau d’endettement soit contrôlé. Pour jauger l’importance du poids de la dette d’un pays, on examine en général le ratio dette nette/PIB5. Or, de 47 % qu’il était en 1997-1998, ce dernier a chuté à 27.4 % en 2004-2005, soit l’un des plus bas ratios des pays de l’OCDE.

Faut-il paniquer et faire du remboursement de la dette une priorité absolue ? La lourdeur de la dette empêche-t-elle vraiment le développement de meilleurs programmes sociaux?

La dette québécoise diminue lentement mais sûrement, en proportion du PIB, comme l’indique le graphique suivant:

Ratio dette-PIB du Québec

Une question politique

Tout en posant des conditions difficiles aux pays pauvres qui doivent, quant à eux, emprunter, la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) poussent les pays riches à éliminer leur dette, essentiellement pour stimuler l’économie privée. Mais c’est le plus souvent aux dépens des programmes sociaux et de la qualité des services publics qu’un remboursement accéléré de la dette nationale est effectué!

Le gouvernement canadien a adopté exactement ce genre de politique il y a dix ans et a augmenté la cadence de son remboursement… au détriment, en particulier, des provinces (qui ont été lésées en matière de péréquation, ce qui affecte directement au Québec l’éducation postsecondaire) et aux dépens des personnes qui ont perdu leur emploi (qui ont vu se réduire l’accessibilité aux prestations de l’assurance-emploi et la durée de ces dernières).

Il ne s’agit pas ici de minimiser l’importance de la dette. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une problématique simple : les experts en économie sont loin de s’entendre sur ce qui constitue le niveau idéal d’endettement pour une société. Chose curieuse, les économistes de droite ne sont pas d’accord là-dessus avec les économistes de gauche ! Mais selon le traité de Maastricht, signé par les pays de l’Union européenne, une dette sous le niveau de 60 % du PIB, pour un pays, est acceptable et ne compromet pas son avenir. Le Québec apparaît bien loin de devoir appuyer sur le bouton panique.

Il y a une différence énorme entre faire du remboursement de la dette un absolu idéologique, quitte à brader les services sociaux et les services publics (comme ce fut le cas au Canada), et y voir plutôt une donnée dont il faut certes tenir compte, mais qui ne doit pas empêcher le maintien et le développement des services publics.

Le Québec d’aujourd’hui a d’immenses besoins en matière d’éducation et de santé. Est-il opportun de chercher à rembourser plus vite son hypothèque si le toit coule et nécessite d’urgentes réparations ? Ne serait-il pas plus sage de chercher les moyens de financer ces nouveaux besoins, tout en gardant le contrôle de sa dette?

Texte paru à l’automne 2006 dans la brochure Demain vous appartient : Parlons politique !.

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