Introduction
Imaginez le scénario: vous êtes atteint d'une maladie grave ou de maux chroniques qui rongent votre vie, votre corps, votre esprit, et ne cessent de le faire, à chaque jour, à chaque heure. Les symptômes reviennent de façon irrégulière, avec l'épuisement, les tensions, les nausées, les douleurs, les insomnies. Demain, ce sera la même chose. La douleur reviendra, un peu plus tôt, un peu plus tard. Pendant le sommeil peut-être. On ne peut pas prévoir.
Imaginez que, depuis quelque temps, vous avez découvert que le cannabis réduisait vos souffrances. L'inhalation du produit en question — un produit naturel faut-il le rappeler, sans aucune transformation — soulage vos crampes, vos nausées, vos spasmes, vous rend l'appétit et le sommeil. Ce produit, vous en faites l'expérience, vous permet de continuer à lutter contre la maladie, vous permet de vivre un peu plus normalement et dans des conditions plus supportables, plus humaines. Car ce produit, contrairement à ceux que vous aviez essayés, ne vous prive pas de vos facultés motrices, psychiques et intellectuelles. Depuis peu, vous le sentez, vous pouvez endormir votre douleur sans endormir votre conscience.
Mais ce produit qui vous apparaît sans équivoque comme un allié est interdit par la loi, Cela, vous le savez. Vous savez, on vous l'a dit bien des fois, que cette chose, cette plante, qui vous redonne le contrôle sur votre vie, peut vous mener en prison. On parle ici d'une justice élaborée par des individus qui s'engagent à obéir à la grande maladie de la Loi dont le symptôme le plus récurrent est une tendance compulsive à n'écouter que ce qui la justifie; à renier ce qui la contredit; à neutraliser ce qui la dépasse, ce qu'elle ne peut pas, ou ne veut pas comprendre.
Imaginez enfin que l'État vienne s'immiscer dans votre douleur en vous disant que c'est bien triste mais que ce n'est pas tout; qu'il y a des enjeux énormes; qu'il comprend le bien que cela vous fait mais qu'on ne peut s'y fier; que l'amélioration de votre état n'est pas scientifique; que la question est délicate parce qu'illégale et qu'en attendant, tout contrôle sur votre douleur vous est interdit mais que tout ça, bien sûr, est pour votre bien.
Imaginez que ces individus, dont la plupart ne sont ni médecins ni chercheurs — ceux-ci se faisant rares parmi nos élus —, qui sont des fonctionnaires aussi immobiles dans leurs bureaux que dans leurs lois, vous annoncent qu'il faut attendre; qu'on ne sait pas très bien encore; que les résultats des dernières études ne sont pas encore sortis; que les procédures administratives sont longues, surtout dans ce dossier vous savez, mais faites-nous confiance, on y travaille, seulement encore un peu de patience.
Mais la patience peut vous tuer.
La lenteur des procédures institutionnelles visant à reconnaître les valeurs thérapeutiques du cannabis ou à considérer sa décriminalisation est inversement proportionnelle à la vitesse de progression du mal dans votre corps. Le temps, vous le sentez, est une donnée qui vous manque. Vous êtes dans l'urgence, mais il vous faut attendre, encore. Parce que l'État n'est pas prêt. Parce qu'il ne sait pas s'il est avantageux pour lui de modifier la loi.
Vous avez beau dire que le cannabis est utilisé depuis des millénaires et que ses vertus médicinales sont bien connues; vous avez beau montrer votre corps qui ne tremble plus ou qui se décrispe après quelques inhalations seulement, rien n'y fait. Bien sûr, pour votre migraine, impossible de vérifier si elle a vraiment disparu ou si vous feignez. ON ne peut pas se baser sur si peu. Prenez de l'aspirine, en attendant. Parce que l'État n'est pas prêt. Vous ne pouvez pas imaginer
tous les éléments qui sont en jeu.
Et puis, c'est la Loi, vous savez !
La plus atroce offense que l'on puisse faire à un homme, c'est de nier qu'il souffre.
— Cesare Pavese :: Le métier de vivre
Puisque, collectivement, nous sommes trop confus pour légiférer sur cette question et décriminaliser, voire légaliserl'usage personnel et la possession de cannabis, f... J, j'estime que, pour le moins, le principe de tolérance s'impose.
— Jacques Languirand :: Le Devoir; février 2000
Nous, parlementaires, avons la responsabilité de prendre une décision avant que le vide juridique dans ce dossier ne force les juges à le faire à notre place. Ces derniers ne sont pas élus et n'ont pas à être contraints de trancher ce débat de société parce que nous hésitons toujours à assumer notre rôle de législateur.
— Bernard Bigras, député de Rosemont-Petite-Patrie :: Une question de compassion
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