Cannabis de construction
Voir, le jeudi 2 mars 2006
Par Alain Hochereau
On peut le fumer ou en faire mille autres choses. Depuis des millénaires, le chanvre (cannabis en latin) a trouvé de multiples applications, de la production de vêtements et de papier jusqu'à son emploi à des fins thérapeutiques. En 2003, la société québécoise Artcan a eu l'idée de l'utiliser pour construire des maisons.
Une plante vieille comme le monde
Le chanvre est une des premières plantes domestiquées par l'homme, au Néolithique, probablement en Asie. On l'a utilisé tout à la fois pour ses fibres solides, ses graines oléagineuses nourrissantes et les propriétés médicinales de sa résine. À Marseille, sur la fameuse Canebière (étymologiquement, lieu où l'on cultive le chanvre), on fabriquait des cordes et des voiles en chanvre à l'usage des bateaux du port. Gutenberg imprima la première Bible sur du chanvre. D'ailleurs, on utilisera la fibre pour la fabrication du papier jusqu'à ce qu'elle soit détrônée par le bois au 19e siècle. Levis Strauss confectionna son premier jean en «toile de Nîmes», c'est-à-dire en chanvre. Rembrandt utilisait le chanvre pour ses toiles. On raconte même que Bouddha aurait survécu pendant trois ans avec, pour toute nourriture quotidienne, une graine de chanvre... Aujourd'hui encore, on l'utilise pour fabriquer le papier à cigarettes et... les billets de banque. Après avoir appris son métier d'artisan du bâtiment en France, Gabriel Gauthier a décidé d'introduire au Québec une technique de construction à laquelle il s'était initié sur le Vieux Continent. Il s'agit d'utiliser la partie non fibreuse de la tige de chanvre, la chènevotte, en la combinant avec du plâtre et de la chaux pour obtenir un matériau de construction qui, une fois sec, devient dur comme de la pierre et ininflammable. Gabriel Gauthier a baptisé ce pisé nouveau genre «Canalliance».
Un matériau écologique créatif
Le résidu de la fibre de chanvre résultant de la fabrication industrielle de papier ou de textile est difficile à détruire. Son recyclage pour la construction fait ainsi de Canalliance un matériau écologique. En outre, les avantages de ce dernier sont multiples. La chènevotte étant très riche en silice, Canalliance présente des qualités d'isolant thermique et phonique supérieures à celles des matériaux plus conventionnels. Plus encore, c'est un matériau créatif. «Avec Canalliance, on n'est plus limité par des matériaux industriels aux dimensions et aux textures prédéfinies, explique Gabriel Gauthier. On peut jouer autant sur les formes que sur les finis, ce qui laisse une liberté de création totale.» En effet, Canalliance étant un matériau de remplissage (avant séchage), on l'installe par une technique de coffrage constitué de panneaux de contreplaqué. Du coup, il est possible de donner aux murs, aux sols et aux plafonds la forme que l'on veut. Par ailleurs, les enduits utilisés, à base de chaux et de sable, peuvent produire des finis étonnamment variés, allant de l'aspect rugueux des murs rustiques à celui des surfaces lisses comme du marbre. "Il existe de 30 à 50 textures différentes possibles avec le chanvre. On peut notamment avoir des faux-finis d'une meilleure qualité et moins chers que par des méthodes traditionnelles", confirme Gabriel Gauthier. En outre, on peut incorporer aux enduits de finition des pigments qui viennent colorer les surfaces de façon naturelle.
Une approche artisanale communautaire
L'originalité de la démarche de Gabriel Gauthier est, outre l'utilisation d'un matériau peu commun, de vouloir démocratiser l'utilisation du chanvre dans la construction. Comme le fait remarquer l'artisan, «l'installation de Canalliance, étant artisanale, nécessite une main-d'œuvre importante qui rend le produit final plus cher que d'autres constructions conventionnelles». Il a donc eu l'idée de proposer à ses clients de faire le travail eux-mêmes. Ainsi, il propose des sessions de formation adaptées aux besoins de chacun. On peut apprendre à poser un mur extérieur, à installer des cloisons phoniques pour insonoriser une pièce, à poser des dalles de plancher et un plafond provençal ou à doubler une toiture. D'autres sessions sont consacrées exclusivement à la maîtrise des enduits pour obtenir les finis les plus sages ou les plus extravagants. Gabriel Gauthier fournit lui-même les matériaux de base et offre une assistance technique pour le démarrage et le suivi des travaux. «Je veux rendre la construction au chanvre accessible à tous», dit-il. Bien sûr, pour les moins habiles ou ceux qui n'ont pas le temps, il est aussi possible de bénéficier de services "clés en main". Mais il faudra accepter d'y mettre le prix...
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