USA #1: Les contradictions de la justice américaine: plus de 2,4 millions de personnes incarcérées, loin devant la Chine.

Forums: 

http://www.cyberpresse.ca/la-tribune/opinions/201107/25/01-4420767-les-c...

Publié le 25 juillet 2011 à 10h40 | Mis à jour à 10h40

Les contradictions de la justice américaine

Le système de justice américain repose sur plusieurs paradoxes. Les États-Unis ont été le premier pays, il y a cela 200 ans, à se doter d'une chartre des droits. Ils ont été aussi le premier pays à mettre fin à la torture et autres châtiments corporels comme base du système de justice. Croyant à la possibilité de réformer et de rééduquer les criminels et délinquants, ils ont inventé au début du 19e siècle le système pénitentiaire moderne. Si le système judiciaire américain a longtemps servi de modèle dans le monde, il en va différemment aujourd'hui.

Le système politique américain s'est développé à l'origine autour des principes d'une justice égale et impartiale pour tous. Par conséquent, le système cherchait au début plus à réhabiliter qu'à punir les délinquants. Toutefois, ces nobles idéaux ont été depuis longtemps oubliés.

Avec plus de 2,4 millions de personnes incarcérées, les États-Unis se classent au premier rang mondial,loin devant la Chine. Cette dernière, qui a quatre fois plus d'habitants que les États-Unis, arrive au 2e rang avec une population carcérale de 1,6 million. En fait, la population carcérale américaine s'est accrue de 700 % depuis 1970, alors que la population totale du pays ne faisait que doubler.

La croissance de la population criminelle est moins due à une croissance des actes criminels qu'à la mise en place de nouvelles normes dans l'application des lois. Une nouvelle culture judiciaire a ainsi émergé, qui privilégie l'incarcération à toute autre politique comme moyen de lutter contre la criminalité.

Ainsi, plus de 50 % des cas d'arrestation et de condamnation sont liés à la possession de drogues illicites. De plus, un grand nombre d'États condamnent automatiquement les délinquants, trouvés coupables d'un troisième délit, même mineur, à une peine d'au moins 25 ans de prison.

Trop souvent, la justice américaine perpétue l'inégalité au lieu d'assurer la justice. Ainsi, les immigrants illégaux reconnus coupables de crimes sont soumis à des peines plus dures que les citoyens américains. De même, les Afro-américains, qui ne représentent que 13 % de la population américaine, sont arrêtés trois fois plus souvent que les Blancs pour possession de marijuana, en dépit de l'absence d'écart dans la consommation de cette drogue. Les Afro-américains représentent ensuite 55 % des personnes condamnées et 74 % des personnes emprisonnées pour ce délit.

En ce qui concerne les femmes emprisonnées, le nombre a quadruplé depuis 1985. Quarante pour cent de ces dernières sont emprisonnées pour avoir consommé illégalement des médicaments. La plus forte augmentation touche les femmes afro-américaines qui sont emprisonnées huit fois plus souvent que les femmes blanches.

Par ailleurs, les États-Unis sont le seul pays avec la Somalie à avoir refusé de signer la convention des Nations Unies sur les droits des enfants qui exclut la possibilité de condamner des enfants à des peines à perpétuité sans possibilité de libération. Ainsi, il y a présentement plus de 2400 prisonniers qui sont incarcérés à perpétuité dans les prisons américaines pour avoir commis des crimes alors qu'ils avaient moins de 18 ans.

Des enfants, aussi jeunes que 10 ou 11 ans, sont périodiquement jugés comme adultes dans plusieurs États. Cela est particulièrement vrai lorsqu'ils sont accusés d'avoir commis un meurtre. Ainsi, un jeune garçon de 11 ans du comté de Marion en Indiana a été arrêté pour meurtre après avoir tué son jeune frère de six ans le 30 juin dernier. Il a été accusé d'homicide involontaire pour avoir utilisé avec insouciance une arme à feu. Il risque ainsi d'être condamné à la prison à vie, s'il est reconnu coupable. L'année dernière, un jeune garçon de 12 ans qui était accusé de meurtre dans le comté de Kosciusko, en Indiana, a plaidé coupable à un crime moins grave. Il a vu ainsi sa peine réduite à 25 ans ferme de prison.

C'est au niveau de l'application de la peine de mort que le système judiciaire américain est l'objet de critiques internationales les plus virulentes. En 2010, encore 54 personnes y ont été exécutées. Or, des études récentes démontrent que le taux d'erreur judiciaire est très élevé. Cinquante-deux pour cent des personnes condamnées à mort dans les 34 États américains qui permettent de telle condamnation l'ont été lors de procès comportant de graves erreurs judiciaires. L'an dernier, plus de 200 personnes aux États-Unis ont vu leur condamnation annulée grâce à des tests d'ADN. Dans les trois quarts des cas, les personnes avaient été condamnées à partir de témoignages oculaires erronés. Cette situation a amené en février dernier le gouverneur Ryan de l'Illinois à suspendre temporairement toutes les exécutions dans son État.

Entre 1980 et 2006, les dépenses des États américains pour le maintien des prisons sont passées de 7 milliards $ à 53 milliards $, sans compter les 16 milliards $ dépensés par le fédéral. En 2008, ces mêmes États dépensaient comparativement 158 milliards $ pour l'éducation supérieure et 25 milliards $ en assistance publique.

Décidément, le système pénitentiaire représente une véritable industrie. D'ailleurs, le nombre de prisons privées, autorisées depuis 1984, ne cesse de s'accroître. En 2010, 129 000 personnes, soit 7,4 % des personnes incarcérées, étaient détenues dans de tels centres dont les budgets atteignaient les 3 milliards $. Ironiquement, les subventions aux programmes de réhabilitation connaissaient entre-temps une baisse importante. Le système judicaire américain semble faire intrinsèquement partie du système capitaliste où la première règle est la rentabilité et le profit.

Gilles Vandal est professeur titulaire

à l'École de politique appliquée

de l'Université de Sherbrooke.

Commentaires

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.