L'alcool et les multinationales

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L'ALCOOL ET LES MULTINATIONALES

Depuis 1950, les chercheurs considèrent que les problèmes sous-jacents à la consommation abusive d'alcool sont d'ordre personnel. Récemment on a démontré «l'influence de certains facteurs socio-économiques sur les habitudes des consommateurs, sur les quantités consommées et sur les problèmes qui en découlent» (1). Par exemple, aux États-Unis, l'alcool est en cause dans plus de 66% des meurtres, 50% des viols, près de 70% des agressions et 80% des suicides. Un autre facteur devrait toutefois être mis en cause : les sociétés multinationales de l'alcool.

Au début du siècle, la production de boissons alcooliques était le fait d'entreprises locales, parfois régionales. En accumulant rapidement du capital, puis en se fusionnant, celles-ci augmentèrent leur capacité de production ainsi que leur réseau de distribution à l'échelle nationale. Ce mouvement de concentration touche d'abord le secteur des brasseries, puis des spiritueux et enfin celui des vins. Cette concentration des entreprises permit une augmentation importante de la variété et de la disponibilité des boissons alcooliques.

Ces dernières, comme celles des médicaments, dominent progressivement la production, la commercialisation et la distribution de l'alcool. C'est à partir du boom économique d'après-guerre et l'augmentation des revenus qu'il y eut accroissement rapide de la consommation d'alcool. La période des années 70 - durant laquelle il y eut ralentissement de l'économie - amena une baisse significative de la consommation.

Un autre facteur qui a favorisé l'augmentation de la demande, et c'est probablement le plus important, a trait au déplacement des populations rurales non monétisées - puisque la culture de leur terre assurait leur subsistance - vers les centres urbains à économie monétaire, par le biais des salaires reçus en échange du travail dans les industries, et ce, particulièrement dans les pays en voie de développement. De plus, ces nouveaux pays virent leur nouvelle élite plus aisée adopter les modes de consommation des Européens. Enfin, ces pays décidèrent de substituer les achats d'alcool par une politique d'industrialisation, ce qui stimula la création de brasseries locales ainsi que la consommation.

Après s'être assuré du quasi-monopole de leur marché national, les compagnies se tournèrent vers les marchés extérieurs. Ces sociétés utilisèrent trois techniques pour conquérir ces nouveaux marchés : l'exportation des marchandises, l'exportation des capitaux et la vente des licences. Ainsi, sur les 46 pays où la production de bière augmenta de plus de 50% entre les années '75 et '80, 42 sont des pays en voie de développement. Leur production est essentiellement consommée par la population locale.

Ces multinationales pratiquent aussi la collusion. Ainsi, des accords de répartition des territoires et autres pratiques de collusion, notamment sur les prix, permettent de mieux cibler leur publicité, d'améliorer le rendement de leurs réseaux de distribution, et de manipuler avec plus d'efficacité le comportement des consommateurs.

Le mouvement de concentration des industries liées à l'alcool permit la constitution de véritables multinationales de l'alcool, puis de conglomérat. «Celui -ci est une société composée de filiales engagées dans des secteurs d'activités sans rapport les uns avec les autres. Les conglomérats assurent leur expansion par des fusions et des absorptions» (1).

Cette diversification a souvent commencé par l'achat de compagnies liées à d'autres boissons alcooliques. Les fabricants de spiritueux se sont tournés vers le secteur du vin, puis des boissons rafraîchissantes. L'expansion s'orienta par la suite dans d'autres domaines, la vente d'alcool ne représentant alors qu'une petite part du chiffre d'affaires global.

Ces expansions ont des effets sur la consommation et la santé publique par le biais de deux mécanismes. Elles permettent d'abord les subventions croisées, c'est-à-dire qu'une société peut puiser dans les bénéfices d'un de ses secteurs rentables pour subventionner les pertes de ses secteurs déficitaires. C'est ainsi qu'une société comme Philip Morris, en canalisant les profits réalisés dans les tabacs -autre produit assujettissant - a pu vendre sa bière moins chère que ses concurrents, ce qui contribua à stimuler la consommation générale. De plus, ces grandes sociétés liées à l'alcool sont souvent achetées par des multinationales qui disposent de vastes réseaux de distribution de biens de consommation. L'effet d'une expansion de ces conglomérats sur la consommation est très manifeste dans le cas des cinq grandes multinationales du tabac qui dominent, et le marché mondial des cigarettes, et celui de l'alcool.

L'expérience acquise dans la vente du tabac a donc profité à l'industrie de l'alcool. Pour ce faire, on a utilisé des techniques très efficaces de vente que sont la segmentation des marchés, la différenciation des marques et le parrainage des événements sportifs. Les liens très étroits entre les deux industries posent un problème de santé publique d'autant plus préoccupant qu'il apparaît clairement que la consommation combinée du tabac et de l'alcool a pour effet de multiplier leur toxicité respective.

Les stratégies de marketing influencent aussi la consommation car la publicité crée de nouveaux besoins, impose des images et des stéréotypes stimulant la consommation et, occasionnellement, la dépendance.

En 1981, deux milliards de dollars ont été dépensés en publicité au niveau mondial. Les gens des pays en voie de développement sont très vulnérables aux messages véhiculés par l'industrie. Cette publicité massive sert à créer de nouvelles marques, de nouveaux goûts, ouvre de nouveaux marchés, particulièrement auprès des deux secteurs les plus vulnérables (en terme de santé) à ces techniques : les femmes et les jeunes.

Des études ont ainsi démontré que les «consommatrices sont plus sujettes aux cirrhoses que les consommateurs et que les femmes enceintes qui boivent exposent le foetus à des risques particuliers». La stratégie pour attirer les adolescents est différente car la plupart des pays développés interdisent la vente de produits alcoolisés aux jeunes. Comme il est plus facile de fidéliser les nouveaux consommateurs, leur publicité vise les adolescents qui atteignent l'âge légale de consommation, par le biais d'échantillons gratuits, de commercialisation de logos, de clubs de supporters ainsi que les autres outils classiques de publicité.

Il faut enfin s'interroger sur leurs campagnes du «boire avec modération» ; les milliards de dollars dépensés en publicité sont à tout le moins suspects puisque la principale préoccupation de ces compagnies demeure la maximisation des ventes et des profits.

Source : F. Clairmonte et J. Cavanagh,

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