L'arroseur arrosé : 2.2. Impacts environnementaux dans les pays de la Communauté andine

Ce panorama général nous amène au contexte particulier de la région andine. Les impacts environnementaux peuvent être reliés à deux sources principales, soit : 1) la production elle-même, et 2) les programmes d’éradication des cultures illicites.

2.2.1 Impacts de la production en tant que telle

À l’instar de la production de crystal meth dans des laboratoires clandestins d’Amérique du Nord, l’extraction des principes actifs du pavot ou du cocaïer dans des installations qui ne sont soumises à aucune réglementation, a engendré une dispersion incontrôlée des précurseurs chimiques, qui a résulté le plus souvent en la pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques :

[T]he runoff from Colombian prohibited drug processing facilities [is estimated] at a total of 20 million litres per year of ethyl ether, acetone, ammonia, sulfuric acid, and hydrochloric acid. The environmental effects of pollution from illicit crops and their economy remain the subject of much speculation and little systematic research. [16]

À cela s’est ajoutée l’action de pesticides et fertilisants employés à des fins agricoles. Mais puisque les plantations illégales sont souvent entrecoupées de cultures vivrières (au Pérou, cela était même encouragé par le Sentier Lumineux) [17], il devient très difficile de déterminer avec certitude quel en est leur impact réel sur les ressources aquatiques.

Une autre conséquence importante des cultures illicites est la déforestation :

A substantial proportion of the coca and poppy crop expansion in the Andean countries has been done at the expense of primary tropical forests. Low-altitude humid forests have been destroyed to plant coca, and high-altitude forests have been cut to plant opium poppies. The environmental loss exceeds the area planted with illegal crops because for each hectare of coca or poppy peasants cut down 3 or 4 hectares of forest. [18]

A priori, la déforestation semble être une réalité plus facilement quantifiable que la pollution des cours d’eau. En effet, avec la géomatique il devient possible de calculer précisément le nombre d’hectares de forêt tropicale sacrifiée à des fins agricoles, et de déterminer dans quelle proportion les zones déboisées sont consacrées aux cultures illicites, sans que des chercheurs ne doivent mettre leur vie en danger en allant prélever des échantillons dans les zones à risque.

Toutefois, Maria Álvarez, de l’Université Columbia, remet en question beaucoup de certitudes en posant la question : « la paix pourrait-elle être pire que la guerre pour les forêts colombiennes? » [19] En effet, en contexte de conflit armé, le couvert forestier est d’une importance stratégique capitale, tant pour la guérilla que pour les paramilitaires, et ces groupes jouent un rôle de conservation des forêts non négligeable. De plus, les impacts écologiques des cultures illicites doivent être comparés non pas avec un utopique « impact zéro », mais avec l’impact qu’auraient les activités licites initiées en temps de paix, comme l’exploitation minière, les coupes à blanc, l’agriculture extensive, etc. Les cas de l’Amazonie brésilienne et de certaines îles indonésiennes (Bornéo, Irian Jaya) nous rappellent à juste titre que la déforestation massive survient le plus souvent en temps de « paix ». Par conséquent, il se pourrait que le conflit qui affecte présentement la Colombie (malgré les effets environnementaux néfastes des routes construites illégalement, des pipe-lines éventrés ou des activités d’éradication par épandages aériens) soit la moins néfaste des situations. Les autorités devront donc se préparer à mettre sur pied des mesures de conservation efficaces, dans les zones présentement « protégées à la pointe du fusil » (under ‘gunpoint conservation,’), car la protection dont elles jouissent disparaîtra lors du retour des guerilleros à la vie civile. [20]

Il n’en demeure pas moins que la pollution des cours d’eau et la déforestation qui affligent les pays andins ont été récupérés dans le discours prohibitionniste nord-américain. Par exemple, lors du Jour de la Terre de 2002, le journal The Oregonian a publié une lettre d’opinion du Drug Czar (directeur de l’Office of National Drug Policy des États-Unis) dont voici quelques extraits :

Consider the Andes and Amazonian regions of South America. In countries such as Colombia and Peru, astonishing environmental riches abound. [...]

But that diversity is rapidly being destroyed. Environmental journalist Stephanie Joyce, reporting in International Wildlife, described what she saw in the Andean region: "a devastated landscape… an accordion of scarred red hillsides dotted with rotting tree stumps. The forest has disappeared as far as the eye can see."

Who cut down the forest, wiped out the fragile wildlife, depleted the soil and left behind a chemically poisoned scar that had once been rain forest? It’s a tragic story of greed and dependency. But the culprit here isn’t a rapacious corporation. It’s our demand for illegal drugs.

[...]

The nations and our own government have tried to curtail cocaine production by spraying coca fields with glyphosate, the chemical compound that has been used safely by millions of Americans for years. But our spraying is not the engine driving all this environmental destruction; it’s the growing and processing of cocaine itself. Illegal drug manufacturers, obviously, follow no environmental or safety rules. [21]

2.2.2 Impacts de l’éradication des cultures illicites

Dans les pays de la Communauté andine, les épandages aériens d’herbicides ont commencé dès 1978. Les substances utilisées à l’époque étaient non seulement le glyphosate, mais aussi le paraquat (interdit aux États-Unis depuis). Au cours des années 1980, des tests furent effectués au Pérou, en Colombie, au Guatemala et à Panama contre les plantations de coca, de pavot et de cannabis. Les herbicides testés portaient des noms tels qu’imazapyr, tebuthiuron, 2,4-D, hexaxinone. [22]

Ce que le Drug Czar ne mentionne pas dans sa lettre à saveur environnementaliste est que l’éradication actuelle des cultures illicites, lorsqu’effectuée par le biais d’épandages aériens (donc à une grande distance de la cible), ne respecte pas le mode d’emploi énoncé par les fabricants. Cette lettre laisse également entendre que le glyphosate est peu dommageable lorsqu’appliqué correctement, ce qui est de moins en moins certain :

According to a 2002 report by the California EPA Department of Pesticide Regulation, unintentional worker exposure to small amounts of glyphosate herbicides caused burning of eyes, blurred vision, dizziness, skin rashes, rapid heartbeat, difficulty breathing, headaches, nausea, and diarrhea, among other symptoms. Studies of farmers and others workers exposed to glyphosate herbicides found associations with the cancer non-Hodgkin’s lymphoma and increased risk of miscarriages and premature births in farm families. Chronic toxicity studies have not been conducted for glyphosate herbicide formulations, which are known to be more toxic than glyphosate alone, and therefore no suitable data exists to predict possible long-term health effects. [23]

Il est à noter que la formule employée en Colombie contient aussi de l’eau ainsi que du Cosmoflux-411F et du Cosmo-InD. Ces derniers sont des agents de surface (composés tensioactifs) destinés à faciliter l’absorption du glyphosate par les plantes visées. [24]

Par ailleurs, un effet pernicieux des programmes d’éradication, rapporté par plusieurs auteurs, est l’abandon des terres contaminées et la colonisation de nouvelles terres situées loin des zones sujettes aux épandages. Par conséquent, les programmes d’éradication aggravent les problèmes environnementaux de la région en causant un déboisement supplémentaire! Sinon, les cultures extensives sont parfois remplacées par de minuscules parcelles en milieu forestier, y compris dans les parcs nationaux.


[16] Álvarez, María D., 2001. « Could peace be worse than war for Colombia’s forests? » The Environmentalist, 21, p. 306.
[17] Thoumi, Francisco E., 2003. Illegal drugs, economy, and society in the Andes. Baltimore : Johns Hopkins University Press, p. 249.
[18] Ibid., p.168.
[19] Álvarez, María D., 2001. Op. cit., pp. 305-315.
[20] Ibid., p. 308.
[21] John Walters, « The Other Drug War », The Oregonian, 22 avril 2002. En ligne : U.S. Department of State, http://www.state.gov/g/inl/rls/op/2001/9637.htm
[22] Jelsma, Martin, 2000. Chronology : chemical and biological War on Drugs. Amsterdam : Transnational Institute. En ligne : http://www.tni.org/drugschembio-docs/crono-e.pdf
[23] Marsh, Betsy, 2004. Going to Extremes: The U.S.-Funded Aerial Eradication Program in Colombia. Washington, D.C. : Latin American Working Group, p. 29. En ligne : http://www.lawg.org/docs/Going2ExtremesFinal.pdf
[24] Montañés, Virginia et al., éd., 2001. « Fumigation and Conflict in Colombia : In the Heat of the Debate », Drugs & Conflict, 2, p. 5. Amsterdam : Transnational Institute. En ligne : http://www.tni.org/reports/drugs/debate2.pdf