La guerre des Etats-Unis contre la drogue est un échec. Des milliards dépensés et des millions de vies brisées...
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Par Benoît Toussaint – La guerre des Etats-Unis contre la drogue est un échec. Telle est la conclusion de deux rapports du gouvernement américain qui estiment que les milliards dépensés et les millions de vies brisées n’ont pas permis d’éradiquer les trafics. Pour de nombreux analystes, c’est la finalité de cette lutte, plus que les moyens, qui est remise en question.
De Mexico à Panama, les découvertes macabres n’en finissent plus et les cartels de la drogue semblent plus puissants que jamais. Un affront pour l’administration du président américain Barack Obama qui a fait de la lutte contre les trafiquants l’une de ses priorités. Il y a quarante ans, Richard Nixon lançait la « war on drugs » pour éradiquer le fléau des narcotiques. Le 17 juin 1971, il en faisait même « l’ennemi public numéro un » aux Etats-Unis. Deux rapports gouvernementaux, parus le 8 juin dernier, affirment que cette guerre contre la drogue n’a pas permis de mettre fin à l’entrée de stupéfiants dans le pays et que l’Amérique ne peut plus justifier ces dépenses.
Et pourtant, près d’un trilliard de dollars a été dépensé pour abattre l’hydre. Rien n’y a fait. La lutte à mort entre trafiquants de drogue et forces de polices a plongé l’Amérique centrale dans une spirale de violence inouïe. Rien que dans la capitale mexicaine, les autorités estiment que 976 personnes ont été assassinées par les cartels de la drogue depuis le début de l’année 2011. Le chiffre d’affaire des narcotrafiquants, quant à lui, ne s’est jamais aussi bien porté.
Un grand gaspillage
« Nous gaspillons l’argent des contribuables et injectons de l’argent pour régler un problème, sans même savoir ce que nous obtenons en retour », a déclaré la sénatrice Claire McCaskill (Dém.), qui préside le sous-comité sénatorial qui a écrit l’un de ces rapports. Les experts critiquent notamment le recours à des sociétés privées, payées grassement, qui doivent former les forces de police locales, participer à la destruction de champs de coca ou encore surveiller les mouvements des trafiquants.
Et les résultats de cette sous-traitance seraient plus que modestes au vu des sommes dépensées. Selon les sénateurs, l’essentiel de la lutte contre le trafic de stupéfiants est confié à cinq grandes compagnies : DynCorp, Lockheed Martin, Raytheon, ITT et ARINC. Cette sous-traitance a entraîné une augmentation des dépenses de 32% au cours des cinq dernières années, passant de 482 millions de dollars en 2005 à 635 millions de dollars en 2009. C’est la société DynCorp, basée à Falls Church en Virginie, qui a empoché le plus gros contrat, avec 1,1 milliard de dollars à la clé. Depuis quarante ans, presque trois milliards de dollars ont été versés à ces compagnies au nom de la lutte contre la drogue.
Les conclusions des sénateurs font échos à un autre rapport publié le 2 juin dernier par la Commission internationale de règlementation des drogues (Global Commission on Drug Policy). Cette assemblée de 19 membres dresse un constat est similaire et sans appel : « La guerre globale contre les drogues a échoué, avec des conséquences dévastatrices pour les individus et les sociétés partout dans le monde ». Un avis qui aurait pu rester lettre morte si les participants ne s’appelaient pas Koffi Anan, ancien secrétaire des Nations Unies ; Mario Vargas Llosa, prix Nobel de Littérature 2010 ; Paul Volcker, ancien directeur de la FED ; Richard Branson, célèbre homme d’affaire, fondateur et propriétaire de Virgin ; ou encore Georges Papandreou, le Premier ministre grec.
Quand la violence répond à la violence
La Maison-Blanche a bien tenté de minimiser l’échec de la politique anti-drogues en rappelant ses succès dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Le porte-parole du Pentagone, James Gregory, a même affirmé avec aplomb que la lutte contre les stupéfiants compte parmi « les programmes les plus efficaces et les plus réussis des dernières décennies ».
En vain, la production s’est déplacée, de nouvelles filières d’importation ont vu le jour et la politique de répression a surtout eu pour effet d’accroitre la violence des cartels et leur contrôle sur le trafic. « Nos voisins, le Mexique et la Colombie, sombrent dans la corruption et subissent la loi des gangs violents. En Afghanistan, nos soldats risquent leur vie, alors qu’un tiers, voire la moitié de l’économie, est générée par le trafic d’opium et d’héroïne », déclarait récemment le pasteur démocrate Jesse Jackson, militant actif du mouvement pour les Droits civiques.
Faire la paix avec la drogue ?
Mais la vraie question aux Etats-Unis vise à savoir si les fins même de la guerre contre la drogue sont justifiées. Jesse Jackson ajoute : « Et si nous traitions l’addiction à la drogue comme l’alcoolisme en tant que problème de santé publique ? ». Un certain nombre d’experts plaident en effet pour substituer une politique d’éducation à une lutte violente et frontale contre les trafiquants. Dans leur rapport, les 19 personnalités de la Commission internationale de réglementation de la drogue estiment qu’il faut « arrêter la guerre contre la drogue et adopter une politique plus constructive en vue de réduire la consommation. Ce n’est pas la paix au lieu de la guerre, c’est une façon plus intelligente de se battre ».
Pour Jacob Sullum, du magazine Reason, il faut aller plus loin et ouvrir un nouveau débat : Et si les Etats-Unis acceptaient de faire la paix avec la drogue ? Les efforts devraient se concentrer « non pas sur la réduction des marchés de la drogue, mais plutôt sur la réduction de leurs méfaits sur les individus, les communautés et la sécurité nationale ». Et pour cause, La plupart des personnes impliquées dans le trafic de drogue ne sont que de petits dealers et n’ont rien à voir avec la caricature du gangster des films à grand frisson. La plupart des prisonniers pour trafic ne sont finalement que du menu fretin, aisément remplaçable par le premier venu.
En d’autres termes, la guerre contre la drogue a longtemps parlé le langage des trafiquants : violence, répression, pénalisation. Il est temps désormais qu’elle parle à nouveau le langage de la démocratie : protection des personnes contre la violence des cartels et l’addiction aux narcotiques ; éducation de la jeunesse ; et incitation au travail ou à l’entrepreneuriat en créant les conditions d’un marché libre et efficace.
Ecrit par : Benoît Toussaint le 13 juin 2011
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