Défense du tabac périgourdin ou le mal français illustré.

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Défense du tabac périgourdin ou le mal français illustré
publié le lun, 08/11/2010 - 16:30

Par PascalOrdonneau

Banquier, Commercial and corporate banker.

Les tabaculteurs viennent de perdre leurs subventions européennes. Ils en appellent à l'Etat. On veut supprimer un petit hôpital obsolète. Les médecins en appellent à l'Etat... mal français?

Une nouvelle terrible vient de tomber sur les téléscripteurs : la production de tabac en France, plus précisément en Périgord, est menacée. La filière a perdu les subventions que l’Europe lui attribuait depuis des lustres. « Allons », interrogent les syndicats professionnels, « que fait l’Etat ? La filière dans son ensemble est dans l’angoisse ». Il est vrai que quand on voit ce que l’Etat gagne avec le tabac, il pourrait faire un effort. Ce sont dix mille emplois qui sont concernés ! Saisonniers pour la plupart, certes ! Mais, quand même, ce sont des emplois...

Défendons les petits agriculteurs de Dordogne !

Reprenons le problème à sa racine. Personne ne consomme la feuille de tabac, ni en salade, ni sous la forme de confiture ou d’autres modes de préparation, à l’inverse des orties, par exemple. Sans effort mental excessif, on peut arriver à cette conclusion : la culture du tabac conduit immanquablement à la fabrication de cigarettes. Or, la consommation de cigarettes et de tous autres produits contenant du tabac est hautement toxique.

De fait, le tabac compte des millions de morts à son passif. Il est à l’origine de la plupart des cancers des poumons. Il est perçu dans toutes les communautés médicales et scientifiques comme un des pires fléaux contemporains et la lutte contre le tabagisme est devenue emblématique des combats au nom de la santé publique.

On pourrait penser le problème réglé. Le tabac fait mourir des millions de gens. La production de tabac ne peut donc pas être une priorité dans l’activité économique d’un pays. Quand bien même il y aurait un intérêt économique à le faire, subventionner la production de tabac devrait être perçue comme un non-sens éthique. De ce point de vue, même si les raisons de suspendre les subventions sont ailleurs, il est heureux que l’Union Européenne ait pris cette décision.

Le débat n’est pas que périgourdin: si la production de tabac continuait à être subventionnée, comment faire accepter les plans d’éradication de la culture de la marijuana et de toutes la plantes dont on tire cocaïne, héroïne etc.? Comment faire admettre à d’autres paysans dans des pays lointains qu’il faut passer à d’autres cultures alors que leur intérêt économique bien compris est de cultiver ces plantes dont on tire des drogues, douces et dures ?

On entend d’ici les cultivateurs de Coca colombiens dire aux porteurs de grands principes qu’ils sentent solidaires des paysans de Dordogne ? Les périgourdins l’ont dit « La configuration du terrain, vallonné …et le morcellement des exploitations ne laissent que peu de possibilités. ». C’est exactement le problème en Colombie, en Afghanistan : « le coca, ça pousse bien dans certaines régions, vallonnées, et même dans des vallées encaissées ?... et que faire d’autre quand les exploitations sont toutes petites… ? »

Et si le mal français n’était pas ici, résumé d’un seul coup ?

Imaginons le pire ! Nous sommes dans une période pré-électorale (c’est une image, bien entendu). Les petits cultivateurs périgourdins, manifestent au nom de l’emploi, au nom de la justice ! Pourquoi seraient-ils les victimes d’une brusque bouffée d’éthique ? Ils manifestent pour dire que tous les fumeurs ne sont pas des victimes. Tous les amateurs de vins ne descendent pas une ou deux bouteilles par jour. Ils savent se retenir, boire un verre à déjeuner ou à dîner. Se détendre et faire chanter leurs papilles. C’est la même chose pour le tabac. Il y a des fumeurs qui savent se contenter d’une ou deux petites cigarettes chaque jour, au moment du café.

Les mesures prises pour lutter avec raison contre le fléau du tabagisme, menacent abusivement la filière qui n’a d’autre ambition que de satisfaire la « demande plaisir » et non pas la « demande vice » ! Et puis, comme le dit Pascal, tabaculteur en Périgord. « Si on arrête le tabac, ça sera difficile de faire autre chose… ». Nous revoilà bien en France.

Si on supprimait des milliers de postes de fonctionnaires dont la productivité est dramatiquement basse parce que de nouvelles machines, parce qu’internet ont radicalement changé les données de l’offre publique, parce que les missions de l’Administration changent aussi et, parfois, même se réduisent…immanquablement on se dirait qu’ « il serait difficile de faire autre chose avec eux… ». Si on ne maintient pas les subventions à la fabrication de tel ou tel produit ou à la culture de telle ou telle plante, il faut bien se rendre compte que ces activités disparaîtront, mais alors que fera-t-on d’autre ?

N’est-il pas normal qu’il y ait des maternités au plus prés de la production d’enfants ? Un service de chirurgie au plus prés des accidents de la route ? Petits combats et petites victoires pour maintenir un hôpital rustique et inadapté. « Ce sont des emplois pour la commune et, ce n’est pas négligeable, un poste de Président pour le maire ». Au nom de l’égalité devant le droit, pour que l’accès à la justice soit le même pour tous dans les mêmes conditions, il faut maintenir ce tribunal-ci, qui traite dix fois moins d’affaires par magistrat que celui-là, à 30 Km ? Egalité devant la France : qui a dit que la France éloignée a moins de droits que la France parisienne. Il est donc raisonnable, au nom de la continuité territoriale, de subventionner tout et n’importe quoi de la Corse aux Antilles afin qu’on puisse, où qu’on aille retrouver la France, ses conflits, ses fonctionnaires et ses fraises du Périgord au même prix qu’à Bergerac.

A la fin, quel esprit mesquin voudrait au nom de l’austérité, différer la réintroduction des ours dans les Pyrénées ? Occasion inespérée de créer des emplois, pour le surveiller, pour le secourir, l’étudier, le réinsérer….

L’exemple topique de la revendication des tabaculteurs n’est-il pas emblématique du mal français où la mauvaise dépense chasse la bonne ?

La France ne pourra pas vivre encore très longtemps dans l’incohérence des dépenses publiques qu’on ne peut justifier, ni sur le plan économique, ni sur le plan éthique, entre lutte contre le tabagisme et défense de l’agriculture périgourdine ?

Lutter pour le contrôle des dépenses, pour déployer les ressources là où on est le plus efficace, pour éviter de créer des effets de richesse qui ne peuvent être satisfaits que par l’endettement public ou privé, ne serait-il donc pas possible, en France ?

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