Aperçu historique de l'usage thérapeutique du cannabis
Dans la Chine ancienne, le cannabis n'était pas seulement utilisé comme nourriture ou comme papier, pour ses fibres ou son huile, mais aussi bien comme plante médicinale, tel qu'en fait mention l'Empereur de Chine Sheng Nung (2700 av. J.-C.). Au Xe siècle après Jésus-Christ, le Cheng-lei-pen-ts'ao fait état de l'utilisation du cannabis afin de freiner les épidémies, d'éclaircir le sang, de faire baisser la température, de soulager la diarrhée et de calmer les rhumatismes. Il sera plus tard utilisé comme antibiotique et pour réduire la nausée, pour stimuler l'appétit ou favoriser le sommeil. Dès 1578, il sert contre les hémorragies, la lèpre et la dysenterie.
En Inde, le Athava Veda (1400 av. J.-C.) mentionne le cannabis parmi ses cinq plantes sacrées. Il est en outre associé à la magie, à la religion et à la médecine, où il fait partie des coutumes sociales. Sushruta, le plus célèbre des médecins de l'Inde ancienne, utilise le cannabis pour, entre autre, assécher les muqueuses, libérer la congestion, calmer la fièvre et régulariser les humeurs. De même, on s'en sert comme soporifique, comme excitant, comme analgésique, ou encore pour aider à la digestion, stimuler l'appétit, contrer la lèpre ou donner de l'énergie vitale.
En 1893 et 1894, The Indian Hemp Drugs Commission reconnaît les valeurs médicinales du cannabis pour soulager les migraines, les crampes et les spasmes, les convulsions et l'hystérie, le tétanos, la dysenterie, la lèpre et la fièvre, la gonorrhée, l'asthme, la bronchite, la tuberculose, les flatulences, le diabète, le delirium tremens et l'impotence. De même, la commission fait mention de son usage comme analgésique pour des opérations mineures et des douleurs chroniques, comme désinfectant, comme somnifère et pour calmer les tensions nerveuses. La conclusion de la commission termine de la manière
suivante:
It is intcresting to note that while the [hemp] drugs appear now to be frequently used for precisely the saine purposes and in the saure manner as was recommended centuries ago, many uses of these drugs by native doctors are in accord with their application in modern European therapeutics. Cannabis indica must be looked upon as one of the most important drugs of Indian materia medica.[1]
On retrouve des traces du cannabis en Judée où il aurait été utilisé, mélangé à du miel, pour faciliter les accouchements, au Moyen-Orient comme bandage ou pour contrer la dépression et l'impotence. Au Moyen Àge, lorsqu'on voulu y interdire le hachisch en vertu du Coran, on fit une exemption pour son usage médical. On aurait soigné les otites dans la Grèce et la Rome antiques en mettant le jus des graines de cannabis dans l'oreille des malades. Les Africains l'auraient fumé depuis des siècles, notamment contre les morsures de serpents ou pour aider la mère durant l'accouchement, contre la malaria, la fièvre, l'asthme et la dysenterie.
Il semble que seule l'Europe fasse défaut. D'abord utilisé par l'armée pour les voiles et les cordages de bateau, il faut attendre 1640 avant d'y retrouver quelques traitements. En 1839, le docteur William B. O'Shaughnessy l'introduit en médecine pour ses propriétés analgésiques et sédatives et pour soulager les rhumatismes et les convulsions.
On dénombre environ une centaine d'articles, entre 1840 et 1900, relevant les propriétés médicales du cannabis. On parle de ses capacités analgésique, hypnotique, stimulante pour l'appétit, antibiotique, relaxante, tranquillisante et anti-dépressive. On parle de sa capacité de combattre l'épilepsie et les convulsions, la migraine et l'asthme, pour stimuler les contractions utérines pendant l'accouchement, comme anesthésiant et, aussi, pour le sevrage de la dépendance à l'alcool ou aux opiacés. En 1890, le médecin de la Reine Victoria, Sir J. Russell Reynolds, dira du cannabis, après trente ans de pratique et d'expérience clinique, qu'il est une précieuse médecine pour laquelle «I have never met with any toxic effects».[2]
Aux États-Unis, la première conférence sur le cannabis thérapeutique a lieu en 1860 (Ohio State Medical Society). En 1868, The Civil War Edition of the US Dispensatory y va de recommandations positives pour plusieurs traitements. Trente ans plus tard, Dixion fait des recherches sur la concentration de THC par inhalation. Il arrive à la conclusion que la concentration de THC est supérieure dans le sang, et que son effet se produit plus rapidement, lorsqu'elle est obtenue par inhalation que par ingestion. Aussi, les patients se traitent plus efficacement car ce mode d'absorption permettant le contrôle immédiat du dosage par le patient.
L'usage thérapeutique du cannabis décline vers les années 1930, avec la campagne policière contre le cannabis et à mesure qu'il est remplacé par des drogues synthétiques. Le Marihuana Tax Act est établit en 1937, malgré tous les avis médicaux, puis le cannabis disparaît complètement de la pharmacopée en 1941. En 1969, la Cour Suprême des États-Unis juge, dans l'affaire du docteur Timothy Leary, que le Marihuana Tax Act contrevient à la loi du Texas sur la possession de cannabis. L'année suivante, Richard Nixon refait la loi. The Controlled Substances Act de 1970 place le cannabis au tableau 1 dans l'échelle des drogues, ce qui implique que la substance possède un haut risque d'abus chez les utilisateurs et aucun potentiel médical. Il est à noter cependant que ce classement fut le fruit du département de la justice et du bureau des narcotiques et qu'aucun expert médical n'y prit part.
Quelque temps après, on découvrit que le cannabis réduisait la pression intraoculaire et qu'il pouvait être utilisé dans le traitement du glaucome. L'affaire se rendit devant la cour en 1976, après que Robert Randall fut arrêté pour avoir fumé du cannabis afin de freiner le développement de la maladie qui le rendait peu à peu aveugle. Le gouvernement fédéral en fit donc le premier fumeur légal aux États-Unis depuis 1937. On découvrit également que le cannabis aide les patients qui suivent une chimiothérapie en contrôlant les nausées et les vomissements et en leur rendant l'appétit.
Il paraît évident, tant par l'usage passé que par les découvertes récentes, que le cannabis possède un fort potentiel thérapeutique, que le ministère fédéral de la Santé reconnaît volontiers puisqu'il accorde une exemption à l'article 56, permettant ainsi I'usage du cannabis à des fins médicales. Cette mesure même est une reconnaissance implicite des valeurs médicales du cannabis. Reconnaissance qui disparaît aussitôt qu'il est question de modifier la loi.
Dans le domaine du cannabis thérapeutique, le Canada accuse un énorme retard. Non seulement est-il en retard sur la société civile qui, dans un sondage de la firme Angus Reid, s'est prononcée à 92% en faveur de son usage, mais aussi sur d'autres nations.
La British Medical Association a déjà réclamé des forces policières et des tribunaux une plus grande tolérance envers l'utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques, affirmant qu'il existe suffisamment de preuves en ce qui concerne les valeurs médicales du cannabis. Aux États-Unis, 28 états ont déjà voté des lois concernant l'usage thérapeutique du cannabis. Aux élections de 1998, lors de référendums dans six états, le vote populaire optait pour son utilisation.
Au Canada, le gouvernement fédéral observe la question, mais de loin, en retrait, proposant de nouvelles recherches dont on reporte l'échéancier, dont on sait peu les détails et le sérieux. Quant aux patients et aux médecins, ils attendent toujours. Et certains malades chroniques sont toujours passibles d'une peine de six mois de prison et de 1000 $ d'amende, cela pour avoir utilisé un médicament recommandé par leur médecin.
Pourtant, la loi canadienne autorise depuis quelques années la prescription de comprimés de Marinol. Ce médicament est une copie du delta-9-THC, un seul des quelques 60 composés actifs contenus dans la plante cannabis et celui qui cause le plus d'effets sur la conscience. Curieusement, le Marinol fut placé au tableau 2 des substances contrôlées alors que la plante demeurait au tableau 1, soit sous un contrôle plus restrictif.
Il apparaît clair que le gouvernement et les milieux médical et pharmaceutique reconnaissent la valeur thérapeutique de ce composant. Mais seulement lorsqu'il est extrait, dénaturé, copié synthétiquement, isolé, mesuré et vendu. Et ce comprimé n'est pas aussi efficace pour tous et dans tous les cas. Pour plusieurs, le cannabis fumé demeure le médicament idéal. L'inhalation, telle que l'avait étudié Dixion en 1899, et tel que le dit aujourd'hui le New England Journal of Medicine (30 janvier 1997) a un effet qui peut être ressenti de 30 à 60 secondes après l'absorption par voies pulmonaires.
L'effet quasi immédiat de l'inhalation permet aussi l'autotitrage, c'est-à-dire que le patient contrôle la quantité qui lui est nécessaire
pour se soulager; ce dernier redevient ainsi responsable de sa propre santé, plus à l'écoute de l'état de son corps. Cela permet, entre autres, d'ajuster la dose requise selon l'évolution de la maladie et de ses symptômes, même sur une période aussi c rte qu'une journée.
Alors que le cannabis demeure une plante facile à cultiver, moyennant une certaine expertise mais sans coûts importants, sans transformation majeure, le Marinol est un dérivé de synthèse, élaboré dans les laboratoires ultra sophistiqués et ultra profitables de l'industrie pharmaceutique. Contrairement au cannabis à l'état naturel, le Marinol ne contient qu'ùn seul des nombreux cannabinoïdes: le THC, celui qui, justement, cause les principaux effets psychotropes.
Ainsi isolé, le THC fait plus puissamment sentir ses effets que lorsqu'il est atténué par l'effet des autres cannabinoïdes, dont notamment le CBD, qui ont eux aussi des effets thérapeutiques remarquables et dont les propriétés médicinales sont différentes et complémentaires à celles du THC. C'est sans parler des effets bénéfiques dont on ne peut précisément identifier la cause parmi toutes les interactions possibles des cannabinoïdes entre eux.
Le Marinol étant un comprimé, il convient moins aux patients atteints du SIDA, par exemple, qui doivent déjà ingérer un impressionnant cocktail de médicaments. Leur voie digestive est congestionnée, les nausées sont fréquentes et les vomissements les obligent de plus à reprendre les doses qui ont été rejetées. Autre important problème: l'effet d'un comprimé de Marinol n'est ressenti qu'environ une heure après son ingestion.
Ce qu'il y a lieu de se demander c'est la raison qui, encore aujourd'hui, rend cette plante illégale et menaçante. Car c'est bien de la plante elle-même dont on a peur, de sa figure culturelle, et non de sa composition et de ses effets. Pourquoi, alors qu'elle était autant utilisée pour ses valeurs thérapeutiques par nos médecins occidentaux, cette plante est-elle devenue du jour au lendemain un danger pour la santé et la sécurité publique?
[1] Cité par Kaplan, 1969. Tiré, comme toutes les informations relatives à l'usage passé du cannabis, de: Aldrich, M., History of Therapeutic Cannabis, in Cannabis in meclical practice, Mary Lynn Editor, p. 38.
[2] Ibid. p. 45.
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