«Le chanvre ne soigne pas, il soulage», c’est le credo d’Alternative verte...

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PHYTOTHÉRAPIE
PÉTARD SUR ORDONNANCE

Ils militent pour un usage élargi du chanvre pour raisons médicales. Ces Robins des Bois sortent aujourd’hui de la clandestinité dans l’espoir que la nouvelle loi leur permette, dès janvier 2011, de se soigner au grand jour.

Par Patrick Baumann - Mis en ligne le 23.11.2010
C’est un joli jardin aux portes de Genève dont nous tairons l’adresse. On a rendez-vous avec Antoine, Raymond et Simon*, et le premier contact se fait au milieu des plantes de cannabis alignées propre en ordre dans la cour de la maison. Ne pas se fier aux apparences. Nous ne sommes pas à la réunion de vieux fumeurs de pétards nostalgiques de Woodstock, même si certains en ont gardé le look. Il s’agit ici de bien autre chose que d’une histoire de défonce ou de colorer la vie en rose entre deux exaltations. Tous sont membres de l’association Alternative verte, qui se bat depuis quatre ans pour promouvoir l’usage du chanvre pour raisons médicales. Prenez Simon, le président, cloué dans une chaise roulante depuis l’âge de 20 ans à la suite d’un accident de vespa qui, vingt ans plus tard, le fait toujours souffrir de spasmes récurrents. Prenez Antoine, qui nous accueille chez lui, rentré dans un mur avec sa moto en 1996: omoplates broyées en morceaux, polytraumatisé à vie, et des douleurs permanentes pour séquelles. Prenez Raymond, le Vaudois du groupe, crâne fracassé à l’âge de 4 ans à cause d’un guidon pris dans la figure. Son flanc droit est resté paralysé et son dos le fait souffrir en permanence.

Antoine, Raymond, Simon, des hommes dont les douleurs sont comme de vieilles compagnes irascibles qui pourraient leur pourrir la vie définitivement s’ils n’avaient pas recours au cannabis. Ils fument du chanvre depuis des années pour en atténuer les effets, et ça marche!

A l’heure où le chanvre a mauvaise presse, où Bernard Rappaz monopolise l’attention, eux s’affichent courageusement en affirmant qu’il y a un chanvre qui peut soulager. «Grâce à ça, j’ai pu diminuer de moitié la prise de médicaments classiques contre les spasmes, qui sont mauvais pour l’estomac. Je n’ai pas toujours envie de fumer un joint, mais c’est la seule chose qui me calme instantanément, ou me permet de partir chercher ma fille à l’école sans problèmes.» Simon est totalement dépendant des aides-soignantes. Elles ont le droit de mettre la cigarette dans la paille qui sert à fumer et de la coincer dans sa main, «mais en aucun cas de me tendre l’allumette, vu leur statut de fonctionnaire… Elles se contentent d’allumer une bougie», raconte-t-il, malicieux.

DOSSIER MÉDICAL
«Le chanvre ne soigne pas, il soulage», c’est le credo d’Alternative verte qui compte 70 membres et promeut également d’autres traitements phytothérapeutiques. Antoine connaît son sujet sur le bout de la langue, il a tenu deux magasins de chanvre à Genève, à une époque moins répressive.

Aujourd’hui, ce chauffeurlivreur et animateur bénévole se contente de distribuer les boutures de son jardin à titre de médicament. «Les membres qui les reçoivent doivent présenter un dossier médical. Certains n’osent ou ne peuvent pas cultiver le chanvre euxmêmes.»

L’odeur du cannabis chez lui est assez forte pour que l’on se demande comment s’en accommodent ses voisins. «Je n’ai pas trop de problèmes. Mes enfants aussi sont parfaitement au courant de la situation. Rassurezvous, ils ne consomment pas!»

Certains consommateurs fabriquent leurs gélules de façon artisanale en réduisant en poudre les têtes de la plante
Antoine, Simon et Raymond mettent aujourd’hui leurs espoirs dans la nouvelle Loi fédérale sur les stupéfiants qui devrait entrer en vigueur en janvier prochain. Et entrouvrir la porte à un élargissement de l’utilisation du cannabis pour raisons médicales. Simon: «Ce serait une grosse déception de devoir rester encore dans la clandestinité. Parfois, je fume une cigarette dehors pour me soulager et je sens bien le regard des gens; je m’attends toujours à voir un policier m’appréhender, c’est une situation de crainte permanente.»

«Après mon accident, on m’a donné de la morphine pendant cinq mois, enchaîne Antoine. J’ai fait une dépression. Les antidouleur, eux, ont provoqué un ulcère. Aujourd’hui, je fume du cannabis depuis cinq ans, c’est le meilleur antidouleur que j’ai trouvé.» Antoine a un certificat médical attestant la décision de son médecin de le laisser gérer ses douleurs à son gré. «C’est sans valeur légale face à un policier borné», sourit-il.

A son côté, Alain, 56 ans et séropositif, dit en consommer pour atténuer les effets de sa trithérapie. Sous forme de spray pour protéger ses muqueuses. Raymond, 47 ans, a également renoncé à fumer pour des problèmes cardiaques et se contente du chanvre en tisane. Tous savent qu’en s’exposant ainsi, un simple quidam pourrait se demander s’ils fument tous uniquement pour des raisons thérapeutiques. «Il faut distinguer le joint social et le joint médical», répond Simon. «Si on consomme dix pétards par jour, même moi je dis que c’est plus tellement thérapeutique», rigole Alain.

Simon avoue une consommation de 2 grammes par jour, ce qui correspond à environ quatre cigarettes. Il y a deux ans, il s’est fait voler ses plantes sur le balcon. «Le problème, lui a dit le policier à qui il voulait déclarer le vol, c’est que je dois vous mettre à l’amende si vous portez plainte!»

VERTUS RECONNUES
La médecine n’a jamais nié les vertus médicinales du chanvre utilisé dans nombre de civilisations anciennes. En Suisse, l’utilisation de THC (tétrahydrocannabinol, le principe actif du cannabis) est admis sur autorisation spéciale (voir encadré) dans des cas très précis.

Pour l’instant, les pathologies de Simon, Antoine et Raymond n’entrent pas dans ce catalogue restreint.

Barbara Broers, médecin adjoint au service de premier recours des Hôpitaux universitaires genevois, qui suit Antoine et quelques autres, reconnaît que, pour certains de ses patients, le cannabis est une aide précieuse mais tient à préciser que l’utilisation du THC ne doit être envisagée qu’en dernière instance, lorsque d’autres médications sont inefficaces. «Le cannabis n’est pas la panacée, dit la médecin, et ne pourrait en aucun cas être envisagé comme solution de premier recours.» La spécialiste des addictions relève néanmoins que de nombreuses études en cours témoignent de l’intérêt des scientifiques pour cette molécule. Le chanvre aurait des vertus non seulement apaisantes, mais curatives à explorer.

Verra-t-on demain le flacon de cannabis dans la pharmacie familiale, entre la boîte d’aspirine et le sirop contre la toux? Spécialistes et consommateurs en doutent, le peuple a d’ailleurs refusé en 2008 toute idée de dépénalisation. «Tout ce qu’on demande, explique Antoine avec véhémence, c’est que nos souffrances soient reconnues et qu’on puisse soulager nos douleurs avec cette plante sans craindre une descente de police.»

* Prénoms d’emprunt.

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