Défis pour une nouvelle politique publique: où étaient les politiciens?

Compte-rendu de la conférence du 16 avril 2015 organisée par le RISQ

Forum «Cannabis – Défis pour une nouvelle politique publique» - 16 avril 2015 au CHUM
Cannabis et cannabinoïdes
Indicateurs de base sur les différents usages du cannabis - Consensus de Lisbonne
Statistique démontrant la diminution de la consommation de cannabis chez les jeunes du secondaire
Potentiel addictif du cannabis
Valeurs sociales et politiques publiques
Coûts sociaux versus les modèles législatifs : Le paradoxe de la prohibition

Tenu le 16 avril 2015 au CHUM, le forum « Cannabis – Défis pour une nouvelle politique publique » a permis de faire le point sur l'évolution des connaissances scientifiques en matière de cannabis, et de constater à quel point les mentalités ont évolué relativement à ses usages thérapeutiques et récréatifs.

Jamais dans l’histoire du Québec une conférence sur le cannabis n’a rassemblé autant de spécialistes de divers horizons. Hormis les représentants du Bloc Pot, aucun politicien n'était malheureusement au rendez-vous. La consommation du cannabis et le changement légal auront pourtant des implications à l’échelle municipale, provinciale et fédérale. De plus, aucun groupe d'amateurs ou de consommateurs de cannabis n'était directement représenté, à l'exception d'usagers individuels de cannabis thérapeutique dont les interventions ont été très émouvantes.

Nous avons tout de même constaté une grande volonté d’élargir le débat et de passer à l’action – aussi bien chez les conférenciers que dans l’auditoire, composé d’étudiants, de fonctionnaires et de divers intervenants du domaine de la santé et de la prévention. Malgré les absences mentionnées ci-haut, la journée a été fort instructive et intéressante et nous en remercions les organisateurs.

Que dit la science?

Sébastien Tessier et Lina Noël, de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), ont mis la table en présentant des statistiques récentes. Nous en retenons que la consommation de cannabis est globalement en baisse, au Québec et ailleurs dans le monde, mais que les jeunes, les hommes et les habitants des régions éloignées (comme la Côte-Nord et le Nord-du-Québec) sont plus susceptibles de s’y adonner.

Didier Jutras-Aswad, psychiatre et chercheur au CRCHUM, s’est par la suite attaqué à un sujet délicat, c’est-à-dire les effets délétère du cannabis. Dénonçant la « grande confusion médiatique » entre le cannabis et les cannabinoïdes qu’il contient, M. Aswad a affirmé que le lien causal entre la consommation de cannabis et les cas de psychose ou de schizophrénie est « dépassé et trop simpliste », et que les scientifiques sont maintenant à la recherche de sous-groupes génétiques particuliers, c’est-à-dire de segments de la population plus ou moins susceptibles de développer des « troubles induits par le cannabis ». Voilà un message à des années-lumière de l’hystérie entretenue par des journaux comme La Presse.

Le spécialiste de la douleur chronique Mark Ware, de l’Université McGill, a enchaîné avec les plus récents développements en matière de recherche sur le cannabis thérapeutique. Selon lui, les échantillons de patients étudiés sont de trop petite taille pour donner des résultats fonctionnels et probants. De plus, les données actuelles sont insuffisantes pour savoir si un patient peut bénéficier davantage d’un cannabis à forte teneur en cannabidiol ou en THC. M. Ware a reconnu que les paramètres du protocole de recherche expérimental du Collège des Médecins du Québec « sont difficiles à atteindre », et a écorché au passage Santé Canada, qui a autorisé des milliers de patients à fumer du cannabis thérapeutique sans exiger quelque forme de suivi médical ou scientifique que ce soit.

Le criminologue Serge Brochu, de l’Université de Montréal, a pour sa part livré un condensé passionnant de l’évolution des politiques publiques en matière de cannabis. Nous en retenons sa distinction entre moralisme juridique (équation entre drogue et péché, typique des premières années de la prohibition), paternalisme juridique (équation entre drogue et dépendance, typique des années 1970-1990), et libéralisme juridique (modèle basé sur le plaisir individuel doublé d’une responsabilité individuelle, vers lequel la société occidentale semble évoluer).

Enfin, Thomas Babor, de l’Université du Connecticut, a présenté son modèle conceptuel de régulation internationale du cannabis. Il a également souligné le manque flagrant de données scientifiques relatives à l’application mondiale et locale de la loi. Au sujet du modèle ou de la solution à prôner pour mettre fin à la prohibition, nous retiendrons cette question qui concerne directement les amateurs de cannabis : quel est le meilleur système pour minimiser les impacts négatifs et maximiser le plaisir?

Panel sur les enjeux sanitaires, l’éducation et la prévention

Tenu en début d’après-midi, ce panel est certainement celui ayant touché le plus de participants et de participantes dans l’auditoire.

Le pharmacologue Mohamed Ben Amar, de l’Université de Montréal, a confirmé que le cannabis permet de traiter « une dizaine de pathologies ». Il reste que les seuils de consommation problématique, en matière de santé mentale notamment, sont très difficiles à établir pour toutes sortes de raisons allant des facteurs génétiques des consommateurs au contexte particulier de leur consommation. Un avis partagé par Aline Boulanger, de la clinique antidouleur du CHUM, selon qui les propriétés analgésiques du cannabis ne font aucun doute, bien que « tous les patients n’y répondent pas également ».

L’opposition entre les partisans d’un plus grand contrôle social et celui d’une plus grande libéralisation du cannabis est apparue pour une première fois lorsque la criminologue Line Beauchesne a critiqué la surutilisation du prétexte de protection de la jeunesse : « On n’interdit pas le vin aux adultes sous prétexte que sa consommation est dommageable pour les jeunes ! ». La Dre Amal Abdel-Baki, du CHUM, et Marc Paris, du Partenariat pour un Canada sans drogue, ont tout de même réitéré plusieurs fois leur message à l’effet qu’il ne faut pas « banaliser » la consommation de cannabis. Pourtant, aucune intervention ne fut faite au sujet de la banalisation...

Selon M. Ben Amar, il est démontré statistiquement que « plus les gens sont exposés tôt et de manière régulière au cannabis, plus ils risquent de développer des maladies mentales ». Or, ce lien de cause à effet demeure ténu et certains cannabinoïdes auraient même des effets bénéfiques sur la santé mentale. Toute recherche additionnelle sur le sujet sera évidemment bienvenue.

Tel que mentionné par le membre du comité organisateur Joël Tremblay en fin de journée, la variété des produits à base de cannabis fait que les balises et les seuils d’usage sécuritaire restent très difficiles à établir. Le changement législatif de ces produits impliquera de mieux cibler les populations à risque.

La partie du panel portant sur la prévention a d’ailleurs donné lieu à un plus grand feedback. Un membre de l’auditoire a souligné qu’il est inutile de réinventer la roue, car le Québec dispose déjà de toute l’expertise nécessaire. Une employée du GRIP a toutefois manifesté son inquiétude par rapport au contexte d’austérité budgétaire actuel, qui pourrait nuire à l’atteinte de certains objectifs.

Panel sur les enjeux de société et la dynamique du marché

C’est en fin d’après-midi que sont apparus les plus grands désaccords entre les partisans de la ligne dure et ceux de la libéralisation.

La définition de ce qu’est le « marché noir » et l’estimation de son importance réelle ont donné lieu à des échanges très animés, notamment avec Hugô St-Onge, chef du Bloc Pot. Les panélistes Messaoud Abda et Stéphane Berthomet – respectivement spécialiste en criminalité financière et chercheur au CIRRICQ – incarnaient à merveille le concept de securitization, fondement théorique d’une industrie cherchant à justifier son existence par l’exacerbation de menaces réelles ou présumées.

Les panélistes ont toutefois oublié de mentionner l’existence du « marché gris », soit celui des dispensaires de cannabis thérapeutique respectant certains critères éthiques mais opérant en marge de toute autorisation gouvernementale. Lors de sa présentation, Mark Ware avait pourtant affirmé qu'on retrouve « plus de dispensaires que de Tim Hortons » à Vancouver !

En matière de politique économique, nous avons eu droit à des scénarios reposant sur les deux grands axes théoriques que sont l’étatisation et le libre marché. Le blogueur Gérard Briand a préconisé un modèle d’étatisation du cannabis reposant sur les forces déjà en présence au Québec, comme la SAQ, la Coop fédérée et les instituts de recherche. Adam Greenblatt, directeur de la clinique Santé Cannabis, s’est dit partisan d’un libre marché « réglementé au niveau du contrôle sanitaire et de l'étiquetage par l’État et faisant place aux entreprises privées, coopératives, organismes communautaires et aux OBNL ». Précisément, la distribution devrait être réalisée par des organismes spécialisés et non par des chaînes ou des supermarchés. M. Greenblatt a souligné que les normes mises en place par Santé Canada pour le marché thérapeutique pourraient être facilement étendues au marché récréatif.

Et la politique, dans tout ça?

Tel que mentionné plus haut, aucun représentant des grands partis politiques provinciaux et fédéraux n’était présent, mais les panélistes ont tout de même lancé quelques pistes de réflexion pouvant mener à des changements législatifs.

Mohamed Ben Amar s’est dit en faveur de la tenue d’un référendum sur la question du cannabis. Ce scénario nous apparaît irréaliste à l’échelle fédérale surtout que les enjeux autres que ceux reliés aux Code criminel relèvent des responsabilités et des capacités provinciales d'action sur son territoire. (Lorsque le Canada a voulu prohiber l'alcool en 1919, le Québec a réalisé indépendamment son premier référendum sur cette question.) Malgré l'absence de cadre légal pour la tenue d'un référendum d'initiative populaire, les « conditions gagnantes » semblent réunies en ce qui concerne l'électorat. Qu'attend l'Assemblée nationale pour agir ?

Gérard Briand a pour sa part souligné qu’il est possible de déposer un projet de loi privé à l’Assemblée nationale. Ce scénario pourrait-il mener à la politique de non intervention policière et judiciaire réclamée depuis 1999 par le Bloc Pot? La question mérite d’être posée.

En guise de conclusion, le membre du comité organisateur Bastien Quirion a rappelé à juste titre que les considérations économiques sont au cœur du débat actuel sur le cannabis. À en juger par ce qui se passe aux États-Unis, le danger de légaliser le cannabis « pour la mauvaise raison » (l’argent) est bien réel. C’est une invitation à rester mobilisés et motivés par le bien commun !

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