Libre opinion d'un médecin sur le cannabis thérapeutique
Suite à l'opération policière du mois de mars dernier au Club Compassion de Montréal, les médecins qui avaient prescrit du cannabis à leurs patients ont tous reçu des lettres du Service de police de la CUM ainsi que du Collège des médecins. Ces avertissements avaient pour but de rappeler aux médecins que cette plante controversée reste encore interdite par la loi et que ses vertus thérapeutiques n'ont pas été prouvées. Examinons donc ces deux prétentions.
Les aspects légaux
En dépit de tout ce qu'on entend sur le sujet, il est important de remarquer qu'un article de la loi fédérale sur les drogues et substances contrôlées pourrait déjà permettre aux médecins de prescrire une telle substance contrôlée quand cela est nécessaire (section 53 (2)). Cette clause de la loi s'accorde d'ailleurs parfaitement avec le rôle du médecin qui est de traiter son patient en utilisant les meilleurs moyens à sa disposition selon ses connaissances, sa conscience, son jugement et après échange d'informations avec celui-ci.
Évidemment, la prescription médicale pourrait apporter une sorte de reconnaissance de cette alternative thérapeutique, mais une telle reconnaissance ne pourrait-elle pas être perçue par certains comme une forme d'endossement plus large pouvant remettre en question l'interdit qui pèse sur cette substance? Peut-être. Mais après tout, au moment où la notion de réduction des méfaits semble rallier une majorité dans notre société, une telle ouverture permettrait au moins une diminution du stress chez des patients qui l'utilisent (illégalement) et en retirent déjà des bienfaits, sans compter une réduction du coût ainsi que l'apparition d'une production biologique «certifiée». Durant des millénaires, le cannabis a été associé à divers usages chez les humains. Aujourd'hui, n'était l'interdit social dont elle fait l'objet, cette plante devrait, à bon droit côtoyer, sur les étagères des boutiques de produits naturistes, d'autres plantes comme le millepertuis ou le Ginko Biloba.
L'absence de preuves scientifiques
D'après le Collège des médecins, on ne devrait pas prescrire de cannabis parce que son efficacité n'a pas encore été démontrée. En effet, le cannabis n'a fait l'objet que de très peu de ces études cliniques «randomisées» si chères à la communauté médicale. Par contre, son utilisation pour le traitement de différents symptômes est attestée depuis longtemps. L'expérience clinique qui en résulte ne constitue-t-elle pas une autre façon de démontrer son efficacité même si cette méthode differe des habituelles études cliniques scientifiques. Bien sûr! De telles études sont valables et elles pourraient apporter des informations complémentaires utiles. Cependant, il faut savoir que les expériences les plus rigoureuses ne peuvent garantir à coup sûr, pour un individu donné, le soulagement de ses symptômes par un médicament ou l'absence d'effets secondaires de ce médicament. Les seules choses certaines résultant de ces études, ce sont des possibilités statistiques, rien de plus. Autrement dit, lorsque nous utilisons un médicament, nous sommes tous, en quelque sorte, des cobayes — que ce médicament ait fait l'objet d'études scientifiques ou non. On ne sait jamais AVANT, on sait juste APRÈS!
Plusieurs exemples viennent confirmer cet état de fait. Parmi les plus récents, prenons le cas du Relenza, un médicament anti-grippe mis sur le marché en 1999 après avoir reçu l'approbation conditionnelle de Santé Canada et après avoir fait l'objet des habituelles études. Un an plus tard, les médecins recevaient une mise en garde de la compagnie pharmaceutique productrice du Relenza rapportant un effet secondaire «imprévu», à savoir: bronchospasmes pouvant entraîner la mort, même chez des individus sans antécédents de maladies respiratoires. Je pourrais aussi bien mentionner le Mevacor, ce produit qui s'est révélé cancérigène chez la souris est pourtant utilisé pour abaisser le taux de cholestérol. Ou encore le Methotrexate, qui est parfois prescrit dans des cas d'arthrite inflammatoire, avec de bons résultats, semble-t-il. Pourtant, ce produit peut être dangereux et même mortel à l'occasion. Une mort est une mort. Elle ne devient pas plus acceptable parce qu'elle respecte le code de déontologie médicale et qu'elle survient à la suite d'un traitement reconnu par la communauté scientifique.
Le cannabis n'est pas une plante médicinale miracle. Mais il a été démontré qu'elle peut rendre service en soulageant certains symptômes chez des individus et ce, sans effets secondaires importants. Elle mérite notre intérêt et notre respect. Et puisque la ligne de démarcation entre usage thérapeutique et usage récréatif peut sembler ténue et aléatoire, et compte tenu des coûts sociaux qu'entraîne sa prohibition, la décriminalisation du cannabis serait, tout compte fait, préférable à un contrôle médical qui, à l'usage, se révèle excessivement complexe (c'est peu dire!).
Jean Gariépy, médecin.
Membre du conseil d'administration du Club Compassion de Montréal (2000-2002)
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