Les antidépresseurs sont inefficaces pour 70 % des patients

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Le Devoir du 7 janvier 2010
Par Pauline Gravel

Nombreux sont ceux qui y ont recours pour le moindre vague à l'âme qui persiste. Le soulagement qu'ils procurent est responsable de leur énorme succès. Pourtant, selon une étude parue hier dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), les antidépresseurs ne seraient pas plus efficaces qu'un placebo contre les états dépressifs légers à modérés. Ils ne seraient véritablement nécessaires que pour soigner les dépressions sévères. Or, dans la pratique, près de 70 % des patients auxquels on prescrit un antidépresseur souffrent d'une dépression légère à modérée.

Pour en arriver à une telle conclusion, les chercheurs de l'Université de Pennsylvanie, à Philadelphie, ont réalisé une grande analyse (une méta-analyse) de six essais cliniques qui ont consisté à comparer un antidépresseur à un placebo pendant au moins six semaines. Sur les 718 patients au total qui participaient à ces essais cliniques, 180 présentaient une forme légère de la maladie, 255 une forme dite modérée et 283 souffraient de dépression profonde.

Les chercheurs ont découvert que l'efficacité des antidépresseurs variait considérablement en fonction de la sévérité des symptômes. «L'effet de ces médicaments par rapport au placebo était minimal ou inexistant en moyenne chez les patients présentant des symptômes légers à modérés. Par contre, les bienfaits de la médication dépassaient largement ceux du placebo chez les patients atteints de dépression très sévère», indiquent les chercheurs dans la dernière édition du JAMA. Les auteurs espèrent que les cliniciens et les éventuels patients seront informés de cette importante distinction, car elle signifie que les dépressions légères à modérées pourraient être traitées par des approches alternatives, comme la psychothérapie ou l'exercice physique, étant donné que les médicaments antidépresseurs ne semblent pas aider les patients beaucoup plus qu'un simple placebo.

Les chercheurs rappellent que «les médecins qui rédigent les ordonnances, les décideurs politiques et les consommateurs ne sont peut-être pas conscients que l'efficacité des antidépresseurs a généralement été établie sur la base d'études qui ne portaient que sur des individus souffrant des formes les plus sévères de dépression. Or, cette importante information ne figure pas dans les messages publicitaires qui sont adressés aux cliniciens et au public».

Le Dr Pierre Landry, psychiatre à l'hôpital Louis-H. Lafontaine, confirme que le taux de réponse au placebo est effectivement élevée dans les études en général. «Mais, une fois les études terminées, les personnes qui reçoivent un placebo rechutent plus souvent, voire plus rapidement dans l'année qui suit que celles à qui on administre des médicaments antidépresseurs», précise-t-il, avant d'ajouter que «les patients qui participent à une étude de six semaines reçoivent une attention qu'ils n'avaient pas auparavant et qui participe, pour une grande part, à l'effet placebo. Sauf que quand ce suivi s'arrête à la fin de l'étude, le risque de rechute est plus élevé».

Le Dr Pierre Blier, chercheur à l'Institut de recherche en santé mentale de l'Université d'Ottawa, fait remarquer à son tour que quand la dépression est peu sévère, il est plus difficile de mettre en évidence l'effet de l'antidépresseur par rapport à l'effet placebo, notamment en raison de l'«effet psychothérapeutique que peut avoir l'encadrement du patient» qui, au cours de l'étude, est suivi régulièrement par un médecin, un psychiatre et un assistant de recherche, et a la possibilité de parler à une infirmière en tout temps.

«Pour évaluer l'efficacité des antidépresseurs, il faut mener des études d'une durée de six mois, comme cela est requis en Europe, et non de six semaines [comme celles qui ont été sélectionnées dans la méta-analyse publiée dans le JAMA], car la dépression n'est pas une maladie aiguë. Autrement, c'est comme si on essayait d'évaluer des programmes permettant de perdre du poids sur une période de six semaines. Les participants pourront perdre 10 livres par semaine, mais s'ils regagnent tout le poids qu'ils ont perdu au cours des six mois qui suivent, on ne pourra pas dire que le traitement est efficace. Quand on parle de l'efficacité d'un antidépresseur, il faut fonder son jugement sur ses effets à long terme», car, rappelle-t-il, des études ont montré que l'effet placebo ne se prolonge pas dans le temps. Il donne l'exemple de patients qui avaient bien répondu au placebo pendant les six semaines de l'étude, mais qui au terme de celle-ci avaient rechuté. Ces patients se sont toutefois rétablis lorsqu'on leur a donné des antidépresseurs.

Pour le Dr Blier, il ne fait aucun doute que les antidépresseurs sont efficaces pour toutes les formes de dépressions, à l'exception de celles qui sont réfractaires à tout médicament. «Leur efficacité est simplement plus facile à voir chez les personnes sévèrement déprimées, car elles sont moins sujettes à l'effet placebo», indique-t-il.

Loin de contredire l'étude du JAMA, le Dr Pierre Landry affirme pour sa part que «les personnes qui souffrent d'une dépression légère pourraient être traitées autrement qu'avec un antidépresseur». «Je n'irais pas jusqu'à dire que les antidépresseurs sont inefficaces pour traiter les dépressions plus légères, ils le sont, mais il y a d'autres approches qui sont tout aussi efficaces», dit-il.

«Personne ne sera contre ça [d'autres approches], poursuit-il, sauf que des fois, les clients ne veulent pas suivre une psychothérapie. Ils trouvent qu'ils n'ont pas le temps de venir toutes les semaines pour rencontrer un thérapeute et que ça coûte trop cher. Ils préfèrent avoir un médicament qui sera couvert en partie par la RAMQ.»

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