L'Est du Québec - Barbotines alcoolisées interdites: «on se fait traiter comme des bandits»
retirées à la vente suite au passage cette semaine d’un inspecteur de la Régie des alcools, des courses et des jeux.
L'Est du Québec - Barbotines alcoolisées interdites: «on se fait traiter comme des bandits»
Par Jean-Philippe Thibault, collaboration spéciale
1er septembre 2024 à 05h00
Geneviève Blais et Mathieu Fleury sur le parvis de l’église Saint-James, désacralisée et abritant aujourd’hui La Société secrète, près de Percé. (Jean-Philippe Thibault)
La microdistillerie La Société secrète à Percé ne peut plus offrir à ses visiteurs son produit le plus vendu. Leurs populaires barbotines alcoolisées - des slushs, en bon français - ont été retirées à la vente suite au passage cette semaine d’un inspecteur de la Régie des alcools, des courses et des jeux.
Les propriétaires Geneviève Blais et Mathieu Fleury avaient trouvé un bon filon depuis trois ans avec leurs créations originales, déclinées en une quinzaine de recettes et parfois concoctées avec des produits locaux, comme de la menthe qu’ils font pousser au jardin ou des bleuets sauvages récoltés par un cueilleur local.
Les clients, eux, ont adopté la proposition et les familles ne sont pas rares à se rendre en périphérie du centre-ville pour déguster leurs barbotines — alcoolisées ou pas — sur une table de pique-nique, face à la mer. Nul besoin de préciser qu’elles ont été populaires cet été alors que la Gaspésie a connu une saison estivale particulièrement torride.
«Les gens de la communauté de Percé et des environs, ils viennent ici l’après-midi et sirotent leur slush pendant 30 minutes. Personne ne repart à quatre pattes. C’est très social comme activité. Pour les adultes, on s’entend que c’est plus le fun avec une once d’alcool quand tu es à une microdistillerie. Ça va avec l’expérience de la place», résume Mathieu Fleury.
Sauf qu’à l’aube de la longue fin de semaine de la fête du Travail, les deux artisans ont dû mettre fin à ce projet. Selon la Loi sur la Société des alcools du Québec, un microdistillateur ne peut pas vendre les alcools qu’il fabrique à un utilisateur s’ils sont destinés à la fabrication de boissons alcooliques pouvant servir de breuvage. Les propriétaires ignoraient cette subtilité et ne pensaient pas contrevenir à la loi.
Les barbotines de La Société secrète étaient leur meilleur vendeur … avant qu’elles ne soient interdites. (Facebook/La Société secrète)
«On est des producteurs, pas des avocats. Oui on veut se conformer à la réglementation, sauf qu’à un moment donné, si les règles datent du siècle dernier et qu’on ne sait pas à quoi elles servent, pourquoi on les maintient?, se questionne Mathieu Fleury. Moralement, on ne fait rien de mal à servir de la slush. On n’est pas une nuisance à la société, mais on se fait traiter comme si on était des bandits et des hors-la-loi. C’est choquant!»
« Ce qui m’agresse beaucoup, renchérit Geneviève Blais, c’est que quand on demande à la Régie le fondement du règlement, à qui et à quoi ça sert, personne n’est capable de nous répondre.»
«On ne peut pas se faire expliquer l’objectif du règlement. Nous, on ne le comprend pas, poursuit Mathieu Fleury. Ça date sûrement de plusieurs décennies. Les inspecteurs font leur travail dans leur cadre réglementaire. Ça, on le comprend. Ils ne font que leur travail et on ne leur en veut pas pour ça, ils sont des exécutants. Mais ils ont une approche très coercitive en appliquant le règlement à la lettre. »
Situation précaire
La Société secrète est une petite microdistillerie qui produit environ 8000 bouteilles de spiritueux par année. Elle compte six employés et est l’une des rares à faire elle-même son alcool. L’endroit jouit d’une bonne réputation depuis son ouverture en 2018. Les touristes de passage en Gaspésie sont nombreux à s’arrêter dans l’ancienne église anglicane désacralisée.
Ailleurs, dans les derniers mois, les distilleries St-Laurent de Rimouski, La Chaufferie à Granby et Champ Gauche à Saint-Arsène ont tous fermé leurs portes, signe que les temps sont difficiles. À l’heure où plusieurs joueurs tirent le diable par la queue, ceux de Percé croyaient avoir trouvé une façon originale de se maintenir à flot.
«Ça tombe comme des mouches autour. Là, nous, on essaie de se sortir la tête hors de l’eau avec une simple slush. C’est assez inoffensif on s’entend, mais quelqu’un arrive quelque part avec un règlement pour te l’interdire. C’est vraiment fâchant», s’insurge Geneviève Blais, qui ne cache pas que leur situation est précaire, comme pour d’autres collègues de la province. Les deux tiers seraient en déficit selon un document déposé en juin 2022 par l’Union québécoise des microdistilleries.
«Les marges de profit ne sont pas extrêmes alors on cherche des pistes de revenu alternatif. Les slushs, c’en était une bonne, ajoute Mathieu Fleury. C’était notre meilleur vendeur! Les gens s’assoyaient sur la terrasse et consommaient, mais on doit l’enlever de nos produits. Ça va affecter nos marges de profit c’est certain.»
Il s’agit d’ailleurs d’une autre tuile pour les microdistillateurs, qui par le passé ont souvent décrié un système à deux vitesses. Ceux-ci demandant par exemple depuis plusieurs années les mêmes droits que les brasseries, les vignobles et les cidreries, avec l’abolition de la majoration prélevée par la SAQ pour les ventes sur place, chez les producteurs.
La majoration est de 52 % du prix de vente. Le gouvernement du Québec n’a toujours pas bougé sur cet enjeu maintes fois décrié. «Habituellement, tu paies pour un service rendu. Je peux comprendre en magasin, mais sur place, ça ne fait aucun sens», résume avec exaspération Geneviève Blais.
Les deux propriétaires espèrent que les lois enfin dépoussiérées afin de donner de l’oxygène à la passion qu’ils chérissent, et qu’elles soient plus en phase avec la réalité d’aujourd’hui. «Si personne ne dénonce ça, ça va toujours rester du pareil au même. Il faut que ça change une fois pour toutes, sinon on ne s’en sortira pas», conclut Mathieu Fleury.
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