Peut-on ignorer l'échec de la stratégie de prohibition ?
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le 24 Novembre 2010
Peut-on ignorer l'échec de la stratégie de prohibition ?
Légaliser les drogues mettrait fin aux trafics
Par Patrice Bessac, porte-parole du Pcf, chargé de la formation et du projet.
La fusillade de Marseille soulève une très forte émotion dans l’opinion. Chacun-e a réagi. A dit son horreur, sa volonté de combattre le crime, sa révolte. Le ministre de l’Intérieur a donné des ordres. Des renforts policiers ont été envoyés vers la cité phocéenne. Et tout cela ne servira à presque rien.
À mes yeux, et les propos qui suivent n’engagent que moi et ne reflètent l’opinion d’aucune instance de mon parti, le problème est relativement simple. La prohibition mondiale des drogues a structuré depuis des décennies un marché extrêmement lucratif, à tel point qu’il génère le troisième chiffre d’affaires mondial derrière le pétrole et l’alimentation. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que nous dépensons à l’échelle mondiale deux fois plus pour acheter des drogues illégales que pour des médicaments.
Cette réalité des chiffres et de la statistique en cache une autre?: celle de l’existence d’organisations mafieuses à l’échelle mondiale travaillant entre elles dans un esprit coopératif et accumulant des réserves démentielles de capital.
La «?guerre contre la drogue?» a donc échoué.
Plus les systèmes répressifs se sont durcis, plus nous avons augmenté le nombre de morts, l’exemple de la frontière mexicaine est le plus frappant, sans jamais réussir à diminuer de manière significative les livraisons de marchandises. En France, l’affaire est facilement démontrable?: les saisies de drogues augmentent chaque année et pourtant le prix pour le consommateur de stupéfiants baisse. En vertu de la loi de l’offre et de la demande, nous ne pouvons en tirer qu’une seule conséquence?: les volumes livrés augmentent.
L’échec de la stratégie de prohibition est total. D’un triple point de vue. Le nombre des consommateurs de substance psychotrope a crû?: c’est désormais une expérience relativement banale dans les pays de l’Union européenne. La prohibition a renforcé le poids et le niveau d’organisation du crime international. Une part décisive de la délinquance urbaine ordinaire, celle qui pèse le plus sur nos concitoyennes et nos concitoyens, prend sa source dans le trafic de stupéfiants.
Est-il donc raisonnable de continuer à faire l’autruche?? Alors même que quatre anciens présidents d’Amérique latine, région de narcotrafic, Ernesto Zedillo (Mexique), Fernando Henrique Cardoso (Brésil), Alejandro Toledo (Pérou), Carlos Gaviria (Colombie), viennent de se prononcer en faveur de la légalisation des drogues et pour le renversement de l’approche internationale??
Examinons les avantages de l’approche de légalisation.
D’abord, dans le cadre d’accords internationaux, cela conduit mécaniquement à la suppression ou à la réduction du rôle des mafias car l’État – ou les États – prend alors le contrôle de la production, des importations et de la distribution. La vente illégale n’étant plus compétitive, elle disparaît, et avec elle les investissements en termes de force de police qui se révèlent sur ce terrain assez inefficaces de toute façon.
Deuxièmement, l’approche de légalisation permet de se concentrer avec une liberté plus grande sur la politique de réduction des risques. N’importe quel médecin en addictologie vous le dira?: les injonctions de soins, c’est-à-dire les soins forcés, ont autant d’efficacité que l’aspirine sur le cancer. Les deux ressorts essentiels de la réduction des risques sont la prévention constante, dès le jeune âge et sur les lieux d’usage, ainsi que l’établissement d’un rapport libre entre l’individu et l’équipe thérapeutique. Ainsi, il faut des lieux d’injection, des centres d’accueil de jour et de nuit, des lieux d’hébergement adaptés, et tout cela coûtera bien moins cher que l’arsenal de répression national et international.
Évidemment cette approche présente aussi des inconvénients. Aucune solution n’étant en soi satisfaisante.
Les deux inconvénients majeurs sont que la légalisation conduit à une augmentation de l’usage dans un premier temps et présente des risques d’aubaine et la création de filières à partir des pays de légalisation vers les pays de prohibition.
Ces risques existent et ils mériteraient d’être développés mais, après tout, je ne suis pas un professionnel de ces questions. Ce que je sais, c’est que lorsque nous sortons de la question morale ou des débats fantasmés pour entrer dans les problématiques d’efficacité, nous commençons à être dans le vrai. La loi agit, et c’est sur son action que nous devons la juger. Pas seulement sur ses principes.
Patrice Bessac
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