La définition d’un stupéfiant c’est d’être sur une liste qui est la liste des stupéfiants

Forums: 

http://www.streetpress.com/sujet/122524-se-droguer-responsable-est-il-po...

Tous les derniers lundi du mois de 19h à 20h, suivez en direct l'émission de StreetPress. Cette semaine, on s'est demandés s'il l'on pouvait se droguer responsable avec nos invités, pas franchement pro-prohibition..

Dépénaliser, légaliser, drogue dure, drogue douce… Ça fait 30 ans qu’on entend la même musique sur les drogues. Les journalistes attendent la petite phrase de tel ou tel politique qui se souvient avoir fumé. Le dernier en date étant Manuel Valls qui a « peut-être tiré sur un joint »…

Mais essayons de regarder au-delà du blabla médiatique ambiant pour qui drogue et drogués sont finalement de la bonne came : publiez un article sur le sujet, et ça clique, ça like. Et si les drogués étaient des sujets, et pas uniquement des objets mi-dangereux mi-irresponsables ? Et posons notre question du jour : Se droguer responsable est-il possible ?

Les invités :

> Grégory Pfau, docteur en pharmacie, praticien attaché à l’unité d’addictologie de la Pitié Salpêtrière, qui travaille avec l’association Charonne et Médecins du Monde sur l’aide aux toxicomanes.

> Arnaud Aubron, journaliste (Libération, les Inrocks), co-fondateur de Rue89, web entrepreneur, Burning Man addict et auteur du Dico Rock Drogues Store

> Aurélien, étudiant en master, ex-consommateur d’opiacées, actuellement en traitement de substitution.

« Il n’y a pas de définition de la drogue. Étymologiquement, ça vient du néerlandais, et ça voulait dire une chose sèche. Si on veut rester sur le langage courant, finalement, la définition qui est la plus courante c’est celle d’un stupéfiant. C’est là où on voit un peu toute l’ineptie de la chose, parce que la définition d’un stupéfiant c’est d’être sur une liste qui est la liste des stupéfiants, donc on n’a toujours pas beaucoup avancé… Mais quand on dit ça, par contre, on met le doigt sur un problème : une drogue aujourd’hui dans le langage courant c’est ce qui est mal. Une drogue au sens commun, c’est quelque chose que la société réprouve.

Je pense que le discours qui est de dire tout de suite : ah, regardez, c’est mal, vous allez devenir un junkie et tout ça, c’est très contre-productif parce que les gens qui en prennent pour la première fois, ce n’est pas du tout ce qu’ils voient. On prend toujours des drogues au début parce que c’est bon. Ensuite pour moi, mais là c’est très personnel, je pense qu’il y a un jeu à somme nulle, c’est-à-dire que plus c’est bon, et plus ça va aller haut, et plus ça va aller loin, et plus ça va retomber bas derrière, et plus il y aura des conséquences néfastes.

Pour moi il n’y a pas tellement de drogues douces et de drogues dures, il y a surtout des usages doux et des usages durs. Il y a des gens qui arrivent à foutre leur vie en l’air à base de pétard en augmentant les doses, en se désocialisant et en finissant tout seul dans son coin à fumer des pétards… Il y a des gens, qui sont peut-être rares mais qui existent, qui arrivent à vivre avec l’héroïne. Il y a évidemment des drogues qui sont plus addictives que d’autres mais je ne pense pas vraiment qu’il y ait de drogues dures ou de drogues douces en soi.

Une étude trouvait beaucoup de points communs entre les chefs d’entreprise et les gens qui se droguent. Le constat de départ était une insatisfaction commune : le ressort des capitaines d’industrie était peut-être, à un moment, un manque en eux qui les a amenés à tout donner à leur travail, à être successful, à en vouloir toujours plus… Il y avait cette même chose chez les gens qui présentaient un caractère d’usage chronique de drogue – je ne parle pas d’usagers récréatifs occasionnels, je parle de gens qui en prennent de manière chronique – avec peut-être cette même insatisfaction, ce même moteur interne. »

Aurélien – étudiant, ex-consommateur d’opiacées, actuellement en traitement de substitution

« Ce serait bien de faire changer l’avis des personnes connaissant peu le milieu de la consommation de stupéfiants et qui ont l’image caricaturale du junkie. Il y a différents types de produits pour différents types d’usages. C’est-à-dire qu’il n’y aura pas le même type d’usage de la MDMA ou de l’ecstasy, en club, chez l’étudiant lambda le week-end qui se laisse aller à un petit parachute comme ça, de temps en temps, que chez la personne qui a eu des problèmes plus ou moins difficiles. Il y a aussi ceux, par exemple qui utilisent les psychédéliques dans un but de meilleure connaissance d’eux-mêmes.

L’image du drogué irresponsable, c’est à cause de TF1 ou de Zone Interdite… Et on peut repartir dans les années 70-80 où on avait l’archétype du junkie à l’héroïne prêt à voler sa mère et qui va taper des sacs à main. Il faut savoir que plus de 90% des usagers de drogue sont des gens insérés. Par exemple si on prend le cas de la « drogue du moment », la cocaïne, une bonne partie des usagers de cocaïne – en plus de le faire de façon récréative – la prennent pour travailler. Si on doit bien retenir quelque chose de l’histoire c’est que se droguer pour son plaisir c’est mal, mais se droguer pour gagner c’est bien.

Arrêtez aussi avec le terme « salle de shoot ». C’est très stigmatisant, c’est plutôt l’image que veulent donner les gens qui sont contre ce projet-là. Le vrai terme c’est SCMR, « Salle de Consommation à Moindre Risque ». Et là, tout de suite, on sent rien qu’à l’oreille que ça change ! »

Grégory Pfau – praticien à l’unité d’addictologie de la Pitié Salpêtrière, qui travaille avec l’association Charonne et Médecins du Monde sur l’aide aux toxicomanes

Une bonne partie des usagers de cocaïne la prennent pour travailler

« Plutôt que de drogues, on préfère, nous, parler de produits psychoactifs, qui ont chacun des effets et des méfaits. Donc ça va être différent selon qu’on parle du tabac, de l’alcool, de l’héroïne, de la caféine, l’amphétamine, etc. On parle aussi d’usagers de drogues, et pas de toxicomanes, étant donné que les toxicomanes font partie d’une toute petite proportion des usagers de drogue.

Le crack, par exemple, on en a une image complètement erronée. Aujourd’hui, l’usager de crack n’est pas l’usager qu’on s’imagine forcément vivre sous un pont avec des difficultés sociales énormes. C’est vrai pour une certaine partie des usagers de crack, mais aujourd’hui, en France, il y a des gens qui achètent de la cocaïne-base, dit du crack, et qui sont insérés socialement.

La théorie de l’escalade – « 100% des héroïnomanes ont commencé par le cannabis » – elle est vraie dans un seul sens : quand on descend de l’échelle. Après quand on prend l’échelle dans le bon sens, c’est-à-dire quand on monte, on n’a pas du tout la même règle : c’est-à-dire que tous les consommateurs de cannabis ne vont pas finir dans leur parcours par consommer de l’héroïne.

On n’a pas vu d’explosion de la consommation de cannabis avec les évolutions de législation aux Pays-Bas. A l’inverse on reste quand même en France à un très fort taux de prévalence du cannabis, donc il n’y a pas de lien de cause à effet évident entre la législation et le comportement

A Médecins du monde, on met à disposition des usagers un dispositif complexe qui leur permet de piocher là où ils ont besoin, pour pouvoir obtenir ce qu’ils veulent, c’est-à-dire se responsabiliser et diminuer les risques liés à leurs usages. Des missions mettent en place un dispositif d’analyse de drogue, la mission squats accompagne les personnes dans une situation de logement alternatif, les missions éducations présentent les risques liés à l’injection… On est intimement convaincu que le fait d’être pénalisé en tant qu’usager est un frein d’accès aux soins, quels qu’ils soient. Il faut aller jusqu’au bout des choses : dépénaliser l’usage permet d’entrer en contact avec des gens qui sont en danger. »

Commentaires

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.