Walter Cavalieri qui représente le Toronto Harm Reduction Task Force.

Forums: 

Réduction des méfaits: Tout cela ce sont de très belles paroles, mais où est le plan d'action? Il n'y en a pas.

Pourquoi ne comprenons-nous pas que de mauvaises lois et de mauvaises
politiques sont nuisibles? Combien de temps encore pouvons-nous, en toute
bonne conscience, constater les horreurs de la guerre livrée contre la
drogue et détourner les yeux comme s'il n'y avait pas d'autres solutions?

L'inaction persistante du gouvernement à l'égard de la santé et du bien-être
des personnes qui consomment des drogues est criminelle, et des citoyens
continuent de souffrir et de mourir à cause de cette inaction. La situation
ne peut qu'empirer. Les principales causes des méfaits liés à la drogue sont
les lois elles-mêmes et le climat d'ignorance, d'apathie, d'indifférence et
de crainte qu'elles ont suscité. C'est à cause de ces lois qu'il n'y a pas
de plan.

Les vérités qu'on nous livre à propos des drogues «dangereuses» - les
drogues illicites - sont souvent des demi-vérités et des mythologies
dangereuses qui sont entretenues par ceux-là qui voudraient continuer à les
voir interdire peu importe le prix. Le danger, c'est que la vérité vraie
concernant les drogues se propage de bouche à oreille, s'apprend par
tâtonnement mais est également disponible dans le monde entier grâce à
l'Internet. Tout ce que les éducateurs, et même les mieux intentionnés,
peuvent dire est suspect si cela valide ne serait-ce qu'un seul mythe.

Après un certain temps, j'ai fini par connaître des centaines de gens qui
prenaient de la drogue. Les tout premiers d'entre eux étaient des
travailleurs qui avaient réussi dans la vie. Personnellement, j'ai
travaillé de nombreuses années au théâtre, un milieu où les gens fumaient de
la marijuana, prenaient des psychédéliques, des amphétamines et de la
cocaïne, mais où la drogue la plus dangereuse - dangereuse pour l'expression
du talent - était cette drogue tout à fait licite qu'est l'alcool, et qui
pourtant semble incontrôlable pour certains. L'alcool a ruiné la vie d'un
grand nombre d'acteurs. L'utilisation d'autres drogues - le plus souvent la
marijuana et la cocaïne - était toutes proportions gardées, bénigne.

Ce qui s'est passé dans le cas de cette femme et dans le cas de milliers
d'autres comme elle ici au Canada est en réalité le résultat de nos lois.
Les âmes bien pensantes qui les ont conçues et la pseudo moralité qu'elles
engendrent permettent à de nombreux de ces prétendus professionnels
d'adopter des comportements époustouflants.

Il y a 20 ans !
Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites (Canada, 2002)

Réduction des méfaits: Tout cela ce sont de très belles paroles, mais où est le plan d'action? Il n'y en a pas.

Le président: Notre témoin suivant est Walter Cavalieri qui représente le
Toronto Harm Reduction Task Force.Monsieur Cavalieri, vous pouvez commencer.

M. Walter Cavalieri, président, Toronto Harm Reduction Task Force: Merci
beaucoup de m'avoir invité à comparaitre devant vous. Il s'agit tout à la
fois d'un privilège, d'un honneur et d'une occasion dont je me félicite en
espérant être à la hauteur.

Je suis le président du Toronto Harm Reduction Task Force, qui est une
alliance de particuliers, de mouvements communautaires et de groupes de
quartier qui travaillent ensemble depuis cinq ans environ pour mitiger les
préjudices associés à l'utilisation et au commerce de la drogue à Toronto.

Je suis également le fondateur du Canadian Harm Reduction Network qui est
l'ombrelle sous laquelle se regroupent les particuliers et organismes qui
luttent partout au Canada pour réduire les préjudices sociaux, économiques
et médico-sanitaires associés aux politiques concernant les drogues et leur
usage.

Je suis également chargé de recherche et j'ai actuellement en cours deux
projets à la faculté de médecine de l'Université de Toronto. Le premier est
une étude qualitative des utilisateurs de drogues injectables à Toronto où
je demande à ceux-ci ce qu'ils pensent des risques que présente le VIH, ce
qu'ils font pour prévenir ce risque et ce qu'ils peuvent me dire des
services et des fournisseurs de services auxquels ils ont eu affaire. La
seconde étude est une étude ethnographique sur l'utilisation du crac à
Toronto qui fait partie d'une étude couvrant plusieurs villes dont Toronto
est la seule au Canada, toutes les autres étant aux États-Unis.

Enfin, je suis membre honoraire du mouvement IDUUT, l'Illicit Drug Users'
Union of Toronto, ainsi que de l'International Drug Users' Union, un
mouvement international basé sur l'Internet.

J'ai fait remettre à votre greffier un exemplaire de mon curriculum vitae,
un texte que j'ai écrit sur la mitigation des problèmes ainsi qu'une
communication que j'ai rédigée avec Diane Riley sur la réduction des
préjudices et le logement. Je vous ai également fait remettre un texte qui
correspond plus ou moins à ce que je vais vous dire aujourd'hui.

Je vais tenter de représenter du mieux que je peux les centaines de
personnes qui utilisent des drogues illicites que j'ai rencontrées depuis
1986 et dont certaines voudraient bien pouvoir être ici, d'autres ont trop
peur ou se sentent trop indignes pour l'être et dont beaucoup ne pourraient
être ici parce qu'elles sont mortes.

Depuis 15 ans, le travail que j'accomplis auprès des gens dans la rue et de
ceux qui utilisent des drogues - ainsi que ma curiosité qui m'a poussé à
découvrir une vérité différente de celle avec laquelle on m'avait
endoctriné - m'a plongé au coeur de la vie de rue à Toronto. J'ai vu les
chambres d'hôtel sordides dans lesquelles les gens allaient se droguer, j'ai
vu les taudis où ils habitaient le long des voies ferrées, j'ai vu les
ruelles, partout où ces gens vont pour être plus en sécurité et pour trouver
un peu d'intimité pour apprendre ou montrer à utiliser des drogues de façon
plus sécuritaire.

Tout récemment encore, avec un collègue, j'ai été voir des gens qui habitent
dans le tout premier barrio de Toronto - un village de toile situé à
l'emplacement d'une décharge industrielle contaminée - où nous avons
découvert comment vivaient tous ces gens, et notamment un ancien enseignant
qui habitait dans une vaste tente à deux compartiments où il se sentait en
sécurité.

Nous avons également visité une série d'endroits le long de la rivière Don,
là où habitent des gens entre les poutrelles et sous des ponts bas dans les
conditions les plus primitives et les moins sanitaires qui soient, mais où
ils trouvaient une certaine sécurité.

D'autres encore campaient sur la plaine inondable où ils se sentaient en
sécurité même s'ils ne l'étaient probablement pas. Nous avons visité des
sites dans le ravin de Rosedale, dont certains d'ailleurs sont clairement
visibles depuis le Don Valley Parkway, mais d'autres aussi qui sont au plus
profond du ravin et mieux cachés. Cela, c'est le quartier Rosedale dont vous
n'entendez pas parler dans le Globe and Mail ou dans le National Post.

Des campements comme cela existent également à Etobicoke et à North York, et
d'ailleurs aussi dans toutes les villes du Canada. Nous avons rencontré
récemment plusieurs personnes qui vivaient sous un pont non loin du
centre-ville de Toronto. Ils sont sept ou huit à habiter là, dont une femme,
des gens qui ont entre 20 et 50 ans et qui vivent dans trois tentes et dans
trois baraquements qu'ils ont construits de leurs mains. Le bruit de la
circulation est constant et assourdissant, de jour comme de nuit. Et comme
aux autres endroits que j'ai mentionnés, il n'y a ni toilettes, ni eau
courante pour se laver ou faire la lessive. Les portes n'ont pas de
serrures, il n'y a pas de chauffage, il n'y a pas de climatisation, il n'y a
pas non plus de collecte d'ordures. Et pourtant, les gens qui habitent là
s'y sentent en sécurité.

J'ai même rencontré un homme qui dormait sur une poutrelle située sous le
Gardiner Expressway parce qu'il s'y sentait en sécurité. J'ai passé une
semaine en compagnie de quatre couples qui avaient déroulé leurs sacs de
couchage le long d'un bâtiment avec pour seuls abris quelques arbres
malingres. Je peux vous garantir que lorsqu'il pleut, ils ne sont pas très
bien protégés. J'ai été là-bas. Ces gens se sentent en famille et
constituent un genre de famille parce qu'ils s'entraident pour pouvoir se
sentir en sécurité. Ou plutôt pour être en sécurité.

Ce n'est pas simplement qu'ils surveillent les possessions de leurs voisins
ou qu'ils montent la garde pour les autres lorsqu'ils sont sous l'emprise de
la drogue, ils ont aussi adopté scrupuleusement des méthodes d'utilisation
pour les drogues qu'ils consomment aussi sécuritaires que les circonstances
le permettent.

Ils se protègent mutuellement. Ils protègent l'environnement. Ils protègent
leur communauté et font tout ce qu'ils peuvent pour protéger leurs
concitoyens. De toute évidence, ils essaient de vivre et d'assumer une place
respectée dans la société.

Mais tous ces gens, contre quoi essaient-ils ainsi de se protéger?
Principalement, des persécutions dont ils sont victimes en raison de leur
indigence. Aussi contre les persécutions dues au fait qu'ils utilisent des
drogues. Je ne veux pas donner l'impression que la toxicomanie et
l'indigence vont inévitablement main dans la main. C'est vrai, dans
certains cas, que la toxicomanie appauvrit à tel point le consommateur qu'il
perd tout ce qu'il a et qu'il se retrouve dans la rue. Toutefois, c'est la
minorité, peu importe les mythes qu'on colporte à ce sujet. Ou encore que la
clochardise pousse à prendre de la drogue. Bien sûr, il y a un rapport.

Il arrive que la drogue rende un peu moins insupportable le fait de devoir
dormir dans la rue ainsi que le rejet social que cela suppose. La douleur
physique, émotive et sociale de l'indigence dépasse tout ce que la plupart
d'entre nous, tout ce que nous tous qui sommes ici réunis, avons jamais
connu. Cela dit, j'imagine que seuls les plus stoïques d'entre vous
pourraient résister à l'attrait d'un quelconque moyen chimique qui pourrait
soulager notre solitude, notre tristesse, notre dépression voire notre
douleur physique ou psychique.

Ces gens-là dont j'ai parlé veulent simplement ne pas être pénalisés à cause
de cet élément d'humanité qu'ils partagent.

Après un certain temps, j'ai fini par connaître des centaines de gens qui
prenaient de la drogue. Les tout premiers d'entre eux étaient des
travailleurs qui avaient réussi dans la vie. Personnelle ment, j'ai
travaillé de nombreuses années au théâtre, un milieu où les gens fumaient de
la marijuana, prenaient des psychédéliques, des amphétamines et de la
cocaïne, mais où la drogue la plus dangereuse - dangereuse pour l'expression
du talent - était cette drogue tout à fait licite qu'est l'alcool, et qui
pourtant semble incontrôlable pour certains. L'alcool a ruiné la vie d'un
grand nombre d'acteurs. L'utilisation d'autres drogues - le plus souvent la
marijuana et la cocaïne - était toutes proportions gardées, bénigne.

Jusqu'à ce que je devienne un travailleur social, ce que je connaissais des
opiacées se limitait aux médicaments prescrits par ordonnance. L'une de mes
amies les plus proches - une professionnelle de grand renom - avait un grave
problème de dépendance exacerbé encore par un médecin influençable et mal
avisé. En fin de compte, une surdose de ces médicaments a fini par la tuer.

Évidemment, lorsque j'ai commencé à travailler avec les jeunes gens, et plus
tard avec les adultes, vivant dans la rue à Toronto, la mort est devenue un
genre de compagne fidèle et j'ai rapidement compris, très bien compris même,
à quel point, pour tous ces gens que je fréquentais dans la rue, drogues et
médicaments de toutes sortes étaient une réalité constante et oppressante de
la vie.

Pourtant, c'est lorsque j'ai commencé à mettre au point et à offrir des
programmes de sensibilisation au sida qui ne se contentaient pas de
préconiser simplement l'usage des préservatifs et l'utilisation de seringues
neuves que j'ai véritablement ouvert les yeux sur la drogue et compris
comment ces gens-là composaient avec la drogue et pourquoi ils vivaient avec
elle.

Lorsqu'on fait du travail social, un principe de base est qu'il faut croire
éperdument que la personne avec laquelle on travaille fait le meilleur choix
possible dans les circonstances dans lesquelles elle vit et en sachant ce
qu'elle sait. Étant donné le genre de vie des gens que je rencontrais, c'est
vrai qu'il était logique pour eux de se droguer, et au bout du compte, c'est
une logique que j'ai fini par comprendre moi aussi.

Bien sûr, ce n'est pas quelque chose que je recommanderais. Ces gens-là en
savaient beaucoup plus sur la drogue que je n'en saurai jamais, mais pour
moi, la toxicomanie a fini par devenir quelque chose dont je pouvais dire:
«d'accord, j'ai compris, mais quel est le véritable problème?» Souvent, la
drogue était vraiment un secours qui leur permettait de franchir une
mauvaise passe. Souvent aussi, lorsque d'autres circonstances de leur vie
finissaient par changer, ils parvenaient à contrôler leur toxicomanie, voire
parfois à la faire disparaitre. Oui, c'est vrai, même dans le cas de drogues
dures comme l'héroïne, la cocaïne ou l'alcool.

Réfléchissez un peu. Qu'est-ce qu'une jeune mère peut faire lorsqu'elle perd
subitement son nourrisson et qu'elle ne parvient pas à obtenir de l'aide
parce qu'elle est héroïnomane? Au moment où j'ai rencontré cette femme dont
je me souviens maintenant, son bébé était déjà mort depuis deux ans. Elle
suivait un traitement de substitution par la méthadone, mais elle était
devenue désespérément dépendante du valium. Et pourtant, personne n'a voulu
la voir pour l'aider à surmonter la peine entrainée par la perte de son
enfant jusqu'à ce qu'elle abandonne le valium. En toute bonne conscience, je
ne pouvais pas lui dire: «Revenez me voir lorsque vous n'aurez plus besoin
du valium». Cela aurait pu la tuer, de sorte que je ne l'ai pas dit.

Bon, ce n'était pas un cadeau de travailler avec elle et elle n'a pas fait
grand-chose pour améliorer mes chiffres de guérisons rapides, elle n'a pas
non plus atteint la perfection - mais qui donc est parfait? Toutefois, avec
de la patience et de la persistance, elle a fini par faire son deuil et à
n'utiliser le valium qu'à des doses normales.

Ce qui s'est passé dans le cas de cette femme et dans le cas de milliers
d'autres comme elle ici au Canada est en réalité le résultat de nos lois.
Les âmes bien pensantes qui les ont conçues et la pseudo moralité qu'elles
engendrent permettent à de nombreux de ces prétendus professionnels
d'adopter des comportements époustouflants.

Le travail que j'effectue actuellement me met en rapport étroit avec des
gens qui s'injectent du crack. Il s'agit là de quelque chose d'un peu plus
complexe que, mettons, le fait de se piquer à la cocaïne parce que le
crack - qui est une base sur le plan chimique - doit être mélangé à un acide
afin que la cocaïne - qui est un sel - puisse se dégager et donc devienne
injectable. Dans la rue, c'est une science fort inexacte. Mais les gens qui
se droguent de cette façon - il y en a beaucoup qui utilisent du jus de
citron, du vinaigre ou de la poudre d'acide ascorbique - s'en tirent
relativement bien et sont devenus à force d'essayer, d'assez bons chimistes.

J'ai interrogé une trentaine de personnes de façon assez détaillée sur la
façon dont ils s'y prennent et j'en ai observé une douzaine environ pendant
qu'ils préparaient leur mixture et qu'ils se l'injectaient. Ce qui m'a le
plus impressionné dans ce que j'ai appris concerne moins ce qui est
sécuritaire ou ce qui ne l'est pas - et permettez-moi d'ouvrir une rapide
parenthèse pour vous dire que cette pratique est beaucoup plus sécuritaire
qu'on pourrait le penser en raison du fait que les utilisateurs savent
parfaitement comment s'y prendre et que les programmes de vulgarisation ont
porté fruit - que les effets du crack sur les gens qui en prennent.

Jusqu'à présent, je n'ai constaté aucun signe de psychose extrême induite
par la cocaïne, même si je sais qu'il y a occasionnellement des cas. Par
exemple, quelqu'un m'a dit que chaque fois qu'il prenait du crack, il voyait
«la police dans les arbres» c'est-à-dire des policiers qui se cachaient dans
tous les arbres desquels on pouvait voir chez lui - de sorte qu'il était
obligé de fermer les persiennes et de se cacher pour que les policiers ne le
voient pas et ne puissent pas venir l'arrêter.

Ce que j'ai par contre constaté, c'est que, chez le gens qui en prennent par
intraveineuse, le crack avait des effets remarquable ment calmants et
satisfaisants. Le crack pris de cette façon produit une légère euphorie,
soulage les petites douleurs et les petits maux quotidiens et produit une
certaine sérénité. Cela m'a abasourdi.

Qui donc parmi ces gens qui vivent dans la rue, qui n'ont pas de toit, qui
sont mal compris, méprisés et rejetés, qui vivent dans l'incertitude, qui
donc ne voudrait pas pendant quelques minutes éprouver ce genre d'effet?
Quelques minutes seulement, ne vous y trompez pas, parce que c'est cela
l'effet du crack: une prise ne produit un effet que pendant quelques
minutes, pas même un quart d'heure. Lorsque l'effet a disparu, je pense
qu'on pourrait facilement conduire une voiture, soigner un malade, étudier
un dossier, présenter une requête, faire l'amour, donner à manger au chat ou
faire une promenade. Cela dit en passant, faire une promenade en fumant un
joint pour faire durer les bonnes sensations, c'est l'activité qui prédomine
après une prise chez les gens auxquels j'ai parlé. Dans l'ensemble, tous ces
gens ont un comportement terriblement normal, cela m'a étonné.

Les vérités qu'on nous livre à propos des drogues «dangereuses» - les
drogues illicites - sont souvent des demi-vérités et des mythologies
dangereuses qui sont entretenues par ceux-là qui voudraient continuer à les
voir interdire peu importe le prix. Le danger, c'est que la vérité vraie
concernant les drogues se propage de bouche à oreille, s'apprend par
tâtonnement mais est également disponible dans le monde entier grâce à
l'Internet. Tout ce que les éducateurs, et même les mieux intentionnés,
peuvent dire est suspect si cela valide ne serait-ce qu'un seul mythe.

On utilise des drogues illicites pour bien des raisons: un moment de
tranquillité ou encore assourdir la douleur d'un problème personnel grave,
ne sont que deux de ces raisons. La liste est très longue. La plupart
d'entre elles sont identiques à celles qui justifient l'utilisation de
drogues illicites: la sociabilité, la confiance, le désir de s'intégrer,
affronter les frustrations, le désir de s'évader. Parfois aussi, les gens
ont recours à la drogue simplement parce que la drogue est là; d'autres se
droguent pour chasser l'ennui, pour se sentir normal.

À part le fait de prendre de la drogue simplement pour surmonter ses
problèmes, la principale raison pour laquelle les gens se droguent - dans la
rue et ailleurs - c'est pour essayer de se guérir soi-même, pour soulager
des douleurs psychologiques et physiques - des véritables douleurs; pour
oublier leurs problèmes parce qu'ils n'ont pas trouvé d'autres moyens.

La drogue produit des résultats, et ce qui a été pour moi la révélation
majeure, c'est que le crack est vraiment très efficace. Lorsque j'en ai
parlé à une femme qui avait travaillé dans la rue et qui prenait beaucoup de
crack en le fumant ou par intraveineuse - je l'appellerai Mary -, elle
m'avait écrit ceci:

Je suis très étonnée d'apprendre que vous ne le saviez pas. C'est quelque
chose que je sais d'expérience et c'est également l'une des principales
raisons pour lesquelles il est difficile d'arrêter. Je pense même que le
crack m'a même sauvé la vie à plusieurs reprises, et j'ai le sentiment qu'il
y a là une certaine vérité.

Il est possible que j'ai commencé à prendre du crack et à aimer le crack
parce qu'il m'a plusieurs fois aidée à supporter des périodes de dépression
très grave due à la perte de mes enfants. À de nombreuses reprises, je me
suis trouvée tellement désemparée et en proie à des tendances tellement
suicidaires que pour moi, il n'y avait plus d'issue. Alors, je cédais et,
comme mon esprit était moins obnubilé par le désespoir et par le dégoût que
j'avais de moi-même parce que je consommais, je me suis rendu compte que je
pouvais sortir de ma coquille et de mon milieu.

Pour ceux qui, comme moi, souffrent de dépression clinique, les attributs
antidépressifs du crack se manifestent extrêmement rapidement. L'un des
effets secondaires de la dépression clinique est la tendance à penser
sérieusement au suicide. Si on ajoute à cela tout ce qu'il faut supporter
d'autre dans la vie... alors que le prozac et les autres antidépresseurs
doivent être pris chaque jour pendant un mois avant de faire effet, dans mon
cas le crack agissait instantanément.

Le crack avait cessé de me faire planer bien avant que j'arrête d'en
prendre. Lorsque je commençais à ressentir les effets de la dépression - ces
effets qui se manifestaient très facilement dans mon cas -, il était pour
moi extrêmement important que je «me soigne» par le crack.

J'ai continué parce que j'avais peur qu'en cessant, je finisse par me tuer.
Par ailleurs, plus je me heurtais à l'indifférence des professionnels et du
public, plus j'étais vulnérable à la dépression.

Lorsque Mary prenait du crack, elle était capable d'avoir des relations avec
autrui, des relations qui lui permettaient à la fois de s'aider elle-même et
d'aider les autres. Elle écrivait également ceci:

Parfois, le simple fait de faire preuve de générosité à l'endroit d'autrui
avait une importance considérable pour toutes ces âmes en peine. Cela
donnait un sens à ma vie. Je pouvais aller de l'avant. Je crois que vous
voyez bien comment le fait de réduire le préjudice, entre autres, est une
forme d'amour et que vous comprenez mieux maintenant pourquoi c'est devenu
une partie intégrante de moi-même lorsque je prenais du crack. Le crack
était alors - et c'est du passé maintenant - ma porte de sortie de cet enfer
que je vivais.

L'expérience de Mary n'est pas unique en son genre. Dans son cas, la
différence est qu'elle écrit bien. Je voudrais également signaler que
dix-huit mois seulement après avoir quitté le monde de la rue, elle a
commencé la semaine passée à suivre des cours dans un collège communautaire.

La première chose que je voudrais vous faire valoir, c'est que Mary n'est
pas un cas d'espèce. Il y a en beaucoup comme elle, des gens défavorisés
parce que la drogue qu'ils ont choisie est illicite. En second lieu, il y a
très peu de différences entre Mary d'une part et d'autre part vous ou moi,
nos frères, nos soeurs, nos enfants ou nos petits-enfants. Mary a fait de
mauvais choix, elle a fait des choix stupides, mais qui n'en a pas faits?
Par contre, de mauvaises lois aggravent encore les effets de ces mauvais
choix et dans son cas, il y a eu des séquelles dont certaines sont
irréparables.

Pourquoi ne comprenons-nous pas que de mauvaises lois et de mauvaises
politiques sont nuisibles? Combien de temps encore pouvons-nous, en toute
bonne conscience, constater les horreurs de la guerre livrée contre la
drogue et détourner les yeux comme s'il n'y avait pas d'autres solutions?

Combien de temps encore devrons-nous attendre avant que le gouvernement
admette qu'en ce qui concerne les drogues illicites, la prohibition - qui
est l'une des expériences sociales les plus longues et les plus coûteuses
dans l'histoire de notre civilisation - ne marche tout simplement pas?

Quand allons-nous mettre en place un contexte juridique permettant à ces
personnes qui consomment des drogues de participer à la conduite des
affaires du pays et de jouir équitablement des avantages de la citoyenneté?
Je sais que ce sera quelque chose d'un peu étrange, mais je sais qu'il y a
des gens qui souhaitent pouvoir payer des impôts et être comme les autres.

Quand le gouvernement va-t-il débloquer des fonds suffisants pour répondre
efficacement aux problèmes urbains et non urbains entraînés par
l'inadéquation de nos lois et politiques en matière de drogue?

Je sais que c'est un peu paradoxal de réclamer de l'argent maintenant pour
appuyer des choses qui ne fonctionnent pas en attendant que la situation
puisse se modifier à l'avenir, mais il faut bien faire quelque chose.

Combien de temps allons-nous pouvoir continuer à ignorer la sagesse des pays
européens qui ont montré qu'il existait des moyens humanitaires, efficaces
et rentables de traiter les personnes qui consomment des drogues? Pourquoi
continuons- nous à nous aplatir devant l'autorité morale - la prétendue
autorité morale des États-Unis - par peur? Par peur de quoi? Nous aurions
certainement des choses à apprendre de l'expérience de la Hollande. L'Europe
a été pétrifiée quand la Hollande a commencé à modifier ses lois et à
envisager une autre façon de faire. Mais que s'est-il passé? Est-ce qu'un
pays a envahi la Hollande? Non. Est-ce que quelqu'un l'a obligée à changer
ses lois? Non. Ce qui s'est passé, c'est que d'autres pays ont fait la même
chose et sont même allés plus loin que la Hollande.

Notre position en ce qui concerne l'usage médical de la marijuana a été bien
accueillie aux États-Unis et je pense que c'est un bon signe. La semaine
passée, Santé Canada a publié sa réplique au rapport du Réseau juridique
canadien VIH SIDA sur l'usage de drogue par injection et le VIH SIDA. Cette
réponse est pleine de belles paroles. Il y a longtemps qu'on entend de
belles paroles, mais il n'y a toujours pas d'action.

Certaines formules sont très importantes: «Les utilisateurs de drogues par
injection doivent être traités comme des membres à part entière de la
société qui requièrent et méritent appui, aide et inclusion, et non comme
des criminels qui devraient être isolés des autres.» C'est écrit dans le
document. «De nouvelles mesures de réduction des méfaits doivent être
élaborées.» On ajoute encore que des mesures doivent être élaborées,
expérimentées et adaptées pour être mises en oeuvre au Canada comme elles
l'ont été dans d'autres pays, et que la participation des personnes qui
utilisent des drogues et des réseaux d'utilisateurs de drogues est
essentielle pour réduire les méfaits de l'utilisation de drogue par
injection.

Tout cela ce sont de très belles paroles, mais où est le plan d'action? Il
n'y en a pas.

L'inaction persistante du gouvernement à l'égard de la santé et du bien-être
des personnes qui consomment des drogues est criminelle, et des citoyens
continuent de souffrir et de mourir à cause de cette inaction. La situation
ne peut qu'empirer. Les principales causes des méfaits liés à la drogue sont
les lois elles-mêmes et le climat d'ignorance, d'apathie, d'indifférence et
de crainte qu'elles ont suscité. C'est à cause de ces lois qu'il n'y a pas
de plan.

Il faut absolument autoriser la prescription d'héroïne et fournir des salles
permettant aux personnes de s'injecter des drogues de façon sécuritaire. Ce
sont des étapes intermédiaires, mais elles sont insuffisantes et ne seront
jamais aussi omniprésentes que les drogues elles-mêmes.

Les Canadiens qui consomment des drogues illicites continuent d'être
infectés par le VIH et le VHC en pourcentage beaucoup plus élevé que les
autres membres de la population à cause de nos mauvaises lois. À cause de
ces mauvaises lois, ces citoyens sont précipités dans la voie du crime et
l'incarcération.

Ce n'est ni leur rêve, ni leur vision, ni leur espoir d'avenir. Ce sont des
gens qui sont stigmatisés, marginalisés et ostracisés de façon très injuste.
Le traitement des personnes qui consomment des drogues illicites est l'une
des plus grandes faillites de notre système de santé, de services sociaux et
de justice. Il faut que cela change et nous avons besoin de votre aide pour
cela. Il est remarquable que vous soyez ici à nous écouter, et nous vous en
sommes infiniment reconnaissants.

Enfin, je vous invite à venir avec moi rencontrer certaines de ces personnes
qui ont été victimes de nos lois pour les entendre vous dire directement ce
qu'elles ont à dire, non pas collective ment, mais individuellement, et les
écouter en tant qu'observateurs et concitoyens désireux d'apprendre.

Cette expérience a changé et réorienté toute ma vie. Je suis profondément
convaincu que l'humanité des personnes avec lesquelles j'ai travaillé et que
j'ai appris à connaître aura une profonde influence sur vous et sur vos
délibérations.

Je terminerai, comme je le fais souvent, par les paroles du rabbin Hillel
inspirés du Talmud, que je vous invite à méditer dans votre coeur.

Le rabbin demande: Si ce n'est pas nous, qui? Si ce n'est pas comme ceci,
comment? Si ce n'est pas maintenant, quand?

Le président: Merci, monsieur Cavalieri.

Avant de passer aux questions, il convient de préciser que le comité se
préoccupe actuellement du cannabis.

M. Cavalieri: On ne me l'a pas précisé quand on m'a téléphoné.

Le président: Peut-être le Sénat chargera-t-il à l'avenir notre comité
d'étudier d'autres drogues, mais ce n'est pas le cas actuellement. Il est
évident que nous entamerons le dialogue avec les Canadiens lorsque nous en
arriverons à cette étape de notre étude.

M. Cavalieri: Le cannabis n'a pas été le principal objectif des
organisations et des personnes que je représente. Elles s'occupent d'autres
drogues illicites et je ne suis pas prêt à parler du cannabis
particulièrement, sauf pour appuyer globalement ce qu'Allan avait à dire.

Le président: De toute façon, dans nos travaux, nous n'avons jamais dit non
à un témoin qui voulait parler d'une autre drogue illicite.

M. Cavalieri: Merci de m'avoir laissé continuer quand j'ai pris la parole.

Le sénateur Milne: Je voudrais vous poser une question sur le Toronto Harm
Reduction Task Force, car je n'ai pas très bien compris dans votre exposé ce
que faisait ce groupe ni comment il était constitué.

M. Cavalieri: Oh, j'ai sauté cela.

Le sénateur Milne: Ce sera donc ma première question. Je vais vous soumettre
toutes mes questions ensemble pour que vous puissiez ensuite y répondre.

Je ne sais pas trop comment vous définissez l'expression «de façon
sécuritaire» ni dans quelle mesure ces personnes sont conscientes de
l'environnement, les sans-abri qui vivent sous les ponts et dans la zone de
Don Valley sans installations sanitaires ou autres. J'imagine que votre
définition de «sécuritaire» n'est pas tout à fait la même que celle de la
majorité des gens.

La marijuana est-elle la drogue préférée de certains de ces sans-abri avec
lesquels vous êtes en contact, et est-elle responsable de la situation dans
laquelle certaines de ces personnes se trouvent?

M. Cavalieri: Le groupe de travail a été constitué il y a environ cinq ans à
la suite d'une audience de l'évêque anglican de Toronto pour examiner
l'usage de drogues - en particulier le crack - dans le voisinage d'une de
ses églises où cela était devenu un véritable problème.

Le groupe est constitué de diverses personnes, y compris des utilisateurs de
drogue actifs mais aussi des représentants de divers organismes, Santé
Canada, le CTSM, l'hôpital St. Michael's et des cliniques de quartier. Notre
objectif est d'élaborer et de promouvoir des stratégies conformes à
l'objectif de notre société qui est de développer le bien commun en appuyant
les principes de la santé publique et de la justice sociale.

Nous sommes financés par le SCPI pour étudier la question de la réduction
des méfaits et essayer de maintenir ces personnes dans un logement pour leur
éviter la misère de devenir sans-abri à cause de leur toxicomanie.

Quand je parle de conditions de sécurité, il ne s'agit pas de ma définition
de la notion de «sécurité». Je ne m'attendais certaine ment pas à être en
sécurité dans les endroits où je suis allé, surtout la nuit. Et quand j'y
suis allé la nuit, je ne me sentais pas vraiment en sécurité. Il s'agissait
de la sécurité de leur point de vue. Ils se sentaient à l'abri des
observateurs curieux ou hostiles, à l'abri du harcèlement, à l'abri parce
qu'ils étaient entre eux, qu'ils n'étaient pas harcelés ou agressés.

En ce qui concerne la consommation de marijuana, je pense qu'ils en
consomment pour la plupart, mais ce n'est pas une passerelle vers d'autres
drogues. On peut bien dire que la plupart des gens qui fument de la
marijuana finissent par fumer du crack, de la cocaïne ou autre chose. On
peut dire la même chose à propos du café. La plupart des gens qui boivent du
café - la plupart des gens qui fument de la marijuana ont bu du café avant
de passer à la marijuana. Vous savez, je ne crois pas à la théorie de la
passerelle, et je ne l'ai certainement jamais constatée.

Je crois que toutes les personnes que j'ai rencontrées - je ne me souviens
pas d'une seule qui n'en ait pas consommée, mais ce n'est absolument pas un
problème dans leur existence. Le problème, ce sont les autres drogues et le
fait qu'elles ne peuvent pas se faire soigner comme il faut. Ces personnes
ne peuvent pas se faire traiter correctement lorsqu'elles ne se sentent pas
bien. Elles sont marginalisées, elles doivent supporter des situations
déplorables dans les hôpitaux et les cliniques. Pour pouvoir être soignées,
elles doivent commencer par cesser de consommer de la drogue. La marijuana
est une réalité pour ces personnes, mais ce n'est certainement pas un
problème ni une passerelle vers d'autres drogues.

Le président: J'aurais une question. On a beaucoup parlé de pharmaciens et
pharmacologues, mais personne ne nous a parlé de cocaïne épurée, ou crack.
Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit?

M. Cavalieri: La cocaïne épurée est une cocaïne qu'on mélange à du
bicarbonate de soude, je crois, et qu'on chauffe pour obtenir une pâte. On
obtient alors de la cocaïne épurée, ou «rock», qui se fume. C'est ce que
l'on appelait autrefois la freebase.

Pour pouvoir l'injecter, il faut la reconvertir en sel. On la mélange avec
un acide. Base plus acide égale sel plus eau.

Les acides de choix dans cette ville sont le jus de citron et le vinaigre -
du vinaigre qu'ils trouvent chez McDonald's; du jus de citron qu'on trouve
dans les petits contenants en plastique, ou de l'acide ascorbique qui est
une poudre distribuée par les travailleurs des services d'approche de santé
publique ou d'autres organismes.

Quand on mélange les deux produits dans les bonnes proportions, ce qui n'est
pas facile parce qu'on ne connaît pas la force réelle du crack, qui est
tellement frelaté qu'on peut se tromper sur la force du vinaigre ou du jus
de citron, mais dans le cas de l'acide ascorbique, c'est assez clair - on
obtient un liquide qu'on pompe dans la seringue et qui est injecté comme de
la cocaïne.

D'après ce que les gens me disent, l'effet semble plus rapide, plus efficace
que celui du produit fumé, mais l'extase est très brève.

Une des initiatives auxquelles j'ai participé l'an dernier a consisté à
aller rencontrer des personnes dans la rue pour essayer de les convaincre de
choisir les pipes à crack plutôt que de s'injecter la drogue. Ces pipes pour
fumer le crack sont beaucoup moins dangereuses que l'injection. Même si
elles présentent certains risques, ceux-ci sont bien moindres que ceux de
l'injection. Nous sommes allés dans les rues pour expliquer aux utilisateurs
qu'il valait mieux fumer la drogue. Je n'ai pas l'impression que cela ait
servi à grand-chose.

Le président: Apparemment, le prix serait inférieur à celui de la vraie
cocaïne?

M. Cavalieri: C'est très bon marché. Il est très difficile de se procurer de
la vraie cocaïne à Toronto actuellement, sauf si on est riche et si on a
quelqu'un qui est prêt à la livrer à domicile, mais les gens qui vivent dans
la rue peuvent se procurer du crack pour 10 ou 20 $. Pour 30 $, ils en ont
beaucoup. La dose typique de crack - je crois que c'est deux dixièmes de
gramme - coûte 10 $. Ce n'est pas grand-chose, mais bien souvent cela ne
vaut pas grand-chose non plus.

Le président: Si les attachés de recherche pensent à d'autres questions,
nous poursuivrons cet échange par écrit.

M. Cavalieri: Parfait. Je suis à votre disposition.

Le président: Estimez-vous qu'il y a contradiction entre interdiction et
réduction des méfaits? Y a-t-il là un problème philosophique fondamental ou
est-il possible de faire coexister les deux?

M. Cavalieri: Je pense que cette coexistence va devoir se poursuivre car je
ne pense pas que la prohibition disparaisse, en tout cas de mon vivant.
D'ici là, il est absolument essentiel pour la santé d'avoir des mesures de
réduction des méfaits. C'est un impératif social et moral d'aider les
personnes à ne pas mourir quand elles sont prêtes à poursuivre leur
existence et peut-être à faire de meilleurs choix.

Le président: Au début de votre témoignage, vous avez parlé de cliniques
d'injection comme celles qui existent déjà en Suisse.

M. Cavalieri: Oui.

Le président: C'est de cela que vous parliez?

M. Cavalieri: En Suisse et en Australie. Et c'est quelque chose qu'on
envisage aussi dans d'autres pays. On en parle aussi beaucoup ici, au plan
national et à divers paliers.

Le président: Pour éclairer notre lanterne, pourriez-vous expliquer à mes
collègues en quoi consistent ces cliniques?

M. Cavalieri: Il y a diverses raisons pour lesquelles des personnes se
blessent ou meurent en consommant des drogues. Il y a notamment le fait
qu'elles sont souvent seules, et aussi le fait qu'elles ignorent la force de
la drogue qu'elles consomment parce que c'est encore une fois une variable
sur laquelle elles n'ont aucune certitude. Il y a encore le risque de
surdose et aussi le danger présenté par des pratiques malsaines, non
hygiéniques.

C'est pourquoi dans certains pays - en Suisse au départ, mais aussi
maintenant dans d'autres pays comme l'Allemagne, avec Francfort -, on a mis
à la disposition des personnes qui se droguent des endroits sûrs et
confortables. Ce sont des endroits bien éclairés, ce qui n'est souvent pas
le cas ailleurs. Il y a des seringues propres et d'autres équipements, ce
qui n'est pas non plus le cas ailleurs. Il y a de l'eau propre et c'est une
nécessité. Enfin, il y a des gens prêts à intervenir au cas où il se
passerait quelque chose.

Si une personne a du mal à trouver une veine, ce qui est un problème
fréquent chez les personnes qui se font des injections fréquentes, il y a
des infirmiers ou infirmières qui peuvent l'aider à trouver d'autres veines,
lui montrer où sont les bonnes veines et comment se faire une piqûre sans
danger.

Ces dispositifs sont là pour aider ces personnes à maintenir leur santé et
les sortir de la rue car croyez-moi, ce n'est pas très drôle de voir
quelqu'un se piquer. Cela me dérange; je trouve que c'est quelque chose de
trop intime à regarder. C'est un acte privé. Grâce à ces cliniques, les
personnes peuvent s'en aller de la rue et se réfugier dans des endroits où
elles ne sont pas l'objet du dégoût, du mépris, des sarcasmes ou du
harcèlement d'autrui et où elles peuvent s'injecter leur drogue dans de
bonnes conditions.

Il s'agit généralement d'installations cliniques, mais j'ai entendu parler
d'une clinique en Hollande, que j'ai trouvée sur Internet, où il y a un
salon où les personnes peuvent se détendre après s'être injectées la drogue.
Il est interdit d'y faire le commerce de la drogue, mais les gens y
établissent des contacts. Ils échangent quelques mots, même s'ils ne restent
pas bien longtemps. Mais c'est une façon d'établir des réseaux et un accès
au système de soins de santé qui est beaucoup plus positive que le rejet et
la condamnation.

Le président: Je ne vois pas d'autres questions, et je souhaite donc vous
remercier infiniment, monsieur Cavalieri.

M. Cavalieri: Merci beaucoup.

Le président: Au besoin, nous vous transmettrons quelques autres questions.

M. Cavalieri: Très bien. Et mon invitation tient. Je serais vraiment très
heureux de vous emmener rencontrer ces personnes.

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