Une "compromission morale" en échange de 1,4 milliard de bénéfice net...

Forums: 

Zappiste:
La théorie du moindre mal ou la réduction des méfaits.

On est dans la catégorie morale du «moindre mal» :
on n'essaie plus de combattre le jeu, on fait avec.
Ce qui entraîne une banalisation des jeux de hasard.
Ce n'est plus un vice, mais un loisir...
Oh, certes, il y en a qui abusent, mais on veille !

http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/yves-boisvert/201002/03/...

Publié le 04 février 2010 à 00h00 | Mis à jour à 00h00

La théorie du moindre mal

Yves Boisvert
La Presse

La France l'a fait, la Suède l'a fait, l'Espagne, l'Australie, etc. Cinq provinces le font au Canada. C'était donc une question de temps avant que Loto-Québec lance ses produits de jeu en ligne.

Le raisonnement est le même que pour le casino et la loterie vidéo : ça existe déjà, souvent au profit du crime organisé. Alors pourquoi ne pas «canaliser» ce bel argent vers la société d'État ?

C'est ainsi que la société d'État prévoit aller chercher 50 millions par année.

Quoi? Un débat sur les coûts sociaux de l'opération? Loto-Québec répond à la Santé publique qu'il n'avait qu'à en lancer un quand les jeux en ligne ont apparu.

C'est un peu court. J'espère que la société d'État accepte une responsabilité sociale un peu plus élevée qu'un casino en ligne illégal.

Il faut dire que le dernier débat public sur un de ses projets, Loto-Québec l'a encore en travers de la gorge : il a fait dérailler le projet de déménagement du Casino.

Et cette fois, le PDG de Loto-Québec, Alain Cousineau, a l'appui du ministre des Finances dès le départ et très officiellement. Alors de débat public il n'y aura pas. La machine est déjà en marche.

Mais on doit exiger au moins un examen public où l'on aurait l'occasion d'avoir des réponses à quelques questions pointues, études à l'appui.

Quand il est question de risque, Loto-Québec aime citer une étude réalisée en 2002 par le chercheur Robert Ladouceur de l'Université Laval, qui évalue le nombre de joueurs pathologiques à 0,8 % de la population - soit entre 55 000 et 65 000 Québécois. Selon cette étude, ce nombre de personnes est constant depuis l'implantation des appareils de loterie vidéo (ALV) et des casinos (1993). Mais elle dit aussi que la majeure partie des revenus des ALV provient de cette clientèle...

Loto-Québec soutient donc que le nombre de personnes malades du jeu ne sera pas touché par une offre étatique de jeu en ligne.

En toute logique, pourtant, on ne se contentera pas de canaliser un pourcentage des joueurs qui gaspillent déjà leur argent en ligne. On va augmenter l'offre de jeu au Québec.

Attendez-vous à ce qu'on fasse la publicité des nouveaux jeux de Loto-Québec et qu'on fabrique de nouveaux joueurs. L'étatisation des ALV n'a pas seulement canalisé les dollars illégaux vers le gouvernement. Elle a fait exploser l'offre. La comparaison avec le jeu en ligne est boiteuse puisqu'on ne sera pas capable d'occuper tout le terrain sur l'internet : les concurrents internationaux et illégaux, déjà très nombreux, ne s'en iront pas.

Sauf qu'avec sa puissance de frappe commerciale, attendons-nous à ce qu'on réveille de nouveaux joueurs.

***

C'est donc l'ultime étape de transformation de l'image du poker, qui, de vice plus ou moins accepté, est devenu un loisir glamour (voyez le tapage organisé autour des vedettes qui jouent au poker) et même un sport télévisé à heure de grande écoute !

Vous seriez surpris du nombre de gens qui passent des heures à jouer en ligne, nuit et jour. Plusieurs joueurs d'échecs de fort calibre se sont d'ailleurs recyclés dans le poker, où ils mettent à profit leurs capacités de calcul.

Est-ce mal que l'État se lance dans la concurrence pour les joueurs de poker? Ce n'est pas pire que le casino, pas pire que les ALV. Ce n'est que l'extension informatisée de la même chose. C'est une compromission morale à laquelle nous avons participé depuis longtemps en échange de 1,4 milliard de bénéfice net cette année...

On est dans la catégorie morale du «moindre mal» : on n'essaie plus de combattre le jeu, on fait avec. Ce qui entraîne une banalisation des jeux de hasard. Ce n'est plus un vice, mais un loisir... Oh, certes, il y en a qui abusent, mais on veille !

Au moins, ces sites-là seront contrôlés, mieux surveillés s'ils appartiennent à l'État. On pourra demander des comptes à leur gestionnaire. On pourra imposer une certaine obligation de surveillance des joueurs à Loto-Québec. En Suède, selon ce que nous en dit Loto-Québec, les sites ont des mécanismes serrés d'identification des joueurs - notamment quant à l'âge. On est capable de surveiller et de limiter leurs mises, et de les avertir si leur comportement paraît pathologique, nous dit-on.

C'est un terrain moral plein d'impuretés, comme vous voyez. Mais on y marche depuis si longtemps qu'il n'y a pas vraiment moyen de reculer.

Qu'au moins on nous expose en tant qu'adultes consentants la manière de gérer ce «moindre mal».