EXCLUSIF — Le MSSS a versé près de 13M$ à un groupe de confiance pour du lobbying occulte
DepQuébec révèle les dessous des pratiques douteuses et manipulatrices de lobbying occulte du gouvernement… par le gouvernement!
3 décembre 2019 DepQuébec aspq, coalition poids, cqct, lobbying occulte, msss, tabac
Véritable état dans l’état, la Santé publique au Québec est le bras politique du puissant ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Fort de ressources importantes, elle vise l’adoption de lois et règlements toujours plus restrictifs et prohibitifs.
Or, 30 ans après la création des Directions de Santé publique, son influence est écrasante et les lois, plus sévères que jamais. Pourquoi?
Dans une série percutante intitulée «Le lobby occulte de la Santé publique» et qui résulte de plusieurs mois d’enquête ainsi que 200 demandes d’accès à l’information, DepQuébec révèle les dessous des pratiques douteuses et manipulatrices de lobbying occulte du gouvernement… par le gouvernement!
Aujourd’hui, le 3e volet porte sur le financement du lobbying occulte via l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) par le MSSS depuis 1996.
Faire du lobbying politique coûte cher, très cher. Payer les salaires d’employés spécialisés, commander des sondages, publier des communiqués de presse, se déplacer pour des rencontres de députés à Québec ou encore pour des présentations en commission parlementaire, tout cela requiert temps et argent.
Mais grâce à la générosité et à la fidélité du MSSS, l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) n’a jamais eu de souci monétaire à se faire : ses entités de lobbying pour le tabac ou le poids n’ont jamais eu vraiment besoin de levées de fonds, de spaghettothons ou de passer le chapeau à répétition: ils ont tous été financés jusqu’aux oreilles par le MSSS et ce, à coup de millions de dollars au fil des ans.
En effet, c’est suite à plusieurs demandes d’accès à l’information que DepQuébec a réussi, pour la première fois et en exclusivité, à connaître enfin les montants secrets de subventions accordés par le MSSS aux deux plus importants groupes de lobby occulte en santé publique au Québec, à savoir la Coalition québécoise pour le contrôle de tabac (CQCT) et la Coalition Poids.
Ces deux groupes se trouvent tous à être administrés par une seule et même organisation, l’ASPQ dont les membres du conseil d’administration ont souvent compté des directeurs de santé publique (DSP) qui se sont trouvés aussi à financer l’organisme (à noter toutefois: la CQCT a quitté son giron pour une autre association l’an dernier).
Ainsi, de 1996 à 2019, le MSSS aura versé près de 13 millions $ à ce seul organisme de confiance, l’ASPQ, sans appel d’offres ni concours ni quoi que ce soit du genre, pour mener à bien des activités sensibles et délicates de lobbying occulte dans la plus grande discrétion possible quant à ses liens étroits avec le gouvernement et toujours en proche partenariat avec les directions de santé publique (DSP) notamment pour la Coalition antitabac dont elles financent la majorité du budget pour garder un certain contrôle sur l’organisme (voir l’étude Breton, p. 146).
Et ces subventions n’ont cessé d’augmenter avec le temps au point de s’élever, tous groupes confondus, à près d’un million de dollars par année, de quoi payer deux équipes de quatre personnes toutes bien outillées avec frais de bureau, loyer, matériel, dépenses de projet et tutti quanti.
Un pactole de 13M$ depuis 25 ans! De 1996 à 2018, c’est l’ASPQ qui a administré les fonds de la Coalition antitabac (8,4M$), un modèle d’influence occulte qui s’est avéré un grand succès sur le plan législatif et réglementaire sans engendrer de scandale malgré l’utilisation de fonds publics à des fins politiques. L’ASPQ a donc bâti sur ce succès pour lancer une autre version, la Coalition Poids (4,4M$), qui dès 2008 a suivi les traces de l’autre en remplaçant le tabac par du Coca-Cola pour ce qui diaboliser les opposants pour adopter des lois et règlements prohibitionnistes et hausser les taxes également (dans ce cas-ci, sur les boissons sucrées). Ces montants sont loin de comprendre toutes les subventions reçues par l’ASPQ puisqu’en 2018 seulement, le total atteignait 1,4 M$ (voir ici). Source: MSSS.
Une entente très payante pour l’ASPQ qui nage littéralement dans l’argent. Ces programmes lui ont permis notamment de facturer une commission de 7% en frais de gestion (voir ici) sur toutes les subventions perçues en plus de pouvoir facturer des frais de loyer et de bureau aux différents groupes archi-subventionnés pour faire du lobbying.
Des subventions non-récurrentes depuis… 25 ans
Comme nous l’avons vu au préalable, le modèle québécois de lobbying occulte en santé publique a été développé et perfectionné dans les années 1990 avec la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (voir ici et ici). Le MSSS avait alors décidé — à l’insu du ministre (voir ici) — de créer cette entité pour déployer dans l’arêne politique une force de frappe capable de faire échec au lobbying de l’industrie du tabac et c’est l’ASPQ qui, après une séance de magasinage en règle, a été choisie pour servir de cloison chinoise entre cette entité et le réseau public de la santé (voir l’étude Breton, p. 148).
Le rôle de l’ASPQ a donc consisté à donner une illusion d’indépendance à la Coalition antitabac ainsi qu’un caractère associatif aux démarches de pression politique effectuées par la CQCT mais qui étaient toutes, en réalité, téléguidées et financées par le MSSS, en violation de l’esprit et la lettre de la Loi sur la fonction publique (notamment les articles 10 et 11) qui impose aux fonctionnaires un devoir de réserve à l’égard des activités partisanes et politiques (note: avant 2005, la Loi sur la santé publique donnait aux DSP le pouvoir « d’informer le public sur les enjeux de santé », pas plus!).
Ce modèle d’influence basé sur le secret et la manipulation (d’où le terme lobbying occulte) s’est avéré très efficace pour le gouvernement qui s’en est servi pour faire passer trois législations et on ne peut plus payant pour l’ASPQ.
Cette dernière a gagné non seulement une source de revenu stable mais aussi de l’influence et de la proximité auprès du ministère, la mettant en position de demander plus, ce qu’elle a obtenu à maintes reprises, non seulement en allant chercher un financement récurrent pour la Coalition Poids en 2008 mais en plus, divers autres projets comme, par exemple, 700,000$ en subventions sur six ans pour couvrir le fameux recours collectif contre les cigarettiers dans un blogue lu par deux pelés et trois tondus (voir ici).
Payer des tiers pour se faire influencer
Le principe de verser des fonds publics à des groupes de confiance pour qu’ils fassent du lobbying, occulte ou non, ne fait aucun sens. Malheureusement, il n’existe pas de loi ou de règlement au Québec qui interdit cette pratique honteuse et scandaleuse.
Celle-ci donne lieu à des absurdités sans nom, comme par exemple, le fait pour un fonctionnaire d’accorder une subvention à un groupe pour faire du lobbying et de se voir sommer, dans l’instant d’après, de changer des lois et règlements en accordance avec la subvention de lobbying qu’il vient tout juste de donner!
L’exemple suivant, qui frise le ridicule, est vrai et authentiquement issu de la correspondance obtenue du MSSS par DepQuébec.
Le set-carré d’Horacio Arruda, c’est simple comme 1-2-3! Étape 1: le directeur national de la Santé publique confirme une subvention annuelle de lobbying occulte (voir lettre ici) à l’ASPQ/CQCT. Étape 2: deux mois plus tard, ses ministres se font « lobbyer » par ceux là même qu’il vient de financer et Étape 3: il répond par la bouche de ses canons à ceux qui lobbyent ses ministres mais qu’il a lui-même financés à cette fin!… (voir lettre ici). Bref, tout cela n’a aucune logique mais il semble bien que pour le plus gros ministère du gouvernement du Québec, tout est normal. Cliquez sur l’image pour l’agrandir. Note : des cas similaires d’échanges bidons ont été aperçus également avec la Coalition Poids.
Complaisant au Québec mais pas ailleurs dans le monde
Si on peut faire à peu près ce qu’on veut au Québec avec les fonds publics et le lobbying, il n’en va pas de même ailleurs dans le monde, ni même auprès du gouvernement fédéral.
Sous le règne des conservateurs de Stephen Harper, la préoccupation d’empêcher l’utilisation de fonds publics à des fins politiques s’est traduite par une règle fiscale interdisant à tout groupe de bienfaisance et ayant un numéro de charité de consacrer une portion significative de ses ressources à des activités politiques.
Et par activités politiques, l’Agence de Revenu du Canada entend ceci:
inciter le public à prendre contact avec des représentants élus;
chercher à convaincre le public qu’une loi, une politique ou une décision de n’importe quel ordre de gouvernement et de n’importe quelle collectivité publique devrait être conservée, contestée ou modifiée;
tenter d’inciter le public à exercer des pressions sur des représentants élus.
Bref, exactement ce que font nuit et jour les deux coalitions de l’ASPQ, qui sont grassement payées par Québec pour agir ainsi (et en cachette en plus, sans jamais révéler la nature de leur financement) tandis qu’au fédéral, on parle simplement d’avantages fiscaux liés à des dons de charité!
Aux États-Unis, c’est encore pire. Certains États interdisent carrément que les fonds publics soient utilisés à des fins de lobbying politique, sous peine de lourdes amendes et de peines de prison.
Il serait donc grand temps d’aborder cette question franchement et ouvertement et surtout, qu’on cesse de permettre au MSSS, notamment, de biaiser le débat public en sa faveur en finançant et en contrôlant en cachette des groupes façades avec des millions $ durement gagnés par les contribuables.
Et quelle honte de la part de ce ministère d’investir ainsi autant d’argent dans du lobbying occulte et de la manipulation politique crasse qui sont déjà clairement bannies et honnies par le code de déontologie du lobbyisme qui est inscrit dans la loi (voir ici) et qui se font au détriment de commerçants honnêtes et méritants qui travaillent fort du soir au matin à trier les bouteilles, remplir leurs étagères et servir leurs clients!
Le gouvernement fait ainsi lui-même ce qu’il interdit aux autres de faire pour des raisons morales.
Cette farce a bien assez duré.
Dans le prochain volet, nous verrons comment et pourquoi le gouvernement n’aura bientôt plus le choix et devra mettre fin une fois pour toutes à ces pratiques inavouables et indéfendables qui n’ont pas leur place dans une société libre et démocratique comme le Québec, capable et suffisamment adulte de mener ses débats de choix publics et de réglementation à visière levée.
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