Contre la prohibition de la marijuana et pour la libéralisation du cannabis

Hugô St-Onge, chef et porte-parole du Bloc Pot

L'Affidavit, 13 novembre 2014
Par Marcio Gutiérrez

Entrevue avec Hugô St-Onge, chef du Bloc Pot. Le Bloc Pot est un parti politique fondé en 1998 dont l’objectif est de mettre fin à la prohibition de la marijuana.

Pourquoi l’État maintient la prohibition de la marijuana?

Mon point de vue à ce sujet est que la prohibition des drogues est un outil essentiel à l’établissement des sociétés post-modernes, puisque c’est un moyen d’envahir la sphère privée des gens sans aucune justification autre que morale stricte du protestantisme occidentale. Ce fut également le cas de l’homosexualité qui fut la cible de ce type de répression, crime sans victime, avant le projet omnibus de 1982. Par exemple, au Canada, un policier a le pouvoir d’arrêter et de fouiller un individu s’il pense que celui-ci possède de la drogue. En plus d’être un moyen de s’immiscer dans la vie privée des gens, c’est aussi un outil de contrôle de la population. Un retour historique est nécessaire pour comprendre cela. En effet, c’est à partir de 1964 au Canada, avec la montée de plusieurs mouvements contestataires, que les autorités commencent à arrêter les gens pour possession de marijuana, et ce, même si la loi existe depuis 1923! Entre 1923 et 1964, il y a eu approximativement une vingtaine d’arrestations! À partir de 1964, le nombre d’arrestations explose pour atteindre près de 20 000 individus au Québec. L’État se servait ainsi de la prohibition de la marijuana pour surveiller et arrêter les membres de groupes contestataires. Bref, l’État se sert de la prohibition de la marijuana pour continuer à arrêter des gens, et pour le maintien de ce que certains appellent l’ «État policier». La criminalisation de la marijuana est donc maintenue pour des motifs politiques sous un voile de morale et de science « approximative » et pour légitimer l’appareil de répression.

Quelle est la différence entre la légalisation, la décriminalisation et la « déprohibition » de la marijuana?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler que la criminalisation de la marijuana date de 1923. Le processus par lequel cette substance fut criminalisée est déraisonnable et bête. Lors du vote en Chambre des communes, la substance ; marijuana, pot, ganga, herbe, etc.; n’a jamais été nommée, et plusieurs stéréotypes à son sujet furent mis de l’avant pour justifier cette loi inique. Par exemple, certaines personnes disaient que la marijuana rend violent ou qu’elle contribuait à relâcher les mœurs sexuelles. À partir de ce moment, elle fut criminalisée en l’intégrant, sous le nom de marihuana, dans la Loi sur l’opium votée en 1908 et devenue depuis 1911 la Loi sur l’opium et autres drogues. En 1997, cette loi est devenue la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Selon certaines personnes, cette loi n’est pas constitutionnelle, car le processus qui a mené à la criminalisation de la marijuana serait contre le fonctionnement de la Constitution. Bref, c’est un gros débat qui serait difficile de gagner sur le plan juridique, mais que nous pouvons mener sur l’arène politique.

Le terme criminalisation renvoie à cette histoire de la marijuana et comment cette substance est devenue illégale. La décriminalisation pourrait donc être perçue comme le projet de sortir la marijuana de son illégalité. En d’autres mots, la retirer du Code criminel un point c’est tout! Cependant, il faut se méfier de la manière dont les politiciens et les médias se sont appropriés le concept de décriminalisation. Qu’est-ce que ce terme signifie pour eux? Est-ce qu’ils vont tout simplement décriminaliser la marijuana et ne pas s’attaquer aux consommateurs? Non! En fait, ils veulent tout simplement « déjudiciariser » la marijuana, mais continuer à émettre des contraventions et réprimander encore plus les contrevenants puisque la procédure sera réduite et plus aisée à appliquer. Ils continueraient à traiter le crime, mais dans une autre avenue qui n’est pas judiciaire. D’ailleurs, lorsque la Loi réglementant certaines drogues et autres substances est entrée en application, la possession simple a été « déjudiciarisée ». Auparavant, on pouvait être arrêté pour la simple possession d’un demi-joint, et on passait la nuit au poste de police pour finalement passer devant le juge. Maintenant, un individu qui se fait arrêter pour une possession de 30 grammes ou moins reçoit une promesse à comparaitre, et n’a pas plus le droit d’avoir un jury, contrairement à ce qui se faisait auparavant. C’est traitre! Ils ont enlevé aux gens victimes de ce type de crime d’avoir droit à un jury. C’est ce qu’ils vont faire avec la légalisation de la marijuana. Le gouvernement mettra en place des règlements ou des barrières à l’entrée sur ce nouveau (sic) marché qui risquent d’exclure certaines personnes, tel que nous pouvons le constater au Colorado en ce moment. Dans cet État, ce sont souvent les personnes d’origines hispanophones ou afro-américaines qui se font arrêter. Or, le nouveau système légal mis en place dans cet État américain interdit aux personnes ayant un dossier criminel d’être impliquées de quelconque façon dans ce marché en pleine expansion.

Ici au Canada, je crains que la légalisation que le fédéral souhaite mettre en place produise aussi trop de limitations. Par exemple, ils pourraient faire comme au Colorado et limiter le nombre de plants en floraison qu’un individu peut posséder. Sauf qu’un amateur de marijuana ne se limitera pas à trois plants, il en voudra vingt! Il voudra en partager avec ses proches ou faire pousser des plantes ayant différentes origines génétiques. En fait, il y a un double standard. En effet, au Québec, il est interdit de partager de l’alcool fait à la maison, pourtant les autorités ferment les yeux à ce sujet ou ne sont tout simplement pas capables d’intervenir! En somme, la marijuana est traitée différemment puisqu’elle est perçue comme étant un narcotique. Nous pouvons voir, entre autres à travers la dernière publicité de Santé Canada, que la marijuana est diabolisée pour des raisons irrationnelles.

En plus de la décriminalisation et de la déjudiciarisation, il y a aussi la dépénalisation. C’est comme en Amsterdam. La marijuana est toujours illégale, mais l’application de la loi est différente. On dépénalise, c’est-à-dire qu’on enlève toute punition, à travers un corpus de règlements qui s’appliquent selon la situation.

Enfin, on peut aussi parler de légalisation. Nous utilisons ce terme, mais en fait, nous avons recours à un discours anti-prohibitionniste. On considère que les projets de légalisation actuels sont menés dans l’optique de taxation et de réglementation. On se demande jusqu’à quel point ces projets mèneront à une réelle libéralisation de la marijuana, et jusqu’à quel point cette substance sera encadrée. Il ne faut pas oublier que le discours dominant en ce moment autour de la marijuana est imprégné de peur. Or, nous croyons que ces projets de légalisation ne feront que répondre à ces peurs irrationnelles, et donc perpétuer la prohibition actuelle de la marijuana, mais différemment. D’ailleurs, le gouvernement fédéral a intérêt à garder la prohibition de la marijuana puisque cela lui permet d’agir, tel que je disais plus tôt. Il conserve son droit constitutionnel d’agir. Par contre, s’il y a « déprohibition », tel que le Bloc Pot veut faire, il perdrait sa capacité d’agir et le provincial pourrait prendre l’initiative comme il l’a fait avec le jeu au début des années 70 et en 2002 avec l’union civile des conjoints de même sexe. Il faut mentionner que nous parlons aussi de « déprohibition » pour ne pas utiliser les mots de nos adversaires. Nous voulons que les citoyens comprennent qu’il existe en ce moment une véritable prohibition de la marijuana et que la mentalité prohibitionniste qui nous a été inculquée pendant près d’un siècle risque de miner les futurs changements.

Je n’aime pas utiliser le mot légalisation pour ces raisons. Au Bloc Pot, nous sommes plutôt contre toute forme de prohibition de la marijuana. On s’entend qu’il faut qu’il y ait quand même certaines formes d’encadrement et de contrôle surtout au niveau commercial. Il y aurait plusieurs manières de procéder. C’est une question qui concerne les provinces, et non pas le fédéral. En fait, ce sont les provinces qui possèdent les compétences pour réguler la marijuana puisque ça touche la santé et l’agriculture par exemple. En dernier lieu, c’est la ville, à l’aide de ses règlements sur l’urbanisme, qui décidera sur le développement des lieux commerciaux d’échange de marijuana.

Quels sont les objectifs généraux du Bloc Pot?

Nous voulons complètement mettre fin à la prohibition de la marijuana. Nous désirons également lancer des débats sur la manière dont celle-ci pourrait prendre forme. Est-ce qu’il serait préférable qu’il y ait une régie, un monopole d’État, ou un oligopole réglementé par exemple? Ou est-ce qu’un libre-marché de la marijuana serait une possibilité envisageable? Il faut trouver un modèle qui soit propre au cannabis. Elle ne peut pas être régulée comme de l’alcool, du tabac, du café, ou de la luzerne! Au Québec, nous avons déjà les infrastructures qui pourraient nous permettre de réguler la production commerciale de marijuana telle que le MAPAQ (Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec). Notre objectif, cette année, est que les députés de l’Assemblée nationale soient bombardés de lettres de citoyens qui leur demanderont d’arrêter de faire les pleutres! Prenez position! Ce n’est pas une décision qui appartient à un parti en particulier, ça appartient à l’Assemblée nationale. Elle doit agir avant que Trudeau, si élu en 2015, fasse quoi que ce soit. La régulation de la marijuana est notre compétence. Elle nous fut volée en 1923 lorsque la possession, l’importation, la fabrication et la vente de marijuana fut inscrite dans le Code criminel. Le gouvernement fédéral l’avait fait sans parler aux provinces. Bref, notre objectif est de « déprohiber » la marijuana, et de prendre d’entreprendre des actions dans ce sens.

Qu’est-ce qui t’a personnellement mené à militer pour le Bloc Pot?

C’est le pur des hasards! J’étais dans un bar en 1998, avec une amie, et puis je lui disais : « j’ai toujours dit que je me présenterai aux élections, je vais le faire maintenant comme indépendant. Ça sera fait et je pourrais passer à autre chose! » Finalement, je ne suis jamais vraiment passé à autre chose! À la table à côté, il y avait une amie militante que j’avais rencontrée au cégep du Vieux-Montréal. On débattait souvent avec les professeurs pendant les cours, et entre nous pendant les pauses! Bref, elle m’a proposé de me présenter au Bloc Pot. Je me suis dit « Hey! Pourquoi pas? Tant qu’à me présenter comme indépendant, je vais me présenter au Bloc Pot! » Ils m’ont ensuite invité à une réunion quelques jours plus tard. Je me suis finalement présenté aux élections. Nous étions 24 candidats pour le Bloc Pot. Je participais beaucoup au sein du parti en tant que président des assemblées puisque je connaissais les règlements d’assemblées. Mon aptitude à connaitre ces règles m’a permis de me faire remarquer, et puis finalement, je suis devenu membre du conseil exécutif. À partir de 1998-1999, nous avons organisé plusieurs activités pour mettre de l’avant notre cause. Nous avons fondé le Club compassion en 1999 et puis le Parti marijuana en 2000 au niveau fédéral. Nous avons aussi ouvert le café Marijane, un bureau de consultation populaire des amateurs de cannabis en 2004. En 2008, nous avons aidé Pacifique Plante à ouvrir son club social de cannabis.

Vous avez parlé d’un projet parallèle au Bloc Pot. Est-ce que vous pourriez nous en dire davantage?

Actuellement, notre objectif est de bâtir un groupe de défense des droits des amateurs de cannabis. Pour un groupe de ce genre, il nous faut des avocats, des étudiants en droit, des professeurs d’université, des hommes d’affaires et des artistes. Mon objectif ultime est que les procureurs du Québec aient des maux de tête lorsqu’ils devront faire un procès de deux semaines pour une simple possession de marijuana! Nous voudrions monter une jurisprudence solide, une expertise permettant une stratégie légale à grande échelle ainsi que mettre en place un réseau d’avocats à travers le Québec.

Qu’est-ce que tu dirais à un(e) étudiant(e) en droit que voudrait militer pour le Bloc Pot?

Nous avons besoin d’aide juridique sur deux niveaux. Au sein du Bloc Pot, ce serait d’avancer des réflexions sur le modèle démocratique actuel et sur le rôle du DGEQ (Directeur général des élections du Québec). Ensuite, si tu veux faire du droit criminel et t’impliquer, tu peux participer au groupe de défense des droits des amateurs de cannabis que nous sommes actuellement en train de mettre en place. J’encourage les étudiant(e)s en droit à nous contacter s’ils veulent s’impliquer au sein du Bloc Pot ou dans ce groupe il y a possibilité que cet engagement devienne un stage rémunéré. Nous voulons réformer les lois sur la marijuana, mais aussi renseigner les citoyens sur la consommation responsable de cette plante verte, la plus sécuritaire des substances psychoactives connues de l’humain.