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le 06/02/2011 02:01

Enquête - Canal+ rediffuse demain à 22 h 40 un remarquable documentaire sur les caïds des banlieues réalisé par Jérôme Pierrat

Immersion dans la mafia des cités

Interview recueillie par Michèle ARriveau « Des fauves, des prédateurs, des parasites qui ne sont pas drôles » : Jérôme Pierrat ne donne pas dans l’angélisme pour qualifier « ces entrepreneurs du crime » qu’il a côtoyés des mois durant. Le 3 janvier, plus d’un million d’abonnés de Canal+ ont suivi Renard, voleur de voitures utilisant un incroyable boîtier électronique russe pour faire démarrer n’importe quel véhicule, Stéphane, « go-faster » (1) transportant 150 kg de cannabis et 10 kg de cocaïne entre les Pays-Bas et la France, Karim, inquiétant semi-grossiste en cannabis, PSG, redoutable trafiquant d’armes, et Redoine Faïd, ex-braqueur, le seul à s’exprimer à visage découvert. En liberté conditionnelle depuis 2009, ce dernier est désormais en cavale, recherché dans le cadre de l’enquête sur le braquage meurtrier de l’A4 le 20 mai dernier.

On a l’impression d’avoir manqué un épisode dans l’histoire des banlieues quand on voit ces truands circulant encagoulés dans de grosses berlines. Quand les choses ont-elles dérapé ?

Ça a démarré en 1995, progressivement. Il y a eu des alertes, comme l’évasion de Ferrarra. La police n’a rien pas vu venir. Elle était dans la dichotomie : d’un côté le grand banditisme, de l’autre la piétaille des banlieues, bonne pour la BAC, la brigade anticriminalité. Aujourd’hui, dans les cités, la démesure des moyens est angoissante : des armes de guerre contre des pistolets. Les caïds sont sans limite, alors que les policiers dépendent du bon vouloir financier de l’administration. La police de terrain, qui a apprécié le documentaire pour sa véracité, manque vraiment de moyens. Aller au plus près de ces délinquants, c’est montrer comment ils travaillent et combien est difficile la mission de la police.

Renard mis à part, les autres témoins semblent de sales types

Le vol de voiture est un truc de technicien, une spécialité moins sujette à tension. Renard n’est pas le mauvais bougre. Les autres sont dans la pure violence. Et entre eux, c’est la guerre. Ils s’enlèvent et se torturent. Ils craignent plus leurs concurrents que la police. Leur but unique est de faire de l’argent. Ils ont des carrières courtes. Soit ils tombent, soit on ne les voit plus au bout de quelques années, car ils se rangent après avoir engrangé plein de blé. C’est un nouveau milieu. La police doit réapprendre tout cela et recruter des agents en phase avec la population.

Un de vos témoins explique que les trafics « font vivre les cités ». N’est ce pas un peu facile de prétendre cela ?

Le trafic de stupéfiants, à 80 ou 90 % aux mains des caïds de banlieue, fait vivre les familles dont les enfants participent de près ou de loin. C’est un système capitaliste en cascade. Pour Creil, ils sont une quarantaine à gagner des milliers d’euros. Mais derrière ces semi-grossistes, il y a les détaillants, les « nourrices » (2) et les guetteurs. Ces derniers se font 1.200 € par mois. Tous ces jeunes dans les halls d’immeubles ne sont pas des voyous, juste les chevilles ouvrières du trafic. Les caïds de demain ne sont pas là.

Votre go-faster s’approvisionne à Breda, aux Pays-Bas. Que fait la police hollandaise ?

Il y a deux supermarchés à ciel ouvert pour les stupéfiants : les Pays-Bas et l’Espagne. Si on se fait prendre en Hollande avec 150 kg de cannabis, on ne passe même pas deux ans en prison

Êtes-vous pessimiste ou optimiste ?

Je m’intéresse à la banlieue depuis plus de dix ans et je vois que ça se dégrade. Certes, la police fait tomber des équipes, mais ceux qui plongent sont aussitôt remplacés. Tant qu’il y aura autant d’argent à gagner, je ne vois pas comment ça s’arrêtera. Les gamins baignent dans cette culture du gangstérisme. Il faut s’en occuper tout jeunes, à 6-7 ans. À 16, il est déjà trop tard ! Tout est question d’éducation et de culture. On doit leur montrer qu’il existe autre chose. Après, ils se crétinisent. La solution nécessite un savant dosage éducation-répression. Le retour de la police dans ces quartiers est primordial, tout comme celui des travailleurs sociaux. Hélas, on ne s’engage pas dans cette voie : tous les budgets afférents sont coupés.

Les caïds gagnent des fortunes. Que font-ils de leur argent ? Financent-ils le terrorisme ?

La voyoucratie des cités ne flambe plus, elle roule en Clio. Les trafiquants placent leurs bénéfices dans l’immobilier. Ils se mettent à l’abri du besoin, s’achètent un pavillon, ouvrent une pizzeria… Leurs gosses ne sauront jamais rien de ce qu’ils ont fait. Ils travaillent pour eux, pas pour des idéologues ou des religieux dont ils n’ont rien à f…

( 1) Go-fast : convoi rapide de deux voitures, dont la seconde transporte une grosse quantité de stupéfiants importés.

(2) Nourrices : ceux qui gardent la drogue dans leur appartement mais ne la vendent pas