L'arroseur arrosé : 4.1. Le cas colombien

En juin 2003, suite à la migration des cultures illicites dans les parcs nationaux colombiens, la Dirección Nacional de Estupefacientes (DNE) a pris la regrettable décision d’autoriser les épandages aériens au-dessus de ceux-ci! En guise de comparaison, la Ley del Régimen de la Coca y Sustancias Controladas de Bolivie, mieux connue sous le nom de Loi 1008, stipule que seules les méthodes d’éradication manuelles et mécaniques seront autorisées, et interdit le recours aux herbicides et défoliants chimiques. [54] Selon l’Ombudsman et l’Office du Vérificateur général de Colombie, la Résolution 0013 viole pas moins de six lois et décrets nationaux, en sus du droit constitutionnel à la vie, la santé et à un environnement sain [55] — cela sans oublier les nombreux instruments de droit international ayant trait à la biodiversité, aux peuples indigènes, etc. Suite à une opposition farouche de milieux politiques, civils et religieux, les autorités ont finalement fait marche arrière.

Un peu plus tôt cette même année, la Cour constitutionnelle de Bogotá avait ordonné la suspension des épandages aériens sur l’ensemble du territoire du pays, jusqu’à ce que des études d’impact complètes soient réalisées, mais les autorités colombiennes ont interjeté appel, ce qui a permis aux opérations de continuer. Le seul gain réalisé dès lors, fut l’engagement de consulter et d’informer les communautés autochtones avant de procéder. En 2003 toujours, le tribunal administratif de Cundinamarca a accepté de traiter une poursuite en recours collectif, et a ordonné une fois de plus à la DNE de suspendre temporairement les opérations. Ce recours a donné lieu à une documentation abondante d’environ 53 000 pages et le jugement final a en quelque sorte « consacré » le principe de précaution. [56] La décision du gouvernement colombien de poursuivre les opérations d’éradication par voie aérienne malgré tout, a causé de grands remous politiques. [57]

La voie du droit interne a donc été explorée maintes et maintes fois, par des ONG ainsi que la société civile équatorienne et colombienne, avec des effets très mitigés.

Au plan international, c’est peut-être du côté de l’Organisation des États Américains (OÉA) que réside quelque espoir. Des recours individuels sont possibles devant la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), en vertu de l’article 11 du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme (Protocole de San Salvador). Ce mécanisme a été utilisé au moins une fois, soit en décembre 2000, par une ONG équatorienne qui a déposé une plainte formelle au nom des paysans habitant près de la frontière colombienne. [58] Par ailleurs, la Commission interaméricaine pour le contrôle de l’abus de drogues (CICAD), instance spécialisée de l’OÉA, a débuté en janvier 2004 une évaluation scientifique de l’impact des programmes d’éradication. [59] On peut espérer que cette recherche, dont les résultats sont attendus au cours de 2005, sera menée de manière plus indépendante que celles financées par le Département d’État des États-Unis. Bien que l’OÉA ne puisse forcer la main des autorités colombiennes ou états-uniennes, elle pourrait contribuer à « délégitimer » davantage les opérations d’éradication en cours. Une prise de position claire de cette organisation en faveur de l’arrêt des programmes d’éradication chimique viendrait s’ajouter à celle du Parlement européen, qui a déjà fait pression sur les présidents Pastrana et Uribe à cet effet. [60] En fait, il semble que seules des pressions politiques fortes de la communauté internationale, solidement étayées par une jurisprudence et des études scientifiques de plus en plus abondantes, auront raison des programmes d’éradication aériens.


[54] Marsh, Betsy, 2004. Op. cit., pp. 3, 35-36.
[55] Ibid., p. 39.
[56] Claudia Sampedro y Otros (2003) Tribunal Administrativo de Cundinamarca, sección segunda, subsección B, Expediente n° 02-022, p. 112.
[57] Transnational Institute, 2004. The Debate on the Fumigations. En ligne : TNI Drugs & Democracy, http://tni.org/drugscolombia-docs/thedebate-e.htm
[58] Marsh, Betsy, 2004. Op. cit., p.41. Il est à noter que la Colombie, le Pérou et l’Équateur ont ratifié le Protocole de San Salvador, alors que les États-Unis n’en sont même pas signataires.
[59] Ibid., p. 18.
[60] Transnational Institute, 2004. Op. cit.