Le cannabis crée autant de dépendance que l’héroïne

- Daily Telegraph (Fox, 2014)

La dépendance est un enjeu plus large que la substance elle-même
Probabilité à vie de dépendance à la drogue

Utiliser des preuves pour parler du cannabis

  1. Il n’existe aucune preuve scientifique permettant de suggérer que le cannabis a le même potentiel de causer une dépendance que l’héroïne. La recherche scientifique a constaté que moins de 1 personne sur 10 qui consomme du cannabis tout au long de sa vie en viendra à développer une dépendance au cannabis, ce qui signifie que plus de 90 % ne développent aucune dépendance (Anthony et autres, 1994). La probabilité à vie de développer une dépendance à l’héroïne, d’un autre côté, a été estimée à 23,1 % (Anthony et autres, 1994). Il est intéressant de noter que le potentiel d’accoutumance à vie du cannabis est également beaucoup plus faible que celui d’autres drogues légales et illégales, puisqu’on estime que 20,9 % des utilisateurs de cocaïne, 22,7 % des consommateurs d’alcool et 67,5 % des consommateurs de nicotine deviennent dépendants (Lopez-Quintero et autres, 2011).
  1. Le potentiel d’accoutumance au cannabis après un an et après dix ans d’usage est encore moins élevé que la probabilité sur toute la vie. Parmi ceux qui consomment du cannabis pendant un an et ceux qui l’utilisent pendant dix ans, 98 % et 94 %, respectivement, ne deviennent pas dépendants (Lopez-Quintero et autres, 2011).
  1. Ces conclusions soulignent qu’il faut éviter les affirmations générales sur les drogues et l’accoutumance. De nombreuses drogues illégales et légales ainsi que de nombreuses activités (comme le jeu) ont le potentiel de causer une dépendance. Comme l’usage de toutes les drogues, la consommation de cannabis devrait être imaginée sur une gamme allant de non problématique à problématique. À cet égard, plus de 90 % des consommateurs de cannabis se trouvent du côté non problématique (Anthony et autres, 1994).
  1. De plus, la dépendance à différentes substances n’est pas nécessairement associée à des méfaits équivalents. Les conséquences négatives associées à la dépendance au cannabis sont bien moindres que celles qui sont associées à la dépendance à l’alcool, à la cocaïne ou à l’héroïne.
  1. La criminalisation accentue les problèmes de santé associés à la dépendance à une drogue. En stigmatisant les personnes ayant une dépendance, un environnement aux politiques punitives limite l’accessibilité de ces personnes aux services de santé publique dont elles peuvent avoir besoin pour rester en santé (Wood et autres, 2010).
  1. En contraste, il est probable que les consommateurs de cannabis auraient plus de chances d’interagir avec des agents professionnels de la santé publique dans un système réglementaire qui favoriserait la prise en charge par les services de santé des personnes qui vivent une dépendance, comme cela a été observé dans certains contextes de décriminalisation de la consommation de drogues, comme au Portugal et en Suisse (Dubois-Arber et autres, 2008; Hughes et Stevens, 2007; Nordt et Stohler, 2006).

État de la preuve

La dépendance à une drogue peut représenter une conséquence sérieuse de la consommation de drogue. Toutefois, toutes les drogues n’ont pas le même potentiel de causer une dépendance. C’est-à-dire que certaines drogues, comme l’héroïne, ont plus de risques de mener à l’accoutumance que d’autres. En ce qui concerne le cannabis, la substance est associée à un risque de dépendance plus faible comparativement aux drogues illicites « dures », comme la cocaïne et l’héroïne, ainsi que comparativement à deux substances réglementées, soit la nicotine et l’alcool.

Lopez-Quintero et ses collègues ont examiné les données multiphases de l’enquête épidémiologique nationale américaine sur l’alcool et les conditions reliées, une enquête représentative auprès de personnes de 18 ans et plus (taille de l’échantillon : 7 389 utilisateurs de cannabis) (Lopez-Quintero et autres, 2011). Ces auteurs ont observé que la probabilité de dépendance après la première année d’usage était d’environ 2 % (c.-à-d. très faible) pour les utilisateurs de nicotine, d’alcool et de cannabis; pour les utilisateurs de cocaïne, cette probabilité était de 7,1 %. Après une décennie d’utilisation, les probabilités étaient plus élevées pour les utilisateurs de nicotine (15,6 %), de cocaïne (14,8 %) et d’alcool (11 %) comparativement aux consommateurs de cannabis (5,9 %). La probabilité à vie de développer une dépendance au cannabis a été estimée à 8,9 %, c’est-à-dire que moins de 9 % des utilisateurs à vie du cannabis rapportent une dépendance à la drogue. Cette probabilité de 9 % pour la dépendance au cannabis est la plus souvent citée, y compris plus récemment dans deux articles synthèses scientifiques importants sur l’impact du cannabis (Hall, 2014; Volkow et autres, 2014). Cela est beaucoup plus faible que les probabilités estimées de dépendance à vie des utilisateurs de nicotine (67,5 %), d’alcool (22,7 %) et de cocaïne (20,9 %) (Lopez-Quintero et autres, 2011). La probabilité à vie de développer une dépendance à l’héroïne a déjà été estimée à 23,1 % et 35,5 % (Anthony et autres, 1994).

Une autre affirmation fréquemment citée à propos de la dépendance au cannabis est que la probabilité de dépendance pourrait augmenter à 1 sur 6 pour ceux qui commencent leur consommation de cannabis à l’adolescence, et que ce risque pourrait augmenter à 25 à 50 % chez ceux qui en consomment quotidiennement (Hall, 2009; Volkow et autres, 2014). Cela suggère que l’âge au début de l’utilisation du cannabis et la fréquence ou la régularité de la consommation a un impact sur le risque qu’une personne devienne dépendante. La source de cet estimé de « 1 sur 6 » est un article de Wagner et d’autres auteurs, dans lequel ils ont rapporté des observations tirées de l’enquête nationale sur la comorbidité (NCS) qui a compris 8 098 participants formant un échantillon représentatif au plan national de la population américaine de 15 à 54 ans (Wagner et Anthony, 2002). Ces auteurs ont rapporté que 4,2 % des participants se qualifiaient pour un « diagnostic de dépendance au cannabis au cours de la vie » selon les critères du DSM-III-R. Alors qu’environ 46 % de l’échantillon n’avait jamais fait usage de cannabis, environ 9 % avait développé une dépendance. Wagner et ses collègues ont réalisé des analyses statistiques additionnelles pour l’observation d’estimés particuliers à l’âge et au moment de début de la consommation de cannabis (ainsi que d’alcool et de cocaïne). Les auteurs ont rapporté que la plupart des cas de dépendance au cannabis se produisent chez des personnes plus jeunes (de 15 à 25 ans), avec un sommet à 17 et 18 ans. Toutefois, la période propice au développement du risque pour la dépendance au cannabis était pratiquement terminée à 30 ans (Wagner et Anthony, 2002). De plus, 10 ans après le premier usage de cannabis, le risque de dépendance tombait à près de zéro (alors que le risque de progression vers la dépendance à l’alcool dure de nombreuses années de plus après la première consommation d’alcool).

Bien que les données de vastes études transversales comme celles qui sont mentionnées ici aient leur valeur dans l’estimation des taux de dépendance au cannabis, ces données transversales ne permettent pas d’interprétations de causalité. Il faut donc faire preuve d’énormément de prudence quant à toute généralisation voulant que le cannabis mène à la dépendance. Les preuves démontrent que la vaste majorité (plus de 90 %) des utilisateurs de cannabis ne développement pas de dépendance. En effet, Anthony et ses collègues (1994) ont même rédigé ainsi leurs conclusions : « Pour chaque utilisateur ayant un historique de dépendance au cannabis, il existe 10 utilisateurs qui ne sont pas devenus dépendants » (Anthony et autres, 1994). Encore une fois, comparativement aux utilisateurs de nicotine et d’alcool, moins de consommateurs de cannabis deviendront dépendants au fil du temps.

La compréhension commune de l’accoutumance – simplement avoir besoin d’une substance pour fonctionner – est une simplification exagérée. Il existe de multiples définitions ad hoc de la pharmacodépendance (aussi appelée « trouble lié à l’utilisation de substances »). Selon une définition, il s’agit de l’usage compulsif d’une drogue malgré des conséquences négatives (Nestler, 1992). À la lumière de cela, la dépendance à différentes substances n’est pas nécessairement associée à des méfaits équivalents. Par exemple, bien des personnes correspondent aux critères de la dépendance à la caféine, mais cela n’est pas généralement perçu comme un problème majeur de santé publique. Les symptômes du sevrage de cannabis ont été caractérisés comme étant principalement psychologiques (plutôt que physiques) et comprennent des symptômes qui ne mettent pas la vie en danger (envie, irritabilité, nervosité/tension, agitation, dépression, colère, difficulté à dormir, rêves étranges, diminution de l’appétit et maux de tête) (Copersino et autres, 2006; Kouri et Pope Jr, 2000). En comparaison, il a été démontré que les symptômes de sevrage pour la dépendance à l’alcool ou à l’héroïne sont sévères (Olmedo et Hoffman, 2000; Redmond Jr et Krystal, 1984; Swift et Stout, 1992) et, dans le cas de l’alcool, qu’ils mettent la vie en danger (Trevisan et autres, 1997). Cela suppose que l’accoutumance au cannabis est moins sévère que celle qui est associée aux autres substances importantes, qu’elles soient légales ou illégales.


Références
  1. Anthony, J.C., Warner, L.A., Kessler, R.C., 1994. Comparative epidemiology of dependence on tobacco, alcohol, controlled substances, and inhalants: Basic findings from the National Comorbidity Survey. Experimental and Clinical Psychopharmacology 2, 244 268.
  1. Dubois-Arber, F., Balthasar, H., Huissoud, T., Zobel, F., Arnaud, S., Samitca, S., Jeannin, A., Schnoz, D., Gervasoni, J.P., 2008. Trends in drug consumption and risk of transmission of HIV and hepatitis C virus among injecting drug users in Switzerland, 1993-2006. Euro surveillance: bulletin européen sur les maladies transmissibles 13, 717-727.
  1. Fox, E., 2014. Where the Telegraph and Daily Mail get it wrong on cannabis. Huffington Post UK. Huffington Post, London.
  1. Hughes, C., Stevens, A., 2007. The effects of the decriminalization of drug use in Portugal.
  1. Beckley Foundation Drug Policy Programme, London.
  1. Lopez-Quintero, C., Pérez de los Cobos, J., Hasin, D.S., Okuda, M., Wang, S., Grant, B.F.,
  1. Blanco, C., 2011. Probability and predictors of transition from first use to dependence on nicotine, alcohol, cannabis, and cocaine: Results of the National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions (NESARC). Drug and Alcohol Dependence 115, 120-130.
  1. Nordt, C., Stohler, R., 2006. Incidence of heroin use in Zurich, Switzerland: a treatment case register analysis. The Lancet 367, 1830-1834.
  1. Wood, E., Werb, D., Kazatchkine, M., Kerr, T., Hankins, C., Gorna, R., Nutt, D., Des Jarlais, D., Barre-Sinoussi, F., Montaner, J., 2010. Vienna Declaration: a call for evidence-based drug policies. The Lancet 6736, 2.