Jamaique - Kingston c'est plus de 1600 meurtres par an !

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KINGSTON - CARAïBES

Jamaique. Kingston c'est plus de 1600 meurtres par an !

Par CCN 02.06.2010 l 00h02

Kingston. Mardi 1 juin 2010. Les récents et tragiques évènements à Kingston ( voir CCN du 28 Mai 2010) ont focalisé l’attention du monde sur ce pays. Le bilan humain de l’intervention, décriée, des forces de sécurité est assez lourd. Peut être une centaine de victimes. Et pourtant Christopher « Dudus » Coke, le parrain recherché, par toutes les polices, n’a toujours pas été capturé. Marie-Rose Lafleur, Cari guadeloupéenne, ex-directrice de l’Alliance Française pendant près de 3 ans en Jamaïque, raconte dans un long entretien à CCN le Kingston qu’elle a vu. Interview documentaire réalisée bien AVANT les graves évènements de la fin mai. A lire pour mieux comprendre la Jamaique.

CCN. la Jamaïque est présentée comme l'une des iles les plus violentes de la Caraïbe ?

Marie-Rose Lafleur. Ce n’est pas tant la Jamaïque qui est un des pays les plus dangereux au monde ou de la Caraïbe, mais la ville de Kingston. Les Kingstoniens, eux-mêmes, l’affirment et considèrent qu'il y a plusieurs pays dans un seul : Kingston et sa banlieue comprenant la province de Saint-Andrew (la KSAC :Kingston and St-Andrew Corporation) puis les autres provinces (St-Thomas, Portland, ST-Mary, St-Ann, Trelawny, St-James, Hanover, Westmoreland, St-Elisabeth, Manchester, Clarendon, St-Catherine).
La criminalité bat son plein, c’est plus 1600 meurtres par an déclarés (depuis que j’y suis entre 2006 et 2009, le chiffre ne cessant de s’accroître), sur une population d’environs 2, 750, 000 (recensement de 2001).
La recrudescence de la violence en Jamaïque s’explique par différents moments : une migration importante des populations rurales vers la ville entraînant un phénomène important d’urbanisation, l’indépendance (une conséquence), l’américanisation de la société, la corruption.
La raréfaction de l’emploi dans les campagnes suite à l’abolition de l’esclavage et la fuite des champs de canne entraîna entre 1871 et 1943 une désertification des provinces. A la recherche de nouveaux emplois, la population migra vers Kingston et sa province St-Andrew qui se trouva engorgée, favorisant l’émergence des ghettos, notamment dans la basse ville, communément appelée Downtown. Cette partie de la ville correspond à la façade est, ouest et sud de la ville où se trouvent les célèbres quartiers de Trench Town ou encore de Tivoli Gardens, zones connues pour leur haut degré de criminalité où la police ne peut entrer facilement. Trench Town située au sud de Kingston a été construite près d’une décharge, constituée de petits immeubles de 1 à 2 étages autour d’une cour intérieure où se trouvent les pièces communes comme la cuisine. De fait, dans les années 70, ce quartier devint un des plus dangereux à cause du taux de criminalité qui y sévissait lié à la rivalité entre les deux partis politiques : PNP (People National’s Party) et JLP (Jamaican Labour Party) et au trafic de drogue. C’est dans ce quartier qu’ont vu naissance et où y ont vécu les célèbres artistes Bob Marley, Peter Tosh, Burning Spear. Bob Marley y fait référence dans plusieurs de ces titres : No Woman no cry, Trench Town, Rock Trench Town. La création de ces bidonvilles a donné naissance à la violence urbaine mais aussi à la musique : le mento, le ska, le reggae et la dance hall d’aujourd’hui. Kingston est une ville incarnée par la violence mais elle est aussi le lieu de la création artistique et musicale.
L’apparition des ghettos a mis en relief l’opposition entre deux sociétés, deux espaces rivaux, les gens de Downtown et de Uptown. L’arrivée massive des migrants dans la partie basse de la ville et l’augmentation de la misère et de l’insalubrité provoqua la migration des populations aisées, plutôt blanches et colorées, vers la partie haute de la ville : Uptown. Installées sur les flancs des montagnes comme Beverly Hill’s, le fossé entre les pauvres et les riches ne fit que s’accentuer entraînant une séparation sociale et spatiale ainsi que des modes de vie différents. La bourgeoisie déserta le magnifique front de mer pour se loger dans les mornes des Blues Mountains (connues pour son excellent café) dans de luxueuses résidences sécurisées.
L’indépendance de la Jamaïque le 6 août 1962 donna naissance à une euphorie générale. Cette période correspondit au grand succès du ska qui s’exporta à l’étranger, dont le groupe exemplaire connu sous le nom des « Skatalites » fut le digne représentant, suivi de l’avènement du Reggae. Avec le nationalisme promut par Marcus Garvey dans les années 30 dont les idées cheminèrent jusque dans les années 60: « c’est une nation fière et panafricaine qui affirme son identité et son indépendance au monde entier, qui valorise l’abolition des classes sociales et des clivages raciaux où les noirs sont les opprimés du système ». Les deux cousins, Norman Manley et Alexander Bustamente, reprirent les concepts de Marcus Garvey et fondèrent les partis politiques suivant respectivement PNP et JLP en 1938.

Le 29 avril 1962, le JLP gagna les élections et détrôna le PNP au pouvoir depuis 1955. Alexander Bustamente est élu premier ministre de la Jamaïque. Suite à l’excitation de l’indépendance succèda la décadence du pays. Le chômage incarné, la pauvreté rongeante, les conflits raciaux, les divisions politiques représentées par les gangs, la prolifération des armes à feu et le trafic de drogues contribuèrent à la dégradation sociopolitique du pays. Après les indépendances, la Jamaïque se tourna vers les Etats-Unis, ce qui contribua à favoriser le trafic d’armes à feux et de drogues entre ces deux pays mais également l’industrie du tourisme. Les touristes venaient en grand nombre notamment sur la côte nord de l’ile : Montego Bay, Négril, Ochio Rios. La Jamaïque connut un essor du tourisme de masse de même qu’elle produisit du Bauxite en quantité importante qui la plaça dans les premiers rangs mondiaux d’exportation de cette ressource naturelle. Néanmoins, les revenus de ces deux principaux secteurs d’activités ne profitèrent pas aux populations défavorisées provoquant ainsi un accroissement de leur frustration et un développement de la violence. Par contre, l’augmentation du tourisme conduisit à la prolifération de la circulation de la drogue, notamment de la marijuana, en faveur des touristes américains et donc à une organisation du trafic de drogue et conséquemment à un durcissement de la criminalité. Les armes à feu supplantèrent progressivement les coutelas dans les années 60-70. Les forces de l’ordre jamaïcaines devinrent de plus en plus répressives et violentes entraînées par les forces de l’armée américaine. De plus, l’acoquinement des partis politiques avec les chefs de gangs des ghettos, surnommés Don, dans l’échiquier politico-syndical, contribua à accroître la criminalité. De façon plus éloquente en périodes électorales, chaque ghetto se trouve ainsi enclavé et sous l’autorité d’un gang affilié à un parti politique. C’est pourquoi en période électorale, il n’est pas prudent de s’aventurer dans les rues, de s’habiller en vert ou en orange (représentant respectivement les couleurs du JLP et du PNP) au risque de se faire prendre à parti par un groupe rival ou de se faire assassiner. Cependant la criminalité continue suite aux élections pour d’autres motivations et devient incontrôlable.

CCN : Quelle est la réalité de la situation sociale ?

MRL. Il ya plusieurs sociétés jamaïcaines dans la Jamaïque : les gens de Uptown et de Downtown. La vie quotidienne pour les uptowniens et les dowtowniens ne se ressemble pas. Kingston est comme toutes les villes urbaines de n’importe quel lieu avec ses cafés, ses fast-food KFC, Island Grill, Juicy Patty, les deux derniers étant des créations jamaïcaines où l’on y trouve des spécialités locales : le ackee and salt fish, le foie et les haricots ou encore le calalou et la morue pour le petit-déjeuner, le Jerk chicken ou barbecue, le curry chicken avec son riz et pois rouge, ses sodas et ses jus tropicaux et les patty (délicieux petits pâtés chauds fourrés de viande ou aux légumes pour les végétariens). La nuit, le centre ville, en particulier à New Kingstown, s’engouffre aux rythmes des résonances des boums chack des boîtes de nuits ou des clubs en plein air, à New Kingston. Pour les plus coquins, les gogos club remplis d’expatriés pour certains ou de locaux dans d’autres plus trash, font leur plein jusqu’à l’aube à la cadence du déhanchement et des vibrations des fessiers des belles câpresses enrobées.
Dans les bas fonds de la ville, la nuit est encore plus endiablée là où les sound-system résonnent jusqu’aux premières vagues de la mer qui répercutent les sons jusque dans son mitan. Là où les pas de danse se créent, dans un défi perpétuel de lutte pour un combat imaginaire où les femmes sont les reines de la fête et montrent leurs atouts à travers des danses à connotations sexuelles. Décidemment, le monde de la nuit est l’enfer doré de l’expression divine, là où se mêlent downtown et uptown, gangsters et avocats, blancs, noirs et Japonais.
De jour comme de nuit, il est agréable de vivre à Kingston si l’on se trouve du côté d’uptown. La société jamaïcaine offre de nombreux privilèges à ceux qui en ont les moyens. La possibilité de faire de nombreuses excursions en montagne ou dans la province, de s’offrir des weekends de détente sur des sites magnifiques hors des dangers de la ville et en particulier de ses ghettos.

CCN : Pendant votre séjour, il y a eu un premier ministre femme, pourquoi sa mandature a été si courte ?

MRL. L’Honorable Ministre Portia Simpson Miller a été élue Premier ministre le 30 mars 2006. C’est la première fois qu’une femme devient Premier ministre dans l’histoire de la politique jamaïcaine. Elle devient également présidente du PNP (People’s National Party) en succédant à P.J. Patterson. Elle a servi ce parti pendant plus de 34 ans et en était la vice-présidente depuis 1978. On dit d’elle que c’est une femme de poigne, « une femme à graines » elle est « solide comme un roc ». Elle s’est engagée principalement à mener un combat contre la criminalité et le trafic de drogues. Originaire de la classe ouvrière, ce fut une des politiciennes les plus populaires de la Jamaïque. Elle est représentée comme le cœur et l’âme du PNP. Mais aux élections générales, le 3 septembre 2007, le PNP perd 29 sièges contre 31 pour le JLP (Jamaican Labour Party) après 18 ans de règne du parti. Les arguments du JLP étaient de montrer l’inefficacité et le degré de corruption du gouvernement en place en montrant l’augmentation de la criminalité, du trafic de drogues, du taux de chômage et de ses dettes publiques. Un des arguments fort du JLP a été de proposer la gratuité des écoles secondaires publiques ainsi que celle de l’accès au système de santé public.

CCN : Sur le plan touristique, quels sont les atouts de la Jamaïque?

MRL. La Jamaïque est connue mondialement pour sa musique et son icône Bob Marley. Aller visiter le musée de Bob Marley à Hope Road près du quartier des ambassades est une des sorties incontournables, le splendide jardin botanique, Botanical Gardens, en haut de cette même rue dans lequel se trouvent un petit zoo et un restaurant I-Tal pour les amoureux des produits naturels, suivi du site historique Devon House beaucoup plus bas dans le prolongement de Hope Road où le dimanche les Kingstoniens viennent y manger des glaces aux fruits, au cheese cake et au caramel. Découvrir le marché artisanal à downtown situé près de la parade du front de mer pour y acheter les bonnets aux couleurs de la Jamaïque et ses t-shirts verts et jaunes ainsi que ses sacs, ses masques ou tout objet insolite qui peut faire le bonheur du passant. Toujours à downtown, la galerie nationale d’art, the National Gallery et la promenade sur le front de mer. Le reste de downtown n’est pas à visiter à pieds sauf au marché des fruits et légumes ou accompagnés d’un autochtone. Il y a aussi Emancipation Park, magnifique parc anglais, pour faire le footing le matin et le soir ou bien se pavaner en avalant quelques Jerk chicken dans le bar ouvert sur le trottoir d’en face.
La beauté de la Jamaïque se trouve dans ses montagnes, les Blues Mountain. On peut escalader le Blue Mountain Pic, aller à la résidence hôtelière de Chris Blackwell pour une vue imprenable, un restaurant class et des massages et spa à volonté. C’est un lieu charmant pour les amoureux ou les passionnés de musique. Sur les murs de l’hôtel, on y trouve les disques d’or de UB40, de Bob Marley ainsi que ceux de bien d’autres grands chanteurs de ce monde produits par Blackwell. Et bien entendu, ses rivières aussi diverses et variées, parfois bleues par leur pureté, et ses plages notamment sur la côte nord et ses infrastructures impressionnantes font le bonheur des voyageurs : du bungalow à l’hôtel de luxe all inclusive en passant par les villas privés avec le personnel à disposition au souhait du client.
La Jamaïque a développé au niveau touristique de quoi satisfaire à peu près tous les goûts, tous les budgets. Attention cela reste une destination assez chère car l’hôtellerie l’est. Entre montagne, mer et rivières, sans compter les sites archéologiques, la visite de grottes Taïnos, Port-Royal et sa piraterie et l’ilet de Lime Cay, lieu où aime se rendre la bourgeoisie kingstonienne.

CCN : Qu'est ce qui explique la dégradation de la situation économique ?

MRL. L’économie de la Jamaïque repose sur le tertiaire à 70% de son produit intérieur brut (PIB). La majeure partie de son économie provient de l’industrie du tourisme et du bauxite. Mais la bauxite absorbe près de 30% du pétrole importé pour le transformer en aluminium. Et en 1973, le choc pétrolier que connaissent les Etats-Unis plonge le pays dans de grandes difficultés. Manley alors au pouvoir souhaite emprunter des capitaux aux Etats-Unis, lesquels lui demande de rompre les liens avec Cuba. Manley se rétracte et s’adresse au FMI qui va demander en retour une dévaluation du dollar jamaïcain, le gel des salaires et la réduction de la dette publique, lequel refuse.
En 1978, face à la situation économique aggravante, Manley s’adresse à nouveau au FMI et accepte leurs conditions (hausse des impôts, liberté d’entrée des capitaux, suppression des subventions aux produits de premières nécessités). Cela conduit à la dégradation de la situation sociale. Manley rompt avec le FMI en 1980 et en retour, la CIA s’engage dans une campagne de déstabilisation du pouvoir. En 1980, la Jamaïque entre quasiment dans une guerre civile. Le pouvoir change de main, c’est Edward Seaga, proche des Etats-Unis, JLP, qui mène le pays jusqu’en 1989.
S’ensuit, l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 à New-York qui a affecté considérablement l’économie jamaïcaine malgré un bond dans le tourisme en 2003. L’économie de la Jamaïque dépend beaucoup de celui des Etats-Unis (37% de la valeur totale des exportations, exportation de bauxite 60%, 65% des touristes et 54% des transferts de fonds des émigrés).
Le taux de chômage élevé, l’insécurité liée à la violence et au trafic de drogues, l’inflation, la dette du pays entravent sérieusement l’économie de la Jamaïque, rendent frileux les investisseurs étrangers à conquérir ces marchés. Pourtant, l’entreprise canadienne Cemcorp Cement a investi récemment dans la construction d’une cimenterie qui devrait produire plus de 1,5M de tonnes de ciment. Ses principaux produits d’exportation sont : l’aluminium, le bauxite, la banane, les ignames, le café. Enfin ; les nombreux ouragans passés sur l’île ont ravagé l’agriculture, les habitations et lieux de stockage, ce qui a entrainé un ralentissement certain de l’économie jamaïcaine.

CCN : Les jamaïcaines sont elles plus qu'ailleurs victimes des violences ?

MRL. La société jamaïcaine étant une société très machiste, les femmes ont peu droit à la parole. En ce qui concerne les violences faites aux femmes, et s’agissant des viols, on considère qu’elles l’ont cherchés, qu’elles en sont responsables de part leur mode vestimentaire ou leur féminité. Cela soutiendrait l’hypothèse selon laquelle les hommes ne pourraient contrôler leur impulsion sexuelle. En réalité, la majeure partie des agressions sont des viols domestiques commis par quelqu’un de connu, dans l’entourage familier ou amical de la victime. Il est difficile pour ces femmes de porter plainte contre les abus sexuels. D’autre part, la police n’inspire pas confiance notamment dans les ghettos (inner city) où l’impunité bat son plein. A la campagne, les choses restent cachées, internes et dans la bourgeoisie qui vit dans des résidences sécurisées, il en va de la réputation de certains hommes d’affaires, ou de la famille. La jeune fille sera niée ou rejetée par les membres de son clan. Pour les gens des communautés (inner city) il est rare qu’ils fassent appel à la police pour régler les affaires familiales ou d’entourage. Cela reste secret parmi les membres de la famille ou se règle entre eux. Aussi, il est assez courant qu’un chef de gang (dit Don) demande aux familles leurs jeunes filles adolescentes pour assouvir leur plaisir. Elles sont violées et deviennent leurs esclaves sexuelles. La peur des représailles aussi empêche les victimes de porter plainte. Il arrive que l’on retrouve assassiner des femmes qui avaient fait cette démarche. Combien de bébés ont pris une balle perdue, d’enfants se sont retrouvés assassinés pendant leur anniversaire, combien de femmes enceintes l’ont été également, combien de femmes et de jeunes filles ont été violées par leur père, leur oncle, leur mari ? Et les viols collectifs des jeunes hommes contre une de leur camarade de classe ? La liste n’en est que trop longue.

La violence contre les femmes est endémique en Jamaïque, elle n’a ni classe, ni race, ni culture. Cependant la faible condition économique des femmes les empêche davantage de s’émanciper d’une relation avec un partenaire violent. Le crime est gratuit contre les lesbiennes. Elles se feront violer sous prétexte de leur montrer ce qu’elles manquent en n’ayant pas de relations hétérosexuelles. La loi jamaïcaine, dans l’article 377, stipule que la pénétration anale ou toute forme de sexualité non naturelle sera punissable jusqu’à 10 ans d’emprisonnement, de même que toute forme de sexualité en dehors du mariage qui ne soit pas une pénétration de l’homme à la femme par son vagin est punissable. La loi jamaïcaine ne protège pas les personnes qui ont des pratiques homosexuelles, elles les condamnent. L’Etat échoue à s’attaquer à la discrimination contre les femmes. Les comportements sociaux et culturels discriminatoires favorisent la discrimination et les violences contre les femmes. Selon Amnesty international, ce sont les jeunes filles qui sont les plus exposées au viol : 17 % des jeunes filles entre 13 et 14 ans ont été violées ou ont été abusées sexuellement et 20 % des 15 -19 ans ont été forcées à avoir une relation sexuelle. 1/3 des meurtres sont d’origines socio-sexuels. La violence en Jamaïque ne décroît pas, dans la culture du gangstérisme, les femmes et les enfants sont utilisés comme objets de représailles. En effet, la violence contre les femmes est une des plus élevées au monde.

CCN : Vous êtes créoliste, vous êtes vous intéressée au créole jamaïquain, quelle est sa place dans la vie quotidienne ? Peut-on parler de bilinguisme ?

MRL. Oui, bien sûr. C’est tout à fait passionnant. Le créole jamaïquains appelé « patwa » par ses locuteurs est présent dans la vie de tous les jours. Les gens parlent davantage créole qu’anglais dans la conversation et entre amis. Le créole jamaïquain revêt des intonations et des accents différents selon que l’on vienne de la ville ou de la campagne, selon que l’on soit de la classe moyenne ou du ghetto. Au bout d’un an, j’ai pu me rendre compte de ces distinctions et reconnaître ces différences. Ce qui est bien utile dans une société aussi complexe pour savoir à qui on a à faire. Dans le cadre de mon travail, cela a parfois posé des problèmes. Ma première secrétaire était très créolophone et ne parvenait pas à écrire un anglais correct de sorte qu’elle ne pouvait pas m’aider dans la rédaction de courriers. Je me rendais compte aussi de l’interférence entre anglais et « patwa » dans le discours de mes collègues mais aussi du jardinier Rasta qui utilisait un tout autre registre « I and I », « downpression » au lieu de « oppression ».

Comme le créole guadeloupéen, il est méprisé, on dit qu’il est corrompu d’ailleurs ce n’est pas une langue pour nombre de ces locuteurs, c’est un langage pour les non-éduqués ou un dialecte. Il est vrai que nombre de Jamaïquains ne maîtrisent pas l’anglais car ils n’ont pas été scolarisés longtemps. Hors l’anglais ne s’apprend qu’à l’école ou dans des familles d’un certain niveau social. Le créole jamaïquain n’est pas langue officielle, seule l’anglais l’est. Il est enseigné à l’université de Mona, UWI (University of the West Indies) par le linguiste notoire Hubert Devonish qui souhaite que tous les créoles soient enseignés à l’université dans la Caraïbe et que le créole jamaïcain le soit dans toutes les écoles de la Jamaïque. Un programme a été mis en place à titre expérimental pour un enseignement bilingue dans quelques écoles, de Grade 1-4 (école primaire). Le résultat était positif, les enfants ont acquis des compétences dans les deux langues. Il existe une intercompréhension des créoles même entre les créoles de base lexicale française comme nos créoles ou de base lexicale anglaise au niveau syntaxique de part la parenté avec les langues africaines. Pickni signifie « enfant » est un lexique de la langue créole jamaïcaine qui existe avec nyam « manger » depuis plus de 350 ans. Wa gwaan ? « Comment vas-tu ?. Le créole jamaïquain est assez éloigné de l’anglais. En fait, il y a un continuum linguistique du créole jamaïcain à l’anglais. Les deux codes linguistiques se rencontrent souvent par interférence ou par mélange. Parmi les écrivains incontournables que j’ai découvert qui ont écrit en créole jamaïquain, je citerai Louise Bennet et qui écrivent sur la culture populaire Carolyn Cooper. Plus familier, c’est à travers la musique Dance Hall qu’est véhiculé le créole.

CCN : L'université de Mona, est-elle en "lyannaj" avec l'UAG? Y a t-il une volonté de relations bilatérales ?

MRL. A vrai dire, je pense que oui. Pourtant il y a très peu d’échanges entre universitaires voir pas du tout. La volonté existe mais les moyens ne se rencontrent pas toujours. C’est très couteux de venir étudier aux Antilles Françaises avec l’euro et la dévaluation du dollar jamaïcain. Pour les Guadeloupéens ou Martiniquais, les frais d’inscription à UWI sont très élevés. Par contre, il y a davantage d’échanges entre professeurs d’université.

CCN . Pourquoi les échanges Guadeloupe/ Jamaïque sont ils si peu nombreux? les Jamaïcains sont ils demandeurs ?

MRL. Plusieurs problèmes se posent. D’une part, les Jamaïquains ne connaissent pas la Guadeloupe et la Martinique. Ces îles françaises ne figurent pas sur les cartes de la Caraïbe anglaise. C’est lorsqu’ils rencontrent des Guadeloupéens qui vivent en Jamaïque qu’ils nous découvrent. Seuls les étudiants de français jamaïcains connaissent les Antilles Françaises et ont le désir de s’y rendre. Des groupes scolaires viennent chaque année en Guadeloupe ainsi que des assistants d’anglais par le biais du programme d’assistatnat d’anglais promut par l’Ambassade de France.
La coopération entre la Jamaïque et les Antilles françaises existe bien. Elle n’est peut-être pas connue du grand public. Il existe de la coopération scientifique et technique, culturelle, et de la mode. Au niveau technique et scientifique (les hôpitaux, le maladie du cocotier), au niveau culturel, sous ma direction l’association Ciné Woulé dont le directeur Jean-Marc Césaire a participé à plusieurs festivals de films ainsi que Sharkti Production de Steve et Stephanie James, le réalisateur Lara ; pour Lire en fête une rencontre d’écrivains de la Caraïbe a été réalisée avec Hector Poullet, Amalia Lu Poso Figueroa de Colombie avec le soutien de l’Ambassade de France en Colombie et des écrivains chercheurs de la Jamaïque comme Marie-Josée Nzengou-Tayo qui a organisé un congrès à UWI avec la participation de Jean Small et bien d’autres ; et la superbe Fête de la musique en juin 2009 où Jacques Swartz-Bart et son groupe ont joué un concert magistral précédé d’une vingtaine de musiciens et chanteurs amateurs et professionnels qui se sont produits de l’après-midi au soir au festival Kingston Edge (festival d’arts) qui a lieu chaque année au mois de juin. A travers ces événements culturels, la Guadeloupe et la Jamaïque sont amenés à se rencontrer, à se connaître et à voyager.

CCN : Quelles conséquences la victoire d'Usain Bolt en Jamaique?

MRL. Avant Usain Bolt, c’était Asafa Powel la grande star jamaïcaine. Il est la fierté nationale qui a brandi le drapeau jamaïquain sur l’échiquier mondial. Il a assuré une place historique mondiale à la Jamaïque. Le record du monde d’Usain Bolt aux jeux olympiques de Beijing à Pékin a provoqué une explosion de joie et d’espoir. Tous les jours était célébrée sa victoire ainsi que les médaillés féminins. L’euphorie perdura et sa course fut diffusée à la télé pendant des mois. Aujourd’hui, Usain Bolt a crée sa marque de vêtement qui porte son nom. Il a également réinvesti 1 millions de dollars US dans la création d’un salon appelé Usain Bolt Track and Records autrement dit un lounge dans un site très huppé de Kingston, à Market place où se trouvent de nombreux restaurants de qualité à côté de la boîte nuit Fiction. Là, dans ce salon interactif, qui rappellera un stade, s’y trouvera une boutique où seront exposés ses produits

CCN : Le "wine" a t il supplanté reggae et ragga ?

MRL. Oui, en Jamaïque c’est le cas. Pendant le célèbre Reggae Sumfest du mois de juillet, une soirée est dédiée à la Dance Hall. Le wine est une technique de danse parmi d’autres. En fait, pour chaque titre musical, il y a des pas différents notamment pour les hommes. Alors, quand on ne suit pas la mode, il est difficile de s’aventurer sur la piste au risque de se faire ridiculiser. On se laisse plutôt aller au groove de la musique ou bien on partage certaines danses avec un partenaire lorsque celle-ci s’y prête.
Il est plus difficile de trouver des concerts de reggae roots. Cependant certains groupes sont très dynamiques comme Dubtonic krew et Roots underground qui offrent des concerts régulièrement dans les cafés chics en plein air ou dans les cours extérieurs des studios d’enregistrement à Kingston. Ces deux groupes se produisent aussi à l’international et au reggae Sumfest. Un vrai régal !
La dance hall, c’est l’évolution de la musique urbaine qui relate la vie dans les ghettos, la violence, le gangstérisme, l’homophobie, la sexualité. Le reggae, c’est une musique de conscience qui prône l’unification de la nation africaine, l’amour, le pacifisme, qui dénonce les crimes. Le ragga est déjà plus subversif. C’est ce qui précède au dance hall où les thèmes que l’on rencontre dans la dance hall sont récurrents.

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